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EAN : 9782818038765
560 pages
P.O.L. (11/02/2016)
3.59/5   184 notes
Résumé :
Ce livre de plus de 500 pages réunit la plupart des articles écrits par Emmanuel Carrère depuis 25 ans dans la presse (du Nouvel Observateur à La Règle du jeu, en passant par Les Inrockuptibles ou XXI). Ces textes couvrent les sujets les plus divers : de l'amour à la politique, de la littérature au cinéma, de la société et des faits divers à l'intime. On y lit l'amorce de préoccupations qui donneront plus tard lieu à des livres, on y vit avec l'auteur, ses doutes, s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (27) Voir plus Ajouter une critique
3,59

sur 184 notes

Lorsque j'ai appris qu'Emmanuel Carrère s'apprêtait à publier un nouveau livre, j'ai été assaillie par un sentiment de jubilation... aussitôt tempéré par la découverte qu'il s'agissait non pas d'un roman - ou d'une forme littéraire qui s'en approchait -, mais d'un recueil d'articles de presse parus depuis les années 1990.
Un comble, cette réaction, pour quelqu'un dont l'un des auteurs cultes n'a écrit en termes de fiction qu'une trilogie à caractère fortement autobiographique, mais qui a publié tout au long de sa vie d'innombrables articles journalistiques que j'ai lus et relus avec passion, tant en raison de leur intérêt intrinsèque que de leur qualité stylistique. Je veux bien sûr parler de Jules Vallès, un écrivain dont la vie nourrissait l'oeuvre, et l'oeuvre était le ferment de son existence.

C'est donc finalement avec une certaine curiosité que je me rendis dès le jour de la sortie dudit recueil chez mon libraire, m'en saisit pour en lire les premières lignes et devinai alors que je ne lâcherais pas avant d'en avoir tourné la dernière page.

Emmanuel Carrère fait partie de ces écrivains pour qui l'écriture n'est pas un exercice qui trouverait sa place, aussi importante fût-elle, parmi d'autres activités qui ponctueraient leur vie. Ecrire est un acte constitutif de son existence et de son rapport au monde. Une expérience proprement existentielle qui lui permet de mieux comprendre, ou de tenter en tout cas de cerner la nature profonde de son être, y compris dans ce qu'elle peut peut-être avoir de commun avec celle de tout individu.
C'est bien ce qui rend ses textes si lumineux et si passionnants.
C'est ce qui fait aussi que son écriture transcende les genres et s'affranchit des contraintes formelles propres à chacun.

Ses articles ne sont donc pas étrangers à son oeuvre littéraire, bien au contraire. Ils l'éclairent, en portent parfois le germe et lui permettent de poursuivre sa réflexion sous une forme différente. On retrouve dans ces textes, formulées de manière explicite, les questions qui sont au coeur de ses livres et qui leur ont donné naissance, celles de la relation entre fiction et réalité, et de la place de l'écrivain au sein de son oeuvre.
Depuis L'Adversaire, on connaît l'obsession de Carrère ; écrire un roman tiré d'un fait divers dont le protagoniste est un homme qui a fait de sa propre vie une fiction illustre assez bien le peu de foi qu'il ajoute à la dichotomie fiction-réalité.
Qui est ce «je» que l'on emploie lorsqu'on parle ? A quelle vérité renvoie-t-il ? de même, qui est «je» lorsqu'un écrivain décide de s'exprimer à la première personne ? Quelle différence de nature entre le «je» de De Foe prétendant nous présenter les mémoires de Moll Flanders et celui de Primo Levi rapportant son expérience des camps ?
L'écrivain, quoi qu'il en dise, transparaît dans son oeuvre et il serait vain de croire le contraire : il est illusoire «de se draper dans [l]e rôle de témoin impartial et navré. [...] de n'avoir pas conscience qu'en racontant l'histoire on devient soi-même un personnage de l'histoire, aussi faillible que les autres.» (p.489)

