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Michel Meyer (Préfacier, etc.)Terje Sinding (Traducteur)
EAN : 9782253085720
187 pages
Le Livre de Poche (16/03/2005)
4/5   142 notes
Résumé :
Hedda Gabler reste un des personnages phare de la dramaturgie universelle. L'histoire d'une femme qui aurait voulu se sauver elle-même, mais à qui la société bourgeoise, mal faite, et des contemporains médiocres ne le permirent pas. La figure fatale de l'héroïne malfaisante s'irradie au-dessus de l''horreur petite-bourgeoise. Le génie d'Ibsen c'est de transformer sa position de victime, au contexte social et familial écrasant, en criminelle ; de découvrir les abîmes... >Voir plus
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Jørgen Tesman, historien sans grande envergure, rentre avec sa femme Heddda d'un voyage de noces de six mois, durant lequel il a surtout passé son temps à étudier. Il a choisi d'offrir à Hedda la maison, fort coûteuse, dont, croit-il, elle rêvait - on découvrira que sur ce point il se trompe lourdement -, dans laquelle ils emménagent à peine débarqués. C'est que ce mariage est quasiment une mésalliance. Si Tesman est plutôt issu de la petite bourgeoisie, Hedda appartient à la haute, voire la très haute bourgeoisie - ce qui ne va pas sans un mépris et une cruauté affichés pour ceux qui ne sont pas de sa classe. Cette union s'enracine donc dès le départ dans un différend que rendent criantes les différences sociales qui séparent les époux, ce qui ne fera que conforter le sentiment de vacuité propre à Hedda.

Chacun des personnages a un but propre : pour Tesman, c'est son travail, mais surtout la capacité à faire reconnaître les travaux d'autres chercheurs ; la tante de Tesman met toute sa vie dans son rôle de garde-malade auprès de sa soeur ; Ejlert Løvborg, ami de Tesman, est un historien qui a réussi à combattre ses démons et se voue désormais entièrement à ses travaux ; Thea Elvsted est l'amie bienveillante et la collaboratrice de Løvborg ; quant au juge Brack, son unique but est de mettre Hedda dans son lit. Hedda, elle, n'a pas de but réellement avoué, sinon la volonté d'accéder à quelque chose de pur, de beau - ce qui va à l'encontre de tout ce que lui demande la société. Or, la vie bourgeoise dans laquelle on veut l'enfermer, mais dans laquelle elle s'est également elle-même enfermée, fonctionne comme un piège. Elle n'a guère de perspective que d'être femme au foyer, mère (elle est enceinte, bien que le niant farouchement), et tout à la fois, pourquoi pas, la maîtresse discrète du juge Brack. C'est là que les didascalies d'Ibsen sont particulièrement précieuses : on va voir, au fur et à mesure des actes, l'appartement sombrer petit à petit dans l'obscurité. Les rideaux vont masquer les portes-fenêtres qui donnaient sur le jardin et laissaient passer la lumière du soleil à grands flots, la lumière des lampes va s 'amenuiser jusqu'à n'être plus qu'une très faible lueur en arrière-plan. Et les fleurs, qu'on avait parsemées à profusion dans le salon, vont disparaître.

Ce qui mettra le feu aux poudres dans l'existence de femme mariée, qui s'annonce très morne, de Hedda Tesman, ce seront les arrivées successives de Thea Elvsted et de Ejlert Løvborg. Lui, qui a longtemps gâché son talent en beuveries et autres excès, a enfin écrit un livre à succès et est sur le point de publier ce qu'il considère comme son chef-d'oeuvre. Elle, l'a pour ainsi dire accouché et s'est émancipée au point de quitter mari et enfants pour le suivre. Lui est un ancien amoureux de Hedda du temps où il ne produisait rien de bon, elle une ancienne condisciple de collège, que Hedda aimait particulièrement persécuter. Ces deux-là mettent Hedda face à sa vie bourgeoise vide de sens. La réponse sera à l'image de ce que fut la jeune Hedda Gabler et à ce qu'est toujours Hedda Tesman : cruelle. Pour autant, il lui faudra encore aller plus loin pour faire complètement fi des concessions et choisir une solution irrémédiable pour échapper à un destin médiocre. Mais la pièce ne donne pas dans les longs dialogues, ni dans les explications psychologiques. Plutôt axée sur des échanges brefs, des phrases interrompues ou allusives, elle nous emmène du côté du symbolisme avec l'aspiration à la beauté - jusque dans la cruauté - exprimée par Hedda, tout en s'insérant dans un cadre réaliste, mettant en scène non seulement des désirs et des attentes contraires et contrariés, mais prenant également racine dans une tension sociale insoluble.

