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L'homme qui rit - Roman tome 0 sur 3

Pierre Albouy (Programmeur)Roger Borderie (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070418718
838 pages
Gallimard (31/01/2002)
4.22/5   1300 notes
Résumé :
Pour Paul Claudel, il s'agit "d'un album de lithographies épiques et paniques", rien de moins que "le chef-d'œuvre du grand poète". Victor Hugo a écrit L'homme qui rit en deux années, de 1866 à 1868, peu de temps après la publication des Travailleurs de la mer. S'il demeure parmi les plus méconnus des romans d'Hugo, qui souffrit même de son insuccès, L'homme qui rit est un impressionnant tableau de l'Angleterre aristocratique de l'orée du XVIIIe siècle, au temps de ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (139) Voir plus Ajouter une critique
4,22

sur 1300 notes
Lire Hugo c'est entrer en littérature.

Car la première rencontre dans ce roman, ce n'est pas l'Homme qui rit, c'est Victor Hugo. Plus exactement son style, toujours le même, de la première à la dernière page. Hugo ne se contente pas d'une comparaison par-ci par-là, non il impose son ossature stylistique “être ceci c'est encore être cela”, “cela a besoin de ceci pour exister” etc et à partir de là il déroule tout un nuancier de maximes, comparaisons et de métaphores, presque jusqu'à la redondance parfois, pour que son lecteur touche au plus près et au plus complet de sa pensée, tenez par exemple :

“On résiste à l'adversité mieux qu'à la prospérité. On se tire de la mauvaise fortune plus entier que de la bonne. Charybde est la misère, mais Scylla est la richesse. Ceux qui se dressaient sous la foudre sont terrassés par l'éblouissement. Toi qui ne t'étonnais pas du précipice, crains d'être emporté sur les légions d'ailes de la nuée et du songe. L'ascension t'élèvera et t'amoindrira. L'apothéose a une sinistre puissance d'abattre.

Se connaître en bonheur, ce n'est pas facile. le hasard n'est autre chose qu'un déguisement. Rien ne trompe comme ce visage-là. Est-il la Providence ? Est-il la Fatalité ?

Une clarté peut ne pas être une clarté. Car la lumière est vérité, et une lueur peut être une perfidie. Vous croyez qu'elle éclaire, non, elle incendie.”

Vous-êtes encore là ? Je vous le concède, le père Hugo dérange, agace, son héritage moral est comme trop lourd à porter dans une société à l'individualisme exacerbé, plus Stendhalienne qu'Hugolienne regrettait Régis Debray dans un récent essai.

Déjà l'auteur de “L'Homme qui rit” n'amuse pas ses contemporains, lors de la parution du livre Barbey d'Aurevilly, acerbe, écrit (pas sur babélio ça n'existait pas encore hein…) : “Il (Victor Hugo) coupe le fil à son récit et à ses personnages avec des dissertations abominables” … ce qui est un comble quand on sait à quel point le dandy normand aime à s'écouter gamahucher avec force amphigouris et prolégomènes au carré, il bave son encre sur des kilomètres de feuillets, mais c'est pour ça qu'on l'aime, n'est ce pas !

Néanmoins il est indéniable que cet ouvrage d'Hugo n'est pas qu'un roman. L'écrivain total, poète, romancier, dramaturge et essayiste a voulu en quelque sorte disserter par l'exemple, s'intéressant, sous le prisme de sa Noblesse, à l'Histoire de l'Angleterre, où il s'est exilé après avoir traité de nabot et de guenon Napoléon III (malaise…). Hugo historien vient manger le pain de Michelet ! Les familles aristocrates, les intrigues royales, les coutumes notabiliaires et l'exercice du pouvoir font l'objet de longues et énumératives digressions, laissant le lecteur sonné par l'énoncé de tant de patronymes facultatifs à la narration qui se retrouve quelque peu archipelisée… Histoire donc, mais aussi politique, Hugo le député, l'orateur, n'oublie pas son combat pour la démocratie c'est à dire l'égalité, l'Etat de droit ; c'est le système des castes, des classes qu'il veut démolir dans un discours à la chambre des Lords à la fois enlevé et lucide (dans l'accueil qu'il reçoit de l'auditoire), une leçon de rhétorique en direct pour le lecteur, par l'un des plus grands tribuns de son temps !