Aussi Carrère a-t-il choisi d'assumer pleinement cette affirmation de soi. Dans cet extraordinaire récit qu'est le Royaume - qu'il commente fort à propos dans un article -, il retraçait l'histoire des apôtres Paul et Luc pour mieux approcher son propre cheminement et ne se privait pas, tout en déroulant le fil des événements, de faire ce qu'il nomme le «making-of» de son livre. Ce qui l'intéressait chez Luc, c'était de comprendre comment il avait retranscrit l'expérience de Paul rapportant les paroles et les actes de Jésus, qu'il n'avait lui-même pas connu. Autrement dit, Carrère ne faisait rien d'autre que s'interroger sur l'écriture de son propre livre, puisqu'il écrivait lui-même l'histoire de Luc écrivant l'histoire de Paul relatant la vie de Jésus. Paraphrasant Flaubert, il n'hésite pas à l'affirmer : «Luc, c'est moi».
Je ne sais pas ce qu'il en est de vous, mais, en ce qui me concerne, l'art de la mise en abyme porté à de tels sommets m'enchante littéralement !

Même lorsqu'il quitte le terrain de la littérature pour investir celui de l'histoire, c'est encore la question de la relation entre réalité et fiction qui le taraude. On connaît le vif intérêt qu'e Carrère nourrit à l'égard de l'expérience soviétique de la Russie. Il s'en explique clairement : dans un mouvement inverse à celui du roman, il s'est agi d'un moment où la fiction s'est imposée comme une réalité. Il rappelle les paroles bien connues d'un compagnon de Lénine : «Un vrai bolchevik, si le Parti l'exige, est prêt à croire que le noir est blanc et le blanc noir.». Combien de personnes dans le plus profond dénuement répétèrent alors les mensonges du gouvernement sur leur bien-être et leur prospérité qu'ils étaient sommés de croire ! C'est bien ce qui l'a fasciné, précise-t-il, comme d'autres écrivains, au point de dévorer des bibliothèques entières pour tenter de comprendre ce qui est alors arrivé à l'humanité.

Je ne saurais rendre compte de toute la richesse de ce recueil d'une intelligence exceptionnelle.
Je préciserais néanmoins que ces textes, soigneusement choisis, ordonnés et parfois commentés par l'auteur révèlent le cheminement d'un homme. L'éditeur a parfaitement raison de dire en quatrième de couverture qu'ils peuvent se lire «comme une sorte d'autobiographie». L'écrivain s'y dévoile jusque dans ses aspects les plus intimes et nous permet d'entrer dans les coulisses d'une oeuvre d'une rare profondeur. Celle d'un écrivain capable, en se plaçant au centre de ses écrits, de nous faire part d'une expérience humaine qui n'est pas forcément étrangère à la nôtre.


Lien : http://delphine-olympe.blogs..
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Si Emmanuel Carrère a abandonné depuis plusieurs années le genre littéraire romanesque, il possède encore une qualité de plume que pourraient lui envier quantités de romanciers francais.

La preuve avec ce "Il est avantageux d'avoir où aller", recueil d'articles de journaux parus entre 1990 et 2015, dans lequel il nous fait partager ses thèmes de prédilection.



Ces articles se suivent mais affichent pour autant un grand éclectisme. Et sur des sujets aussi divers que des chroniques érotiques, un article sur le tsunami d'autres sur la Russie post communiste ( un de ses sujets de prédilection, depuis Limonov; sa mère, historienne, est une éminente spécialiste de l'URSS.) ou encore une interview bien ratée de Catherine Deneuve ( mon préféré, une merveille d'autodérision et d'élégance), Carrère prouve qu'il n'a pas son pareil pour pour raconter les hommes et leurs vies, comme on l'avait pu déjà nous en rendre compte dans "D'autres vies que la mienne" "la classe de neige, "l'adversaire" et dans lequel il livre aussi par petites touches un vrai autoportrait .


Tout un registre d'émotions nous traverse lors de la lecture d'un recueil, dont peut étaler la lecture sur plusieurs semaines histoire de garder avec soi la prose de cet immense auteur qu'est Emmanuel Carrère.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Revue de presse.

Ce livre regroupe la quasi-totalité des articles rédigés par Emmanuel Carrère.

Emmanuel Carrère est l'un des mes auteurs préférés. Ce livre paru en 2016 est toutefois passé inaperçu chez moi. Je suis heureuse de l'avoir découvert car il m'a permis de découvrir la facette journalistique de Carrère.