Ibsen, on le sait, est toujours allé à contre-courant des idées-reçues de la société de son temps. Hypocrisie des élites, euthanasie, inceste, émancipation des femmes : il a traité de tout cela, et plus encore. Ici, il attaque un autre tabou, celui de la maternité, qui n'est vécue comme Hedda que comme un carcan supplémentaire que lui impose la société, et non comme une occasion d'épanouissement. Il y avait là de quoi déranger à une époque où les femmes étaient avant tout considérées comme des mères - mais je suis persuadée qu'Ibsen dérange encore beaucoup de nos jours. Son sujet fut toujours la question de l'émancipation de l'individu, et Hedda Gabler ne fait pas exception à la règle.


Challenge Théâtre 2017-2018
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Après - Une maison de poupée -, j'avais envie de retrouver l'univers de Henrik Ibsen, "inventeur" du théâtre moderne.
Ce dramaturge norvégien nous livre dans - Hedda Gabler - un drame en quatre actes dans lequel on retrouve quelques-uns des thèmes qui lui sont chers : l'image de la femme, le rapport très patriarcal entre les deux sexes, la volonté émancipatrice de celui qu'on qualifie à tort de faible, les hypocrisies de la société bourgeoise, la sauvegarde à tout prix des apparences, le rôle déterminant de l'argent et celui non moins prééminent du pouvoir. Sans oublier la volonté du dramaturge de s'inscrire dans un réalisme, un rapport au réel que l'on retrouve dans les dialogues, dépourvus de tout lyrisme, de toute emphase et des personnages en symbiose avec la vérité de leur être.
Dans cette pièce que l'on peut lire en faisant appel ( pour les têtes bien pourvues ) à plusieurs clés de lecture, je me suis pour ma part contenté d'en utiliser deux ... faute d'en avoir davantage.
La première, très littérale, est la vengeance d'Hedda Gabler.
La seconde, un petit peu plus "subtile", tient dans l'opposition entre un romantisme qui n'a plus sa place face à un réalisme qui impose l'évidence de sa domination sur le passé et le recours à une vie plus rêvée que vécue.
En dehors du fait que la pièce est séquencée en quatre actes, ce qui n'est pas le cas dans - Une maison de poupée -, les ressorts auxquels Ibsen a recours sont à peu près identiques.
À l'exception de l'absence d'enfants - et pour cause...- et de leur nounou, les personnages sont ici à peu près au même nombre que dans - Une maison de poupée -, et leurs "fonctions", pas leurs rôles sont les mêmes.
Il y a Hedda Gabler, épouse Tesman. Jeune et belle femme, brillante, forte personnalité, passionnée ou exaltée... choisissez l'adjectif qui vous convient. Elle a fait un mariage de "raison", une mésalliance, elle fille d'un général, habituée au luxe, à l'argent, à un monde où tout vous est donné sans qu'on n'ait rien à payer en retour a épousé un terne professeur désargenté. Hedda aime monter à cheval et tirer au pistolet...
Son mari, personnage falot, besogneux ambitieux, un médiocre de bonne volonté, est un spécialiste de l'histoire des civilisations.
Pour offrir à sa femme le train de vie qu'exige une femme de son rang, il compte sur l'obtention d'une chaire universitaire qui lui semble ( semblait...) promise.
Il a été élevé par ses deux tantes : Julianne Tesman, soeur de Jochum, père de Jörgen, ( mari d'Hedda ), une femme de 65 ans qui vit avec sa soeur Rina, impotente, dont elle s'occupe avec dévouement.
Le juge Brack est l'ami de la famille. Naturellement sa présence dans la pièce est multifonctionnelle - c'est l'intrigant au service de l'intrique - mais vous dire qu'il veuille faire d'Hedda sa maîtresse ne surprendra personne.
Ejlert Lövborg est, comme Jörgen Tesman, un spécialiste de l'histoire des civilisations. Lui et Hedda ont été naguère très proches. de grands amis ; Hedda ayant rompu avec l'homme qu'elle avait idéalisé pour ne pas gâcher l'idéal romantique que ce dernier incarnait et qu'il risquait de trahir en pressant Hedda de franchir le seuil au-delà duquel l'amitié entre un homme et une femme... "s'altère"(?). Lövborg n'est pas un idéaliste, c'est un sensuel, un jouisseur, un débauché, un ivrogne... repenti(?), qui vient de connaître un grand succès de librairie après avoir écrit un livre dont tout le monde parle.
Mme Elvsted, une jolie petite blonde aux yeux bleus, est la femme du préfet.
De condition sociale inférieure à Hedda, d'une personnalité moins flamboyante, elle va en être à son insu la rivale... Car elle vient de quitter son mari, après avoir été la secrétaire de Lövborg, que le couple a longtemps hébergé. Elle est tombée amoureuse de l'idéal masculin d'Hedda.
Aucune pièce de cette époque, ne pourrait se passer d'une Berte, la domestique du couple Tesman... réalisme et théâtre obligent...

