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EAN : 9782246406815
272 pages
Grasset (18/10/1989)
4.25/5   6 notes
Résumé :

Pendant deux siècles, entre 1600 et 1800, les grandes vedettes de l'opéra étaient des chanteurs au sexe hybride, hommes par la naissance, femmes par la castration. Ils étaient formés dans les conservatoires de musique de Naples, d'où ils partaient ensuite chanter dans les grands théâtres d'Europe, remportant des triomphes et déchaînant des passions. Patrick Barbier retrace pour la première fois les av... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Ecrit en 1989, le livre de Patrick Barbier n’a rien perdu de son intérêt ni de sa pertinence, pour ceux qui aiment ou s’intéressent à la musique d’une manière ou d'une autre ou qui veulent découvrir la musique baroque, en particulier. Cette Histoire des castrats que m’a fournie un ami musicien, à l’ouverture de la saison des concerts et des festivals, m’a semblé, au-delà des développements artistiques, historiques et sociologiques richement documentés, un vibrant rappel à la mémoire de ces chanteurs d’exception aux voix à tout jamais disparues ; c’est également un texte qui, en exhumant quelques obscénités, sarcasmes et autres cruautés qui se sont exercés à l'encontre d'individus, adulés par certains et jugés anormaux ou monstrueux dans le pire des cas par d'autres, pointe la force et la permanence de préjugés récurrents dans toute société.

Comme bien souvent dans ce type d’histoire, des contours assez flous président aux origines du phénomène qu’il s’agit d’analyser et d’amener à la connaissance du public. Le lecteur sera donc satisfait qu’on lui présente d’emblée un premier chapitre consacré à la castration, geste chirurgical compris, décidant du (plus ou moins triste) sort réservé à ces enfants, condamnés à la plus cruelle des solitudes en cas de ratage, ce qui était courant chez les barbiers chirurgiens du XVIIe siècle, comme on s’en doute. Extrême solitude de beaucoup d’autres, parmi les plus connus, malgré les conquêtes féminines, ainsi que l’illustre le chapitre des relations entre les castrats et les femmes.

Des méthodes et des pratiques connues depuis la nuit des temps, certes. Pour ce qui est de la castration à des fins musicales, il semble bien que l’Espagne, en avant-coureur (au contact de la culture du harem), ait pu fournir à quelques eunuques chanteurs, convertis, le cadre d’une migration possible vers des chœurs de chapelles, afin d’y exploiter leurs talents vocaux. A la Chapelle papale, les chœurs furent longtemps espagnols bien avant la fin du XVIe siècle, date à laquelle la castration se répand dans la plupart des états de la péninsule italienne et y perdure tout le XVIIe jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, au moment où s’amorce le déclin du goût pour les castrats et surtout, au moment où les femmes seront autorisées à chanter dans les églises et à tenir les partitions de sopranos à l'opéra.

Panorama de la vie musicale profane et sacrée, aux XVIIe et XVIIIe siècles donc, où l’Italie occupe une position majeure. Parmi les villes italiennes concernées, Naples, par la présence de quatre conservatoires et la création précoce, en 1737, du théâtre San Carlo, et Rome, par le rayonnement de la création musicale et vocale à la Sixtine, mais aussi Venise et Florence, initient la folie baroque qui va se propager dans toute l’Europe. Ecrit dans un style qui en rend la lecture très attrayante, le livre rend compte également de destins de castrats italiens – parmi ceux qui furent les plus célèbres comme Caffarelli, Pacchariotti ou Farinelli et de nombreux autres –, et aborde la question des origines sociales et géographiques, ou celle des motivations des familles de ces jeunes garçons, ainsi que celle de leur formation et de leur recrutement hypothétique ; leurs déboires, pour ceux dont la voix, si elle n’a pas mué n’en est pas devenue pour autant une voix d’exception (ils n'auront souvent pas d'autre choix que celui de la prêtrise, un paradoxe quand on connaît la position de l'Eglise à leur égard), leurs succès ou leurs aventures tantôt romanesques, tantôt tragiques, sont évoqués.