“L'éloquence est un mors ; si le mors casse, l'auditoire s'emporte, et rue jusqu'à ce qu'il ait désarçonné l'orateur. L'auditoire hait l'orateur. On ne sait pas assez cela.”

Vous commencez à comprendre qu'en dépit du nom du bouquin, l'Homme qui rit n'est pas spécialement drôle…vous voilà prévenus. Mais si vous avez le courage de poursuivre avec Hugo alors vous allez vous régaler car c'est une superbe aventure littéraire, avec quel éclat Hugo nous plonge au coeur du déchainement des éléments, comme dit la chanson “il y a des tempêtes et des naufrages” dans l'Homme qui rit !

"Victor Hugo n'est pas de la race des hommes, il est né des temps du dragon." écrivait son rival Sainte-Beuve. L'intrigue est résolument romantique, la tragédie grandiloquente, des marginaux dans leur solitude et leurs infirmités physiques ou sociales se réunissent, ils puisent ainsi la force dans le groupe, dans la noblesse (car la vraie noblesse, Hugo la place chez eux) et la pureté des sentiments qu'ils éprouvent les uns pour les autres. Des personnages machiavéliques, merveilleusement décrits, à l'image de Barkilphédro : “Il était habile à cet art qu'on appelle la suggestion, et qui consiste à faire dans l'esprit des autres une petite incision où l'on met une idée à soi.”

“La femme nue, c'est la femme armée.” le romantisme s'exprime encore dans une intrigue amoureuse un peu binaire : la pureté contre la tentation, la vertu contre le vice, la pâleur maladive, condamnée contre le pourpre et les baldaquins.

"L'Homme qui rit est supérieur à tout ce que Victor Hugo a écrit depuis dix ans. Il y règne un souffle surhumain” Emile Zola. Comme avec le personnage de Notre-Dame de Paris, Hugo joue sur le duo laideur/bonté, à contrepied des croyances crétines de son époque (et de la nôtre). Gwynplaine, le personnage principal est en effet affublé d'un triste sourire, scarification indélébile, génie littéraire que de créer ce clown triste au sourire sardonique, à la postérité mondialement connue sous les traits du fameux Joker de la bande-dessinée Batman, dont le sourire se transfigura en un rire retentissant dans les salles obscures avec le concours de Jack Nicholson, Heath Ledger ou encore Joaquin Phoenix…

“– Ne ris donc plus !
– Je ne ris pas, dit l'enfant.
Ursus eut un tremblement de la tête aux pieds.
– Tu ris, te dis-je.”

L'Homme qui rit est comme une bouteille à la mer, jetée par un comprachicos repenti, arrivera t-elle jusqu'à vos rivages…