La pièce se déroule dans l'appartement des Tesman.
Le couple rentre d'un voyage de noces de six mois.
L'un et l'autre n'ont évidemmet pas vécu le même voyage.
Jörgen a passé son temps dans les bibliothèques.
Hedda a passé le sien à s'ennuyer.
La tante attend avec impatience le récit de son neveu... auquel elle a rapporté ses chères pantoufles.
Elle questionne Jörgen sur leur voyage... espérant l'annonce d'un "heureux évènement".
Suite de quiproquos, le pauvre garçon est un "pantouflard", un "mari"...
Hedda de son côté a la gâchette leste et la malheureuse tante est la première à y goûter.
Le juge Brack rend visite au couple et leur donne des nouvelles de Lövborg. le succès de son livre paru et son séjour chez les Elvsted.
Hedda est contrariée.
Elle va l'être davantage encore lorsque Madame Elvsted va lui rendre visite, lui confier que Lövborg a écrit un manuscrit révolutionnaire... qui traître du futur de la civilisation et que ce manuscrit est appelé à devenir un énorme succès. Elle a été celle à qui Lövborg a dicté le manuscrit en question ; c'est "leur enfant". D'ailleurs ne s'est-elle pas enfuie de chez elle pour suivre Lövborg dont elle est amoureuse !...
Hedda fulmine.
Jusqu'à la rencontre avec son ancien ami... qu'elle continue à idéaliser mais à opposer à son réalisme qui ne mène qu'à la déconvenue, son romantisme, son idéal d'une vie rêvée.
Ces deux mondes sont-ils réconciliables ? Sont-ils compatibles ?
Une nuit et un manuscrit plus tard, vous aurez la réponse à ces questions...

