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EAN : 9782228908757
220 pages
Payot et Rivages (27/02/2013)
3.84/5   53 notes
Résumé :
Au-dessus de la mêlée est le plus célèbre manifeste pacifiste de la Grande Guerre. Comparable au J'accuse de Zola, il fut publié par Romain Rolland le 24 septembre 1914 dans Le Journal de Genève. Ce texte exceptionnel, qui exhorte les belligérants à prendre de la hauteur pour saisir l'ampleur du désastre, provoqua aussitôt de nombreuses réactions violentes et haineuses envers son auteur, dont la lucidité, l'idéal de non-violence et de communion entre les peuples fur... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Nous sommes en guerre…sommes-nous ? ...Soit, essayons de nous élever au-dessus de la mêlée.

« La guerre est le fruit de la faiblesse des peuples et de leur stupidité. On ne peut que les plaindre, on ne peut leur en vouloir. » Roman Rolland, Prix Nobel français de littérature, est également connu pour son engagement pacifiste dès dix-neuf cent quatorze. « Connu » étant un bien grand mot car, concédons-le, les pacifistes ne sont pas très médiatisés ou étudiés.

Le recueil rassemble une série de lettres et d'articles que l'écrivain fait paraitre depuis son exil à Genève et porte le nom de l'une d'entre elles.

« Que les hommes faits soient de grands enfants qui se traînent en chancelant sur ce globe, sans savoir non plus d'où ils viennent et où ils vont ; qu'ils n'aient point de but plus certain dans leurs actions, et qu'on les gouverne de même avec du biscuit, des gâteaux et des verges, c'est ce que personne ne voudra croire ; et, à mon avis, il n'est point de vérité plus palpable. » Werther, de Goethe.

Refuser la guerre. de même que Jean Jaurès en France, qui fit le pari perdu d'une union d'appartenance sociale entre ouvriers français et allemands qui primerait sur l'appartenance nationale, assassiné, Rosa Luxembourg en Allemagne, emprisonnée, Bertrand Russell en Angleterre, condamné, et tant d'autres, déserteurs et mutins anonymes, fusillés pour l'exemple, ahurissement de Jean Giono, députés refusant de voter les crédits de guerre déportés dans les bagnes d'outre-mer, grèves dans les usines d'ouvriers européens unis par le même sort, tentatives de fraternisation aux fronts, violemment réprimées par les nationalistes, Romain Rolland s'oppose à la guerre avec ses propres moyens, c'est-à-dire l'écriture.

« Quand les moins bêtes se ressaisirent, il était trop tard » Léon Werth. Contre l'absurde de la guerre, les articles de Rolland, censurés, vont circuler sous le manteau et il recevra, comme un phare dans la tempête, nombre de lettres de soldats et de civils qu'il publiera dans les journaux genevois ou suédois.

« La fatalité, c'est l'excuse des âmes sans volonté. » Rolland aime sa France, il aime davantage ses français. Réaliste sur l'état actuel du conflit, ainsi il ne s'agit pas de textes exhortant à l'arrêt immédiat des combats. Néanmoins, il s'attarde à rapporter et dénoncer les dérives propagandistes ex ante de la guerre, cautionnées par des intellectuels et les dérives si peu dénoncées par eux – au contraire, les intellectuels défendent la guerre comme étant un conflit de « civilisation » contre la « barbarie » de l'adversaire.

L'écrivain, véritable directeur de conscience des pacifistes d'alors, ne pardonne pas aux élites intellectuelles des pays belligérants, du français Henri Bergson à l'allemand Thomas Mann, tous attisent le brasier de leurs fagots éditoriaux : « Car si l'on peut admettre que les braves gens qui, dans tous les pays, acceptent docilement les nouvelles que leur donnent en pâture leurs journaux et leurs chefs, se soient laissés duper, on ne le pardonne pas à ceux dont c'est le métier de chercher la vérité au milieu de l'erreur. » Quant aux politiques, aucune illusion ni complaisance pour « la race qui commande, qui se croit au-dessus des lois, qui les fait et défait. »

