Malgré la modernisation du pays, malgré mai 68, malgré l'abandon des châtiments corporels, la fin du pouvoir absolu du père de famille et l'autorité indiscutable de l'État-patrie, malgré les apports des pédagogies alternatives, le système scolaire conserve des allures de prison et de centre de dressage... En bon situationniste, Vaneigem remarque que la persistance morbide de l'organisation verticale dans l'école n'est que le reflet de l'organisation pyramidale de la société, l'école étant dès lors un jeu de rôles formateur, une répétition de la vie de domination qui aura lieu dans l'usine ou dans l'entreprise, voire dans toute la société. L'erreur fondamentale, selon lui, est d'avoir adopté la morale et les manières de faire du monde des affaires (après avoir rejeté celles de l'armée), du monde économique, un monde dont la morale est profondément suspecte ! Où la concurrence est sans pitié, où l'on élimine les faibles, on les licencie, on les rachète, on les trompe, on dissimule, on réalise des coups, on spécule, on parie... pas vu pas pris... La belle concurrence sportive que prônent les penseurs de la religion du management, cache en réalité le caractère jetable et remplaçable du sportif, les intérêts financiers dominants. L'auteur considère que ces valeurs sont celles d'une "société mafieuse". L'autre face de ce système de valeurs, c'est l'assistance, la charité pour le faible, pour celui qui échoue. On le sait la charité est souvent le moyen de blanchir l'argent des trafics. L'école fait ainsi preuve de bienveillance envers ses mauvais élèves (non-redoublement, activités de rattrapage faciles, générosité des notes ou des coefficients...) comme une charité qu'on donnerait gentiment pour encourager à reprendre sa place dans la compétition. On n'est pas si méchant, voyez-vous, alors soyez sages et faîtes comme on vous demande.
Ce qui sous-tend cette idéologie, c'est la notion destructrice de réussite, que Vaneigem dévoile en l'appelant par son vrai nom de "volonté de puissance". La réussite scolaire, ce n'est pas l'espoir d'avoir un métier et un salaire décent (comme ce put être le cas à une époque), mais la réalisation de l'ambition, la montée dans l'échelle sociale (réaliser sa puissance, c'est devenir plus fort que les autres, prendre l'ascendant, diriger les autres). L'école est un atout de plus pour cette montée, parmi les autres moyens que propose ce système économique immoral. de là, la réussite scolaire est prise comme outil et non comme validation d'un riche apprentissage réussi. Un faux diplôme agrémenté d'un peu de tchatche peut faire l'affaire, tout comme la lèche et la corruption favoriseront cette ascension. La réussite sociale, c'est la débrouille dans un monde de requins. Les professeurs s'étonnent naïvement de la telle naïveté des élèves qui trichent en recopiant le premier contenu internet au lieu de réfléchir par soi-même pour apprendre... Devenir maître en tricheries, c'est être apte à se débrouiller dans le monde. Et quoi de mieux que la bienveillance des professeurs pour s'y exercer ? L'admiration de la réussite, qu'elle soit financière ou sportive, sans regarder les moyens, est une constante de notre temps (comme il est admis que le système est vicié, il est naturel d'ailleurs que les manières de réussir ne soient pas prises en compte dans notre jugement).
C'est en situationniste également que Vaneigem prône justement comme valeur centrale pour une nouvelle école, la fantaisie, la moquerie de ce monde sérieux et crapuleux, la dénonciation de ce système et de ceux qui le défendent. Un peu comme les valeurs chrétiennes vicieuses défendent parfois une souffrance immédiate, une docilité, au bénéfice d'une jouissance future, au ciel, l'école hypothéquerait le bonheur de l'enfant au bénéfice de sa jouissance par l'argent qu'il retirera de sa réussite future. Contre cette position viciée, Vaneigem prône bien entendu la rébellion immédiate et la réalisation collective dans l'école du bonheur de l'enfant. Contre l'utilitarisme de la formation - prendre le pli du monde impitoyable des affaires dans lequel l'enfant va entrer -, il vante le triomphe de la fantaisie, de la dérision, du rêve. Il ne s'agit pas de protéger l'innocence et la pureté de l'univers enfantin, mais au contraire créer des êtres qui iront consciemment à l'opposé de ce monde détestable. L'école doit constituer une arme de guerre contre cette supercherie gigantesque, ce monde stupide et déréglé, cette escroquerie en bandes organisées, qui s'appuie sur l'illusion de l'homo oeconomicus, le charlatanisme du darwinisme social hérité d'
Herbert Spencer (qui voit l'individu humain comme un monstre d'égoïsme se battant contre les autres pour survivre - simplification nullissime de Darwin), la domination de pouvoirs financiers criminels bâtis sur l'exploitation, la spoliation ou la guerre.
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