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Sourire en coin, façon Joker, Gwynplaine ne hante pas les rues de Gotham City pour chasser de la Chauve-souris mais l'Angleterre de la fin du XVIIe et début du XVIIIe siècle. J'écris en chiffre romain puisque certains musées voudraient les supprimer pour simplifier la lecture des visiteurs. Pourquoi ne pas dégenrer monsieur Patate tant qu'on y est ? Ah, ils vont le faire aussi. J'abandonne.
Enlevé par les Comprachicos, qui ne sont pas des guitaristes manouches mais des personnes au CV peu recommandables puisqu'ils mutilaient des enfants pour les revendre dans les foires, Gwynplaine est secouru et élevé par Ursus, un saltimbanque philosophe après avoir été abandonné par ses ravisseurs. L'amuseur possède un chien-loup appelé malicieusement Homo.
Défiguré au scalpel, Gwynplaine grandit dans une roulotte auprès de Déa une jeune fille aveugle et d'une grande beauté. Les deux enfants sont inséparables et tombent éperdument amoureux. A la différence de Quasimodo et d'Esméralada, Déa ne peut voir le monstre et tombe sous le charme de son humanité. La belle s'éprend de la bête.
Gwynplaine constitue l'attraction principale des spectacles joués par sa petite troupe. Nul nez rouge, puces savantes ou numéro de jonglage, son sourire monstrueux suffit à attirer les foules et sa notoriété finit par attirer la curiosité de l'aristocratie.
Comme il s'agit de Victor Hugo, les choses tournent mal. Si femme qui rit à moitié dans son lit, l'homme qui rit, comme la vache, finit plutôt à l'abattoir de l'histoire. Ecrit pendant son exil à Guernesey, la météo locale et ses humeurs politiques lui inspirent ce drame baroque qui tient plus de l'opéra ou du théâtre que du roman. Hugo n'écrit pas ici des chapitres mais des actes, tant sa puissance d'évocation grave chaque scène dans l'esprit du lecteur. le génie Hugolien mixe histoire et poésie, drame social et philosophie. Au-delà de son goût pour les monstres, le poète est impitoyable avec l'aristocratie et il dénonce une nouvelle fois la peine de mort et les errements de la justice.
Gwynplaine va découvrir qu'il est de noble ascendance et va siéger à la chambre des Lords mais il est éloigné de Déa. Moqué par ses pairs lors d'un discours d'anthologie qui met en cause l'aristocratie, ses privilèges et sa capacité à maintenir son peuple au régime, il fuit ses titres pour retrouver Ursus et sa belle dans un dénouement tragique.
Les descriptions sont parfois interminables, les titres des lords sont énumérés sur plusieurs pages comme si l'auteur organisait des entractes entre des scènes à forte intensité dramatique… et pour permettre à son lecteur de faire des pauses pipi car le livre fait quand même 800 pages. Mais quel style ! Sous sa plume, les personnages fricotent toujours avec le mythe et le ton grandiloquent, ridicule chez certains, se mue en séance d'hypnose ici.
Echec public à sa sortie, peut-être lié à un trop plein d'intentions, « L'homme qui rit » n'est pas le plus lu des romans de Victor Hugo, ni le mieux structuré, mais les discours d'Ursus, la scène du naufrage et celle du gibet en début de roman mériteraient un classement à l'Unesco. Pourquoi pas des mots puisqu'il est question d'y classer la baguette de pain ou certains fromages ?
Une histoire qui ne prête pas à sourire.

