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EAN : 9782246757214
469 pages
Grasset (13/01/2010)
4.11/5   62 notes
Résumé :
« Nous avons été deux »
« Malraux, ce n'est pas seulement André. C’est aussi Clara : sans elle, sa vie, sa légende auraient sans doute été différente.
Entre eux a existé un lien fait de complicité et de passion. Ils se sont aimés déchirés, rongés. Ils ont tout connu ensemble, sauf l'ennui.
Vivant éperdument et en communion les fêtes des années vingt, à la confluence des débats intellectuels, politiques et artistiques, ils ont trouvé dans les voy... >Voir plus
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Biographie de Clara Malraux, vraiment ? Eh bien non, il s'agit ici, beaucoup plus justement, d'une biographie croisée de Clara et André Malraux, analysant très précisément leur vie commune, puis après leur rupture, détaillant l'existence de Clara, marquée à tout jamais par l'absence de l'homme de sa vie.

Bien sûr, Dominique Bona conte l'enfance de Clara Goldschmidt, née au sein d'une famille juive très aisée, ayant ses racines en Allemagne à Magdebourg, où elle retrouvera chaque année sa grand-mère à laquelle elle est très attachée, ce qui lui permettra d'être parfaitement bilingue.
Très intelligente, cultivée, pleine d'humour et de fantaisie, franche et ouverte, volubile et pleine d'ironie, elle pétille.
Mais on a l'impression que sa vie ne commence vraiment que lors de sa rencontre avec André Malraux, subjuguée qu'elle est, quasiment au premier regard par ce fougueux jeune homme de dix-neuf ans, amoureux d'art et de poésie, intelligent et stupéfiant d'érudition, déjà sur le point de publier un premier ouvrage « lunes en papier ». Clara est éblouie !
Tous deux vont très vite se marier et mener joyeuse vie, oisive et axée sur la culture. André, s'improvisant gestionnaire de la fortune de son épouse, va, à la suite de placements hasardeux, mener le couple à la ruine. Mais qu'à cela ne tienne, pour se refaire, André Malraux a une solution toute trouvée : se rendre au Cambodge, piller un temple khmer, et en vendre les bas-reliefs, ce qui permettra de vivre tranquillement pendant quelques années ! Sitôt dit, sitôt fait. le couple Malraux va alors se lancer dans une aventure parfaitement rocambolesque, menée au mépris de toute prudence, comme s'il était normal de se livrer ainsi au pillage ! Bien entendu, ils seront arrêtés mais simplement placés en résidence surveillée en attendant le procès !
Clara, libérée, de retour à Paris, va alors jouer des pieds et des mains pour sauver André de la prison, ce que, grâce à son énergie, elle parviendra à faire, sans pour autant recevoir le moindre remerciement de son homme !
J'avoue avoir été extrêmement choquée, par la légèreté de Malraux qui s'est comporté comme un aventurier sans scrupules tout au long de cette aventure, lui qui, quelques décennies plus tard, va être totalement inféodé au général De Gaulle et devenir une des personnalités les plus en vue de son gouvernement, en temps que Ministre de la Culture !

Mais cette mésaventure n'empêchera pas le couple de retourner en Indochine. Là, Malraux fondera un journal, bien entendu très critique vis à vis du gouvernement colonial, et tous deux vont s'ingénier à le faire vivre, ce qu'ils parviendront à réaliser durant quelques mois. Et c'est de cette époque que Malraux tirera matière pour écrire le premier de ses quatre « romans asiatiques » « les conquérants », ce qui va susciter l'admiration de Clara, enflammée par l'imagination débordante de l'écrivain, mais également la troubler profondément, par la propension de l'auteur à transformer la réalité et à l'enrichir de ses inventions, alors qu'elle ne conçoit que la sincérité !

