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Claude Seban (Traducteur)
EAN : 9782253152859
1115 pages
Le Livre de Poche (15/05/2002)
4.13/5   927 notes
Résumé :
« Alors, en début de soirée, ce 3 août 1962, vint la Mort, index sur la sonnette du 12305 Fifth Helena Drive. La Mort qui essuyait la sueur de son front avec sa casquette de base-ball. La Mort qui mastiquait vite, impatiente, un chewing-gum. Pas un bruit à l'intérieur. La Mort ne peut pas le laisser sur le pas de la porte, ce foutu paquet, il lui faut une signature. Elle n'entend que les vibrations ronronnantes de l'air conditionné. Ou bien… est-ce qu'elle entend un... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (154) Voir plus Ajouter une critique
4,13

sur 927 notes
Quel fascinant roman !
Hypnotique et magnétique comme l'était celle dont il relate la possible histoire, l'actrice américaine Marilyn Monroe (1926 - 1962). Quelle autre figure pop nous incite davantage à juger sur les apparences ? Et pourtant, paradoxalement, c'est sans doute cette femme, entre toutes, qu'on devrait se garder de juger sur les apparences. C'est ce que propose l'auteur avec "Blonde".

MARILYN ! MARILYN ! MARILYN !

Pur produit manufacturé par Hollywood, univers vicié et vicieux, dont l'éphémère et fulgurant âge d'or a été rapidement suivi d'une décadence crasse et corrompue où sexe, drogues, alcool, pornographie et magouilles règnent en maîtres, masqués aux yeux du public par des myriades d'étoiles et de paillettes. Réalité.

Poupée crémeuse, femme objet, blonde idiote, icône pop, égérie en caoutchouc, sex-symbol, actrice médiocre. Cheveux platine phosphorescents, lèvres sanglantes pulpeuses, grain de beauté aguicheur, seins mammouthesques, hanches et cul de rêve. Fiction.

"Ce que le Studio demandait très raisonnablement […], c'était un retour à des comédies sexy assurées du succès comme "Certains l'aiment chaud" et "Sept ans de réflexion", car pourquoi diable les Américains devraient-ils se séparer de dollars durement gagnés pour voir des films sinistres qui les dépriment ? Des films qui ressemblent à leurs propres vies foireuses ? Quelques gros rires gras n'ont jamais fait de mal à personne, hein ? Quelques scènes affriolantes ? Hein ? Une superbe blonde, des scènes où ses vêtements tombent, des courants d'air qui soulèvent sa jupe jusqu'en haut des cuisses".

Orpheline de père, fille d'une mère schizophrène internée, fillette apeurée ballottée de l'orphelinat en familles d'accueil, enfant discrète et incomprise, femme soumise, âme révoltée, en perpétuelle quête d'identité, elle qui en possédera plusieurs : Norma Jeane l'amie, Marilyn l'ennemie.

Illusoire exemple de cette ascension sociale "made in USA", du mythique "rêve américain" soigneusement entretenu pour leurrer des générations de moutons, la Carotte d'Or du "peuple de la liberté", le même qui ne craint pas d'emprisonner la femme-orpheline glamour dans des robes camisoles cousues sur elle l'empêchant de s'asseoir ou de respirer.

La femme-orpheline, abusée et exploitée, seule, s'élèvera bien à la "force du poignet", comme le lui promettait son tendre Oncle Sam, mais pas de la manière qu'on imagine. "Se coucher pour arriver", seule voie possible sous le vernis du puritanisme hypocrite. Starlette-marionnette violemment soumise aux appétits voraces des hommes-bites qui contrôlent le monde dans lequel elle a eu le hasard de naître. "Tu as eu le rôle en tournant les talons, mon chou".

La femme-orpheline aussi fragile qu'un colibri "plongeant son long bec aiguille dans les jasmins trompettes pour en sucer le suc... […] Ils doivent manger tout le temps ou s'épuiser et mourir... des ailes minuscules qui battent si vite qu'on ne les voit pas... un bruissement, une tache floue... et leur coeur qui bat si vite..." ; toute une vie en quête d'amour, de liens, de reconnaissance et de talent.

La femme-orpheline, assidue lectrice de Darwin, Tchekhov, Schopenhauer et Pascal. La blonde qui rêvait d'être une actrice.