Rolland juge la défaite de la pensée totale chez les socialistes comme chez les religieux « apôtres rivaux de l'internationalisme religieux ou laïque se sont montrés soudain les plus ardents nationalistes », interpellant le clergé : « Et ne peut-on se sacrifier, chrétiens, qu'en sacrifiant son prochain avec soi ? »

Ces articles de presse nous font revivre « l'actualité » si j'ose dire de la guerre, une vision brève et parcellaire, notamment un épisode moins connu aujourd'hui, le saccage par l'Allemagne de Reims mais surtout l'invasion de la Belgique, neutre, notamment la destruction de la bibliothèque de Louvain, Rolland s'insurge contre les justifications des intellectuels allemands qui détruisent le patrimoine de l'humanité au nom d'une lutte contre la barbarie : « Êtes-vous les petits-fils de Goethe, ou ceux d'Attila ? (…) l'impérialisme de Prusse vous a enfoncé sur les yeux et jusque sur la conscience, son casque à pointe. »

« L'amour de la patrie exige-t-il cette dureté de sentiment » ? Appel à la création d'une juridiction internationale pour les crimes de guerre, à un rapprochement européen ex post, au respect du droit des gens, à la fin des sévices et des rapts subits par les civils, Rolland inlassablement écrit, discute et publie des lettres du front, relaye les initiatives des Pays-Bas, de Lituanie, ou l'Espagne, condamne l'impérialisme, l'obscurantisme, le racisme qui met en accord nos idéaux à notre médiocrité. Bien avant l'avènement d'une communauté institutionnelle européenne, Romain Rolland voit dans le conflit armé une guerre civile. Depuis la Suisse, il regrette son isolement idéologique, « qui ne veut point délirer comme les autres est suspect. »

Au-delà du pacifisme, c'est un appel à la solidarité des peuples, pour nous dire à nouveau que, pour l'immense majorité d'entre nous, économiquement, socialement, ce qui nous rassemble est infiniment plus grand que ce qui nous divise, quand ces divisions ne sont pas fabriquées de toutes pièces par les diplomaties secrètes, les fabricants d'armes etc. : « ennemis, amis, regardons-nous dans les yeux… Mon frère, n'y vois-tu pas un coeur semblable au tien, et les mêmes souffrances et les mêmes espérances, et le même égoïsme. »

« On apprend à l'enfant l'Évangile de Jésus ! l'idéal chrétien. Tout, dans l'éducation qu'il reçoit à l'école, est fait pour stimuler en lui la compréhension intellectuelle de la grande famille humaine », mais alors, d'où vient le problème ? Pourquoi si peu d'européens ont conservé cette éducation, Rolland soulignant : « quand la guerre est venue, je n'ai pas cru devoir les renier, parce que l'heure était arrivée de les mettre à l'épreuve » ? est-ce les adultes qu'il faut remettre aux bancs de l'école ? Comment nous élever au-dessus de la mêlée ?

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Après réflexion :
Quand Romain Rolland a écrit ce livre, la première guerre mondiale avait débuté. Et d'un coup il a éprouvé le besoin de s'élever de revenir sur les événements. Étant pacificiste et non-violente ce texte est très intéressant.
Au-dessus de la mêlée m'a laissé cette impression que les guerres se se font parce que personne n'y croit vraiment et que qui ne dit mot acquièsce.
Seuls quelques-uns prennent le spectre de la guerre au sérieux mais ils sont si peu nombreux, si peu entendus qu'un beau jour c'est un fait accompli.
Romain Rolland a pris la plume dénonçant tout un mécanisme et par-dessus tout l'inertie des intellectuels.
Un beau témoignage. À lire absolument !
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Au-dessus de la mêlée est un manifeste pacifiste, surtout une compilation d'articles écrits par Romain Rolland entre 1914 et 1915. Je ne sais pourquoi, je m'attendais plus à un essai, plutôt qu'à un ensemble disparate de lettres et d'éditoriaux. Ils sont tous sur les mêmes thèmes (bien que pas tous sur le même ton, selon le destinataire) mais, parfois, la ligne directrice me semblait grouiller un peu. Quoiqu'il en soit, à cette époque, il n'était pas un auteur particulièrement connu ou lu. Son oeuvre principale était Jean-Christophe, racontant en dix volumes les aventures, la vie d'un musicien allemand établi en France. Une série de romans mettant de l'avant sa passion pour la musique et l'Allemagne mais qui, cent ans plus tard, ne soulève qu'un engouement modéré.