Il y a un peu d'Emma Bovary et un peu d'Antigone dans le personnage d' Hedda Gabler.
Il y a aussi bien d'autres facettes que chacun interprètera selon sa sensibilité et ses connaissances.
On ne peut certes pas rester insensible à ce personnage... même de manière symbolique.
La pièce d'Ibsen est de qualité.
La lecture est plaisante.
Jörgen Tesman et ses "hein ?" innombrables, ses " pense donc..." font "regretter" de lire plutôt que d'écouter assis dans un fauteuil au théâtre les répliques de ce peronnage particulièrement bien travaillé par l'auteur.
J'ai moins aimé que - Une maison de poupée -... mais ça reste du grand Ibsen.
Et puis je me sens bien en compagnie de ces gens qui, comme moi, pensent que la vie est plus ridicule que désespérante.
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Ibsen s'ingénie comme personne à exposer les tensions interpersonnelles que peuvent causer la vacuité d'une intériorité.
Toute la consistance dramatique de la pièce, tout son dynamisme, comme pour la logique hégélienne, provient d'un néant précisément déterminé, d'un être vide.
Tout explosera de manière imminente lorsqu'un être, gonflé à bloc d'ennui, qui persiste, par une lâche et insensible indolence à sa divertir, se met à extérioriser apathiquement son désarrois. Dès lors, la souffrance guette, imminente, l'instant de tout abolir…
Une grande pièce qui vaut vraiment le détour.
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Voici la pièce d'Ibsen que j'ai voulu lire après Une maison de poupée.
C'est le portrait d'une femme difficile à comprendre. Après une liaison platonique avec un homme brillant mais qui se révèlera faible, Hedda fille orgueilleuse d'un général a épousé un historien assez falot qui ponctue tous ses discours de “hein !” “Dis donc” “Pense donc” et agace sa femme qui a souvent du mal à se maîtriser.
D'une façon tout à fait différente de la Nora d'une maison de poupée, Hedda est coincée dans une vie bourgeoise qui l'ennuie.
Bien qu'il semble que ce soit elle qui ait rompu elle saisit l'occasion de se venger de son ancien amoureux mais aussi d'une ancienne condisciple de couvent qui a su influer sur la destinée d'un homme, justement cet ancien amoureux devenu alcoolique et qu'elle a aidé à travailler sur un nouvel ouvrage savant. Insupportable pour elle qui souffre de n'avoir aucun rôle.
Manipulant sans scrupule son entourage elle agit sans donner vraiment l'impression d'un but clair ni à ses yeux, ni aux nôtres.

Décidément il eut été dommage de ne pas connaître Ibsen.


Challenge Théâtre 2017-2018
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Un très beau personnage, Hedda Gabler, trouble, complexe, surprenant, plein de recoins obscurs et de braises, qui nous bringuebale d'un sentiment à l'autre. Hedda Gabler est terrible, cruelle, destructrice, mais on la comprend, elle nous touche, son incapacité à supporter la médiocrité, la laideur, le ridicule de la vie. Elle s'ennuie Hedda, elle s'ennuie à mourir, coincée dans une vie qui ne lui va pas, qui n'est pas à sa taille, elle part en vrille. Il y a en elle des aspirations, des exigences qui se heurtent violemment au monde qui l'entoure, elle est à la fois bourreau et victime, elle nous choque par sa noirceur mais on la plaint. Comme si sa conviction que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue la plaçait au-delà du bien et du mal. Comme si les tensions entre les carcans des conventions, l'étroitesse de ce que la vie lui propose, et ses désirs profonds ne pouvaient que produire une force explosive.