1 110 pages pour témoigner de 30 ans d'une (sur)vie tout en grands écarts. Misères et splendeurs de l'actrice-courtisane, parcours de l'orphelinat à la couche présidentielle, passage de l'innocence à la violence, de l'obscurité aux lumières artificielles des flash aveuglants.

Joyce Carol Oates décline ici le genre de la biographie. "Blonde" n'est pas une biographie romancée, "Blonde" est une biographie fictive, nuance. Ce n'est pas l'historien ou le biographe qui est aux commandes mais bien l'écrivain, et quel écrivain ! Qui annonce franchement la couleur en préambule : "Ceci est un roman". Contrairement à un biographe, l'écrivain va au-delà des faits et ne s'éloigne jamais du narratif. Ses mains libres lui donnent des ailes, elle s'autorise à pénétrer les sentiments supposés de son personnage et offre ainsi au lecteur une connaissance de Norma Jeane Baker moins superficielle que si elle s'était attachée aux seuls faits, vite lus, vite oubliés. Avec "Blonde", le lecteur accède à une compréhension intime et ressent avec intensité et sincérité les craintes, les espoirs, les désespoirs, le besoin d'amour et de reconnaissance, la déraisonnable utopie de Norma Jeane.

Mais c'est bien l'essence même du mythe d'être sujet aux interprétations. Ainsi naissent les légendes. Invérifiables, mystérieuses et puissantes. Immortelles.

Depuis l'enfance j'ai toujours été instinctivement fascinée par Marilyn, sans vraiment savoir pourquoi, n'ayant même pas vu ses films. Désormais, grâce à Joyce Carol Oates qui m'a suggéré sa part d'humanité, je comprends... et compte bien voir ses films.

Enfin, 1 110 pages et pas une minute d'ennui, c'est ce que personnellement j'appelle une réussite.


Challenge PAVES 2016
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Et Joyce Carol Oates créa Blonde... un roman, une fiction.

L'auteur écrit en préambule ce qui différencie son livre d'une biographie de Marilyn Monroe.
Alors qu'enfant, Norma Jeane a été placée dans de nombreux foyers, l'auteur a choisi de ne parler que d'un seul (fictif de surcroît)
Ses amants, problèmes médicaux, avortements, tentatives de suicide et rôles, sont réduits aux essentiels.

Vous l'aurez compris, Blonde n'est pas un récit historique, même s'il retrace les grandes lignes de la vie de Marilyn et que la plongée dans son esprit nous semble très réelle.

Je me suis lancée dans ce pavé de 1115 pages en lecture commune avec quelques amies, sans lesquelles je n'aurais probablement jamais ouvert ce livre.
D'une part à cause du nombre de pages, et d'autre part parce que je ne me suis jamais intéressée à Marilyn. Je dirais même plus, je saturais un chouia.
Donc, merci à ma Pépette, Anna-Choute et ma Caro,

Au début, Norma Jeane a 6 ans, et sa mère Gladys vient la chercher chez ses grands-parents, qui l'avaient élevée jusque là.
Quel déchirement de voir cette pauvre gamine sous le joug de cette mère déséquilibrée, qui vit dans un taudis à Hollywood.

Et puis l'orphelinat, le placement dans une famille d'accueil...
Mon coeur a saigné, et mon désintérêt pour la femme s'est envolé au fur et à mesure que je m'attachais à l'enfant.

Norma Jeane grandit. Elle est très belle, attachante, sexy... bon, vous la connaissez tous, au moins de nom et de vue.
Personne ne peut à échapper à Marilyn Monroe.

Norma Jeane en fera des choses pour devenir célèbre. Et dans un premier temps, pour tenir la tête hors de l'eau, parce qu'on ne peut pas dire qu'elle ait de quoi subvenir à ses besoins.

Une femme intelligente, gentille, charmante et charmeuse, qui "devra" se servir de ses atouts physiques et cacher sa culture, parce que ça ferait désordre.
Elle ne doit être qu'une ravissante idiote.

Et la façon dont les hommes l'ont traitée est juste innommable.

Mais elle a réussi à s'élever... Malheureusement plus on est haut plus on peut tomber très bas et la chute est douloureuse, voire dévastatrice.