Néanmoins, j'ai trouvé les articles variables. Certains sont excellents (les faits divers, préfaces de livres), d'autres ont suscités une impression de déjà-vu car Carrère les a repris pour écrire ses livres (les articles sur la Russie, sur le tsunami à Sumatra, l'affaire Romand...), enfin certains s'avèrent dispensables (Neuf chroniques pour un magazine italien, Davos, Catherine Deneuve).

Bref, ce livre n'est clairement pas un indispensable de la bibliographie d'Emmanuel Carrère, cependant il permet de faire un tour d'horizon de ses thèmes de prédilection.
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Parvenu à la fin de ce dernier livre d'Emmanuel Carrère, je me trouve dans la même perplexité qu'avec le précédent, "Le Royaume", mais pour des raisons différentes. D'abord, j'ai l'impression que ce recueil fourre-tout de chroniques diverses ne forme pas un livre nécessaire, qui ouvre une voie ou des voies au lecteur. Il est un peu fait avec des fonds de tiroir, des "making-of" de certains autres livres, des reportages disparates, intéressants pour certains, inutiles pour d'autres, comme s'il avait fallu publier un livre, quel qu'il soit, pour que le nom de l'auteur ne disparaisse pas du marché.
*
Deuxième cause de gêne : la langue de Carrère. Il écrit en journaliste qui aurait de la culture, ce qui est certes mieux que le tout-venant des journalistes, certes, mais qui n'est pas grand chose. Son style n'est pas fait que de clichés, cela se verrait ; à l'inverse, il n'évite pas systématiquement les clichés, ce qui le rendrait péniblement précieux : mais il écrit comme on parle dans son milieu, et le dialecte de ce milieu de semi-habiles, intellos bobos dira-t-on, passe sans examen ni filtrage dans sa prose. Donc, sa langue est - pour parler avec pédantisme - un sociolecte, le jargon d'un milieu, et on dirait qu'il n'y a pas réfléchi, qu'il ne s'est pas interrogé sur son instrument comme tout artiste le fait (dans le genre du reportage écrit, on pensera à Théophile Gautier ou à Henry James). On n'entend donc pas la voix vraie de l'écrivain Carrère, s'il existe.
*
Il faut dire que le milieu de Carrère n'a que peu à voir avec la littérature : c'est un mélange de journalistes, d'artistes à happening, et d'une tourbe mêlée qui pense par clichés, justement, et que fascinent les expériences-limite, ce qui sort du commun. Or la littérature véritable, c'est l'art de faire voir ce que le commun a d'extraordinaire, et un tour du monde en porte-containers est un sujet littérairement faible. On voit bien que Carrère, dans sa lettre à Renaud Camus, ignore ce qu'est la littérature. Comme pour tout le monde dans son milieu, elle n'est plus que le véhicule de préjugés politiques et non un travail sur le langage.
*
Dans ce fourre-tout, il y a bien sûr de belles réussites qui me font recommander la lecture de ce livre à titre de délassement : en particulier, tous les passages sur la Russie, et même le "making-of" de Limonov. Carrère (et par là, il se distingue quelque peu de son milieu) a des liens forts avec la Russie, et comme il parle russe, il a accès aux Russes réels, ce qui n'est pas fréquent en Occident.
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"Il est avantageux d'avoir où aller" (quel titre horrible...) est un livre curieux car je n'arrive pas à savoir à qui il s'adresse.
D'un côté, ceux qui veulent découvrir Emmanuel Carrère ne commenceront pas par cet ouvrage ci et de l'autre, ceux qui le suivent depuis longtemps trouveront un côté redondant à ce recueil.
En effet, il s'agit d'une compilation de tous ses articles et préfaces et une bonne moitié des matériaux que l'on y trouve a été réutilisée dans ses romans.
Les parties sur la Russie, sur Limonov, sur le tsunami, sur Jean-Claude Romand ont une grande odeur de déjà-vu et n'apporteront rien aux fidèles lecteurs d'Emmanuel Carrère, même si ça reste toujours un plaisir de le lire.
Parmi les restes, j'ai beaucoup aimé les chroniques judiciaires qui ouvrent le livre, la plupart des préfaces (qui m'ont donné envie d'acheter les livres), l'article sur Luke Rhinehart (auteur de "L'homme dé").
Bref, je ne sais pas si je dois conseiller ce livre ou pas mais personnellement je l'ai bien aimé malgré les redites (par rapport à ses précédents romans).
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critiques presse (2)
LaLibreBelgique
02 octobre 2017
Ne serait-ce pas la meilleure manière de tester toutes ces vies possibles qu’on pourrait vivre ? C’est le sujet du dernier reportage de ce livre passionnant qui est aussi, par un détour, un vrai autoportrait d’Emmanuel Carrère.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Telerama
10 février 2016
Chez Emmanuel Carrère, l'écrivain ne s'efface jamais derrière le journaliste. Ce que nous rappellent les articles réunis ici en un passionnant volume.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (35) Voir plus Ajouter une citation
L'espace d'un instant, j'ai cessé de me voir moi en train de m'empêtrer et de chercher en vain la bonne place, je l'ai vue, elle, et je suis- finalement, mais vraiment finalement, il m'a fallu du temps- d'accord avec Frédéric Mitterrand que j'avais appelé la veille du rendez vous et qui avec sa voix à lui, vous la connaissez, m'avait dit: " tu verras, elle n'est pas décevante".
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Quoi qu'il fasse, il sera lamentable, il ne pourra plus être que lamentable parce qu'un homme qu'on n'aime plus est lamentable, c'est tout. [...] Car c'est la chose la plus terrible du monde, le désamour, le moment où l'autre cesse de vous aimer et où on sait que c'est sans appel, sans merci, qu'on est plus rien, qu'on existe plus dans son regard ni sur terre ni même dans le regard de Dieu, si on y croit. C'est la chose que tout le monde redoute le plus au monde, qu'on est prêt à tout faire pour éviter ou repousser, parce que ça arrive fatalement un jour, je crois que ça arrive dans toutes les vies, à un moment ou à un autre, et que chacun est condamné un jour à tenir l'un ou l'autre rôle, l'un et l'autre rôle, et que le rôle de celui qui n'aime plus n'est même pas plus enviable que le rôle de celui qui n'est plus aimé.