C'est son engagement pacifiste qui permettra à Rolland de se distinguer. Dans les mois qui précèdent et qui suivent le déclenchement de la Première Guerre mondiale, les intellectuels se battent à coups d'éditoriaux. “Eucken contre Bergson, Hauptmann contre Maeterlinck, Rolland contre Hauptmann, Wells contre Bernard Shaw. Kipling et D Annunzio, Dehmel et de Régnier chantent des hymnes de guerre. Barrès et Maeterlinck entonnent des péans de haine. » (p. 69). de part et d'autre, on assiste à une surenchère de propos péremptoires ou hargneux.

Rolland, lui, tend la main à gauche et à droite. À ses compatriote (pour calmer leurs ardeurs) mais aussi aux hommes de l'autre côté de la frontière. « Une fois de plus, je m'adresse aux frères ennemis. » (p. 99). Rolland critique la vision patriotique à l'excès des Allemands. Il ne nomme pas toujours ceux qu'il vise mais on peut reconnaitre Gerhart Hauptmann, entre autres. À ses yeux, le conflit prend des airs de guerre sainte, presque de croisade. Tant pis pour la neutralité de la Belgique, pour les incendies de la bibliothèque de Louvain et de la cathédrale de Reims et « la route dévastée de Liège à Senlis ». La destruction du patrimoine de l'humanité.

On lui répond que, la guerre, c'est la guerre. Il n'y a qu'un seul but, qu'un seul objectif : la victoire à tout prix. Rolland oppose à cette vision une défense de la culture européenne commune. Même s'il tend la main aux Allemands, militant pour la paix, ses attaques à peine voilées contre les intellectuels prussiens qui soutiennent la guerre et ses conséquences n'aide pas sa cause. Elles ne servent que de prétexte à ceux-là pour se retrancher derrière leurs idées préconçues. « Êtes-vous les petits-fils de Goethe, ou ceux d'Attila? » (p. 49) Je ne suis pas certain qu'une pareille entrée en matière persuade quelqu'un qui se croit dans son droit. Mais bon, on peut nier que cela fait réagir et réfléchir, si pas Hauptmann et sa suite, les plus modérés.

Du côté français, les choses ne se présentent guère mieux. Ses appels à la paix ne sont pas écoutés. Pis, ses sympathies germaniques le rendent suspicieux. En effet, il comptera parmi ses correspondants et amis Stefan Zweig, pacifiste également mais surtout – et malheureusement – Autrichien.

« […] on me reproche essentiellement deux choses :
1. Mon refus d'englober dans la même réprobation le peuple allemand et ses chefs, militaires ou intellectuel ;
2. L'estime et l'amitié que je conserve pour des hommes de cette nation avec qui nous sommes en guerre. » (p. 121)

