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Frédéric Roger-Cornaz (Traducteur)André Malraux (Auteur de la postface, du colophon, etc.)André Topia (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070387434
544 pages
Gallimard (24/06/1993)
3.8/5   1863 notes
Résumé :
"Ce n'était pas très gai, mais c'était le destin.(...) C'était la vie." Tel est l'amer constat que Constance Reid, alors âgée de 23 ans, porte sur son mariage avec Clifford Chatterley.
Ils se sont mariés en 1917 lors d'une permission de Clifford. Il est revenu du front en 1918, gravement estropié et condamné à la chaise roulante.
Si leur entente a toujours été plus intellectuelle que physique, l'incapacité de Clifford à satisfaire sa femme et à lui don... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (194) Voir plus Ajouter une critique
3,8

sur 1863 notes
Voici l'un de mes plus grands coups de coeur toutes catégories confondues.
N'ayons pas peur des mots, en signant ce roman, David Herbert Lawrence a écrit l'un des plus grands romans mondiaux du XXème siècle. Et dire que j'ai hésité longtemps avant de le lire m'attendant bêtement à être déçue. Quelle andouille !

C'est bigrement bien écrit, une sorte de verve anglo-saxonne douce-amère pas très distante de celle d'Oscar Wilde, et nombre d'épiphores (dédoublements de mots ou de morceaux de phrases éminemment porteurs de sens). Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, l'auteur nous livre avec une sensibilité lucide et une grande intelligence de la féminité, sa vision désabusée de l'humanité (dont Clifford semble être le symbole), mais pourtant pas totalement dénuée d'espoir comme le suggère la lettre de Mellors qui clôture le roman.

L'histoire pourrait éventuellement se résumer maladroitement comme suit. Dans la haute bourgeoisie un baronnet anglais épouse une belle écossaise, mais manque de chance se fait raccourcir sitôt après en cette fin de World War I. Notre brave Sir Cliffort Chatterley parvient à rester en vie mais mort dans sa moitié inférieure. Il se retranche dans le château familial de Wragby au coeur des vestiges de ce qui fut la légendaire forêt de Robin des Bois, depuis lors investie par des villages ouvriers et des mines bien plus noirs que l'âme du Prince Jean.

La pauvre Constance Chatterley, s'ennuie à mourir dans son donjon campagnard et les prétentions artistiques et scribouillardesques de son glorieux époux n'y changent rien. Alors elle arpente assidument la forêt qui jouxte le parc du château et tombe inévitablement sur un faux rustre, Oliver Mellors, ancien officier dans l'armée des Indes, réfractaire au milieu mondain et au franc-parler assassin. Ce personnage sans concession va fatalement attirer Lady Chatterley bien que notre garde-chasse patoisant et aux trois-quarts ermite se soit bien juré de ne jamais plus retomber dans les filets d'une femme...

Je vous laisse découvrir la suite si vous avez le bonheur de ne pas la connaître car j'aimerais tant avoir le bonheur de relire ce livre "pour la première fois". Il y a, de surcroît, une épaisseur insoupçonnée dans ce livre qui confine à quelques unes des trois grandes questions métaphysiques : D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?

Prenez plaisir, savourez fort et à pleins poumons cette oeuvre magnifique, du moins c'est mon appréciation, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Avertissement au lecteur. Cette critique ne porte pas sur un livre du rayon jeunesse.

Pour l'anecdote, lorsque j'ai voulu acheter le roman en cadeau pour un anniversaire, je ne l'ai pas trouvé au rayon littérature anglaise, en dépit de la présence d'ouvrages moins fameux de l'auteur, et le libraire m'as répondu le plus naturellement du monde, devant quelques bibliophiles interloqués, « ah mais c'est au rayon littérature érotique ! suivez-moi » #walkofshame.

***

« We fucked a flame into being ». J'ai lu que ce roman était sulfureux. Je me suis dit bon, dans le contexte de l'époque, une cheville qui dépassait et le Parquet de Paris était saisi, attendons de lire.
Quelle ne fut pas ma surprise, en découvrant qu'effectivement le roman n'avait pas volé sa réputation. Des années plus tard, Tennessee Williams, faisait d'ailleurs hurler le personnage de la mère chrétienne, dans La « Ménagerie de Verre » à l'encontre des lectures de son fils Tom :
« TOM: Yesterday you confiscated my books! You had the nerve to—
AMANDA: I did. I took that horrible novel back to the library—That hideous book by that insane Mr. Lawrence. But I won't allow such filth brought into my house!” 