(P205)
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(Sur Truman Capote, "De sang-froid", écrivant l'histoire vraie de deux assassins qu'il accompagne jusqu'au bout).

Capote aimait Flaubert. Il avait fait sien le voeu d'écrire un livre où l'auteur soit, comme Dieu, partout et nulle part, et il a accompli le tour de force de gommer entièrement de l'histoire qu'il racontait son encombrante présence à lui, Capote. Mais ce faisant, il racontait une autre histoire et trahissait son autre visée esthétique : être scrupuleusement fidèle à la vérité. Il rapporte tout ce qui est arrivé à Perry et à Dick (les deux assassins), de leur arrestation à leur pendaison, en omettant le fait que durant leurs cinq années de prison il a été la personne la plus importante de leur vie et qu'il en a changé le cours. Il choisit d'ignorer ce paradoxe bien connu de l'expérimentation scientifique : que la présence de l'observateur modifie inévitablement le phénomène observé - et lui, en l'occurrence, était beaucoup plus qu'un observateur : un acteur de premier plan.

p. 270
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(En Russie, lors d'une cérémonie).
Car la grosse dame en robe longue ou le petit monsieur en costume étriqué qui se mettent à chanter une chanson, avec tout leur coeur, chantent vraiment une chanson, ... et la vérité c'est qu'ils chantent magnifiquement. Par contagion, même le petit discours de l'économe du réfectoire en arrive à me toucher profondément. En y repensant par la suite, je dirais qu'une des choses qui me touchent là-dedans, c'est l'absence d'humour. Nous vivons, en France, sous le règne de l'humour et du second degré obligatoires. Il n'est pas un échange qui n'y soit soumis. Même un type qui reçoit une décoration mettra dans ses remerciements un peu de dérision, un petit ton Canal +, pour bien montrer qu'il n'est pas dupe. Ici, dans ce morceau d'URSS congelé et peut-être de Russie éternelle, ça n'existe tout simplement pas : même la joie, on la prend au sérieux. Surtout la joie.

