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EAN : 9782707320483
141 pages
Editions de Minuit (09/10/2008)
  Existe en édition audio
3.94/5   845 notes
Résumé :
On a dû insister pour qu'Émile se mette à courir. Mais quand il commence, il ne s'arrête plus. Il ne cesse plus d'accélérer. Voici l'homme qui va courir le plus vite sur la Terre.
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Critiques, Analyses et Avis (135) Voir plus Ajouter une critique
3,94

sur 845 notes
Emile Zatopek fut à la fois un coureur qui domina l'athlétisme après guerre, un officier tchèque héros du socialisme soviétique, puis un dissident condamné aux travaux forcés après le printemps de Prague.

Jean Echenoz rappelle le contexte troublé dans lequel grandit Emile qui subit l'annexion de sa patrie par le III Reich, puis l'occupation par l'armée rouge et décrit l'ascension de cet autodidacte au physique extraordinaire.

Une biographie à la gloire d'un homme discret, simple, modeste qui souffrit d'être encensé durant la décennie où il domina le sport mondial. Une évocation d'une époque où le fric n'avait pas mis la main sur le sport pour en faire un jeu ou un spectacle.

Une lecture saine en cette période d'olympiades !
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Lorsque les Allemands envahissent la Moravie, Emile a dix-sept ans et, tout en poursuivant ses études de chimie, travaille comme ouvrier dans les poussières et la puanteur de l'usine Bata à Zlin. Lui que le sport rebute doit participer à la course à pied annuelle organisée à des fins promotionnelles par son entreprise, puis, propagande nationale-socialiste oblige, au cross-country de la Wehrmacht. Il est le premier surpris d'y prendre un certain plaisir, mais, surtout, de se classer sans effort en tête des coureurs. Il décide de s'entraîner, commence à gagner ses premières courses nationales et, la guerre finie, s'attaque à des compétitions mondiales où, dans un style chaotique totalement atypique, il se montre bientôt invincible, accumulant les titres et faisant tomber les records mondiaux toutes distances confondues : Zatopek est devenu le nom le plus célèbre de l'histoire de l'athlétisme.


Mais le rideau de fer s'abat sur l'Europe de l'Est, enfermant la Tchécoslovaquie et son illustre athlète dans l'hermétique périmètre soviétique. Lorsque, exceptionnellement, il est autorisé à en sortir, c'est sous l'étroit contrôle d'officiels qui lui dictent mots et gestes, tout en usant de ses exploits inégalés et de son aura héroïque à des fins de propagande. Il flirte encore quelque temps avec les sommets, avant de commencer à raccrocher. Son soutien au Printemps de Prague précipite sa disgrâce. Envoyé comme manutentionnaire dans la terrible mine d'uranium de Jachymov où s'abrège la vie des opposants politiques, le grand Zatopek redevenu minuscule Emile sera autorisé à finir éboueur à Prague, avant, trop visible encore puisqu'on le reconnaît dans la rue, de se retrouver relégué obscur archiviste.


Cette boucle de vie, partie de rien et revenue à rien après avoir tutoyé les sommets, inspire ici à Jean Echenoz, non pas un simple récit d'inspiration biographique, mais une oeuvre originale et romanesque qui, effaçant dates et chiffres, s'attache à transformer en abstraction le personnage historique ressuscité par le travail de documentation. Cet homme ordinaire qui n'a « l'air de rien », mais qui, toujours « l'air de rien », se montre capable de tout, l'écrivain l'appelle simplement Emile, avec un e ajouté qui parfait le concept générique. Son patronyme n'apparaît dans le récit que tardivement, lorsque « ce nom de Zatopek qui n'était rien, qui n'était rien qu'un drôle de nom, se met à claquer universellement » et que cela lui fait tout drôle de le voir imprimé dans les journaux, tel une « nouvelle identité publique » que la foule scande « sur tous les tons, comme pour l'en informer » et que la propagande lui vole avant de tenter de le détruire.


Sans esbroufe mais en y jetant toutes ses forces, de son pas bizarre qui le fait ressembler à « une mécanique détraquée, disloquée », ne faisant « rien comme les autres » au point d'avoir l'air de faire « n'importe quoi », l'Emile du récit n'en trace pas moins sa route, fort d'une liberté d'être lui-même que rien ni personne ne parvient jamais à lui enlever. Débarrassé de toute idéalisation héroïque, il devient une figure forte et symbolique que l'on accompagne conquis par le regard distancié et le ton délicieusement léger et ironique d'un texte qui boucle la boucle comme le coureur ses tours de piste et l'existence son tour de roue. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Forrest Gump, ça vous parle? Mais si, le gars qui court tout le temps et qui part dans des délires avec les crevettes, vous savez. Bon, pas grave parce que ça n'a aucun rapport avec le Courir de Jean Echenoz, si ce n'est qu'on parle d'un gars qui court aussi. Et qui court en traversant l'Histoire de son pays. Mais qui se fout royalement des crevettes.