Il fallut un procès dans les années soixante pour mettre fin à une censure de près de quarante ans en Angleterre. Nous ne devons ce chef-d'oeuvre de la littérature qu'à l'obstination d'un homme préférant sa liberté d'expression d'artiste à une carrière plus lucrative.
Dès 1929, un an après la parution du livre, et un an avant sa mort, David Herbert Lawrence se défendait point par point et alertait sur la vision « grise » et hypocrite de ceux qui condamnent l'érotisme, dans son essai testamentaire « Pornographie et obscénité », renvoyant du côté de la publicité la vision dégradante, dissimulée et honteuse de la sensualité. L'écrivain recommandait notamment « une attitude fraiche et naturelle, sans complexe, envers le sexe » comme « le seul remède à l'heure où nous pataugeons, plus ou moins ouvertement, dans l'inondation pornographique. ».

On pourrait ajouter, pour abonder dans le sens de l'auteur, que nous vivons dans une époque soit hypocrite, soit schizophrène : les interdits moraux de notre société (adultère, plaisirs sexuels, prostitution, libertaires, révolutionnaires, fumeurs de cannabis…) sont précisément ceux qui sont célébrés à longueur de temps par la littérature, la peinture, le cinéma, la musique, les séries télé, la publicité, les célébrités…De Madame Bovary à Pretty Woman ou Titanic, de Bob Marley à Che Guevara.

***

Le personnage, Constance Chatterley, fait montre de cette fraicheur chère à l'auteur britannique, elle cherche d'abord à prendre du plaisir d'une façon presque ingénue. Elle ne porte pas la chape de plomb morale des gens de son temps et fait peu de cas des conventions sociales, qu'elle n'ignore cependant pas. Ce n'est pas un esprit provocateur ou pervers, en réalité sa quête de plaisir, elle la mène par simple « bon sens ». C'est avec amusement que je me remémore ce mélange de candeur et de pugnacité qui fait son caractère.

Puis il y a l'amant de Lady Chatterley. Mais lequel ? Car l'histoire est un petit peu plus complexe, et heureusement, que ce que suggère le titre. Il y a l'amant d'avant le mariage de Constance avec Sir Clifford, puis l'amant de la bonne société, Michaelis, aux moyens duquel elle doit chercher son plaisir par ses propres audaces, et c'est d'ailleurs l'occasion de pages sur la jouissance féminine proprement inéditeset enfin l'Amant (il n'est pas de la Chine du nord, mais du comté de Tevershall) : Oliver Mellors le « game-keeper ».

C'est là que le second sujet se superpose à la quête de jouissance, à la naissance du sentiment amoureux, c'est la transgression seconde, l'aristocrate qui s'éprend du garde-chasse. Car là sont bien les deux transgressions du roman de Lady Chatterley. L'adultère n'en est pas un dans cette oeuvre, la proposition de Clifford, impuissant, à Constance en témoigne. Il lui propose d'être en quelque sorte en couple libre, lui souhaitant d'avoir une vie épanouie, et soulignant que la vie à deux sur le long terme ne peut être menacée par quelques relations sexuelles avec un tiers, cela ne compte pas.

La transgression de classe est reflétée par les nombreux échanges entre les personnages qui sont l'occasion pour Lawrence de livrer son analyse sociologique et sociétale de l'Angleterre d'entre-deux guerres. Sir Clifford aime faire la conversation à sa femme. de ces conversations émergent deux positions, Clifford est pour un ordre immuable, et pour la persistance des classes sociales et des apparences, on se demande d'ailleurs s'il n'a jamais vraiment aimé sa femme pour ce qu'elle est, quand Connie n'est pas seulement libérale, mais libertaire. Si elle a l'impression de dépérir à Wragby, le domaine du couple, elle reste pleine d'espoir et va se construire dans les bois, dans ce retour à la nature, loin des mineurs et de l'industrialisation des masses qui la dégoûte, où elle retrouve Mellors, comme immuable.

Le personnage n'est pas le garde-chasse du coin avec son accent à couper au couteau et son dialecte local. Sous ses faux airs sauvages, c'est un homme raffiné, qui a grandi avec les livres, mais qui est devenu narquois et un peu aigri, nous pourrions dire : nihiliste. Il est toujours celui qui contraste avec ses empressements, il la calme, sans la freiner. Connie certes est empressée et enthousiaste mais elle n'est ni capricieuse, ni immature. Elle observe les faits, elle est ingénieuse, et pour elle tout problème a une solution, c'est d'ailleurs elle qui prend le leadership de leur relation. Et quand ils ne font pas l'amour ils en parlent.

