Après -
Une maison de poupée -, j'avais envie de retrouver l'univers de
Henrik Ibsen, "inventeur" du
théâtre moderne.
Ce dramaturge norvégien nous livre dans -
Hedda Gabler - un drame en quatre actes dans lequel on retrouve quelques-uns des thèmes qui lui sont chers : l'image de la femme, le rapport très patriarcal entre les deux sexes, la volonté émancipatrice de celui qu'on qualifie à tort de faible, les hypocrisies de la société bourgeoise, la sauvegarde à tout prix des apparences, le rôle déterminant de l'argent et celui non moins prééminent du pouvoir. Sans oublier la volonté du dramaturge de s'inscrire dans un réalisme, un rapport au réel que l'on retrouve dans les dialogues, dépourvus de tout lyrisme, de toute emphase et des personnages en symbiose avec la vérité de leur être.
Dans cette pièce que l'on peut lire en faisant appel ( pour les têtes bien pourvues ) à plusieurs clés de lecture, je me suis pour ma part contenté d'en utiliser deux ... faute d'en avoir davantage.
La première, très littérale, est la vengeance d'
Hedda Gabler.
La seconde, un petit peu plus "subtile", tient dans l'opposition entre un romantisme qui n'a plus sa place face à un réalisme qui impose l'évidence de sa domination sur le passé et le recours à une vie plus rêvée que vécue.
En dehors du fait que la pièce est séquencée en quatre actes, ce qui n'est pas le cas dans -
Une maison de poupée -, les ressorts auxquels
Ibsen a recours sont à peu près identiques.
À l'exception de l'absence d'enfants - et pour cause...- et de leur nounou, les personnages sont ici à peu près au même nombre que dans -
Une maison de poupée -, et leurs "fonctions", pas leurs rôles sont les mêmes.
Il y a
Hedda Gabler, épouse Tesman. Jeune et belle femme, brillante, forte personnalité, passionnée ou exaltée... choisissez l'adjectif qui vous convient. Elle a fait un mariage de "raison", une mésalliance, elle fille d'un général, habituée au luxe, à l'argent, à un monde où tout vous est donné sans qu'on n'ait rien à payer en retour a épousé un terne professeur désargenté. Hedda aime monter à cheval et tirer au pistolet...
Son mari, personnage falot, besogneux ambitieux, un médiocre de bonne volonté, est un spécialiste de l'histoire des civilisations.
Pour offrir à sa femme le train de vie qu'exige une femme de son rang, il compte sur l'obtention d'une chaire universitaire qui lui semble ( semblait...) promise.
Il a été élevé par ses deux tantes : Julianne Tesman, soeur de Jochum, père de Jörgen, ( mari d'Hedda ), une femme de 65 ans qui vit avec sa soeur Rina, impotente, dont elle s'occupe avec dévouement.
Le juge Brack est l'ami de la famille. Naturellement sa présence dans la pièce est multifonctionnelle - c'est l'intrigant au service de l'intrique - mais vous dire qu'il veuille faire d'Hedda sa maîtresse ne surprendra personne.
Ejlert Lövborg est, comme Jörgen Tesman, un spécialiste de l'histoire des civilisations. Lui et Hedda ont été naguère très proches. de grands amis ; Hedda ayant rompu avec l'homme qu'elle avait idéalisé pour ne pas gâcher l'idéal romantique que ce dernier incarnait et qu'il risquait de trahir en pressant Hedda de franchir le seuil au-delà duquel l'amitié entre un homme et une femme... "s'altère"(?). Lövborg n'est pas un idéaliste, c'est un sensuel, un jouisseur, un débauché, un ivrogne... repenti(?), qui vient de connaître un grand succès de librairie après avoir écrit un livre dont tout le monde parle.
Mme Elvsted, une jolie petite blonde aux yeux bleus, est la femme du préfet.
De condition sociale inférieure à Hedda, d'une personnalité moins flamboyante, elle va en être à son insu la rivale... Car elle vient de quitter son mari, après avoir été la secrétaire de Lövborg, que le couple a longtemps hébergé. Elle est tombée amoureuse de l'idéal masculin d'Hedda.
Aucune pièce de cette époque, ne pourrait se passer d'une Berte, la domestique du couple Tesman... réalisme et
théâtre obligent...
La pièce se déroule dans l'appartement des Tesman.
Le couple rentre d'un voyage de noces de six mois.
L'un et l'autre n'ont évidemmet pas vécu le même voyage.
Jörgen a passé son temps dans les bibliothèques.
Hedda a passé le sien à s'ennuyer.
La tante attend avec impatience le récit de son neveu... auquel elle a rapporté ses chères pantoufles.
Elle questionne Jörgen sur leur voyage... espérant l'annonce d'un "heureux évènement".
Suite de quiproquos, le pauvre garçon est un "pantouflard", un "mari"...
Hedda de son côté a la gâchette leste et la malheureuse tante est la première à y goûter.
Le juge Brack rend visite au couple et leur donne des nouvelles de Lövborg. le succès de son livre paru et son séjour chez les Elvsted.
Hedda est contrariée.
Elle va l'être davantage encore lorsque Madame Elvsted va lui rendre visite, lui confier que Lövborg a écrit un manuscrit révolutionnaire... qui traître du futur de la civilisation et que ce manuscrit est appelé à devenir un énorme succès. Elle a été celle à qui Lövborg a dicté le manuscrit en question ; c'est "leur enfant". D'ailleurs ne s'est-elle pas enfuie de chez elle pour suivre Lövborg dont elle est amoureuse !...
Hedda fulmine.
Jusqu'à la rencontre avec son ancien ami... qu'elle continue à idéaliser mais à opposer à son réalisme qui ne mène qu'à la déconvenue, son romantisme, son idéal d'une vie rêvée.
Ces deux mondes sont-ils réconciliables ? Sont-ils compatibles ?
Une nuit et un manuscrit plus tard, vous aurez la réponse à ces questions...
Il y a un peu d'Emma Bovary et un peu d'Antigone dans le personnage d'
Hedda Gabler.
Il y a aussi bien d'autres facettes que chacun interprètera selon sa sensibilité et ses connaissances.
On ne peut certes pas rester insensible à ce personnage... même de manière symbolique.
La pièce d'
Ibsen est de qualité.
La lecture est plaisante.
Jörgen Tesman et ses "hein ?" innombrables, ses " pense donc..." font "regretter" de lire plutôt que d'écouter assis dans un fauteuil au
théâtre les répliques de ce peronnage particulièrement bien travaillé par l'auteur.
J'ai moins aimé que -
Une maison de poupée -... mais ça reste du grand
Ibsen.
Et puis je me sens bien en compagnie de ces gens qui, comme moi, pensent que la vie est plus ridicule que désespérante.