Ce gars c'est Zatopek. Emile de son ptit nom. Né en 1922 en Tchécoslovaquie. Et naître dans la Tchécoslovaquie du XXème siècle, on ne peut pas dire que ça démarre comme un conte de fées. Donc rien ne le prédestinait à devenir un des plus grands  athlètes de l'histoire du sport. Mais le destin réserve parfois des surprises.

Emile, il n'est pas contrariant. On le met à trimer dans l'usine Bata, il dit ok. On le change de poste quand ça arrange la hiérarchie, il dit ok. On lui dit tu vas courir contre une sélection aryenne surentrainée, il dit ok. On lui propose de servir son pays et d'entrer dans l'armée tchèque, toujours ok. Pas contrariant le gars, je vous assure. 
Mais, dans ce même temps, Emile s'aperçoit qu'il adore courir en fait. Ça en devient même une obsession. Courir, se surpasser et s'entraîner dès que possible.
Et à galoper comme un lapin par tous les temps et tous les chemins, il finit par se faire remarquer. Pas par son style, il ressemble davantage à un pantin désarticulé qu'à un Usain Bolt majestueusement sculpté (qu'était même pas né çui-la de toute façon) mais par son endurance et sa vitesse. 5, 10, 20 kilomètres ou marathon, même pas mal. Il vous court ça tranquille le Emile, fingers in the nose.
Cours Emile, cours.

Compétitions locales, européennes, internationales, Jeux olympiques : les records du monde sont pulvérisés. On le surnomme alors la locomotive tchèque, juste parce que le Concorde et le TGV n'existent pas encore. Il laisse ses concurrents sur place, à cracher leurs poumons dans son dos, pendant que lui s'envole sur le toit de l'Europe et du monde.
En revanche, il ne fait toujours pas ce qu'il veut. Car en pleine guerre froide et rideau de fer bien enraciné, c'est le gouvernement tchèque qui décide pour lui de ses compèts, si oui ou non il ira ou pas courir ici ou là-bas. Et Emile ne se rebelle pas, il accepte. Pas contrariant le bonhomme on vous dit.

Jean Echenoz nous retrace quelques moments de cette vie hors du commun. Ce n'est pas une biographie à proprement parler car il s'attarde uniquement sur la carrière sportive de Zatopek, en la mettant en relation avec l'actualité et le contexte politique de l'époque. L'histoire de Courir court (arf arf) sur une trentaine d'années en démarrant avec l'invasion de la Moravie par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale pour se terminer avec celle de la Tchécoslovaquie par les Russes fin des années 60.
De l'auteur, j'avais déjà aimé Ravel dans le même genre. Bon, il ne courait pas Maurice, faute de temps avec son Boléro à composer, mais l'écriture était assez semblable. Très accessible, fluide et légèrement teintée d'humour, on suit avec plaisir et sans grand effort l'épopée de ce grand athlète.

Et à en croire Gump mère : "la vie c'est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber". Donc Zatopek, lui, a chopé tous les bons chocolats au début de sa suprématie sportive, mais il s'est quand même enfilé un bon paquet d'indigestes ensuite (certainement ceux à la liqueur, ceux qui dégoulinent sur le menton) au vu de sa difficile après-carrière qui conclut le récit.
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Quel bonheur que de lire ce court récit de Jean Echenoz, sur l'immense coureur de fond qu'était Emile Zatopek, la locomotive tchèque. Après le poussif et trop philosophique "Courir", essai homonyme, de Guillaume le Blanc, j'ai enchaîné ces 150 pages avec une grande aisance, un réel plaisir, une envie comblée.

Emile, jeune ouvrier travaillant à l'usine de chaussures Bata est encouragé à courir sur le tard (fin de l'adolescence) et se découvre un talent inouï pour les distances de demi fond (5000 et 10 000 m). Il se met à tout gagner, puis continue à participer à des courses organisées pour les championnats militaires lors de son service puis lorsqu'il fera carrière dans l'armée, cette dernière étant trop heureuse d'avoir en son sein un champion très prometteur. Il gagnera tout par la suite, devenant un des plus grands champion Olympique de tous les temps.

Le récit mêle les exploits sportifs hallucinants de cette bête de somme qu'est Emile, coureur sans classe et au style abominable mais qui brise tous ses concurrents sur la distance par ses ruptures de rythme et sa force surhumaine, avec les événements survenus en république tchèque durant la guerre froide. On y découvre au delà de la simplicité du champion, toutes les difficultés qu'il a pu rencontrer pour participer aux courses internationales (autorisations délivrées ou non par l'état major soviétique). On est enfin terrifié par le destin tragique et absurde du coureur broyé par les russes qui réprimèrent les acteurs, les plus illustres comme les plus anodins, du printemps de Prague.

La prose de Jean Echenoz est simple et efficace, directe, sans chichi. Il touche au but, tout simplement.

Février 2014
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Voilà un petit bonheur offert par la littérature!

Avec Courir, Jean Echenoz nous dresse un portrait tout en subtilité du coureur multi-champion de course à pied, Emile Zatopek.
Le personnage est sympathique, étonnant, voire ahurissant dans ses records battus, et semble toujours repousser la limite de ses exploits, "l'air de rien", comme par hasard!...