Il y a des scènes qui prêtent à sourire, quand Connie observe avec gourmandise « l'amant » – en fait elle le « mate » - en pleine toilette, torse nu dans son modeste jardin (façon « Samantha Jones ») ou encore lorsqu'elle juge son corps, face au miroir (dans une scène qui rappelle anachroniquement Meryl Streep dans « Sur la Route de Madison »).
Roman moderne et plus subtil qu'il n'y parait, pas seulement la diapo d'une Angleterre en pleine industrialisation, d'une femme assumant son plaisir, mais toute la nuance d'une rencontre loin du romantisme mielleux, une rencontre physique des corps, une rencontre des atomes, des phéromones, où l'on dit des bêtises, où l'on se contredit, où l'on doute aussi de ses sentiments, où l'on pense aussi pendant qu'on jouit, où rien n'est automatique : c'est un roman réaliste.

***

“Sex is just another form of talk, where you act the words instead of saying them » D.H Lawrence, qui inspirera la littérature libertine du XXème siècle, d'Anaïs Nin à Henry Miller, est l'exact opposé De Lamartine en ce sens que le sexe est premier alors qu'il est absent chez Lamartine. Mais ce n'est pas une vision hédoniste du sexe à la Kundera ou une vision jugée morbide, par Michel Onfray notamment (Théorie du Corps Amoureux, le Souci des Plaisirs), chez Sade ou Bataille. C'est encore autre chose, une quête du plaisir réciproque et de la jouissance commune des amants, de la découverte des corps et des sens avec pudeur mais sans crainte de nommer les choses, de donner voix au chapitre du désir. On va, comme rarement en littérature, aux confins d'une intimité, d'une altérité, sans pour cela être dans la surenchère du fantasme ou de la perversion. C'est l'intimité nue, pour ce qu'elle est, sans plus.

“I can't see I do a woman any more harm by sleeping with her than by dancing with her...or even talking to her about the weather. It's just an interchange of sensations instead of ideas, so why not?” Il y a une approche plus candide que séductrice. Quelque chose de naïf, spontané, de « normal » et un refus de toute psychanalyse autour du sexe. Tout ne tourne pas autour du « it » ou « ça » freudien.

Le style de Lawrence est plutôt simple. Il y a quelque chose de maladroit, de répétitif, parfois certains passages vous tomberont des mains, mais aussi quelque chose de direct, de fluide, on passe du monologue intérieur au dialogue ou à la relation épistolaire sans transition. Sa technique c'est la réécriture du roman dans son entier, plusieurs fois (il existe en effet plusieurs versions publiées).
Pour ces raisons-là, celles et ceux qui ont un petit niveau d'anglais ou « wordwise » sur leur liseuse, la version anglaise est assez facile à lire. J'attire votre attention sur certaines traductions qui ont fait le choix (j'ai pu le vérifier) de traduire certains mots, volontairement familiers, dans un langage plus neutre ce qui me semble dénaturer pour partie les personnages. Dans la version originale, Mellors parle un « patois » local et certains choix d'éditeurs le font s'exprimer dans une langue tout à fait courante ce qui trahit le roman car ce n'est pas un hasard si le garde-chasse s'exprime – parfois – dans ce dialecte et ce n'est pas neutre pour ses interlocuteurs.

« The world is supposed to be full of possibilities, but they narrow down to pretty few in most personal experience. » Se glisse aussi une réflexion sombre de l'auteur sur la modernité industrielle et sur les inégalités que répète la modernité, une charge contre les machines, contre une jeunesse, celle des années folles, corrompue par l'argent et le consumérisme « the young ones get mad because they've no money to spend. Their whole life depends on spending money, and now they've got none to spend […] If you could only tell them that living and spending isn't the same thing!”

C'est aussi le roman du désir féminin, tant et si bien qu'une lectrice me confiait avoir d'abord cru que l'auteur était une femme. Dans cette capacité à comprendre la femme dans ses ressorts les plus singuliers, qui en fait un auteur profondément intriguant, peut-être que D.H Lawrence « sort du bois ». Car paradoxalement, si son héroïne est une femme, c'est sur le corps de Mellors, sur son charme que s'attarde le plus l'auteur. Ce sont les descriptions des hommes, notamment Clifford et Mellors qu'il réussit le mieux, comme s'il était séduit avec Connie du corps blanc et sec, des cheveux rougeoyants et des reins sculptés du garde-chasse.

Pour ma part, j'avais condamné depuis longtemps l'éclosion de cette « flamme de pentecôte », mais c'est un roman qui va vers la lumière, alors même que son auteur vit ses derniers mois, emporté par la tuberculose à quarante-quatre ans. C'est formidablement émouvant et, en repensant à « John Thomas » et « Lady Jane » je me réjouis bien de mon erreur.
“il n'y a pas d'amour heureux” écrivit Aragon. C'est beau mais c'est faux.