Et c'est vrai. On ne peut le nier, que ce soit par sa saga Jean-Christophe ou bien par ses propres propos. « […] vous savez combien j'aime votre vieille Allemagne et tout ce que je lui dois. Je suis fils de Beethoven, de Leibnitz et de Goethe, au moins autant que vous. » (p. 83). Mais ce sont des attaques faciles. Aujourd'hui, l'on dirait qu'il fait preuve d'ouverture d'esprit et d'honnêteté intellectuelle. Quoiqu'il en soit, l'engagement de Romain Rolland en faveur de la paix et de l'harmonie entre les nations sont plus importants que des attaques mesquines et opportunistes. Ainsi, Au-dessus de la mêlée se termine sur un message d'espoir. « Les destins de l'humanité l'emportent sur ceux de toutes les patries. Rien ne saura empêcher les liens de se reformer entre les pensées des nations ennemies. » (p. 172). Et l'histoire lui donnera raison (après un hiatus) avec la création de l'Union européenne.
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Romain Rolland osa, dès 1914, critiquer la guerre en Europe. Par exception, il ne compta pas au nombre des forces soi-disant intellectuelles de l'arrière qui s'efforcèrent, bien à l'abri des obus et des balles, d'exalter irresponsablement la colère guerrière des Français en croyant favoriser leur rage meurtrière et leur efficacité belliqueuse, mais il lutta au contraire contre la haine, en un pacifisme obstiné, tâchant de démontrer, avec une raison calme, l'intérêt, y compris en temps de guerre, de préparer déjà la paix des peuples.
Un homme qui s'oppose ainsi en conscience à la doxa, à l'opinion majoritaire, et particulièrement en période de troubles, recevra toujours mon respect de principe, fût-ce même pour proférer des erreurs, parce qu'un individu est avant tout celui qui va contre. Maintes personnes aujourd'hui, croyant se distinguer par des combats en réalité par trop évidents, ne font que suivre un courant où ils ne risquent guère de rencontrer des embûches et de se noyer.
Rolland accuse, pourtant : il attribue la cause de la guerre à cet esprit prussien militariste qui, selon lui, se fait un orgueil immoral de dominer au nom de la seule patrie, et il condamne sans excuse les premières exactions de l'armée allemande comme l'invasion de la Belgique ou l'incendie de Louvain ; mais, d'autre part, il fustige les incitateurs de férocité et tous les auteurs français qui, innombrables alors, ne savent soutenir les soldats de leur pays qu'en exacerbant la violence et le discrédit contre les Allemands.
Cet ouvrage, constitué de seize articles, fut, semble-t-il, largement attaqué et calomnié en France du temps de sa publication, et son auteur ne manque pas de rappeler la brutalité qui se déchaîna contre lui lors des parutions successives, le laissant dans une grande solitude stupéfiée. On peut le croire sur parole, et il n'y a pas lieu de douter de la réalité d'un tel vent de fureur soulevé contre lui : il n'est jamais opportun pour sa tranquillité de modérer des engouements nationaux ; on pense assainir des esprits en les adoucissant au moyen d'arguments dépassionnés, et on soulève au contraire des invectives qui, loin de constituer un commencement de débat, ne frôlent pas même les idées qu'on émet avec curiosité.
Rolland feint peut-être d'avoir ignoré qu'il est toujours risqué de s'opposer à une morale répandue, supposée universelle, comme le sont le patriotisme ou la charité : on paraît alors jouer d'esprit et de paradoxe pour la galerie, et, dans une situation où des hommes sont en péril, on semble se valoriser aux dépens de la vie d'autrui ; les gens en général ne comprennent pas qu'on puisse être immoralement sérieux, et il leur paraît que de pareilles considérations, si opposées à ce qu'ils appellent, eux, « le bon sens » et qui n'est en vérité qu'une imitation de pensée à l'image d'une multitude, ne valent d'être exprimées qu'en période d'insouciance et uniquement dans les livres pour « briller ». En laissant entendre que les Français du front se battaient pour une cause douteuse, du moins contre un ennemi « fraternel », Rolland a instillé une réflexion là où ses compatriotes n'aspiraient qu'à des réflexes de représentation : il faut défendre l'honneur des soldats de son pays coûte que coûte parce que… eh bien ! parce que c'est la tradition et que personne n'admet que son mari ou son père puisse mourir en vain. Voici donc des hommes automatiquement « braves », « responsables », « intrépides » : des « poilus » en somme, et c'est tout ce que l'histoire nationale, confondue avec la propagande, a voulu retenir de leurs motivations à se battre – même, on tolère aisément, en de telles circonstances, des mensonges patents mais valorisants ; ils ont fait « ce qu'il fallait », accompli « leur devoir », sont morts « en héros ». On succombe ainsi de bon gré et par confort aveugle au stupide adage selon lequel un soldat est forcément « quelqu'un de bien ».