A partir de ce moment, elle va exercer son ironie à l'encontre de son mari et leur compagnonnage va peu à peu tourner à l'aigre.
En effet, Malraux, désormais écrivain à succès, fréquente des cénacles, dont les femmes sont exclues, car les femmes, ces êtres inférieurs, n'y ont pas leur place ! Ce, qu'en temps que parfait misogyne, il trouve tout à fait normal. Il va donc peu à peu s'éloigner de Clara dont il supporte de plus en plus mal la présence qu'il juge envahissante.... alors qu'il souhaite paix et douceur, ce qu'il trouve auprès de sa maîtresse Josette Clotis !
La guerre d'Espagne, à laquelle il va participer va achever de défaire leur couple, laissant Clara désespérée.

Au cours de leurs quinze ans de vie commune, Clara s'est laissée étouffer par la personnalité écrasante de son mari, ne se consacrant qu'aux traductions. Seule, elle va enfin pouvoir laisser s'épanouir les ressources qui foisonnent en elle.
Dès 1941, elle se jettera fiévreusement dans la Résistance, se montrera acerbe vis à vis de Malraux qui, lui, ne s'engagera que début 1944. Les quatre romans qu'elle publiera seront tous d'inspiration autobiographique dans lesquels éclatera l'amour qu'elle lui porte encore. Cependant, elle réglera peu à peu ses comptes avec lui, en rédigeant ses mémoires où Malraux tient bien sûr une place de choix. Elle n'hésite pas, elle, à restituer la réalité de leur couple tout en pointant la mythomanie de son compagnon, ses mensonges et ses affabulations.
Ces mémoires s'intitulent « le bruit de nos pas » où passent les fantômes de tous ceux qu'elle a aimés et connus ainsi que le parfum d'une époque, car pour elle, l'écriture est témoignage et « On ne peut pas vivre en n'étant rien ».
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N°648– Mai 2013.
CLARA MALRAUX - Dominique BONA - Grasset

Drôle de destin que celui de Clara Goldshmidt, née à Paris en 1897 mais de nationalité allemande puisque son père, originaire de Basse-Saxe ne sera naturalisé qu'en 1905. Même si chez elle on parle allemand, c'est la France pour les valeurs humanistes qu'elle porte que son père a choisi. Les parents de Clara forment un couple très uni et surtout très amoureux. Clara a deux frères dont l'un est son aîné. Cette appartenance à deux cultures sera pour elle un déchirement quand la Première mondiale éclatera d'autant plus qu'une partie de sa famille est restée en Allemagne. Quant à elle, elle n'apprendra que bien plus tard ses origines juives mais elle est française et élevée dans la grande bourgeoisie parisienne.

La généalogie d'André Malraux est moins reluisante, plus populaire, sa mère tenant une épicerie à Bondy. Né en 1901, il passe son enfance entre sa mère, sa grand-mère et sa tante, son père ayant quitté le domicile quand André avait 4 ans. Lui aussi a des origines flamandes mais comme Clara, il est résolument Français. Quand ils se rencontrent, en 1921, ils n'ont pourtant rien en commun si ce n'est peut-être cette envie d'écrire qui ne s'est pas encore manifestée. Tous les deux veulent échapper à leur condition, elle qui est une jeune fille bourgeoise et riche et lui un dandy frivole et pauvre qui lui cache ses origines sociales. Malraux a toute sa vie sera un mystificateur qui a lui-même tissé sa propre légende. Pour autant, ils semblent faits l'un pour l'autre et en octobre 1921 ils se marient avec cependant la promesse de divorcer six mois après ! Elle a 24 ans et lui est encore mineur, n'a pas de métier mais n'envisage pas le moindre emploi. Pourtant, parvenus à l'échéance qu'ils s'étaient eux-mêmes fixée, les époux qui se vouvoient toujours préfèrent consacrer l'argent que leur coûterait un éventuel divorce à voyager. En réalité, ils sont si bien ensemble qu'ils choisissent d'y rester. Si André s'impose par ses qualités intellectuelles, Clara reste quelque peu en retrait mais pousse son mari à partir avec elle pour Anghor. L'exotisme et le voyage les habitent tous les deux mais c'est aussi les trésors de temples kmers qui les attirent et qu'ils comptent bien s'approprier par le pillage. En réalité, ce voyage un peu hasardeux et dangereux porte en lui les prémices de "La voix Royale", qui paraîtra plus tard. Clara, elle, s'émerveille de la beauté des lieux et ce sera pour elle aussi la véritable naissance de l'écriture. Pour le couple, la mise à sac des temples leur vaut une inculpation, un non-lieu pour elle qui rentre en France sans le moindre sou, rompt avec sa famille et découvre la complicité modeste mais chaleureuse de sa belle-famille pourtant jusque là soigneusement cachée par André et un procès pour lui. Elle s'attache à réunir un comité de soutien qui compte les plus grandes signatures littéraires de son temps. La cour de Phnom Penh condamne André à 8 mois de prison avec sursis. Il rentre en France et peut recommencer à vivre.