p. 341
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Dans son rapport inaugural, le Forum, à propos de la mondialisation qu'il a symbolisée sous ses formes les plus conquérantes et sûres d'elles-mêmes, évoque avec un sens exquis de l'euphémisme "un risque de désillusion". Mais dans les conversations, c'est autre chose. Désillusion ? Crise ? Inégalités ? D'accord, si vous y tenez, mais enfin, comme nous le dit le très cordial et chaleureux PDG de la banque américaine Western Union, soyons clairs : si on ne paie pas les leaders comme ils le méritent, ils s'en iront voir ailleurs. Et puis, capitalisme, ça veut dire quoi ? Si vous avez 100 dollars d'économies et que vous les mettez à la banque en espérant en avoir bientôt 105, vous êtes un capitaliste, ni plus ni moins que moi. Et plus ces capitalistes comme vous et moi (il a réellement dit "comme vous et moi", et même si nous gagnons fort décemment notre vie, même si nous ne connaissons pas le salaire exact du PDG de la Western Union, pour ne rien dire de ses stock-options, ce "comme vous et moi" mérite à notre sens le pompon de la "brève de comptoir" version Davos), plus ces capitalistes comme vous et moi, donc, gagneront d'argent, plus ils en auront à donner, pardon à redistribuer, aux pauvres. L'idée ne semble pas effleurer cet homme enthousiaste, et à sa façon, généreux, que ce ne serait pas plus mal si les pauvres étaient en mesure d'en gagner eux-mêms et ne dépendaient pas des bonnes dispositions des riches. Faire le maximum d'argent, et ensuite le maximum de bien, ou pour les plus sophistiqués faire le maximum de bien en faisant le maximum d'argent, c'est le mantra du Forum, où on n'est pas grand-chose si on n'a pas sa fondation caritative, et c'est mieux que rien, sans doute "(vous voudriez quoi ? Le communisme ?"). Ce qui est moins bien que rien, en revanche, beaucoup moins bien, c'est l'effarante langue de bois dans laquelle ce mantra se décline. Ces mots dont tout le monde se gargarise : préoccupation sociétale, dimension humaine, conscience globale, changement de paradigme… De même que l'imagerie marxiste se représentait autrefois les capitalistes ventrus, en chapeau haut de forme et suçant avec volupté le sang du prolétariat, on a tendance à se représenter les super-riches et super-puissants réunis à Davos comme des cyniques, à l'image de ces traders de Chicago qui, en réponse à Occupy Wall Street, ont déployé au dernier étage de leur tour une banderole proclamant : "Nous sommes les 1%". Mais ces petits cyniques-là étaient des naïfs, alors que les grands fauves qu'on côtoie à Davos ne semblent, eux, pas cyniques du tout. Ils semblent sincèrement convaincus des bienfaits qu'ils apportent au monde, sincèrement convaincus que leur ingénierie financière et philanthropique (à les entendre, c'est pareil) est la seule façon de négocier en douceur le fameux changement de paradigme qui est l'autre nom de l'entrée dans l'âge d'or. Ça nous a étonnés dès le premier jour, le parfum de new age qui baigne ce jamboree de mâles dominants en costumes gris. Au second, il devient entêtant, et au troisième on n'en peut plus, on suffoque dans ce nuage de discours et de slogans tout droit sortis de manuels de développement personnel et de positive thinking. Alors, bien sûr, on n'avait pas besoin de venir jusqu'ici pour se douter que l'optimisme est d'une pratique plus aisée aux heureux du monde qu'à ses gueux, mais son inflation, sa déconnexion de toute expérience ordinaire sont ici tels que l'observateur le plus modéré se retrouve à osciller entre, sur le versant idéaliste, une indignation révolutionnaire, et, sur le versant misanthrope, le sarcasme le plus noir. (p. 439-441)
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Vidéo de Emmanuel Carrère
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/


Giuliano da Empoli est notre dernier invité. On se souvient, un an après, de son premier roman "Le mage du Kremlin", qui sortira en poche au mois de janvier et qui ne cesse de résonner avec l'actualité. le livre sera bientôt adapté au cinéma par Olivier Assayas et ce n'est autre qu'Emmanuel Carrère qui travaille à son scénario. Emmanuel Carrère et Giuliano da Empoli se retrouvent sur le plateau de la Grande Librairie pour nous parler de cette adaptation, mais aussi de la manière dont ils racontent la Russie à notre époque.
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