L’histoire des castrats est passionnante à plus d'un titre car, par delà les polémiques et les controverses qu’elle a pu susciter, depuis le XVIIe siècle et qui sont précisément chroniquées par l’auteur, elle permet également de s’immerger dans les mœurs et les goûts italiens contemporains. Elle révèle et souligne, par ailleurs, toutes les contradictions d’une société soumise aux diktats de ses modes et de ses engouements, ainsi qu’à l’obscurantisme et aux ambiguïtés de l’Eglise elle-même, condamnant d’un côté fermement cette mutilation, au nom du respect de l’intégrité des corps et qui, à la fin du XVIe siècle (Clément VIII, 1592-1605), recrute officiellement des castrats pour le chœur de la Chapelle pontificale. Les cathédrales et les maîtrises paroissiales, à sa suite, vont accueillir à bras ouverts, ceux qu’il est convenu d’appeler alors, les sopranistes, pour chanter à la gloire de Dieu ! L’exclusion des femmes du chant religieux d’abord, la condamnation de leur présence sur les scènes de théâtre et plus tard à l’opéra, peut être regardée comme un encouragement indirect à la pratique de la castration. La France, en concurrence avec l'Italie et cultivant ses propres standards lyriques, échappe à cette pratique, sans pour autant ignorer les castrats que Louis XIV, par exemple, apprécie beaucoup. Voltaire et Rousseau condamnent plus tard la castration.

La relation des rapports entre l’Eglise et les castrats est au moins aussi instructive que celle de la concurrence effrénée à laquelle se livrent les théâtres et les cours italiennes ou européennes, à grands renforts d’appointements et de cadeaux, pour séduire les chanteurs les plus en vue, et les détourner de leur chapelle. L’Eglise sera d’ailleurs la dernière à employer des castrats, longtemps après que l’opéra les ait définitivement relégués (au début du XIXe siècle, à l’avènement de l’opéra romantique). C’est Léon XIII qui signe en 1902, après bien des péripéties, l’ordonnance qui met fin à l’utilisation des castrats au Vatican. Le dernier d’entre eux, Alessandro Moreschi, part en 1913 et meurt en 1922, laissant un témoignage sonore techniquement trop médiocre pour se "faire une idée" de sa voix, achevant un cycle lyrique, inauguré trois siècles plus tôt par le premier castrat italien de renom lancé à la Chapelle pontificale en 1622, Loreto Vittori.

On ne s’ennuie pas une minute.