En France, André se révèle ingrat, déjà, et Clara lui avoue un adultère qui le laisse désemparé. Il se souviendra plus tard de cette trahison, en l'imitant. C'est le début d'une longue série d'infidélités qui auront raison de ce couple mais c'est quand même Clara qui en prit l'initiative. La drogue entre dans leur vie en même temps que la gêne mais André songe à repartir pour l'Indochine avec des rêves journalistiques. Ce journal, baptisé "L'Indochine" qui deviendra "L'Indochine enchaînée" se veut altruiste, progressiste social, pro-annamite, tourné vers les plus défavorisés, bref d'opposition. Il s'oppose en effet à l'administration coloniale toute puissante et corrompue, dérange, est volontiers polémique et on le stigmatise comme bolchevique dans ce pays en plein bouillonnements politiques et ce bien qu'André ne soit pas communiste. Lui y écrit mais Clara reste dans l'ombre. le journal crée en Juin 1925 n'aura que 49 numéros et fin décembre de la même année, les Malraux repartent pour la France avec une certitude : ils seront écrivains mais, sans qu'elle le sache, c'est la fin du grand amour de Clara. de cette aventure asiatique naîtront nombre de personnages de roman pour André. Il publie "La tentation de l'occident" qu'il dédie à Clara. D'autres viendront qui l'introduiront dans le monde des Lettres et lui donneront le succès mais Clara restera dans l'ombre sans qu'André, maintenant directeur artistique chez Gallimard, ne songe à lui donner sa chance. En 1933, ni la naissance de leur fille Florence, ni le prix Goncourt d'André pour "La Condition humaine" où Clara apparaît sous les traits de May, ne peuvent parvenir à ressouder un couple qui se délite dans l'adultère.
Puis vient la politique, à gauche, pour Clara et André. Elle l'accompagnera, comme elle le fit en Espagne, en 1936, aux côtés des Républicains mais restera toujours dans l'ombre alors que lui s'affirme comme un remarquable orateur et aussi comme un organisateur charismatique. La guerre civile espagnole marquera pour eux la fin de leur amour, André rencontrant Josette Clotis qui lui donnera plus tard deux fils. Clara se retrouve donc seule "privée de lui", ce qui aiguise son talent littéraire.
En 1939, André qui avait été réformé, alors âgé de 40 ans, s'engage comme simple soldat, est fait prisonnier, s'évade, se réfugie dans le sud de la France. Ce n'est qu'en 1944, sur le tard, qu'il devient, dans la Résistance, le "colonel Berger" entraîneur d'hommes et combattant courageux. A la mort de Josette, Clara pense retrouver André, mais ils divorcent en 1947 après 26 ans d'un mariage cahoteux. Clara garde son nom et sa fille Florence. Désormais seule, elle survit mal, a gardé son âme de gauche mais publie difficilement 4 romans autobiographiques dont aucun n'est dédié à André dont il est pourtant le héros secret. Son ex-mari, reconnu maintenant comme un écrivain, publié de son vivant dans La Pléiade, éphémère ministre de de Gaulle en 1946 et qui a abandonné son idéal révolutionnaire, ne l'aide pas dans son entreprise littéraire. Ses livres se vendent mal. Elle rencontre Jean Duvignaud, professeur de Lettres et aspirant écrivain qui a 24 ans de moins qu'elle. Elle vivra avec lui une idylle de 13 années et le soutiendra dans dans son activité d'écriture. Pourtant en elle l'empreinte de Malraux n'est pas effacée. Ce dernier, veuf, se remarie en 1948 avec sa belle-soeur Madeleine, déjà mère d'un fils. le voila donc avec 3 garçons mais les relations familiales sont difficiles, comme elles le sont avance Florence, sa fille. Pour André la vie est opulente alors que pour Clara c'est la gêne. Pourtant, la mort de ses deux fils, la séparation d'avec Madeleine, entraînent André dans une phase difficile. Quand il choisit de renier ses idées progressistes et de s'établir dans l'ordre et les contradictions gaullistes, Clara tente de rétablir la vérité à son sujet mais l'aura du ministre est trop forte et l'indifférence d'André trop pesante. Pourtant elle ne renie rien de ce qui a été sa vie et son combat, milite, écrit, publie...Mai 68 revivifie ses ardeurs révolutionnaires mais quand à la suite du référendum de 1969, De Gaulle s'éloigne du pouvoir, Malraux démissionne. Désormais seul, il renoue avec une ancienne maîtresse, Louise de Vilmorin, puis, à la mort de celle-ci, sa nièce Sophie se rapproche de lui. Elle sera sa dernière compagne. Il s'éteint en 1976 à l'âge de 75 ans. Lui qui avait toujours ignoré Clara depuis leur divorce ne l'oublie pas dans son testament. Celle qui avait toujours été effacée, dans l'ombre d'André, s'affirme par l'écriture, les voyages, les interviews. Pour tous elle redevient Mme Malraux et à la mort d'André sa vie à elle prend tout son sens et la libère. Elle meurt paisiblement 1982