Joyce Carol Oates a réussi à percer ma carapace, ce qui ne lui fut pas facile, en supposant qu'elle ait écrit ce livre pour moi.

Que vous aimiez Marilyn ou pas, ou qu'elle vous soit indifférente, je ne peux que vous conseiller ce roman magnifiquement écrit, la plume de JCO n'est plus à vanter, et très réaliste.

Elle m'a marquée, cette enfant-femme qui ne voulait qu'être aimée.
L'absence de son père et son manque de lui l'a amenée à le rechercher dans chaque rencontre qu'elle faisait.
Une plaie à vif qui ne s'est jamais refermée, jusqu'à sa mort.
Accident , suicide... assisté ou pas ? le mystère reste entier et on ne le saura jamais..

En fait, elle voulait que le monde entier l'aime. Et elle a presque réussi ce pari. Ne lui manquait que son papa... et un bébé.
Un roman touchant et inoubliable.
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Qui est véritablement Norma Jeane Baker?
Joyce Carol Oates, dont toute l'oeuvre s'appuie sur un solide travail de documentation et qui use ici d'une palette variée de modes d'expression, n'hésitant pas à entrecouper son récit d'extraits tirés du vrai-faux journal de Marilyn Monroe, ou de vrais fausses déclarations de ceux, maris, amants, amis, professionnels du cinéma l'ayant bien connue, ne prétend pas répondre à cette question, nul ne le peut. Mais il est fort possible, et même probable, que son roman se soit approché au plus près, bien plus près qu'une biographie rigoureuse et exhaustive, de la véritable Norma Jeane.

Qui est Norma Jeane Baker? Et qui cela intéresse-t-il au fond?
Parce que le monde, lui, ce qui l'a captivé, ce qui l'a fasciné et le captive encore aujourd'hui, c'est Marilyn, pas Norma Jeane. C'est l'être imaginaire, l'être fabriqué, l'être de fiction, c'est l'être de pellicule, pas l'être de chair, d'humeurs et de sang.
« Pourquoi le monde voulait-il baiser Marilyn ? Pourquoi le monde voulait-il baiser baiser baiser Marilyn ? Pourquoi le monde voulait-il s'enfoncer jusqu'à la garde sanglante comme une grande épée tumescente dans Marilyn ? »
Pourquoi le monde se soucierait-il de la femme derrière le masque de poupée blond platine ? de son âme et de son coeur meurtris? de ses réflexions et de ses inflexions, de ses désirs et de ses peurs? de ses lectures, de son goût pour la poésie, un goût directement hérité de sa mère qui composait des poèmes — d'ailleurs elle aussi compose, mais qui cela intéresse-t-il? Qui s'est jamais demandé ce qui se cachait derrière son sens de l'humour caustique et dissonant, ou derrière son obsession pour la perfection qui la poussait à refaire, éternellement, la même prise — « S'il vous plaît. Je peux faire mieux, je le sais » ? Et son jeu, qui cela intéresse-t-il au fond? Elle est fascinante à contempler, ça, c'est sûr. Enfin, son cul monté sur ressorts, ses seins, sa bouche sont fascinants… Mais elle? du reste, elle ne joue pas, regardez-là, elle n'a aucune technique. Elle est intense, incandescente, une allumette que l'on frotte, une flamme qui jaillit soudain… une actrice-née, un génie. Mais elle ne sait pas jouer. À l'instar du chorégraphe et danseur Vaslav Nijinski dont la figure charismatique et blessée parcourt le livre tel un fil rouge, elle joue juste sa vie à chacun de ses films, à chacune de ses prises inlassablement recommencées, mais elle ne joue pas au sens où un acteur joue. le génie n'a pas besoin de technique. Or la « technique », n'est-ce pas justement ce qui autorise une distance entre l'acteur et son rôle, n'est-ce pas le meilleur garant de sa santé mentale?