Mais je pense, pour être franc, que le défaut de Rolland aura été d'être encore trop doux, trop tempéré, trop tendre et en cela pas si sage, tenant une position plus intermédiaire qu'on croit. En exprimant sa volonté d'argumenter avec patience contre des loups prévisibles et déclarés, il a produit des jappements et des claquements de mâchoires qui ont prémédité, en le voyant si candide, de le réduire au silence, à la honte et à la consternation. Ne jamais s'efforcer de se mettre en rôle d'innocence, c'est la leçon qu'il faut tirer de ce genre de controverse : on aspire toujours à briser le « gentil » au lieu de s'en méfier, et on ose contre lui ce qu'on ne se permettrait pas avec un animal sauvage de son espèce. Rolland a certainement paru la créature bonasse qu'on adore harceler : il avait, semble-t-il, le tempérament de celui qu'on brutalise parce qu'on sent à cette action quelque accroche, quelque effet, quelque faiblesse de pelisse ou de cuir. Chacun sent qu'on n'a pas besoin de débattre quand il suffit d'humilier. J'ai pris personnellement conscience de cela depuis un moment, et je ne m'avise jamais d'argumenter longuement avec des aboyeurs : je laisse dire, et je réponds généralement à des commentaires superficiels par une saillie encore plus courte, c'est-à-dire par presque rien qui pourrait faire croire qu'on m'a atteint. La grande faiblesse de Rolland, c'est d'avoir nettement laissé entendre, dans son ton et sa manière, le point par lequel il était vulnérable, je veux dire sa sensibilité à ménager ses contradicteurs au-delà de ce qui est légitime. Son refus manifeste de la haine – refus imbécile, car il y a des haines justifiées et il vaudrait mieux s'opposer à la haine infondée – a valu chez ses opposants la certitude préalable qu'ils seraient accueillis avec compréhension et douceur, quelles que soient leur vindicte déballée et leur méchanceté crachée. Rolland-écrivain contient intrinsèquement, je crois, la révélation d'un Rolland-faille : c'est Rolland qui s'est offert et indirectement blessé à son propre exercice.
Et je m'interroge même si, au surplus de l'excessive douceur de son ton qui l'a découvert à ses ennemis contemporains, Rolland ne s'est pas compromis plus sérieusement à la douceur excessive des idées qui l'a aussi affaibli à ses lecteurs notamment posthumes – j'admets pourtant que je m'aventure là sur un terrain que je ne mesure pas tout à fait, où je ne suis pas entièrement compétent. C'est qu'il me semble que cette Première Guerre Mondiale, au regard de toutes les étapes dérisoires qui ont constitué l'escalade des menaces et de la violence (et cet assassinat d'un archiduc autrichien notamment m'a toujours paru un motif bien léger pour servir de point de départ à plusieurs centaines de milliers de morts), repose presque toute entière sur un désir brutal et irrépressible de conquête militaire, et issu, je crois pouvoir l'affirmer, aussi bien de part et d'autre du Rhin : la France, satisfaite au fond de trouver un prétexte à se battre, au souvenir des triomphes de Napoléon et au nom d'une tradition d'honneur à « faire ses armes » et à se forger, comme sorte de rite initiatique, une bravoure stéréotypée « à l'épreuve du feu », s'est saisie des moindres obligations dont elle se croyait engagée au sein de traités d'alliance assez absurdes, et sur ce fonds si piètre, si infime, si dérisoire, s'est précipitée dans la guerre avec la hâte d'en découdre, d'asseoir sa gloire et de se fabriquer des héros. Et ce que j'appelle ici « la France » ne doit pas servir à dissimuler les Français qui furent généralement tout volontaires pour combattre et tuer des inconnus, puisque c'est concrètement de cela qu'il s'agit. Certes, bien des mois après, les soldats, constatant comme la guerre avait changé et était devenue si mécanique et « malpropre », se repentirent de leur enthousiasme, mais il était un peu tard pour découvrir les gaz, les obus et les tranchées : il leur avait fallu cette douloureuse expérience pour comprendre qu'ils ne trouveraient pas l'héroïsme espérée dans des glorieuses rixes au presque corps-à-corps et fondées sur de nobles stratégies où s'étaient à peu près tenues les batailles des guerres antérieures. La vérité moins douce mais plus vraie que, je pense, Rolland eût dû rappeler durement, c'est que les Français se sont à peine battus pour la défense de leur pays, attendu que leur gouvernement a délibérément exacerbé toutes les menaces extérieures qu'on avait pu lui faire ; au mieux, ils ont profité, si ce mot terrible peut s'appliquer ici, des circonstances belliqueuses de l'Europe pour se jeter inconsidérément dans la mêlée, au point que, personnellement, je ne saurais considérer aujourd'hui ces soldats bêtement aveuglés, et même ceux qui sont morts, comme des héros à honorer, même aux cérémonies qu'on aimerait encore imposer aux citoyens d'à présent. Cette guerre, de mon avis, fut inutile plus qu'aucune autre, une guerre d'illusions et de vanités pures, une guerre où les citoyens exprimèrent comme rarement dans l'histoire moderne des idéaux convenus et leur affligeant conditionnement moral : au point que c'est à croire qu'on manquait et d'individualité, de culture et d'occupation pour se bâtir avec tant d'artifice une valeur si bon marché de patriote à travers cette guerre si artificielle.