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Un livre qui m'a coupé le souffle… Peut-être à cause des grandes phrases et des amples descriptions, mais surtout pour le côté envoûtant de sa lecture.
Une lecture qui n'est pas facile, un livre qui se gagne à la force du poignet… J'ai pu y rester plongée, happée pendant des heures et m'apercevoir que je n'avais pas parcouru 100 pages (d'un pavé qui en compte plus de 600 dans mon édition de poche). Mais que c'est agréable, que cela fait du bien à l'esprit de lire ces lignes érudites, travaillées, intelligentes (ne me croyez pas pédante ou élitiste ou intellectualiste, je ne pense être rien de tout ça, j'aime juste, de temps à autre, que l'on s'adresse à mon intelligence, qu'une lecture soit ardue, mais que cela en vaille la peine)…
C'est vrai que les longues digressions, les énumérations des lords et de leurs titres, possessions ou privilèges peuvent parfois être rébarbatives et il m'a fallu un peu de volonté parfois pour ne pas sauter quelques pages assommantes. Mais L'Homme qui rit n'en reste pas moins un livre prenant et passionnant.
Arrivée à ce point de ma critique, il faut que je confesse que ceci est en fait le premier livre de Victor Hugo que je lis (à l'exception d'une version abrégée des Misérables il y a bien longtemps et du survol d'un ou deux ouvrages…). Je ne sais trop comment j'ai entendu parler de ce livre, certes pas l'in des plus connus de Victor Hugo, mas je me souviens avoir tenté de le lire lorsque j'avais 16 ou 17 ans. C'est donc une relecture que j'ai faite ici, plus longue, plus attentive, où les digressions ne m'ont pas gênée dans mon envie de connaître la suite de l'histoire.
Et ce qui m'a le plus frappée, peut-être, c'est le sarcasme permanent dont Victor Hugo tisse son récit et ses descriptions du système politique anglais. Une royauté, où le bon vouloir du roi fait office de loi… Comment Victor Hugo, le pourfendeur de Napoléon peut-il en faire l'apologie, si ce n'est sur le ton de l'ironie mordante, où chaque phrase est un dard acéré planté dans le plumage de l'aigle fossoyeur de la Révolution et de ses idéaux. Je ne m'attendais pas à ce ton ironique, à cette écriture sempiternellement au second degré de la part d'un auteur que l'on pare d'habitude de tous les oripeaux du sérieux et de la gravité. Cela rend cette lecture jubilatoire, pleine de sourires en coin et de petits rires sous cape, certainement pas ce à quoi je m'attendais de la part d'un des monstres sacrés de notre littérature nationale !

Un mot de l'intrigue tout de même. L'Homme qui rit est Gwynplaine, enlevé enfant et défiguré afin d'en faire un animal de foire, et ce sur ordre du roi du fait d'une filiation gênante. Mais Gwynplaine vit heureux, ignorant ses origines, adopté par un philosophe bourru et son loup, aimé d'un amour pur par l'aveugle Déa. Les évènements, la fatalité, les jalousies et les mesquineries des grands de ce monde viendront troubler ce bonheur simple, le spectacle d'autrui se débattant dans la toile d'un difficile destin étant le remède préféré des aristocrates pour occuper leur oisiveté ostentatoire et leur mépris sans borne de ceux qui ne se sont pas donné la même peine qu'eux pour naître là où il fallait. Vient alors le temps des choix, mais aussi celui des désillusions quand celui qui se croit un destin, une mission, s'aperçoit qu'il ne peut rien contre la bêtise ou l'institution en place.
Une intrigue aux ressorts usés et re-usés dans la littérature, le gentil homme du peuple opposé aux aristocrates pervertis, mais Victor Hugo sait donner un tour particulier à son histoire et sait nous tenir en haleine, soit par des retournements de situation bien menés soir par des digressions au verbe maîtrisé. Et ne nous y trompons pas, sous couvert d'un roman historique, Victor Hugo parle bien de son présent, mais de notre présent aussi. Les systèmes politiques ont évolué en apparence, mais pas toujours dans les faits et cette oeuvre demeure d'une grande actualité.
Une très belle lecture pour de longues après-midi faites de solitude et de concentration. Je ne peux que recommander, encore et encore.
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Quatre mois sans critique Babelio publiée, quatre mois sans quasiment passer sur le site. La dernière critique donne en elle-même une explication de cette traversée de désert littéraire. Étant arrivé à l'oasis, je vous fais donc un point d'étape… qui j'espère sera un nouveau départ.

Je vais arrêter de dire que je rechigne à parler de ma vie personnelle, puisque je vais encore un peu m'égarer, mais toujours parce que le contexte de lecture a ici aussi toute son importance. Ce livre de Victor Hugo est le dernier livre que j'ai offert à ma mère et qu'elle n'aura que si peu commencé (à en croire le marque-page), sa maladie étant celle qui est le frein le plus important pour la lecture. Il était malgré tout longtemps resté sur sa table de chevet, preuve que l'envie ne manquait pas. C'est aussi (logiquement ?) le livre que j'ai choisi de lui lire dans ses derniers instants, lien tout particulier qui m'a (nous a ?) permis de traverser ces moments, bien balloté comme l'ourque du début du roman, mais, tout comme l'équipage, ensemble. Je me devais bien évidemment de finir cette lecture pour continuer ce lien, physiquement rompu, mais, la littérature ayant ce pouvoir magique, malgré tout maintenu, quelles que soient nos croyances. Me voilà donc ici pour vous en parler, après un voyage de plus de 700 pages.