« Certains jours, elle brûlait de talent. Il y avait en elle une fièvre qui faisait rage et cherchait à s'exprimer. On voyait que c'était du génie et peut-être que le génie tourne à la maladie s'il ne réussit pas à s'exprimer. »

Alors, qui s'intéresse à Norma Jeane? Joyce Carol Oates, indubitablement, sinon elle ne lui aurait pas consacré un bouquin de près de mille pages. Et moi, qui ai lu le bouquin. Et aussi les copines qui ont lu le bouquin avec moi, Chrystèle, Nico-Choute et Marie-Caro. Et aussi les millions de lecteurs qui ont lu le bouquin avant moi. Et pourquoi? Qu'est-ce qui a poussé l'autrice prolifique JCO à mener sa double enquête? Sur Norma Jeane d'abord puis, à mesure que celle-ci disparaissait, insidieusement phagocytée par la créature qu'elle contribua à créer, sur Marilyn. Pourquoi?
Parce que la folie?
La folie d'une femme à la beauté incandescente qui, de film en film, d'amant en amant, aux prises avec l'alcool et les médicaments, finit par s'effondrer, par perdre son âme puis sa vie alors qu'elle est au faîte de sa gloire? Une folie puisant aux sources mêmes de la vie, mère schizophrène paranoïaque ayant manqué de peu la brûler vive ? Parce qu'arrachée à sa mère malade mentale, placée dans un orphelinat à l'âge de huit ans? Parce que les larmes de honte et de douleur jamais étanchées? Est-cela qui a fasciné Joyce Carol Oates? La douleur, la honte, la rage d'une petite fille mal aimée?

« Elle avait assez de maturité pour exprimer ce souhait : J'ai tellement honte, personne ne veut de moi, j'ai envie de mourir. Elle n'en avait pas assez pour comprendre la rage contenue dans un tel souhait. Ni les transports de folie que cette rage alimenterait un jour, l'ambition démente de se venger du monde en le conquérant. »

Parce que la rage?
La rage comme moteur d'une ambition démente, conquérir le monde? Mais la célébrité est un leurre, c'est bien connu. Chercher le bonheur en elle, c'est comme attendre le soleil dans une grotte orientée au Nord… Ce n'est pas elle qui comblera le désir éperdu, inassouvissable d'être aimé. Est-ce cela le drame de Norma Jeane?
Le désir d'être aimée toujours, mais jamais, jamais véritablement aimée?
Est-ce ce désir ardent, désespéré qui consumera Marilyn, fragile, fascinante et hypnotique « flamme dansante »? Est-ce que JCO s'est reconnue dans ce besoin éperdu, jamais comblé ?A-t-elle été touchée, bouleversée par l'abîme entre les aspirations de l'actrice, ce à quoi son talent, sa sensibilité, son génie pouvaient prétendre et ce à quoi le monde l'a cantonnée : un objet de fantasmes? A-t-elle voulu dénoncer l'iniquité, la violence d'un système de domination, celui des hommes sur les femmes, de l'industrie du cinéma sur les acteurs, des puissants sur les faibles ? A-t-elle voulu montrer que Marilyn était également et avant tout sa propre victime, prête à vendre son corps, et aussi son âme, pour être désirée, aimée, admirée?

« Je n'étais ni une poule ni une pute. Mais il y avait le désir de me percevoir de cette façon. Parce qu'on ne pouvait pas me vendre autrement je crois. Et je comprenais que je devais être vendue. Car alors je serais désirée, et je serais aimée. »

Parce que la beauté sans l'amour est un piège effroyable, une véritable malédiction?
C'est toute l'ambivalence et la fragilité du personnage imaginé par Joyce Carol Oates. Norma Jeane effrayée par sa beauté, blessée à l'idée que l'on puisse la confondre avec elle, et pourtant soignant son apparence avec une attention maniaque, consacrant des milliers d'heures à faire renaître, sous les doigts agiles de son maquilleur, l'icône « Marilyn ».
Condamnée à chercher dans les yeux des autres la confirmation de sa propre existence. Condamnée à contempler éternellement son reflet dans les miroirs ou dans l'oeil de la caméra au risque, tel Narcisse, de s'y perdre.
Parce que la mort si souvent appelée, enfin, est venue la délivrer.

« La mort est venue à l'improviste parce que je le voulais. »
Vaslav Nijinski



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Sous la plume boulimique de Joyce Carol Oates, Marylin Monroe n'est pas seulement une star mythique, un canon de beauté à la plastique hallucinante, un sex-symbol wharholisée, elle n'est plus une vulgaire poupée peroxydée, plus une fragile grue camée, nymphomane, suicidaire et schizo, c'est une vraie femme, enfin ! Une femme tout simplement emblématique de son époque et de son temps.

