Je ne suis pas grand amateur de pamphlet mais celui-ci est absolumment indispensable. Cela m'a fait du bien de voir que je n'étais pas le seul à halluciner devant la ricanerie généralisée à la télé, les blagues pas drôles, les vannes méchantes, les fous rires incompréhensibles et autres private jokes.
Cet essai a le mérite d'être très court, on peut le lire d'une traite facilement. Enfin rapidement surtout car comme souvent quand le sujet paraît un peu léger, l'auteur met le paquet pour montrer à quel point il est cultivé. C'est donc un petit ouvrage dense contenant beaucoup de références et nécessitant une solide culture philosophique, politique, populaire et quasiment historique car les humoristes plébiscités sont d'anciens soldats inconnus (pour ma part) du rire. Cette dimension satirique du rire du faible contre le fort, cette tradition de la caricature tient à coeur à François L'yvonnet. A contrario, la flagornerie est aujourd'hui tendance. Malgré ce qu'en dise les néo-humoristes qui se voient toujours comme des rebelles, il n'y a pas grand risque à courir si ce n'est être viré d'une radio pour revenir à la télé (Guillon). L'auteur déplore ce manque de « couilles » qu'il oppose au « rectum », l'humour gras d'un Bigard par exemple.
C'est donc le manque d'esprit qui chagrine le philosophe mais aussi le mélange des genres dans une modernité où les frontières s'effacent. Cela donne un côté réac au pamphlétaire nostalgique qui trouve que c'était mieux avant. Mais il est vrai qu'aujourd'hui tout est traité avec dérision : l'actualité (infotainment), l'éducation (edutainment), la philosophie avec des stars bourrées d'humour comme
Slavoj Zizek mais aussi la politique dont il est beaucoup question. D'après L'yvonnet, la politique est quelque chose de sérieux, les hommes politiques devraient donc rester sérieux pour qu'on les prenne au sérieux. Or c'est tout le contraire qui se passe. Il faut dire que le rire produit des liens très forts. Des amitiés, du respect mêlé de crainte peuvent facilement se créer entre politiques et néo-humoristes. Les politiques ont besoin de la présence et du buzz médiatique que suffisent à entraîner quelques bons mots et les humoristes de plateaux ont besoin des politiques, leur principale source d'inspiration, de fascination ou de dégoût.
La télévision notamment à désormais un tel pouvoir avec l'effet « vu à la TV » que certains politiques peuvent être pris dans ce piège du « bon client » comme l'avais concédé
José Bové. Ils sont comme des candidats de télé-réalité (
Obama à propos de Trump, qui fut la star de The Apprentice), ils comprennent vite ce qu'on attend d'eux : jeux de mots, petites phrases, gimmicks (karcher allo), lapsus (la fellation de Dati ou le gaz de shit de Fillon) et même contrepèteries (réservées aux initiés là par contre). Il faut qu'on comprenne tout de suite, que ce soit bref et choc comme un slogan. C'est pourquoi des publicitaires comme Séguéla ou
Ardisson font florès dans les médias ou en politique (« est-ce que sucer c'est tromper ? » demanda
Ardisson à Rocard, lequel ne fût pas choqué). Ce nouveau mix politicomique aura bientôt sa grand messe télévisuelle avec le Roast, importé des états-unis, où
Donald Trump avait montré toute son auto-dérision (indispensable) et sa coolitude. Toute une bande de comiques se moquait de sa coupe de cheveux, de sa femme ou de ses casseroles, comme dans les enfants de la télé. Car les politiques sont désormais des enfants de la télé, ils maîtrisent ses codes, son langage, surtout qu'il faut faire « jeune » et être copain avec Cyril Eldin ou Hanouna. Triste période où les bouffons et les rois ne font plus qu'un.