Ce couple que Dominique Bona nous présente comme mythique à cause de la passion qui a présidé à ses débuts n'a pas échappé à la routine, au délitement, au déchirement. Il a néanmoins était fécond, original, porteur de créations artistiques et de prises de positions politiques. C'est à dire le contraire de l'ennui.
J'ai lu passionnément cette biographie où il est souvent question d'André. Pour autant, Dominique Bona y rend hommage à Clara, magnifiquement.

© Hervé GAUTIER - Mai 2013 -













































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La romancière Dominique Bona, prix Renaudot 1998 pour "Le manuscrit de Port Ebène", compose avec bonheur de superbes biographies.Après Romain Gary(1987 grand prix de la biographie),Les yeux noirs ou les vies extraordinaires des soeurs Hérédia(1990), Berthe Morisot, le secret de la femme en noir(bourse Goncourt de la biographie 2000), Camille et Paul. La passion Claudel 2005, voici Clara Malraux.Nous avons été deux.
Long travail de fourmi laborieuse qui a analysé, disséqué,décortiqué des tonnes de documents!
Qu'il est donc dur d'être la femme d'un grand homme, d'exister avec lui, pour lui, à travers lui et sans lui!
C'est un peu les propos que tenait de manière humoristique, Françoise Xénakis dans "Zut, on a encore oublié Madame Freud...
Point de "romancé" ici, mais du vécu!
Clara Goldschmidt,juive allemande, fille de d'un affairiste prospère en export export, jeune fille de la bourgeoisie bien pensante, femme insoumise au coeur de révolutionnaire, volontaire,ironique,chaleureuse,passionnée,talonnée par l'envie d'écrire, mère juive(ainsi qu'elle se plaisait à le répéter), petit soldat de l'armée des ombres durant la guerre, a uni sa vie dix sept ans durant à André Malraux, grand homme, dandy brillant intellectuellement, qui la fascine mais... l'écrase.
André Malraux, le génial poète,philosophe,écrivain, d'origine modeste, connait rapidement les lauriers de la gloire. Elle veut tout pour lui.Lui, ne lui doit rien, ou plutot ne veut rien lui devoir.Taciturne, orgueilleux,épris d'art, il a durant la guerre la volonté d'être un chef.Mais sous des apparences convenables, quelques années auparavant, partageant le même amour de la culture et des voyages, ce sera l'Indochine, le trafic d'oeuvres d'art, et ce sera elle qui lui évitera la prison.
C'est pourtant elle qui dit:"Je lui doit tout, c'est le premier homme qui m'ait fait confiance".
Un amour passionné, inconditionnel de Clara Malraux pour André, malgré celles qui la supplantent. L'amour de celle qui restera Malraux, malgré la rupture et la différence d'idées,malgré par la suite l'autre homme de sa vie, Jean Duvignaud, malgré les souffrances,les humiliations et les frustrations infligées.
Une excellente biographie qui fait revivre ces personnages hors du commun et toute cette époque du XX° siècle historique et culturelle.