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Magnifique.
Ce livre s'adresse au "tout public". mélomane, historien ou pas, dès lors que nous nous intéressons à nos semblables. Il relate certes un long épisode de l'histoire de la musique, mais également un épisode de l'histoire de l'humanité. On en apprend énormément sur les origines de la castration en général, mais tout particulièrement sur la castration "à visée musi
cale ", en Italie, par conséquent. Il est étonnant de constater à quel point la population italienne, ceux qui en avaient les moyens bien sûr, s'est mobilisée pour faire "fleurir" ces fabuleux opéras. Émouvant aussi de suivre le parcours de ces garçonnet s. Comment ne pas leur pardonner leurs caprices, une fois devenus adultes ? Ce "droit aux caprices et à la grosse
tête", ne l'ont-ils pas, eux, gagné de hautes luttes ?
Une enfance qui commence par la séparation d'avec leurs parents, la castration pratiquée dans des conditions que je qualifie
d'épouvantables, une vie de labeur et de privations, et j'en passe. Leur vilaines manières m'ont bien amusée. Car primo, Je répète qu'il ont gagné ce "droit " de hautes luttes. Secondo, ils vont, eux, juqu'au bout de leur logique. Entre Velutti qui refuse purement et simplement de chanter alors que la princesse de Galles se trouve dans l'assemblée, ou Caffarellli qui invective son public,
force est de constater qu'en matière
d 'irrévérences, eux, ne sont pas sélectifs.
Le lecteur en apprendra beaucoup. L'origine de leur prénom, la position hypocrite de l'église, les effets spéciaux de l'époque, enfin, une mine d'informations. Je ferme ce livre et n'ai qu'un regret, c'est que tous ces castrats, qui peuvent aux yeux de certains lecteurs, paraître proprement antipathiques, n'aient pas tous été des Caffarelli, des Farinelli ou des Pasqualini. Ils le méritaient, pourtant. ..
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Les premiers castrats avaient été formés en priorité pour servir l'Eglise et faire carrière dans les maîtrises de cathédrales. Cela n'avait pas empêché certains d'entre eux de participer au tout nouveau mélodrame italien, dès l'Euridice de Peri en 1600, puis dans l'Orfeo de Monteverdi (1607) et l'Aretusa de Vitali (1620). Très vite le rêve de tout élève un tant soi peu brillant fut d'imiter l'exemple de ses aînés, en se persuadant que la gloire et la fortune dépendaient davantage des théâtres que des églises. La popularité croissante de la musique lyrique, le foisonnement des salles de spectacles, l'engouement du public et des impresari pour les voix de castrats avaient de quoi attirer des élèves longtemps enfermés dans le carcan des études et impatients de se lancer à l'assaut du paysage musical qu'on leur avait dépeint.
(p. 69)
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Une fois l'opération accomplie, la convalescence terminée et tout danger écarté, il restait à s'attaquer sérieusement aux longues études qui devaient faire d'un enfant à peine dégrossi un chanteur hors pair. c'était du moins ce qu'espérait tout parent, tout protecteur, conscient qu'à ce stade irréversible de la vie de l'enfant rien n'était vraiment gagné. La castration ressemblait à une loterie dont bien peu sortait vainqueurs : tandis que les heureux élus seraient reçus et admirés par les grands de ce monde, les petits, les ratés, n'auraient que leurs yeux pour pleurer au fond d'obscures chorales paroissiales. Certains castrats avaient en effet des voix atroces, aigres et stridentes ; Paisiello disait d'eux qu'ils avaient été castrés par "mauvais temps".
(p. 37)
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Une seule chose importe vraiment pour l'historien : la présence et le triomphe des castrats pendant près de deux cent trente ans sur les scènes européennes, et plus longtemps encore au sein de l'Eglise romaine. Les Italiens en furent bien entendu les promoteurs et les plus grands "consommateurs". Ils furent également ceux qui admirèrent et honorèrent le plus ces chanteurs hors du commun, qui correspondaient si bien à leur goût pour l'artifice, leur sens de la fête et leur quête des plaisirs sensuels. Le vocabulaire utilisé par les Italiens demeure certainement plus respectueux à leur égard : tandis que les Français se gargarisaient de "façonnés", "eunuques", "estropiés" ou "chapons", les Italiens préféraient parler de musico ou de virtuoso, se réservant le terme d'eunuco pour les jeunes castrats, élèves de conservatoires, sans lui conférer cette fois la moindre nuance péjorative. Très répandues furent aussi les appellations de primo uomo et de "sopraniste" qui s'opposaient à celles de "prima donna" ou de "soprano" féminin, tandis que le terme "castrat" (castrato) demeurait beaucoup plus courant à l'étranger qu'en Italie (p. 10).
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Nul n'en porta véritablement la responsabilité car personne ne l'exigea ni ne l'éleva en doctrine. Elle répondit à une mode, lancée en quelque sorte par la Chapelle pontificale puis répandue à travers les cathédrales et les églises italiennes par le biais des maîtrises : Clément VIII, nous l'avons vu, fut immédiatement subjugué par les sopranistes et il autorisa la castration "uniquement" ad honorem Dei (pour la gloire de Dieu). [...]
Un autre encouragement, indirect cette fois, fut l'interdiction, promulguée par Innocent XI et reprise par plusieurs de ses successeurs, de laisser monter des femmes sur les scènes de théâtre des Etats pontificaux : les rôles féminins devant impérativement être tenus par des hommes, les impresarii (entrepreneurs de spectacles) comprirent vite les énormes avantages vocaux et scéniques que présentaient les castrats par rapport aux falsettistes utilisés jusqu'alors, ou aux enfants, trop jeunes pour rendre l'expression des affetti (sentiments, passions), essentiels dans la musique baroque.
(p. 28),
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Beaucoup plus connue est la généralisation de la castration dans le monde arabe, par l'intermédiaire des eunuques de harem, ces "gardiens du lit" au sens littéral du mot, à qui revenait la responsabilité de la chasteté des femmes du sultan. Ce rôle à priori considéré comme humiliant n'empêchait pas un grand nombre d'entre eux d'accéder à de très hautes charges, et l'on sait que la Sublime Porte en faisait une consommation énorme, en particulier au Sérail de Constantinople. Peu avant la prise de cette ville, l'Empire byzantin avait été le premier à utiliser de façon notoire les eunuques chanteurs dans les églises, comme le raconte le canoniste Théodore Balsamon dans son Commentaire du Nomocanon, au XIIe siècle. Rien d'étonnant à cela lorsqu'on sait l'influence orientale profonde qui marquait les cérémonies byzantines, ainsi que l'importance considérable qu'y revêtaient la musique et le chant (p. 15).
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