Ce pavé de près de 1000 pages est tout bonnement stupéfiant. le génie de Joyce Carol Oates est indéniable. Elle réussit à nous fasciner, page après page, que nous aimions ou que nous soyons totalement indifférent à la mythique Marylin Monroe, comme c'était le cas pour moi je dois bien l'avouer. Et sans doute, grâce à ce livre, je vois désormais au-delà du mythe. En cela, JCO a réussi un vrai tour de force. La plume est fluide et le livre un véritable page-turner.
Oui, un livre véritablement captivant malgré tout ce que nous connaissons déjà de cette artiste emblématique, depuis l'enfance chahutée marquée par l'absence du père, une mère névrosée et le placement dans de nombreuses familles d'accueil, en passant par son ascension de simple pin-up à icône suprême, ou encore de ses multiples amants jusqu'à la relation adultérine avec JF Kennedy, jusqu'à sa mort encore aujourd'hui mystérieuse à l'âge de 36 ans seulement…


Et pourtant, il y a un côté « poil à gratter » dans ce livre…tout au long de ma lecture, j'ai éprouvé une sorte de malaise car nous naviguons tout du long entre réalité et fiction, l'auteure ayant voulu faire un roman se basant sur quelques éléments vrais, sans tous les mentionner, et surtout en en romançant une bonne partie, c'est donc une sorte de biographie mais pas tout à fait non plus. Une « biofiction » sur le principe de la synecdoque, une partie seulement est révélée, censée représenter le tout. le tout étant plus que la somme de ses parties, les parties dévoilées sont ainsi hautement allégoriques. Pas de révélation de la vie entière donc et part belle faite aux sentiments de Marylin, aux sensations, aux affects comme se les représente en tout cas Joyce Carol Oates, au point parfois de se demander si finalement l'auteure ne révèle pas des choses d'elle-même, la frêle brune se cachant derrière la pulpeuse blonde
L'auteure, en reprenant et en renouvelant quelques éléments du parcours de Marylin, donne ainsi vie à la fille derrière la star, à Norma Jean, fille pleine de failles que le produit marketing et iconique Marylin Monroe allait ensuite venir boucher, colmater…

N'empêche, j'ai ressenti cet entre-deux, ne m'abandonnant jamais tout à fait car dès que je commençais à lâcher prise, je m'interrogeais aussitôt sur la véracité des faits, j'essayais de percevoir à quoi correspondant tel ou tel événement. Ma lecture a été sans cesse ponctuée d'aller-retour sur Internet pour chercher, voir, comprendre…Oui, j'étais troublée par cette façon de faire de JCO, celle de s'approprier la vie de Marylin pour finalement nous avertir que non, c'est un roman, ne vous méprenez pas. Où est la frontière entre le vrai et le faux, quelle place donnée à la mémoire de la personne, voire à son respect, l'auteure pouvant finalement inventer ce qu'elle veut et nous la rendre soit attachante, soit détestable ?

Parfois, en parlant avec mes proches, j'évoquais un fait de la vie de Marylin (il faut dire que lorsque nous lisons ce livre, celui-ci ne cesse alors de nous hanter), parfois de simples petites anecdotes (comme les 5h de maquillage nécessaires avant un événement public) et aussitôt, j'étais troublée, m'arrêtant de parler…ah oui, c'est vrai, ce n'est pas-être, sans doute, pas vrai…Finalement qu'ai-je vraiment appris de sa vie ? Je ne sais pas. Mais n'est-ce pas cette façon même de faire qui m'a tant fait aimer ce livre ? En supplantant les biographies innombrables qui existent sur Marylin Monroe ?