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Lorsque Clara Goldschmidt, née en 1897 à Paris, rencontre André Malraux, elle a 24 ans, une enfance heureuse à Auteuil, de l'argent, une famille juive-allemande cultivée, cosmopolite. Lui a 19 ans, une famille dont il ne dit rien, une allure de « petit rapace hérissé à l'oeil magnifique » selon Mauriac, il a tout lu et peu vécu. le nouveau livre de Dominique Bona raconte la vie passionnée et tumultueuse d'une femme, dans le miroir d'une grande histoire d'amour. Quand Clara dit longtemps « Nous », André Malraux lui répond surtout « Je ». Ils furent deux, en effet, au Cambodge et à Angkor lorsque le futur auteur de la voie royale, mué en voleur de statues khmères, écope de trois mois de prison ferme et que Clara bataille à ses côtés pour obtenir sa libération. Deux en Afghanistan, en Iran, au Cachemire, au Japon, à New York, partout où ce couple indissociable dirige ses pas ; puis trois à la naissance de Florence Malraux, juste avant le prix Goncourt obtenu en 1933 pour La Condition humaine. Deux aussi dans les engagements politiques de l'avant-guerre, en URSS, en Espagne où Clara aide Malraux à relever le magnifique défi de l'escadrille Espana. Viennent les dissensions et la solitude, et la souffrance pour une femme courageuse qui pourrait confesser, telle l'héroïne de son roman Grisélidis : « Vous n'avez pas le droit de m'abandonner puisque vous êtes irremplaçable ». En 1937, Malraux et Clara divergent politiquement, et au privé l'écrivain tombe amoureux de la belle Josette Clotis. Résistante dès 1941, fidèle d'un cercle d'intellectuels parmi lesquels Edgar Morin ou François Fejtö, Clara traverse difficilement la guerre en juive clandestine, sa fille au plus près d'elle, alors que Malraux observe les choses à distance, avant de faire sa métamorphose sous les traits gaullistes du colonel Berger. le couple divorce en 1947. Elle, révoltée, généreuse, militante, prête à tous les combats, dont celui de la guerre d'Algérie. Lui, ministre de De Gaulle, chargé des affaires culturelles en 1958, inquiétante figure repliée dans les songes de grandeur, écoutant Les Voix du silence plutôt que les cris des torturés d'Alger. Clara, découvrant la civilisation du Kibboutz, retrouve ses racines en Israël. André, crépusculaire, chez Louise de Vilmorin, devient le seigneur de ces Chênes qu'on abat. Il meurt en 1976, elle en 1982, sans avoir jamais cessé de porter le nom de l'homme qu'elle a aimé « contre vents et marées ».
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« Académicien, académicienne » … on imagine une certaine hauteur, voire une vraie raideur, chez ces quarante élus, – même si les femmes, comme les ecclésiastiques, sont théoriquement dispensées du bicorne, de l'épée, de l'uniforme vert – et quelque chose d'inaccessible, dans cette « immortalité ».

