En cette période de confinement, dont nous nous extirpons peu à peu, je vous invite à visiter la chambre, lieu de confinement par excellence. La chambre ? Mais quelle chambre, il y en a tant ? Et la chambre de qui ?
Histoire de chambres, est un bijou d'érudition, une véritable encyclopédie du lieu visitée dans le prisme croisé de l'histoire, de la société et de la littérature.
Dans ce livre, Michelle Perrot, historienne, nous invite à visiter l'intimité de quelques chambres, de personnes célèbres et d'autres anonymes, des rois jusqu'aux ouvriers les plus modestes, sans oublier les cellules les plus recrues, prisons ou monastères ou bien encore les chambres d'hôtel, du plus modeste au palace...
Nous découvrons la chambre dans tout ce qu'elle est capable de recueillir, de produire et d'imaginer : la chambre où l'on vit, où l'on se retire, où l'on s'abandonne, où l'on médite, où l'on lit, où l'on prie, où l'on garde ses secrets, où l'on écrit, où l'on est enfermé, où l'on naît, où l'on fait l'amour, où les femmes accouchent, où l'on agonie, où l'on meurt, ah j'oubliais : où il arrive de dormir aussi...
Noblesse oblige, le livre s'ouvre sur la chambre de Louis XIV. Nous savons tous qu'une véritable cour se bousculait tous les matins pour assister au lever du Roi Soleil dans sa chambre. Nous découvrons, sans surprise que tout ceci était un peu une mise en scène, ce n'est pas vraiment à cet endroit qu'il dormait ou qu'il honorait ses maîtresses. Le temps d'une nuit, entre le crépuscule solaire et l'aube publique, il lui arrivait d'ailleurs de visiter maintes chambres et maints lits. C'est dur la vie d'un roi !
Sur le registre des chambres célèbres, j'ai préféré avec émotion visiter celle de Marcel Proust ou encore celle de George Sand. L'auteure nous invite à assister à ce lieu dont ces deux écrivains parmi tant d'autres ont fait un véritable territoire de création, nous vivons à ces endroits respectifs aussi leurs derniers instants. C'est particulièrement touchant ; ainsi vient notamment Céleste, témoin fidèle et dévouée des tourments et des joies de l'auteur d'À la recherche du temps perdu, de son agonie et sa mort aussi...
Zola, quant à lui, nous invite tantôt dans les chambres des plus modestes, des chambres ouvrières, taudis surpeuplés, dans Germinal ou L'Assommoir, tantôt dans des chambres plus luxueuses, comme dans La Curée, tantôt dans des chambres de prostituées, comme dans Nana... L'oeuvre de Zola, et notamment la fresque des Rougon-Macquart, est peuplée d'une multitude de chambres, théâtres d'émotions, de passions et de violences.
Mais la chambre a vécu au fil de l'histoire et des conditions sociales, maintes péripéties. Elle n'a pas toujours été ce lieu de confinement, ce lieu intime. L'intimité est dédiée tout d'abord à l'aristocratie et à la bourgeoisie. Les catégories les plus modestes, agricoles, ouvrières, dorment ensemble dans la même chambre jusqu'à une époque très tardive, parfois jusqu'au siècle dernier...
La chambre conjugale est un îlot moderne au regard de l'histoire de notre société occidentale. Elle peut être le lieu où le couple se retrouve, mais ne dort pas forcément à cet endroit...
La chambre, c'est aussi un lit, ce lieu secret à part entière. D'ailleurs, nous apprend Michelle Perrot, la première apparition d'un lit sur une scène théâtrale fit scandale. Il y a des géométries variables sur le sujet selon l'époque, la condition sociale que j'évoquais à l'instant, selon les pays... La chambre au Japon n'a pas le même degré d'intimité qu'une chambre française, allemande, ou américaine...
À ce sujet, je voudrais vous évoquer quelque chose d'original, de typique à une Bretagne qui m'est chère, le fameux lit-clos évoqué dans le livre de Michelle Perrot. Les bretons d'ici et ceux qui ont visité des écomusées lors de séjours estivaux en Bretagne savent de quoi je veux parler. Un lit enfermé, étroit, où il était difficile d'étaler son corps, quoique les bretons à cette époque n'étaient pas très grands... Ma grand-mère m'avait parlé de son expérience réjouissante... Mais je me souviens d'une femme toute petite... Aujourd'hui, dans beaucoup d'anciennes maisons bretonnes, les lits-clos sont devenus des armoires où ranger le linge ou bien qui servent de vaisseliers...
Homme ou femme, nous dit Michelle Perrot, l'approche de la chambre n'est pas la même. Elle accueille le propos de Virginia Wolf qui exprime un voeu ardent à juste raison, avoir une chambre à soi.
Voilà, je vous laisse découvrir la suite... J'ai surtout pioché ici et là quelques propos qui m'ont séduit afin de vous mettre en appétit. J'ai été époustouflé par la puissance de l'érudition qui se dégage de cet essai.
Désormais, dans notre société, on ne naît plus, ou très rarement dans la chambre d'une maison. La mort, c'est une autre histoire... Disons que les défunts ne sont plus veillés dans leur chambre même si c'est à cet endroit qu'ils ont poussé leur dernier soupir... On les expédie aussitôt dans des chambres mortuaires prévus à cet effet. Étrange société qui évacue du lieu intime ces intervalles extrêmes de nos vies, la naissance et la mort...
Que reste-t-il des chambres d'antan ? Que devient la chambre de maintenant, de demain ? questionne l'auteure. J'ai aimé l'une des phrases ultimes de sa conclusion : « la chambre est la possibilité d'une île ».