Bien entendu, Romain Rolland, sans ce recul historique, eût risqué bien davantage que des insultes à oser l'affirmer ainsi : ce qu'on aurait alors qualifié de « déplaisant paradoxe » se fût sans doute changé en « odieux sacrilège », et on n'eût point toléré un propos et un penseur proférant tant de critiques outrageuses pour des engagements bêtes et au grand mépris des sacrifices humains. Il eût fallu dire, à la vérité, que les soldats étaient tous des imbéciles, que la nation n'était guère menacée, et accuser des élites politiques et intellectuelles d'avoir condamné des citoyens honnêtes quoique trop simples à suivre des voies moutonnières et injustifiées. On n'est d'ailleurs guère sorti de la vision pathétique de ce conflit, et on y accorde encore une valeur d'exemple, en tâchant, on ne sait pourquoi, de faire entendre que si la guerre est une chose affreuse, les guerriers, eux, et particulièrement les guerriers français, étant d'office de fort respectables personnes, n'y furent absolument pour rien.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Le cri dans le désert de Romain Rolland, il y a cent ans, nous paraît aujourd'hui assez banal. Il y prône l'humanisation de la guerre, le respect de l'ennemi, la réconciliation, la préparation à une paix viable, bref tout ce que notre époque pacifiste essaie de défendre. En 1914 pourtant, cette distance prise avec le fanatisme guerrier surprend. Elle choque même. On accuse Romain Rolland, qui refuse de rompre avec ses amis allemand sous prétexte de guerre, de traitrise. On lui crache à la figure. Mais il se défend et il accuse, se concentrant surtout sur ces homologues, les intellectuels, les penseurs, les philosophes, qui se sont jetés sans réfléchir dans le combat national, reniant ainsi l'humanisme qu'ils avaient toujours professé. Romain Rolland s'affirme, au temps où cela était devenu impossible, européen. Il souffre de voir son continent (faut-il dire sa patrie?) se suicider. Il cherche à éviter l'effondrement total, sans succès, du moins pour les trente ans qui vont suivre. Il n'est pourtant pas seul. Il cite, pour s'en convaincre, d'autres insoumis, d'autres résistants. Il n'en demeure pas moins qu'on va continuer - et c'est là le mystère le plus terrible de la Première Guerre mondiale - de s'entretuer pour rien pendant quatre ans.
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critiques presse (1)
Bibliobs
07 janvier 2022
L’immense majorité des intellectuels a accueilli la Grande Guerre avec enthousiasme. Et Romain Rolland s’est trouvé bien seul, quand il a écrit « Au-dessus de la mêlée ».
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (71) Voir plus Ajouter une citation
En parcourant ces écrits allemands inspirés par la guerre, où passe par moments un souffle puissant de révolte ou de douleur, je faisais une réflexion, que beaucoup de mes lecteurs français feront sans doute avec moi : je pensais que nos jeunes écrivains à nous n'écrivaient pas de "littérature"; Leurs œuvres, ce sont leurs actes; et ce sont aussi leurs lettres. Et, je me disais, après avoir relu quelques-unes de ces lettres, que notre part était la meilleure. Ce n'est pas mon sujet de montrer en ce moment la place que prendra cette correspondance héroïque, non seulement dans notre histoire, mais même dans notre art. La fleur de notre jeunesse y a mis tout son être, sa foi et son génie. Pour telles de ces lettres, je donnerais les plus beaux vers du plus beau des poèmes. On le verra plus tard : quoi qu'on puisse penser de la valeur de cette guerre, quelqu'en soit le résultat, la France, - la France qui se bat - y aura écrit, sans y songer, sur le papier maculé de boue et, quelquefois, de sang, quelques-unes de ses pages les plus sublimes.
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Une œuvre comme Reims est beaucoup plus qu'une vie : elle est un peuple, elle est ses siècles qui frémissent comme une symphonie dans cet orgue de pierre ; elle est ses souvenirs de joie, de gloire et de douleur, ses méditations, ses ironies ses rêves ; elle est l'arbre de la race,, dont les racines plongent au plus profond de sa terre et qui, d'un élan sublime, tend ses bras vers le ciel. Elle est bien plus encore : sa beauté qui domine les luttes des nations, est l'harmonieuse réponse faite par le genre humain à l'énigme du monde, - cette lumière de l'esprit, plus nécessaire aux âmes que celle du soleil.
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Les tristes arguments que vous nous avez opposés, depuis deux mois !
1. La guerre est la guerre, dites-vous, c’est-à-dire sans mesure commune avec le reste des choses, au delà de la morale, de la raison, de toutes les limites de la vie ordinaire, une sorte d’état surnaturel, devant quoi il ne reste qu’à s’incliner sans discuter ;
2. L’Allemagne est l’Allemagne, c’est-à-dire sans mesure commune avec le reste des peuples ; les lois qui s’appliquent aux autres ne s’appliquent pas à elle, et les droits qu’elle s’arroge de violer le droit n’appartiennent qu’à elle. C’est ainsi qu’elle peut, sans crime, déchirer ses promesses écrites, trahir ses serments donnés, violer la neutralité des peuples qu’elle a juré de défendre. Mais elle prétend, en retour, trouver dans les peuples qu’elle outrage « de chevaleresques adversaires » ; et que cela ne soit pas et qu’ils osent se défendre, par tous les moyens et les armes qui leur restent, elle le proclame un crime !…