***
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Quelle pure merveille !
Je rejoins totalement les avis précédents sur ce magnifique livre de D.H. Lawrence !

Nous suivons la vie de l'héroïne de cette histoire, Constance, devenue Lady Chatterley après avoir épousé Clifford Chatterley. Ce dernier est revenu brisé et handicapé de la guerre et doit désormais vivre en fauteuil roulant, totalement dépendant de sa femme.
Dans ce quotidien ennuyeux, Constance est donc à la recherche d'un Idéal, qu'elle finit par trouver dans les bras du garde-chasse de son mari, Oliver Mellors. La tension est d'ailleurs permanente jusqu'à la dernière page ; en effet, la Lady se retrouve face à un choix difficile : une existence morne mais indépendante si elle choisit Clifford ou bien une totale liberté mais une déchéance sociale du côté de Mellors... Il s'agit donc avant tout d'une grande histoire d'amour racontée par Lawrence, et qui ne peut que séduire le lecteur.

Toutefois, derrière l'intrigue amoureuse se cache une dimension symbolique. Ainsi, chaque personnage représente une caractéristique de l'Angleterre de ce début de siècle : Clifford symbolise l'échec, puis la chute de la bourgeoisie ; Constance représente les espoirs d'une société traumatisée par la guerre. Enfin, Mellors est d'une certaine façon le porte-parole de l'auteur, s'interrogeant toujours sur des questions essentielles à cette époque, comme les inégalités entre ouvriers et patrons ou encore la part croissante de l'argent dans la mentalité des Anglais...

Ainsi, ce roman est complet, mêlant amour et réflexion, mais quoi qu'il soit, j'en garderai un excellent souvenir, charmée par des personnages que je n'oublierai sans doute jamais...

A lire absolument !
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Braconner le garde-chasse !
Lady Chatterley étouffe de bienséance. Son Clifford est revenu de la Grande Guerre la nouille en berne. Passer ses journées dans la campagne anglaise austère à regarder pousser les fleurs et à nourrir les pigeons, c'est voir sa vie faner avant l'automne. Pour une jeune femme qui a connu les plaisirs charnels avant son mariage grâce aux échanges Erasmus de l'époque, le feu s'éteint mais les braises ne demandent qu'à se raviver. Gare aux tisons.
Constance prête l'oreille et le reste de son anatomie à ses instincts et il n'y a pas que son Lord Cocu qui va en faire les frais. Son auteur aussi. La publication du livre de D.H Lawrence est un roman à elle toute seule. Publié sous le coude et sous la ceinture en 1928, il n'est offert en version intégrale aux lectrices anglaises empourprées qu'en 1960 après un procès retentissant. La victoire du désir féminin.
Insatisfaite, la Lady agrémente donc ses balades dans les bois d'une relation passionnée avec le garde-chasse du domaine et l'auteur décrit de façon explicite la volupté et l'échange de virus. La galinette qui traque le sanglier. le vocabulaire est brut mais ce n'est pas du Rabelais. Chocking dans le cottage ! Gode save the Queen dirait San Antonio. Une aristocrate qui s'encanaille avec la classe ouvrière.
Le mari souhaite une descendance et suggère à la Lady de se dégoter un reproducteur mais ce dernier doit être de la bonne société et il proscrit toute tentation de passion. Dépossédé de ses attributs, l'impuissant tente d'intellectualiser la chose pour la négliger, mais il est débordé par les forces de la nature. Une force de la nature, surtout.
Tout le monde connait Lady Chatterley, pas seulement les petits futés qui ont reluqué en cachette les adaptations érotiques sur le petit écran avec Sylvia Kristel ou Edwige Fenech. J'ai des noms. En revanche, personne ne se souvient du nom de l'amant du titre. Ce n'est pas innocent. L'auteur a voulu en faire avant tout un sexe, un phallus d'or, graal pour cette jeune femme mariée. Peu importe l'emballage. Là est la transgression. Au diable les convenances.
D'ailleurs, je trouve que le roman perd un peu de sa force quand on découvre qu'Oliver Mellors, nom de l'étalon, dispose d'un passé militaire et d'une culture littéraire cachée sous ses apparences d'homme des bois qui coupe le bois torse nu. C'est pas Charles Ingalls. D.H Lawrence tente de rationnaliser la mystérieuse chimie de l'attirance entre deux êtres que tout oppose.
Ce roman est un authentique chef d'oeuvre. Les personnages ne sont pas sympathiques mais ils débordent de vie. Au-delà des galipettes, je n'ai jamais lu de pages qui décrivent aussi bien les sensations amoureuses. Pas les sentiments, les sensations. 50 nuances de volupté dans le grès. La verve de la verge si j'osais. C'est fait. Je ne peux que conseiller la lecture de ce livre en lieu et place de cette littérature érotique discount qui pollue les rayons des librairies avec des couvertures ridicules qui ressemblent à des pubs de lingerie pour la Saint Valentin.
La postérité tend à négliger l'arrière-plan du roman mais D.H Lawrence n'est pas tendre avec l'industrialisation à marche forcée de son temps. le récit ne se limite pas à l'exploration des fourrés et aux tasses de thé entre gens de bonne compagnie. Je n'aime pas la marmelade et les ombrelles.
Le bouquin à offrir à une femme mariée…mais pas la sienne !
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« C'est pourquoi je crois à notre petite flamme fourchue. »
Ainsi parlait Mellors, l'Homme des Bois, pour décrire sa relation passionnelle et charnelle avec la belle aristocrate Lady Chatterley. Trois mots à la fois modestes et ravageurs. Trois mots fortement suggestifs et païens…
Tout est confrontation brutale dans ce roman ! L'impuissance et la froideur du Maître de Wragby s'oppose à la sensualité et la force érotique dégagé par Mellors. le corps sec et maigre de Lady Chatterley qui, au contact de l'Homme des Bois, soudainement s'épanouit pour devenir gracieux et svelte. La forêt, dernier refuge de liberté, de beauté et de sauvagerie qui recule inexorablement face aux destructions du monde industrialisé enfantant des paysages lugubres et des hommes émasculés, sans force, davantage objets qu'hommes.
L'amour irraisonné entre la belle Connie et Mellors balaiera tous les obstacles : les pesanteurs sociales, la différence de classe, la peur du scandale, les douloureux coups d'épingles des commérages et du « qu'en dira-t-on ». Un véritable hymne à la vie !
Pour décrire les relations amoureuses, les termes sont parfois crus mais toujours d'une extraordinaire poésie. Elles subliment la passion qui unit nos deux héros. Ils avancent main dans la main, le nez dans les étoiles, ignorant la médiocrité et la petitesse d'esprit de leurs congénères.
Qui n'a pas connu ces moments de grâce où l'amour rend aérien et invulnérable, qu'on ne cesse durant toute une vie d'essayer de revivre?
Un livre à lire et à relire.