Le contexte de lecture a une importance, mais pour ce livre le contexte d'écriture en a tout autant sinon plus. Vécu comme le premier tome d'une trilogie qui n'aura jamais de tome deux…. mais bien un tome trois (Quatre-vingt treize), ce roman est celui où Hugo se propose d'étudier la Seigneurie, en s'intéressant à celle des Anglais. Pensez-vous que le fait qu'il vive en exil depuis le coup d'état de 1851 de Napoléon III, que ce soit les îles anglo-normandes qui lui aient offert un refuge si proche et si lointain de sa terre française ait eu un effet sur la rédaction de cet Homme qui rit (jaune…), commencée en 1866 ? La réponse est évidemment dans la question. Après l'achèvement du projet des Misérables (déjà en ébauche depuis 1845), en 1861, après un roman nourri de sa situation d'ilien (Les Travailleurs de la Mer), Hugo se lance dans un projet qu'il veut au départ historique.

Le projet deviendra ensuite polymorphe, philosophico-dramatico-lyrico-onirico… (ajoutez tous les mots en -co qui vous passent par la tête), bref un objet littéraire assez fou, très hugolien car éminemment poétique et politique. A la lecture, je me suis parfois dit qu'Hugo avait voulu aller plus loin dans l'horreur que dans les Misérables, poussant le curseur plus loin, de façon plus désabusée, la vieillesse et la sagesse étant venues contrebalancer les idéaux de la jeunesse. Certaines scènes sont vraiment éprouvantes, on souffre avec les protagonistes. Un vrai monument littéraire en tout cas, dont l'abord plus compliqué a sans doute nui à la notoriété.

Ou alors, est-ce un autre contexte, celui de sortie du livre qui a joué ici un rôle déterminant. Hugo est loin de France, son éditeur profite de cet éloignement pour échafauder des combines de vente afin de profiter au mieux de la notoriété de l'exilé pour faire du profit. Les critiques pleuvent après des fuites de premières pages avant même la publication, Hugo semble pour certains un homme à abattre. Malgré toutes ces difficultés, l'oeuvre connait une postérité impressionnante…. Notamment quand on sait que le fameux Joker, ennemi de Batman, trouve sa source dans l'adaptation cinématographique de l'oeuvre en 1928.

Je terminerais avec une évocation de la fin du roman, sans volonté de divulgachage. le regard porté sur la mort y est très particulier, rempli de spiritualité.Quand on sait qu'Hugo a hésité longtemps entre plusieurs fins possibles, qu'il a connu une succession de deuils familiaux dans ces années d'écriture (son petit-fils en avril 1869, son épouse en août 1868), je ne peux que voir dans cette fin une réflexion sur la deuil et sur la façon dont nous transigeons sans cesse avec la mort des nôtres.
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Lire du Victor Hugo, c'est comme s'attaquer au Mont Blanc que dis-je à l'Everest. J'ai eu l'occasion étant ado de lire du même auteur le dernier jour d'un condamné et QuatreVingt-Treize et lorsque mes amis Babelionautes m'ont proposé l'homme qui rit en lecture commune, j'ai tout de suite sauté sur l'occasion et j'ai bien fait.