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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
MADEMOISELLE TESMAN, changeant tout à coup de ton. —Non ! Mais quand on pense que te voici marié, Jorgen ! Et que c'est toi qui as conquis la charmante Hedda Gabler ! Songe donc ! Elle qui avait tant de jeunes cavaliers autour d'elle !
TESMAN, fredonnant un peu, avec un sourire de contentement. —Oui, je crois que, çà et là, en ville, j'ai quelques amis qui m'envient. Hein ?
MADEMOISELLE TESMAN.—Et ce long voyage de noces que tu as fait ! Plus de cinq, près de six mois.
TESMAN.— Hein ! Il faut dire que, pour moi, cela a été en même temps une espèce de voyage d'études. Toutes ces archives à compulser ! Et tant de livres à lire, si tu savais !
MADEMOISELLE TESMAN.—Oui, c'est très bien tout cela. (Confidentiellement, baissant la voix.) Mais, écoute donc, Jorgen, n'as-tu pas quelque chose, quelque chose de particulier à m'apprendre ?
TESMAN.— Au sujet de notre voyage ?
MADEMOISELLE TESMAN. — Oui.
TESMAN.— Non, rien que je sache, en dehors de ce que je vous ai écrit. Ma promotion au grade de docteur ; je t'en ai parlé hier, n'est-ce pas ?
MADEMOISELLE TESMAN.—Oui, tout cela, je le sais. Mais je veux dire n'as-tu pas, n'as-tu pas —voyons ! —quelques espérances ?
TESMAN.— Des espérances ?
MADEMOISELLE TESMAN.—Mon Dieu, Jorgen, ne suis-je pas ta vieille tante ?
TESMAN.—Certes, certes, j'ai des espérances.
MADEMOISELLE TESMAN.—Vraiment ?
TESMAN.—Les meilleures espérances d'être nommé professeur un de ces jours.
MADEMOISELLE TESMAN.—Professeur, oui, je sais bien.
TESMAN.— Ou plutôt, j'ose dire que j'en ai la certitude. Mais, ma bonne tante Juliane, tu sais cela aussi bien que moi !
MADEMOISELLE TESMAN, souriant. —Oui, oui, certainement. Tu as raison. (Changeant de ton.) Mais nous parlions du voyage. Il a dû te coûter beaucoup d'argent, dis, Jorgen ?
TESMAN.—Mon Dieu, oui. La bourse qu'on m'a donnée a couvert une bonne partie des frais.
MADEMOISELLE TESMAN.—Oui, mais ce que je ne comprends pas, c'est que cela ait pu suffire pour deux.
TESMAN.— Non, non, ce n'est pas si facile à comprendre, n'est-ce pas ? Hein ?
MADEMOISELLE TESMAN.—Et quand on voyage avec une dame encore. C'est que cela coûte infiniment plus cher, à ce que j'ai entendu dire.
TESMAN.— Oui, bien entendu, cela coûte un peu plus cher. Mais, vois-tu, tante, il fallait que Hedda fît ce voyage ! Il le fallait vraiment. Cela n'aurait pas été convenable autrement.
MADEMOISELLE TESMAN.—Non, non, peut-être bien. Aujourd'hui, un voyage de noces, cela appartient pour ainsi dire aux convenances. Mais, dis-moi, commences-tu à bien te reconnaître dans ta maison ?
TESMAN.—Je crois bien. Je suis sur pied depuis la pointe du jour pour passer tout en revue.
MADEMOISELLE TESMAN. — Et cela te plaît-il ?
TESMAN.—Beaucoup ! Énormément ! Il n'y a qu'une chose que je ne puis comprendre : que veux-tu que nous fassions de ces deux chambres vides entre la pièce du fond et la chambre à coucher de Hedda ?
MADEMOISELLE TESMAN, souriant. —Oh ! mon cher Jorgen, on trouvera bien à les employer avec le temps.
TESMAN.—C'est vrai, tu as bien raison, tante Juliane. Plus tard, quand j'aurai augmenté ma bibliothèque, je... Hein?
MADEMOISELLE TESMAN.—C'est cela, mon cher enfant. J'ai pensé à ta bibliothèque.

Acte premier
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LOVBORG - Oui, Hedda, - et quand je me confessais à vous ! Quand je vous racontais des choses que personne ne savait. Quand j'avouais que j'avais passé mes nuits et mes jours dans la débauche. Jour après jour. Oh Hedda, - quel pouvoir en vous m'obligeait à une telle confession ?

HEDDA - Vous croyez qu'il y avait un pouvoir en moi ?

LOVBORG - Oui, comment l'expliquer autrement ? Et toutes ces - ces questions voilées que vous me posiez.

HEDDA - Et que vous compreniez si bien.

LOVBORG - Que vous ayez pu me questionner ainsi ! Si hardiment !

HEDDA - De manière voilée, je vous prie.

LOVBORG - Et pourtant, si hardiment. Me questionner sur - ces choses là !