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Citations et extraits (341) Voir plus Ajouter une citation
Nous vivons dans un âge essentiellement tragique ; aussi refusons-nous de le prendre au tragique. Le cataclysme est accompli ; nous commençons à bâtir de nouveaux petits habitats, à fonder de nouveaux petits espoirs. C'est un travail assez dur : il n'y a plus maintenant de route aisée vers l'avenir : nous tournons les obstacles ou nous grimpons péniblement pardessus. Il faut bien que nous vivions, malgré la chute de tant de cieux.
Telle était à peu près la situation de Constance Chatterley. La guerre avait fait écrouler les toits sur sa tête. Et elle avait compris qu'il faut vivre et apprendre.
Elle avait épousé Clifford Chatterley en 1917, pendant une permission d'un mois qu'il avait passée en Angleterre. Ils avaient eu un mois de lune de miel, après quoi il était reparti pour le front des Flandres. Et six mois plus tard, il était ramené en Angleterre plus ou moins en morceaux. Constance, sa femme, avait alors vingt-trois ans ; lui, vingt-neuf.
Il avait une merveilleuse emprise sur la vie. Il ne mourut pas ; ses débris semblèrent se rejoindre. Il resta deux ans entre les mains des médecins. Puis on le déclara guéri, et on le renvoya à la vie avec la moitié inférieure de son corps, à partir des hanches, paralysée pour toujours.
C'était en 1920. Ils retournèrent, Clifford et Constance, chez lui, à Wragby Hall, le domaine de famille. Son père était mort, Clifford avait hérité du titre ; il était Sir Clifford, et Constance était Lady Chatterley. Ils vinrent commencer la vie en commun dans le château, un peu à l'abandon, des Chatterley, avec un revenu un peu insuffisant. Clifford avait une sœur, mais elle était partie. Il n'avait pas d'autres parents proches. Son frère aîné était mort à la guerre. Estropié pour la vie, sachant qu'il ne pourrait jamais avoir d'enfants, Clifford revint aux fumeux Midlands pour faire vivre, tant qu'il le pourrait, le nom de Chatterley.
Il supportait assez allégrement son sort. Il pouvait aller et venir dans une petite voiture qu'il manœuvrait lui-même, et il en avait une autre, avec un moteur, pour se promener lentement dans le beau parc mélancolique dont il était en réalité si fier malgré les airs détachés qu'il se donnait en en parlant.
Il avait tant souffert que sa capacité de souffrir s'était quelque peu épuisée. Il restait étrangement vif, et joyeux, et presque gai, avec son beau teint, son air de santé, ses yeux bleu clair, brillants et provocants. Il avait de larges et fortes épaules, des mains puissantes. Il était coûteusement vêtu, portait de belles cravates de Bond Street. Et pourtant sur son visage perçait encore le regard qui épie, l'air un peu absent de l'estropié.
Il avait été si près de perdre la vie que ce qu'il lui en restait lui était merveilleusement précieux. On lisait clairement dans l'inquiet éclat de ses yeux l'orgueil d'être encore vivant après une telle aventure. Mais il avait été si touché qu'en lui quelque chose était mort ; quelques-uns de ses sentiments avaient disparu ; il y avait comme un vide d'insensibilité.
Constance, sa femme, était une belle fille saine et campagnarde avec des cheveux doux et bruns, un corps solide, et de lents mouvements pleins d'une énergie peu commune. Elle avait de grands yeux étonnés, une voix douce et moelleuse, et semblait venue tout droit de son village natal. Ce n'était nullement le cas. Son père était le vieux Sir Malcolm Reid, membre de l'Académie royale de peinture, qui avait eu son heure de célébrité. Sa mère avait été un des membres cultivés de la Société Fabienne, en ces beaux jours un peu préraphaélites. Au milieu d'artistes et de socialistes cultivés, Constance et sa sœur Hilda avaient reçu ce qu'on pourrait appeler une éducation esthétiquement sans conventions. On les avait menées à Paris, à Rome, à Florence, pour leur faire respirer une atmosphère d'art ; et on les avait menées aussi ailleurs, à La Haye et à Berlin, aux grands congrès socialistes où les orateurs parlaient toutes les langues civilisées et où personne ne s'étonnait de rien.
Ainsi les deux jeunes filles, dès leur enfance, avaient vécu à leur aise parmi les théories d'art et les spéculations politiques. Elles étaient à la fois cosmopolites et provinciales, de ce provincialisme cosmopolite qui distingue l'art quand il s'allie à un pur idéal social.
