Avec ce roman paru en 2016, Roger Martin réalise une extraordinaire fresque historique qui éclaire une période lointaine mais qu'il faut connaître si l'on veut comprendre les drames du XXe siècle.
Pour cela, l'auteur de Dernier convoi pour Buchenwald a créé Romain Delorme et c'est son parcours qui va permettre au lecteur de vivre cette période très troublée avec un antisémitisme atteignant des sommets, entre 1890 et 1905.
Pour commencer, l'auteur fait un saut dix années plus tard en plongeant son héros dans les tranchées où il est commandé par le Lieutenant Louis Pergaud : « Pergaud, instituteur laïc, anticlérical affiché et socialiste, auteur de livres dont un avait obtenu un prix qui avait fait parler de lui à Paris… » le caporal Serge Lévy remplace Pergaud, blessé, et sauve Romain, sérieusement touché, qui découvre un juif courageux, perdant alors ses préjugés. Hélas, Pergaud et Lévy sont tués le 8 avril 1915 par les « canons de 75 de leur propre armée. »
De retour à Paris, Romain Delorme règle ses comptes avec son père. Il se souvient du 3 juin 1908, jour du transfert des cendres d'Émile Zola au Panthéon. Droite et extrême-droite rivalisent de violence. Nationalistes et royalistes hurlent : « Mort à Zola ! » Il ajoute : « Mais bon Dieu, il était déjà mort, ils ne le savaient donc pas ces abrutis ! » Lui revient alors en mémoire ce vers attribué à Fernand Desnoyers (1826-1869), s'en prenant au défunt Casimir Delavigne : « Il est des morts qu'il faut qu'on tue ! »
Le lendemain, la cérémonie officielle voit le gouvernement, autour du président Fallières, de Clémenceau, d'Alfred Dreyfus, de Mme Zola, de ses enfants et de Jeanne Rozerot, maîtresse de l'écrivain, rendre un hommage plein d'émotion et de tristesse à Émile Zola.
Remontent ensuite les souvenirs de la Commune avec des massacres ignobles avant un saut en 1934 et un antisémitisme toujours aussi virulent. Les nationalistes ont choisi : « Plutôt Hitler qu'un Front populaire », mot d'ordre du patronat. Comme les policiers à la retraite, il est temps pour Romain Delorme d'écrire ses mémoires…
1892 : son père exécrait Zola. Quand il décède : « Je n'assistais ni à la messe au Sacré-Coeur, cette monstruosité érigée à la gloire des assassins des communards, ni à l'hommage… » ajoutant : « il m'interdisait de lire Zola, le « bâtard vénitien », Maupassant « le vérolé », George Sang « la tabatière »… » C'est à ce moment-là, qu'il fait connaissance avec Louis Andrieux, ex-procureur, préfet, député, sénateur, journaliste, écrivain et père naturel de Louis Aragon.
Andrieux fait de Delorme un journaliste et un agent secret chargé de s'infiltrer dans les milieux d'extrême-droite et cela nous plonge dans un nationalisme à l'antisémitisme virulent. Sur les pas du marquis de Morès qui veut « nettoyer notre pays des juifs et des francs-maçons », il nous emmène chez les bouchers de la Villette, à Verdun, en duel contre le capitaine Mayer et dans des journaux comme La Libre Parole et le Petit Journal qui débordent de haine.
Avant de finir avec l'assassinat d'Émile Zola, Roger Martin fait le récit complet et détaillé des quarante jours de siège de ce qui restera Fort Chabrol… en plein Paris, durant l'été 1899, pendant le procès Dreyfus se passant à Rennes ! Sous la direction de Jules Guérin, ils publient L'Antijuif dans les locaux du Grand Occident de France.
Enfin, Henri Buronfosse, fumiste, couvreur, « catho sincère comme un croisé », hait juifs, francs-maçons, protestants, clame qu'il faut « fumer le bâtard vénitien. »
Émile Zola concentre les haines les plus féroces. Il fait front. « Inlassablement, il réclame la révision du procès Dreyfus pendant qu'on rivalise d'abjection contre les juifs »… jusqu'à ce 3 octobre 1940, Radio-Paris annonce une nouvelle loi signée par le Maréchal Pétain : « Loi portant sur le statut des Juifs… » On connaît la suite : « Ça ne finira donc jamais ! »
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