On reconnaît bien là les enseignements intéressés de vos maîtres prussiens ! Artistes d’Allemagne, je ne mets pas en doute votre sincérité ; mais vous n’êtes plus capables de voir la vérité ; l’impérialisme de Prusse vous a enfoncé sur les yeux et jusque sur la conscience, son casque à pointe.

II. Pro aris
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Jeder hat's gehabt,
Keiner hat's geschœtzt.
Jeden hat der süsse Quell gelabt.
O wie klingt der Name Friede jetzt !

Klingt so fern und zag,
Klingt so tranenschwer,
Keiner weiss und kennt den Tag?
Jeder sehnt ihn voll Verlangen her...

(Chacun l'a possédée. Personne ne l'a appréciée. Chacun s'est rafraîchi à la source douce. Oh ! comme sonne le nom de la paix à présent ! - Il sonne si lointain, si craintif ; il sonne si lourd de larmes !...)

Hermann Hesse
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À propos de Jaurès

Surtout, il avait le génie de voir l'"humain" en toute chose. Son pouvoir de sympathie universelle se refusait également à la négation étroite et à l'affirmation fanatique. Toute intolérance lui faisait horreur.
S'il se mettait à la tête d'un grand parti de révolte, c'était avec la pensée "d'épargner, comme il dit, à la grande œuvre de la révolution prolétarienne l'écœurante et cruelle odeur de sang, de meurtre et de haine, qui est restée attachée à la Révolution bourgeoise. À l'égard de toutes les doctrines," il réclamait, en son nom et au nom de son parti, le respect de la personnalité humaine et de l'esprit qui se manifeste en chacune d'elles." (1910)
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