HEDDA - Et que vous m'ayez répondu, monsieur Lovborg !

LOVBORG - Oui, c'est ce que je ne comprends pas, - maintenant. Mais dites-moi, Hedda, - au fond, n'était-ce pas de l'amour ? N'était-ce pas comme si vous vouliez me purifier, - quand je venais me confesser à vous ? N'était-ce pas cela ?

HEDDA - Pas tout à fait.

LOVBORG - Qu'est-ce qui vous poussait, alors ?

HEDDA - Vous paraît-il si étrange qu'une jeune fille, - si cela se passe - comment dire - en secret...

LOVBORG - Eh bien ?

HEDDA - Qu'elle puisse avoir envie de jeter un regard dérobé sur un monde que...

LOVBORG  - Que...?

HEDDA  - ... qu'elle n'a pas le droit de connaître ?
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HEDDA, regardant devant elle. - Mon Dieu ! Je ne sais pas pourquoi je serais heureuse. Pourriez-vous me le dire, vous ?
BRACK. - Mais, entre autres, parce que vous avez eu ce que vous désiriez. Je parle de votre maison.
HEDDA, le regarde et sourit. - Vous y croyez donc aussi, à cette histoire de désir réalisé ?
BRACK. - Comment ? Il n'y aurait rien de vrai là-dedans ?
HEDDA. - Si, une seule chose.
BRACK. - Quoi ?
HEDDA. - C'est que j’avais besoin de Tesman pour me reconduire chez moi l'été dernier, quand je sortais le soir.
BRACK. - Hélas ! Je devais prendre un autre chemin... que vous.
HEDDA. - C'est vrai. Vous suiviez un autre chemin... l'été dernier.
BRACK, souriant. - Vous n'avez pas honte, madame Hedda ! Mais voyons. Nous disions donc que Tesman et vous ?...
HEDDA. - Oui. Nous passions un soir par ici. Mon pauvre Tesman se tordait d'embarras : il ne trouvait rien à dire. C'est alors que j'ai e pitié de l'infortuné savant.
BRACK, avec un sourire de doute. - Vraiment ? Hem.
HEDDA. - Je vous prie de le croire. Alors, pour lui tendre la perche, j'eus l'étourderie de dire que j'aimerais demeurer dans cette villa.
BRACK. - Rien de plus ?
HEDDA. - Pas ce soir-là.
BRACK. - Mais plus tard, n'est-ce pas ?
HEDDA. - Oui, mon cher juge, mon étourderie a eu des suites.
BRACK. - Hélas ! C'est le cas de la plupart de nos étourderies, madame Hedda.
HEDDA. - Merci ! Mais vous voyez que c'est par une admiration commune pour la villa de Mme Falk que notre entente a commencé. Les fiançailles, le mariage, le voyage de noces et le reste n'ont été qu'une suite. Oui, oui, mon cher juge, j'allais presque dire : comme on fait son lit, on se couche.

Acte deuxième (Traduction Moritz Prozor)
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BRACK. - Je crois que le défaut gît ailleurs.
HEDDA. - Où donc ?
BRACK. - Vous n'avez jamais rien connu de vraiment stimulant.
HEDDA. - Rien de sérieux, voulez-vous dire ?
BRACK. - Eh oui ! Si vous voulez ! Mais cela pourrait changer maintenant.
HEDDA, hochant la tête. - Ah ! Vous parlez de tous les ennuis que suscite ce misérable poste de professeur ! Cela ne regarde que Tesman. Je n'y songe seulement pas.
BRACK. - Non, non, ne parlons pas de cela. Mais s'il vous incombait des devoirs sérieux, ce qu'on appelle en style élevé de graves responsabilités ? (Souriant.) Enfin, de nouveaux devoirs, ma petite madame Hedda.
HEDDA, avec colère. - Taisez-vous ! Cela n'arrivera jamais !
BRACK, d'un air réfléchi. - Nous en reparlerons dans un an, au plus tard.
HEDDA, d'un ton bref. - Je n'ai pas la vocation, monsieur le juge. Qu'on ne vienne pas me parler de devoirs, à moi.
BRACK. - Quoi ! Vous n'auriez pas, comme la plupart des femmes, de vocation pour...
HEDDA, près de la porte vitrée. - Ah ! Taisez-vous, vous dis-je ! Il me semble souvent qu'il n'y a pour moi qu'une profession au monde.
BRACK, s'approchant d'elle. - Laquelle, si j'ose vous le demander ?
HEDDA, regardant dehors. - Celle de m'ennuyer à mort, puisque vous voulez le savoir.