Rien de tel chez Dominique Bona, qui appartient cependant à l'Académie française. Une plume fluide et sensible, des portraits pleins de tendresse mais aussi de lucidité, un ton familier, une grande proximité avec ses personnages, appuyée sur une documentation quasi irréprochable sont à mettre sans hésiter au crédit de cette biographe et romancière. D'elle, j'ai lu notamment « Berthe Morisot, le secret de la femme en noir » ; « Mes vies secrètes », où elle nous présente sa famille d'élection, ses modèles ; « Colette et les siennes », chroniqué ici ; et « Clara Malraux », qui porte en sous-titre « Nous avons été deux ».

Au début, de fait, ils sont deux. Malraux, affabulateur, voleur, ingrat, génial séduit Clara, brillante, cultivée, amoureuse, confite d'admiration pour son phénomène d'époux. Puis on croise, au fil des chapitres, bien d'autres figures : des écrivains et leurs éditeurs, des politiques, des militantes, des héros… parfois des médiocres, des envieux. Clara et André ne marchent plus du même pas, mais elle n'est pas, dit-elle, « une femme qu'on protège ». Pendant l'Occupation, elle fabrique de faux papiers tout en élevant sa fille, Florence. Après son divorce, elle écrit, elle publie, toujours sous le nom de Malraux, devenu ministre. « le nom ? avait déclaré Malraux au lendemain de leur séparation. Elle ne l'a pas volé ». Plus tard, il ricanera en recevant ses lettres : « Madame Clara et ses problèmes. Panier. »

Elle peine à trouver un éditeur pour ses propres mémoires (on craint de froisser son ex-époux, solidement installé au gouvernement De Gaulle). François Nourissier lui en donne la possibilité. Grâces lui en soient rendues. À Jean-Marie Rouart (aujourd'hui « immortel », lui aussi !), elle lance : « Non, mais vous me voyez en femme de ministre ? »

On se jette dans ces cinq cents pages (en édition de poche), qu'on traverse d'un élan, sans aucune lassitude.
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Citations et extraits (45) Voir plus Ajouter une citation
Clara fut émue de découvrir qu'Angkor avait déjà permis à un écrivain de remonter le temps et de ressusciter les morts.
Un pèlerin d'Angkor l'exaltait. En vantant les beautés du site, le livre aurait dû cependant la mettre en garde. Loti décrivait en effet, avec poésie mais non sans réalisme, tous les périls qu'elle allait rencontrer : l'étouffante moiteur du climat tropical, les pluies diluviennes qui ne rafraîchissent pas mais rendent le sol pire qu'un marécage, les moustiques qui attaquent par légions entières, les chauve-souris qui hantent les ruines par centuries, les araignées dont Malraux a une horreur phobique (elles peuplent ses cauchemars) et qui ont tissé dans les temples, selon la plume lyrique de Loti, "de longs pans de mousseline noire". Et puis, les chars à boeufs d'une lenteur endormante, les éléphants dont l'amble vous balance jusqu'à la nausée sur votre palanquin, enfin, surtout, la couleur crépusculaire de la jungle -forêt inextricable et menaçante où le jour s'efface et se confond avec la nuit. Une nuit verte, angoissante. §Une nuit à demi nuit, dont la clarté miroitante tient plus de la lumière des cauchemars que de celle, si voluptueuse, des rêves.
Clara n'avait jusque-là voyagé que dans des conditions confortables et dans des pays européens, dépourvus de véritable exotisme - l'Italie, la Belgique, l'Allemagne. Le grand dépaysement s'annonçait. Elle en était excitée, quoique un peu inquiète. C'est qu'elle ne partageait qu'à demi l'intime et tranquille conviction de Malraux. Cette expédition indochinoise, des plus imprécises, sinon des plus fumeuses, conjuguait le goût de l'aventure et du romanesque à des intentions moins nobles, comme le désir de s'enrichir rapidement tout en s'amusant. Etait-ce bien raisonnable ? Mais Clara ne voulait rien refuser à André. La folie même du projet la tentait. Elle ne se voyait pas comme une donneuse de leçons, encore moins comme un obstacle. Elle tenait à se montrer une compagne à la hauteur. Au diable, la morale bourgeoise et la prudence qui va avec ! Clara partirait, elle accompagnerait Malraux. Cela seul comptait pour elle : tout vivre ensemble, tout partager.
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Juste avant la fin des batailles, en 1918, trouvant que l'école de la rue Turbigo ne répond pas à ses ambitions, il tente de s'inscrire au lycée Condorcet, dans le IXe arrondissement, un des grands lycées parisiens. Sans doute parce que son niveau a été jugé insuffisant, il y est refusé. Par dépit, orgueil blessé ou désir de s'affranchir au plus vite de toute autorité - il a évité de s'attarder dans ses Mémoires sur cet épisode peu flatteur de sa biographie -, il décide alors d'arrêter définitivement ses études. Il impose sa volonté au reste de la famille - le père pour une fois aura été consulté - avec d'autant plus de facilité que, d'après les médecins, le syndrome et les tics dont il souffre s'accompagnent mal d'une scolarité régulière, comme d'ailleurs d'une discipline trop stricte. Il vivra donc désormais selon son gré, c'est à dire au plus près des livres, mais hors des circuits habituels de l'université. Il ne passe pas son bac et s'inscrit en dilettante à l'Ecole des langues orientales. Le voici libre, à l'armistice - il n'a pas 17 ans.
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Clara, tenue à l'écart de ce grand amour -celui entre ses parents- éprouve la solitudes des êtres qui ont subi une séparation (sa mère a perdu son mari) : elle envie sa mère