À l'âge de quinze ans, on les avait envoyées à Dresde pour étudier la musique entre autres choses. Et elles s'y étaient bien amusées. Elles vivaient librement parmi les étudiants, elles discutaient philosophie, sociologie et art avec les hommes ; elles valaient bien les hommes ; elles valaient plus qu'eux puisqu'elles étaient femmes. Elles partaient en balade dans les bois avec de solides jeunes gens qui portaient des guitares. Elles chantaient les chants des Wandervögel ; elles étaient libres ! Libres ! C'était le grand mot : libres de courir le monde, de parcourir les forêts matinales, avec de vigoureux jeunes gens aux belles voix, libres de faire ce qu'elles voulaient et, surtout, de dire ce qu'elles voulaient. C'était la conversation qui comptait le plus, l'échange passionné de paroles ! L'amour n'était qu'un accompagnement.
Avant d'atteindre dix-huit ans, Hilda et Constance avaient toutes deux essayé de l'amour. Les jeunes gens avec qui elles causaient si passionnément et chantaient si joyeusement et campaient sous les arbres avec tant de liberté, désiraient, cela va sans dire, aller plus loin. Les jeunes filles hésitaient ; mais on avait tant discuté l'amour, on avait tant déclaré qu'il était de première importance ! Et les hommes étaient si humbles, si implorants ! Pourquoi une jeune fille n'aurait-elle pas agi en reine, et fait le don d'elle-même ?
Ainsi elles avaient fait le don d'elles-mêmes, chacune au jeune homme avec qui elle discutait le plus subtilement, le plus intimement. La discussion était la plus grande chose ; l'amour, les rapports charnels n'étaient qu'une sorte de retour à l'instinct, une espèce de réaction. Ensuite, on aimait un peu moins le jeune homme, on avait une légère tendance à le détester comme s'il avait violé une intimité secrète, une liberté défendue. Car toute la dignité d'une jeune fille, toute sa signification dans l'existence ne consistaient qu'en l'accomplissement d'une parfaite, d'une pure, d'une noble liberté. Que pouvait signifier la vie d'une jeune fille sinon le rejet des anciennes et sordides relations entre sexes, de l'ancienne et sordide sujétion ?
Et, de quelque sentimentalité qu'on l'eût peinte, toute cette question de sexe était une des relations, une des sujétions les plus anciennes et les plus sordides. Les poètes qui l'avaient glorifiée étaient surtout des hommes. Les femmes avaient toujours su qu'il y avait quelque chose de meilleur, quelque chose de plus haut. Et maintenant elles le savaient avec plus de précision que jamais. La belle et fière liberté de la femme était supérieure à toute espèce d'amour sexuel ! Par malheur, le point de vue des hommes était si arriéré ! Ils s'entêtaient comme des chiens à vouloir l'acte sexuel.
Et la femme était bien forcée de céder. L'homme était comme un enfant plein d'appétits. Si la femme ne lui cédait pas, il ferait l'enfant, se rendrait insupportable, s'en irait en gâtant ce qui aurait pu être si agréable. Mais une femme pouvait céder à un homme sans céder son moi profond et libre. Les poètes, les gens qui parlent de l'amour ne semblaient pas en avoir assez tenu compte. Une femme pouvait prendre un homme sans s'abandonner vraiment. Au contraire, elle pouvait user de l'acte sexuel pour acquérir un pouvoir sur l'homme. Pendant l'acte physique, elle n'avait qu'à se retenir, laisser l'homme finir et se répandre, sans jouir elle-même. Et puis, elle pouvait prolonger l'étreinte et achever son spasme en ne faisant de lui qu'un instrument.
Quand la guerre éclata et qu'elles furent en hâte rappelées chez elles, les deux sœurs avaient eu toutes deux leur aventure amoureuse. Aucune n'avait jamais aimé un jeune homme sans s'être sentie très près de lui en paroles ; il leur fallait des conversations passionnantes. Le profond, l'extraordinaire, l'incroyable intérêt qu'il y avait à causer passionnément, heure après heure, jour après jour, pendant des mois avec un jeune homme vraiment intelligent ; voilà ce qu'elles n'avaient jamais imaginé avant d'en faire l'expérience ! La promesse paradisiaque : « Tu auras des hommes avec qui tu pourras causer », n'avait jamais été exprimée et elle s'était accomplie avant qu'elles eussent compris tout ce que contenait cette merveilleuse promesse.

