Faut-il placer
Il est des nôtres de
Laurent Graff dans la filiation littéraire de
la modification où
Michel Butor avait choisi d'articuler son roman autour du pronom personnel vous ou dans celle de
Mygale de
Thierry Jonquet qui utilise un tu assassin si déstabilisant ?
Comme le chantre du nouveau roman et le maître du polar
Laurent Graff, évite en effet le je facétieux ou un ll qui isolerait son personnage principal de ses contemporains pour lui préférer le on qui va associer bon gré mal gré ses lecteurs aux affres du héros ou plutôt de cet anti-héros. Ce choix stylistique est redoutable car comme l'indique
Camille Laurens dans son magnifique recueil
Quelques-uns qui fait suite au Grain des mots, ce petit mot est un pronom personnel, toujours assujetti, cet invariable aime la variété ; il ne désigne personne mais il remplace tout le monde. C'est le champion de la métempsycose. Il anime à lui seul les six personnes de la conjugaison, s'adaptant à chacune avec un sens aigu de la nuance. Plus loin elle ajoute qu'il est le miroir de l'homme. L'étymologie va plus loin puisque on dérive directement du latin homo.
On c'est donc l'homme, cet homme Jean dont on découvre la vie à la banalité abrasive. Calembredaine de la bedaine de la quarantaine qui éloigne inéluctablement la concrétisation des rêves de séduction. Cohabition plus que vie commune avec la mère de ses enfants dont il craint les foudres ménagères et recherche péniblement quelques attouchements hebdomadaires faute de mieux. Consommation rituelle d'un café matinal sur le comptoir du bar de la gare en attendant le train qui le conduira à son travail de bureau où l'ennui et la médiocrité se livrent à une lutte farouche en dépit de la tartufferie de la convivialité avec ses collègues. Préparatifs de vacances et arrêt sur l'aire d'autoroute.
Peu à peu vous sentirez la nausée vous envahir tant ces cascades de on vous infligent de ressemblances bon gré mal gré avec votre quotidien. Ce pronom personnel honni - on c'est un con entendais-je dire dans mon enfance - est-il le hérault de l'universel nivellement des espoirs romanesques vers le bas ? le "qu'en dira-on ?" et les "on dit" doivent-ils toujours avoir le dernier mot sur les "on ira où tu voudras, quand tu voudras et on s'aimera encore quand l'amour sera mort" ?
A la manière des contes à la courte paille de
Gianni Rodari,
Laurent Graff propose après cette immersion dans le banal, trois suites possibles, trois récits où brusquement une panne de réveil, un retard viennent tout changer à la façon d'un battement d'ailes de papillon qui entraînerait un ouragan. Jean devient tour à tour Achille, Ambroise puis Arsène qui tous trois verront leur vie modifiée dans le marc du café de la gare. le premier parce qu'il prendra son café dans la salle à côté d'une inconnue, le second parce qu'il remplacera le café quotidien par un whisky qui en appelera beaucoup d'autres, le dernier parce qu'il a renoncé à prendre son café et s'est mis à marcher vers on ne sait quoi.
A vous de voir au sortir de la lecture de ce court roman si vous préfereriez être Jean, Achille, Ambroise, ou Arsène mais ces quatres hommes vous hanteront comme ce sempiternel on hante le livre à la façon d'un bourdon de cornemuse dans la brûme des rêveries.
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