Clara et André sont ruinés:
Clara : Qu'allons-nous faire?
André: Vous ne croyez tout de même pas que je vais travailler?

André ne voulait pas d'enfant. ... il appelera Florence "l'objet".

Clara : "Combien est grande la responsabilité d'un homme qui développe en une femme des besoins que lui seul peut satisfaire".

André : "Car l'homme est un hasard et pour l'essentiel, l'homme est fait d'oubli".

André : le "misérable petit tas de secrets" à quoi se résume pour lui toute vie humaine
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La rupture avec Malraux plonge Clara dans le désespoir mais a sur elle un pouvoir libérateur : dès qu'elle se retrouve seule dans le Sud-Ouest, avec sa fille, elle se met à écrire. Non plus pour les autres, mais pour elle-même. Renonçant au travail de traductrice qui a été le sien jusque-là- travail de substitution et d'abnégation-, elle s'en remet à ses propres chimères et à son imagination. (p. 340)
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Avec sa lucidité, son exigeant besoin de vérité, Clara gêne les envolées de Malraux. Il a besoin de pailleter la vie, d'en exalter les forces et les possibilités. C'est un romancier dans l'âme qui puise sa vérité dans la fiction. Or, Clara voudrait le ramener à la vérité des choses vues. Lui trouve le réel irréel et le rêve bien plus révélateur. Elle appelle "mythomanie" des libertés qui ne sont qu'une autre approche de vérité - vérité supérieure, débarrassée des contingences et des apparences, et confrontée à sa propre lumière. Elle est viscéralement étrangère à son besoin de vivre dans la légende.
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Les Partisans : Kessel et Druon une histoire de famille de Dominique Bona aux éditions Gallimard https://www.lagriffenoire.com/les-partisans-kessel-et-druon-une-histoire-de-famille.html • Stefan Zweig de Dominique Bona aux éditions Tempus https://www.lagriffenoire.com/stefan-zweig-l-ami-blesse.html • • • Chinez & découvrez nos livres coups d'coeur dans notre librairie en ligne lagriffenoire.com • Notre chaîne Youtube : Griffenoiretv • Notre Newsletter https://www.lagriffenoire.com/?fond=n... • Vos libraires passionnés, Gérard Collard & Jean-Edgar Casel • • • #lagriffenoire #bookish #bookgeek #bookhoarder #igbooks #bookstagram #instabook #booklover #novel #lire #livres #conseillecture #editionsgallimard #editionstempus
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