1. Lors de l'offensive de 1917 dans les Flandres, les armées britanniques subirent de très lourdes pertes.

2. Midlands : région du centre de l'Angleterre dont la partie ouest, aussi appelée le Pays Noir, est une vaste zone industrielle qui s'est développée à partir du bassin houiller.

3. Bond Street : rue du centre de Londres, célèbre pour ses boutiques élégantes.

4. D'inspiration socialiste, mais rejetant toute action révolutionnaire violente, la Fabian Society, fondée en 1884, était ainsi nommée d'après le général romain Quintus Fabius Maximus surnommé « Cunctator » (« Temporisateur ») à cause de sa tactique essentiellement défensive contre Hannibal. Les Fabiens préconisaient une évolution progressive de la société et cherchaient avant tout à influencer les sphères gouvernementales en leur proposant des idées par leurs nombreux essais et pamphlets. Proches des premiers Trade Unions, ils contribuèrent à la création du parti travailliste. Parmi leurs membres les plus célèbres il y eut George Bernard Shaw, Keir Hardie, H.G. Wells, Sidney et Béatrice Webb.

5. Les préraphaélites : nom que se donnèrent en 1848 un groupe de peintres et de critiques très liés à Ruskin, parmi lesquels J.E. Millais, D.G. Rossetti et W. Holman Hunt. Ils voulaient revenir à la pureté de la peinture du Quattrocento contre ce qu'ils considéraient comme l'influence corruptrice de Raphaël.
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Comment élever une famille avec un salaire de vingt-cinq à trente shillings ? Les femmes sont les plus enragées ; mais ce sont aussi les plus enragées à la dépense, de nos jours. Si on pouvait seulement leur dire que vivre et dépenser ne sont pas la même chose ! Mais cela ne sert à rien. Si seulement on les avait élevés à sentir, au lieu de gagner et dépenser, ils se tireraient très bien d'affaire avec vingt-cinq shillings. Si les hommes portaient des pantalons écarlates, comme je l'ai dit, ils ne penseraient pas tant à l'argent; s'ils pouvaient danser et sauter et chanter et fanfaronner et être beaux, ils s'accommoderaient de très peu de monnaie; et s'ils savaient s'amuser eux-mêmes, et se laisser amuser par les femmes ! Ils devraient apprendre à être nus et beaux, et à chanter en masse et à danser les anciennes danses de caractère, et à sculpter les tabourets sur lesquels ils s'assoient, et à broder leurs propres emblèmes. Alors, ils n'auraient plus besoin d'argent. Voilà le seul moyen de résoudre le problème industriel: enseigner au peuple à vivre, et à vivre en beauté, sans avoir besoin de dépenser de l'argent. Mais c'est impossible. Il n'y a plus aujourd'hui que des intelligences bornées. Tandis que la masse du peuple ne devrait même pas essayer de penser, parce qu'elle en est incapable. Elle devrait être vivante et fringante et n'adorer que le Grand Pan. Lui seul sera toujours le dieu de la masse. L'élite peut s'adonner, s'il lui plait à des cultes plus élevés. Mais que la masse reste à jamais païenne.
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Elle avait épousé Clifford Chatterley en 1917, pendant une permission d'un mois qu'il avait passée en Angleterre. Ils avaient eu un mois de lune de miel, après quoi il était reparti pour le front des Flandres. Et six mois plus tard, il était ramené en Angleterre plus ou moins en morceaux. (...) Il avait une merveilleuse emprise sur la vie.Il ne mourut pas; ses débris semblèrent se rejoindre. Il resta deux ans entre les mains des médecins. Puis on le déclara guéri, et on le renvoya à la vie avec la moitié inférieure de son corps, à partir des hanches, paralysées pour toujours.