Bref, vous percevez comme je suis troublée et partagée sur cette notion de bio-fiction…
Je veux bien admettre surtout qu'avec ce procédé l'auteure permet d'atteindre l'universelle : celle de toute belle femme, à la fois victime, proie, incarnation de tous les fantasmes masculins, dans les années 50, aux Etats-Unis. Celle de la condition féminine qui prévalait alors où les viols, les intimidations, les avortements, les mariages précoces, les violences conjugales, les humiliations, la condescendance, le fait de devoir passer à la casserole pour atteindre ses objectifs sur le plan professionnel, étaient légion. Rien n'aura été épargné à la star, elle semble condenser tous les maux de ce qu'on pouvait faire aux femmes à cette époque. En ce sens, pour narrer l'épopée de la condition féminine, partir de Marylin est un matériau de choix pour l'auteure.
Après soulignons cependant que l'auteure ne dénonce pas vraiment, ce n'est pas son objectif ici, au contraire elle ne fait que constater et enfoncer tout en nous faisant entrevoir des pans insoupçonnés de la personnalité de la jeune femme, nous la rendant complexe, touchante, mystérieuse, comme peuvent l'être toutes les femmes réifiées qui, au-delà de l'objet manipulé et abusé qu'elles deviennent au sein d'une société patriarcale, cachent des pans entiers de personnalité et de singularité. Tel est à mon sens le véritable sens de ce livre.


Près de 1000 pages donc, en cinq actes telle une tragédie, dans lesquelles Joyce Carol Oates jongle avec virtuosité avec tous les styles littéraires, tous les tons, tous les angles de vue. Nous y trouvons les pensées intimes de Marylin, comme si nous étions réellement dans cette tête aux boucles blondes, des extraits de son journal, des discours, les témoignages – vrais, faux, mystère - de toutes les personnes ayant côtoyé de près ou de loin la fille puis la femme, voix multiples secondaires donnant de la profondeur au personnage, des lettres, des cauchemars…permettant de multiplier les points de vue, de faire le tour des différentes facettes du personnage et du mythe.

« Comme la mer, cette beauté changeait constamment. Comme sous l'effet de la lumière, des gradations de lumière. Ou de la gravitation lunaire. Son âme, mystérieuse et effrayante à ses yeux, ressemblait à une sphère en équilibre précaire au sommet d'un jet d'eau : frémissante, toujours en mouvement, tantôt montant, tantôt descendant… ».

Quelques scènes marquantes et archétypales, supposées ou réelles d'ailleurs, sont décrites de façon éminemment romanesque pour bien mettre en valeur cette incarnation du rêve américain et de ses failles. L'agression sexuelle de son agent juste avant l'audition qui lancera sa carrière, la fausse couche lors de son mariage avec le dramaturge (Henri Miller), ses souffrances incroyables chaque mois lors de ses menstruations qui sont doublées en réalité d'endométriose, maladie à cause de laquelle elle commence à prendre des cachets puissants, sa rencontre et sa relation avec le Président JF Kennedy, le fameux Happy Birthday chanté dans cette robe moulante brillante de mille feux, et la fin de sa vie nimbée de mystère, autant de scènes revisitées avec talent par l'auteure américaine. Sans oublier les différents films, les conditions de tournage, comment Marylin Monroe s'approprie à chaque fois les personnages, ses exigences pour refaire sans cesse chaque scène, sont décrits avec sensibilité et empathie.

Des scènes marquantes donc et un personnage ô combien touchant…Derrière ces cheveux blonds barbe-à-papa si peroxydés qu'ils en paraissaient blancs et exhalaient une odeur de produit chimique, derrière les épaisses couches de maquillage, derrière ces robes chatoyantes quasi-transparentes mettant en valeur ses seins « mammouthesques » et les « deux fesses jumelles de son cul fantastique », robes parfois décolletées dans le dos quasiment jusqu'au coccyx, derrière cette sensualité incandescente telle qu'aucun homme ne pouvait résister - alors qu'elle-même ne savait pas comment avoir des rapports autres que sexuels tout en éprouvant si peu de désir et de plaisir - il y a une femme terrifiée, il y a une femme qui vit une tragédie, qui recherche son père dans tous les hommes aimés, une femme abusée, méprisée, une femme bien plus intelligente que sa timidité le laisse entrevoir, une femme effrayée par sa propre beauté, une femme poète, sensible, délicate…Une enfant fourrée à l'intérieur d'un mannequin voluptueux…Une femme bouleversante et drôle à la fois ingénue et tentatrice. Une mendiante d'amour et de reconnaissance…
Cette femme-là, grâce au talent de JCO, m'a touchée en plein coeur !