Acte deuxième (Traduction de Moritz Prozor)
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HEDDA (à mi-voix). - Oh, - quelle délivrance dans ce qui est arrivé à Ejlert Lövborg.

BRACK. - Délivrance, madame Hedda ? Oui, pour lui c'est en effet une délivrance.

HEDDA. - Je veux dire, pour moi. Quelle délivrance de savoir qu'il peut y avoir un acte de courage en ce monde. Un acte spontanément teinté de beauté.

BRACK (souriant). - Hm, - ma chère madame Hedda.

HEDDA. - Oh, je sais ce que vous allez me dire. Vous aussi, vous êtes un spécialiste, - comme en ce moment !

BRACK (la regardant fermement). - Ejlert Lövborg vous était plus cher que vous ne voulez vous l'avouer. Ou je me trompe ?

HEDDA. - Je refuse de vous répondre. Je sais seulement qu'Ejlert Lövborg a eu le courage de vivre sa vie comme il l'entendait. Et puis, - cette grandeur ! Cet acte teinté de beauté. Avoir la force et la volonté de quitter le festin de la vie - si tôt.

BRACK. - Je suis désolé, madame Hedda, -mais je suis obligé de vous arracher à une belle illusion.

HEDDA. - Une illusion ?

BRACK. - Qui, de toute manière, se serait vite dissipée.

HEDDA. - De quoi s'agit-il ?

BRACK. - Il ne s'est pas tué - de son plein gré.

HEDDA. - Pas de son plein gré !

BRACK. - Non. L'affaire ne s'est pas déroulée comme je l'ai dit.

HEDDA (tendue). - Vous avez dissimulé quelque chose ? Qu'y a-t-il ?

BRACK. - Par égard pour cette pauvre Mme Elvsted, j'ai utilisé quelques circonlocutions.

HEDDA. - Lesquelles ?

BRACK. - D'abord, il est déjà mort.

HEDDA. - A l'hôpital.

BRACK. - Oui. Et sans avoir repris connaissance.

HEDDA. - Qu'avez-vous dissimulé encore ?

BRACK. - Que l'incident ne s'est pas passé dans sa chambre.

HEDDA. - Enfin, ça n'a pas une grande importance.

BRACK. - Vous faites erreur. Car je vais vous dire, - Ejlert Lövborg a été retrouvé blessé dans - dans le boudoir de Mlle Diana.

HEDDA (voulant se lever, mais retombant dans son fauteuil). - C'est impossible, monsieur le juge ! Il n'a pas pu y retourner !

BRACK. - Il y est retourné cet après-midi. Il est venu réclamer quelque chose qu'on lui aurait volé. Tenant des propos confus sur un enfant qui aurait disparu.

HEDDA. - Ah, - je vois...

BRACK. - J'ai pensé qu'il devait s'agir du manuscrit. Mais il l'a lui-même détruit, d'après ce que j'ai compris. Alors, ça devait être son portefeuille.

HEDDA. - Sans doute. - Et c'est là, - c'est là qu'il a été retrouvé.

BRACK. - Oui. Avec un pistolet déchargé dans la poche de son veston. Mortellement atteint.

HEDDA. - A la poitrine, - oui.

BRACK. - Non, - il a été atteint au bas-ventre.

HEDDA (le regardant avec une expression de dégoût). - Cela aussi ! Oh, le ridicule, le vulgaire, se répand comme une malédiction sur tout ce que je touche.
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