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Si on pouvait seulement leur dire que vivre et dépenser ne sont pas la même chose! Mais cela ne sert à rien. Si seulement on les avait élevés à sentir, au lieu de gagner et de dépenser, ils se tireraient très bien d'affaire avec vingt-cinq shillings. Si les hommes portaient des pantalons écarlates, comme je l'ai dit, ils ne penseraient pas tant à l'argent; s'ils pouvaient danser et chanter et fanfaronner et être beaux, ils s'accomoderaient de très peu de monnaie; et s'ils savaient s'amuser eux-mêmes, et se laisser amuser par les femmes! Ils devraient apprendre à être nus et beaux, et à chanter en masse et à danser les anciennes danses de caractère, et à sculpter les tabourets sur lesquels ils s'assoient, et à broder leurs propres emblêmes. Alors, ils n'auraient plus besoin d'argent. Voilà le seul moyen de résoudre le problème industriel: enseigner au peuple à vivre, et à vivre en beauté, sans avoir besoin de dépenser de l'argent.
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Combien il y avait peu de jambes vives et vivantes ! Ce n'étaient guère que de grosses cuisses semblables à des puddings enveloppés dans une serviette, ou de maigres bâtons drapés de drap funéraire, ou des jambes jeunes et bien faites, mais sans aucune signification, incapables de sensualité, de tendresse, d'émotion, tout ce qu'on pouvait, en fait de jambes, imaginer de plus ordinaire. Aucune sensualité même (...). Elles étaient toutes apprivoisées jusqu'à n'avoir plus de vie.
Mais les femmes n'étaient pas apprivoisées. Ah ! les terribles poteaux de la plupart des femmes, révoltants, dignes d'inspirer le meurtre ! ou les pauvres quilles maigres ! ou les jolies petites jambes en bas de soie sans le moindre atome de vie ! C'était affreux, ces millions de jambes insignifiantes qui paradaient de toutes parts !
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Lady Chatterley de Pascale Ferran : Entretien avec Michel Ciment (2006 / France Culture). Par Michel Ciment. Réalisation : Pierrette Perrono. Photographie : Pascale Ferran • Crédits : Sipa. Le 11 novembre 2006, dans son émission “Projection privée” diffusée sur France Culture, Michel Ciment recevait la réalisatrice Pascale Ferran pour s'entretenir avec elle autour de son film “Lady Chatterley” : une adaptation cinématographique d'un roman de l'écrivain britannique D. H. Lawrence. Pascale Ferran expliquait notamment les raisons pour lesquelles elle avait choisi d'adapter la deuxième version du livre, intitulée “Lady Chatterley et l'Homme des bois”. “Lady Chatterley et l'Homme des bois” (“John Thomas and Lady Jane”) est un roman du Britannique D. H. Lawrence publié en 1927. Deuxième des trois versions du roman polémique de 1928 “L'Amant de lady Chatterley”, il s'en distingue par l'absence de scènes crues et plusieurs variations, notamment à la fin. Moins connu que la version définitive, “Lady Chatterley et l'Homme des bois” a servi pour la mini-série télévisée britannique de Ken Russell diffusée en 1993, et l’adaptation cinématographique française de Pascale Ferran sortie en 2006, où jouent Marina Hands, Jean-Louis Coulloc'h et Hippolyte Girardot.
Sources : France Culture et Wikipédia
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