Ce sont quelques critiques et quelques citations de babeliotes (Ah, Babelio, source inépuisable de découvertes!) qui m'ont amené à
Léon-Paul Fargue dont je n'avais lu jusqu'à présent que quelques
poèmes tirés du Piéton de Paris.
J'ai ainsi appris que ce recueil
Haute Solitude était considéré comme son chef-d'oeuvre.
J'ai été vraiment bousculé, ébahi, émerveillé, parfois si ému, par ce livre «hénaurme », désespéré et moqueur, tendre et acerbe, déchirant
et comique.
L'incipit donne le ton: un extrait du 5ème livre du
Pantagruel de
Rabelais, avec ses énumérations, sa profusion de mots nouveaux.
Cette exubérance verbale héritée de
Rabelais habitera tout le recueil, souvent mise au service d'un désespoir qui serre le coeur. Mais pas toujours. On est parfois dans le registre totalement loufoque.
Il s'agit de textes en prose; on sait depuis
Baudelaire et
Rimbaud, que la poésie n'a pas besoin du vers et de la rime, que les mots et les phrases n'ont pas toujours besoin d'être rangés comme des petits soldats pour que fleurisse la poésie.
Dix neuf
poèmes magnifiques et d'une grande diversité.
D'abord, il y a ceux pleins de fantaisie et d'humour, tels Plaidoyer pour le désordre, ou Esprits nomades, une sorte d'apologie burlesque du déménagement, ou Encore, qui termine le recueil.
D'autres sont des
poèmes dans lesquels sont égratignés de façon loufoque les travers des contemporains du poète. Ainsi la prédiction de l'avenir dans Horoscope, Érythème du Diable.
Plusieurs donnent une vision fantastique et parfois pleine de tristesse de ce Paris que l'auteur aime tant, Géographie secrète, Nuits blanches, L'attente, Paris.
Deux
poèmes extraordinaires nous donnent à lire, l'un une vision époustouflante de l'histoire de notre planète: Visitation préhistorique, et l'autre une apocalypse finale déjantée de notre monde: Danse mabraque.
Enfin, il y a ces
poèmes dans lesquels, avec une langue si neuve, si riche, Fargue nous emmène dans sa tristesse, sa nostalgie de l'enfance, sa solitude. Ce sont notamment les merveilleux et bouleversants Marcher, Accoudé et
Haute solitude, qui donne son titre au recueil.
On peut certes retrouver l'influence de
Rabelais dans cette abondance d'énumérations, de mots inventés, une influence du
Rimbaud des
Illuminations dans le rythme des
poèmes, une certaine parenté avec la loufoquerie de
Queneau.
Oui, mais Fargue est incomparable, irréductible à toute comparaison, et
Haute Solitude est un sommet de création poétique.