Derrière l'érudition foisonnante du texte, il y a aussi une poésie qui dit les secrets d'une chambre, son âme fugitive, les fissures qui se promènent sur un mur, un lieu qui tangue dans la solitude, l'indiscrétion d'un trou de serrure, l'éphémère, l'inconnaissable, peut-être simplement un territoire à la dérive entre quatre murs...
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Montre-moi ta chambre, je te dirai qui tu es
Quoi de plus personnel qu'une chambre ? Quand, enfant, on a la chance de se voir octroyer pour la première fois sa propre chambre, c'est un auquel on s'empresse d'infliger son empreinte ; c'est un territoire sur lequel on se décalque et que l'intrus peut percevoir par ses sens pour peu qu'il s'en donne la peine.
J'aime toujours me réfugier dans ma chambre ; c'est le lieu où personne d'averti ne vient me déranger. On sait que je m'y retire volontairement pour y lire, y écrire, y penser, y peindre à mon aise. Oui, ma chambre me ressemble et les chambres de personnages aussi divers que ceux qui sont concernés par ce livre méritent d'être visitées. Elles nous font comprendre à elles seules, plus de choses qu'une interview.
L'aspect des chambres dépend aussi des lieux et des époques. Nos chambres sont bien plus petites que celles d'autrefois et nos lits plus spacieux que ceux de 1,20 m qui remplissaient les alcôves. Même dans les campagnes le mobilier et les coutumes différaient.
C'est autour de cette idée d'identité, de différences et d'évolutions que tourne se livre très intéressant.
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Ces chambres foisonnantes, énigmatiques, je les ai aimées pour les cicatrices de leurs murs, leurs murmures étouffés, leurs émotions contenues, leurs intrigues, leur densité existentielle et les sentiers forestiers de leur imaginaire. Tributaire des confidences et des « aveux du roman », surprise par leur puissance de suggestion, voire de confession pour chacun d'entre nous, j'ai eu parfois le sentiment d'être indiscrète. Mais plus encore de me heurter à l'éphémère et à l'inconnaissable. Le secret protecteur dont les habitants des chambres s'enveloppaient, leur silence, s'opposent pareillement à l'intrusion de l'historien. La chambre est un objet limite dont l'opacité déjoue les curiosités du chercheur, comme celles du pouvoir.
C'est sans doute une des raisons de sa séduction.
Ce livre est une contribution à l’histoire de la nuit vécue de l’intérieur (sinon intérieure), sourdement bruissante des soupirs de l’amour, des pages tournées du livre de chevet, du crissement des plumes, des tapotis de l’ordinateur, du murmure des rêveurs, du miaulement des chats, des pleurs des enfants, des cris des femmes battues, des victimes réelles ou supposées, des crimes de minuit, des gémissements et de la toux des malades, du râle des mourants. Les bruits de la chambre composent une étrange musique.
La chambre a été un creuset de civilisation, à la fois productrice de normes, lieu de création et terrain d'expériences. Dans une longue généalogie, qui va de la chambre du roi à celle du palace, de la cellule du moine à celle de la prison, de la salle commune à la chambre particulière, elle répond aux représentations qu'on se fait du corps et de ses besoins. Lieu d'observation pour les enquêteurs, elle est moyen de surveillance et mode de régulation et de discipline pour ces ordonnateurs. Prêtres, moralistes, médecins, hygiéniste, psychologues l'ont investie, définissant sa disposition et ses horaires, son cubage d'air, son type d'occupation, les manières de dormir.
Architecte et décorateurs ont fixé son emplacement, coloré ses murs, l'ont tapisséee, ornée, meublée de styles variables. Le lit, antre du sommeil, autel de l'amour, tabernacle de la génération, a suscité une attention particulière, dans sa matérialité et ses pratiques, notamment le temps qu'on doit y passer. La chambre-boîte condense les soucis, voire les obsessions d'une société. L'ordre de la chambre reproduit l'ordre du monde dont elle est la particule élémentaire.
Il y a bien d’autres portes à ouvrir, d’autres chambres à inventorier, dont chacune aurait pu faire l’objet d’un livre. Celui-ci est une invitation au voyage.
La chambre ouvre sur le rêve qui la subvertit, la fuit. Il se dissout en la retrouvant au réveil, quand le dormeur, tel le nageur abordant au rivage reprend pied enfin.
[PODCAST] Au théâtre, le crime politique trouve son illustration dans la tragédie. de l'antiquité jusqu'à nos jours, les mises en scènes successives dotent les drames d'antan d'un sens nouveau.
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Modérateurs :
Sylvain BELLENGER, historien de l'art, alors directeur du château et conservateur des musées De Blois
Maurice SARTRE, professeur d'Histoire ancienne à l'université de Tours.
Participant·e·s :
Gérard FONTAINE, philosophe spécialiste d'esthétique et d'opéra
Gildas LE BOTERF, alors directeur de la Scène nationale de la Halle aux grains
Claude MOSSÉ, historienne spécialiste de la cité grecque à l'âge classique
Anne UBERSFELD, historienne du théâtre
Débat issue de la première édition des Rendez-vous de l'histoire, en 1998, sur le thème "Crime et Pouvoir".
© Sylvain Bellenger, Gérard Fontaine, Gildas le Boterf, Claude Mossé, Maurice Sartre, Anne Ubersfeld, 1998.
Nous cherchons à entrer en contact avec les ayants droit de Gildas le Boterf, Claude Mossé et Anne Ubersfeld : écrivez-nous à l'adresse archives@rdv-histoire.com si vous avez des informations.
Voix du générique : Michel Hagnerelle (2006), Michaelle Jean (2016), Michelle Perrot (2002) https://rdv-histoire.com/
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