« Nous courons sans souci vers le précipice, après que nous avons mis quelque chose devant nous pour empêcher de le voir » - Journal d'écolière de Norma Jean.

Un livre ainsi inoubliable, mais aussi perturbant pour moi, que j'ai eu bonheur de partager avec Anna, Nico, Marie-Caroline et que je n'aurais sans doute pas lu sans cette lecture commune. Merci mes amies blondes et brunes, la « blande » que je suis a aimé ce partage riche en sororité !
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Monumental.

C'est le premier mot qui me vient à l'esprit après la lecture de cet ouvrage.

La rencontre de deux monstres sacrés. Joyce Carol Oates raconte Marilyn Monroe.

Kaléidoscope captivant, émouvant et passionnant, ce livre est d'une richesse incroyable. D'une profondeur terrible. Il pénètre en son héroïne et tente d'en livrer la substance. C'est parfois chaotique, souvent enivrant, terriblement prenant.

Véritable roman qui invente la vérité et raconte cette blonde pas tout à fait comme les autres. A travers une construction fascinante et hypnotique, Joyce Carol Oates décortique le rêve américain et dévoile les choses étranges qui se meuvent derrière les tapis et le rouge sang appliqué sur les lèvres des starlettes hollywoodiennes.

Ne nous méprenons pas, il ne s'agit pas d'une biographie. C'est bel et bien un roman qui tente de pénétrer un mythe, une icône et d'en faire une femme. Oates construit le roman autour d'une chronologie qui éclate et se tord pour mieux pénétrer la tête blonde de son héroïne. On peut se perdre, parfois, dans les méandres de ce roman immense, mais sans déplaisir.

L'auteur, comme à son habitude, peut nous mener où elle veut. Je l'ai suivie. Sans hésiter.

J'ai lu ce livre en plusieurs fois, sur plusieurs mois. Comme imprégné. Comme si les images devaient s'imprimer sur ma pellicule intime. Raisonner pour pouvoir continuer. S'imprégner sur mes rétines.

C'est l'histoire d'un mythe. Un conte défait de fées absentes ou trop présentes. Les petites filles sont parfois terriblement solitaires. Elles gardent dans le coeur les douleurs de l'abandon et cherchent, une existence entière, à ce qu'on les aime un jour vraiment.

Ce livre est un monument. Ces femmes, des oeuvres d'art et de vie. Et pourtant humaines. Follement libres. Réellement inspirantes.

Lien : https://labibliothequedejuju..
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Citations et extraits (152) Voir plus Ajouter une citation
Il y avait le bruit des sirènes et cette odeur de cheveux qui brûlent, de graisse qui frit dans une poêle, de vêtements humides malencontreusement roussis par le fer. C’était une erreur d’avoir laissé la fenêtre de la chambre à coucher ouverte, car l’odeur imprégnait l’air : une odeur suffocante, une odeur granuleuse, une odeur qui piquait les yeux comme du sable soulevé par le vent. Une odeur comme les résistances de la plaque chauffante quand la bouilloire de Gladys, dont l’eau s’était évaporée à son insu, fondait dessus. Une odeur comme les cendres des éternelles cigarettes de Gladys et les brûlures sur le linoléum, sur le tapis à motifs de roses, sur le grand lit à tête de cuivre et oreillers en duvet d’oie partagé par la mère et la fille, cette odeur caractéristique de roussi des couvertures et des draps que l’enfant reconnaissait instantanément, même endormie ; une Chesterfield tombée de la main de Gladys alors que, lisant au lit tard dans la nuit, lectrice obsessionnelle et insomniaque, elle glissait dans un sommeil léger pour être réveillée, de façon aussi brutale qu’inexplicable, à ses yeux, par une étincelle qui brûlait oreiller, draps, édredon, qui donnait parfois de véritables flammes, éteintes frénétiquement avec un livre ou une revue ou, une fois, un calendrier Our Gang décroché précipitamment du mur, ou martelées par les propres poings de Gladys ; et si les flammes s’entêtaient, Gladys se ruait en jurant dans la salle de bains pour y remplir un verre d’eau et le jeter dessus, en mouillant les draps et le matelas… « Bon Dieu ! Et puis quoi encore ! » Ces épisodes avaient un rythme de farce bouffonne d’avant le parlant.
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Il était une fois. Sur les bords sablonneux du grand océan Pacifique.