Mais le "plus" magistral de cette biographie, c'est l'écriture! Si Zatopek a fourni une matière qui incite à l'empathie, c'est surtout la façon d'en parler d'Echenoz qui fait toute la différence avec une biographie ordinaire: sous la narration informative, il y a toute l'ironie subtile de l'auteur, la finesse de son analyse et la fluidité de ses phrases. Il a le talent de faire couler les mots en donnant l'impression qu'on aurait pu les écrire nous-mêmes... alors que non!!!
L'air de rien, comme s'il nous racontait l'histoire de vive voix et qu'il nous faisait alors un clin d'oeil, il donne à sourire sur les aberrations des dictatures staliniennes, les incohérences des anciens régimes du "bloc de l'est".

J'avais déjà beaucoup aimé Ravel, du même auteur. Je me suis régalée avec Courir. J'ai hâte de découvrir Des éclairs!...
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Citations et extraits (46) Voir plus Ajouter une citation
Au bout de ces six années, la sœur aînée du socialisme et ses fondés de pouvoir pragois, qui ont fait d'Alexander Dubcek un jardinier, décident de rappeler Emile dans la capitale avec l'idée de le promouvoir en faisant de lui un éboueur. Cela semble une vraiment bonne idée, histoire de l'humilier, mais il apparaît vite que ce n'est pas une si bonne idée que ça. D'abord, quand il parcourt les rues de la ville derrière sa benne avec son balai, la population reconnaît aussitôt Emile, tout le monde se met aux fenêtres pour l’ovationner. Puis, ses camarades de travail refusant qu'il ramasse lui-même les ordures, il se contente de courir à petites foulées derrière le camion, sous les encouragements comme avant. Tous les matins, sur son passage, les habitants du quartier où son équipe est affectée descendent sur le trottoir pour l'applaudir, vidant eux-mêmes leur poubelle dans la benne. Jamais aucun éboueur au monde n’aura été autant acclamé. Du point de vue des fondés de pouvoir, cette opération est un échec.
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En attendant, il est devenu l’homme à abattre, la référence absolue, l’étalon-or de la course de fond. On peut même se demander, s’interrogent gravement les chroniqueurs, s’il ne commet pas une grosse erreur psychologique en battant les records du monde à une cadence inlassable. Car enfin, maugréent-ils, il va bien arriver un jour où l’étonnement fera place à la curiosité polie, puis la curiosité à l’indifférence et, le jour où l’extraordinaire deviendra quotidien, il ne sera plus extraordinaire du tout. On ne recommencera de s’étonner que lorsque Émile perdra.
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Émile, on dirait qu'il creuse ou qu'il se creuse, comme en transe ou comme un terrassier. Loin des canons académiques et de tout souci d'élégance, Émile progresse de façon lourde, heurtée, torturée, tout en à-coups. Il ne cache pas la violence de son effort qui se lit sur son visage crispé, tétanisé, grimaçant, continûment tordu par un rictus pénible à voir. Ses traits sont altérés, comme déchirés par une souffrance affreuse, langue tirée par intermittence, comme avec un scorpion logé dans chaque chaussure. Il a l'air absent quand il court, terriblement ailleurs, si concentré que même pas là, sauf qu'il est là plus que personne et, ramassée entre ses épaules, sur son cou toujours penché du même côté, sa tête dodeline sans cesse, brinqueballe et ballotte de droite à gauche
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Ce nom de Zatopek qui n’était rien, qui n’était rien qu’un drôle de nom, se met à claquer universellement en trois syllabes mobiles et mécaniques, valse impitoyable à trois temps, bruit de galop, vrombissement de turbine, cliquetis de bielles ou de soupape scandé par le k final, précédé par le z initial qui va déjà très vite : on fait zzz et ça va tout de suite vite, comme si cette consonne était un starter. Sans compter que cette machine est lubrifiée par un prénom fluide : la burette d’huile Émile est fournie avec le moteur Zatopek.
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[...] Un jour on calculera que, rien qu'en s'entraînant, Émile aura couru trois fois le tour de la Terre. Faire marcher la machine, l'améliorer sans cesse et lui extorquer des résultats, il n'y a que ça qui compte et sans doute est-ce pour ça que, franchement, il n'est pas beau à voir. C'est qu'il se fout de tout le reste. Cette machine est un moteur exceptionnel sur lequel on aurait négligé de monter une carosserie. Son style n'a pas atteint ni n'atteindra peut-être jamais la perfection, mais Émile sait qu'il n'a pas le temps de s'en occuper : ce seraient trop d'heures perdues au détriment de son endurance et de l'accroissement de ses forces. Donc même si ce n'est pas très joli, il se contente de courir comme ça lui convient le mieux, comme ça le fatigue le moins, c'est tout.
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"Je voudrais raconter les éditions de Minuit telles que je les voyais enfant. Et aussi mon père, Jérôme Lindon, comme je le voyais et l'aimais. Y a-t-il des archives pour ça ? Et comment être une archive de l'enfant que j'ai été ?"
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