Un village, un endroit mystérieux. Où la lumière était dorée à la surface de l’eau. Où le ciel était d’un noir d’encre la nuit, tout clignotant d’étoiles. Où le vent était chaud et doux comme une caresse. Où une petite fille arriva devant un Jardin enclos !
Le mur était de pierre et haut de six mètres et couvert d’une belle bougainvillée d’un rouge flamboyant.
À l’intérieur du Jardin enclos on entendait des chants d’oiseaux, de la musique, une fontaine ! Et des voix inconnues, des rires.
Jamais tu ne pourras escalader ce mur, tu n’es pas assez forte ; les filles ne sont pas assez fortes ; les filles ne sont pas assez grandes ; tu as un corps délicat et fragile de poupée ; ton corps est une poupée ; fait pour être admiré et caressé par les autres ; fait pour être utilisé par les autres, pas par toi ; ton corps est un fruit appétissant fait pour que d’autres y mordent, et le savourent ; ton corps est pour les autres, pas pour toi.
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Tout cet ail ! Leur nourriture en était saturée. L’haleine aillée de sa belle-famille. De sa belle-mère. Et les dents gâtées. Mama se penchant sur son épaule. Mama impossible à éviter. Une petite femme-saucisse sautillante. Nez de sorcière et menton pointu. Les seins sur le ventre. Et elle portait tout de même des robes noires à col. Ses oreilles étaient percées, elle portait toujours des boucles d’oreilles. Autour de son cou gras, une croix en or au bout d’une chaîne en or. Toujours des bas. Comme les bas en coton de grand-maman Della. L’Actrice blonde avait vu des photographies de sa belle-mère jeune, en Italie, pas belle mais du charme, sexy comme une gitane. Même dans sa jeunesse, elle était robuste. Combien de bébés ce petit corps caoutchouteux avait-il produits ? À présent, c’était de la nourriture. Tout était nourriture. Destinée à être dévorée par les hommes. Et pour dévorer, ils dévoraient ! La femme était devenue nourriture et aimait manger, elle aussi.
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Le beau-frère du Président nous avait présentés : Marilyn, avait-il dit, j'aimerais vous faire rencontrer un de vos admirateurs ; et je l'avais vu lui, mon Prince, qui me regardait en souriant, un homme que les femmes adorent, cet air d'assurance et de légèreté d'un homme qui se sait adoré des femmes, son désir même pareil à une flamme que les femmes attiseront, et éteindront, attiseront, et éteindront, une vie entière. Et j'ai ri ; d'un seul coup j'étais la Fille-du-dessus. Je n'étais pas Roslyn Tabor, je n'étais pas une divorcée. Je n'étais pas une veuve. Je n'étais pas une mère en deuil qui avait perdu son bébé en tombant dans l'escalier de la cave. Je n'étais pas une mère qui avait tué son bébé. Je n'avais pas été la Fille depuis longtemps, mais en peignoir éponge blanc et les jambes nues je suis redevenue le Fille-du-dessus sur la grille de métro.
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C’était une saison hors saison. Trop tôt dans l’été pour les vents de Santa Ana et pourtant l’air sec et âpre du désert avait un goût de sable et de feu. Derrière ses paupières closes, on voyait danser des flammes. Dans son sommeil, on entendait détaler les rats chassés de Los Angeles par les constructions continues, acharnées. Dans les canyons du nord de la ville, le cri plaintif des coyotes. Il n’avait pas plu depuis des semaines et pourtant les jours succédaient aux jours plombés d’une lumière pâle et dure comme l’intérieur d’un œil aveugle. Ce soir-là au-dessus d’El Cayon Drive le ciel s’éclaircit fugacement, découvrant une lune faucille d’un rouge humide de membrane.
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Vidéo de Joyce Carol Oates
Après seize ans de négociations, le réalisateur Stig Björkman a convaincu Joyce Carol Oates, 85 ans, de lui ouvrir les portes de son univers. Portrait sensible de l’immense romancière, inlassable exploratrice de la psyché noire de l'Amérique.
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