Le livre de notre ami Victor Hugo est un mixte entre le roman Sans famille d'Hector Malot écrit en 1878 et le conte la Belle et la Bête de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve paru en 1740. On fait vite le parallèle entre le jeune Rémi d'Hector Malot et le Gwynplaine enfant d'Hugo. le musicien ambulant Vitalis du Sans famille n'a rien à envier à l'humanité du colporteur ventriloque Ursus de l'homme qui rit. Les animaux aussi ne sont pas non plus oubliés. Au singe Joli-Coeur de Malot, on retrouve son pendant avec Homo, le chien-loup d'Hugo. Je ne vous parlerai pas des deux prétendantes, Lise et Dea, la première étant muette et la deuxième aveugle… Si les deux romans retracent les péripéties d'un enfant volé (Malot) et abandonné (Hugo) adoptés par deux saltimbanques, la force de l'oeuvre de Victor Hugo réside dans la puissance et le romantisme de son écriture.

Dans l'homme qui rit, tout est démesuré voire disproportionné. de l'horrible cicatrice de Gwynplaine voulue par ses kidnappeurs qui lui donne en permanence un rire disgracieux en passant par les horribles châtiments subis par les condamnés à mort ; des récits terribles sur la misère sociale de l'Angleterre au XVIII siècle face à l'énumération sans fin des richesses de la noblesse anglaise ; des innombrables décors du Londres de cette époque aux interminables descriptions des navires et autres bâtiments navals ; du trop grand nombre de personnages à l'exagération des sentiments humains…Tout est excessif, extrême, exorbitant mais que c'est beau et bien écrit, de la tempête dans la Manche au naufrage, de la représentation de la pièce de théâtre d'Ursus aux débats houleux de la chambre des Lords…

La prose de Victor Hugo est avant tout magnifique et éblouissante. Les mots sont forts et percutants. Ils viennent apporter à l'aventure une force et une vraisemblance qui pousse à l'admiration. L'épopée hugolienne est romantique avec un grand A. La lutte entre le Bien et le Mal se retrouvent à chaque page. le chaos se heurte à l'harmonie. L'ombre se mêle à la lumière pour fusionner et nous donner un clair-obscur qui nous suivra tout au long de l'oeuvre. Avec l'amour et la haine, la mort et la vie, le rire et les larmes, le roman fait le plein de sentiments. L'homme qui rit sait nous raconter avec panache et en quelques pages (838) l'histoire d'un petit garçon qui connaîtra un destin exceptionnel mais dramatique.

Et pour La belle et la Bête me direz- vous … J'y viens mes amis…ce concept du beau et du laid est récurrent chez Victor Hugo. On peut même parler de la beauté des laids avec son Quasimodo, sonneur de Notre-Dame comme son Gwynplaine du roman. Il n'hésite pas à opposer la laideur à la beauté, allant même jusqu'à les comparer voire les confondre. le laid c'est le beau. La beauté d'Esméralda ou celle de Déa ne se révèle que par la laideur de leurs « amoureux »respectifs. L'auteur du poème « J'aime l'araignée et j'aime l'ortie » sait sublimer la laideur comme le grand romantique qu'il est. Dans le conte précité, la Bête restera un monstre sauf à rencontrer une femme susceptible de tomber amoureuse de sa beauté intérieure en faisant fi de son aspect physique. Et cette personne sera la Belle.

Si l'histoire d'Hector Malot ou de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve finissent bien pour Rémi qui découvre être l'héritier d'une grande fortune tout en épousant Lise ou pour la Bête en épousant sa belle, ce sera bien différent pour notre Gwynplaine mais pour le découvrir, il vous faudra lire le roman de notre ami Victor Hugo. Faites comme moi mes amis et passez un bon moment avec l'un des maîtres du romantisme français.

« le beau n'a qu'un type ; le laid en a mille ». Victor Hugo, extrait de sa préface sur Cromwell (1827)
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Celle-ci est une aveugle. Est-ce une exception? Non. Nous sommes tous des aveugles. L'avare est un aveugle ; il voit l'or et ne voit pas la richesse. Le prodigue est un aveugle ; il voit le commencement et ne voit pas la fin. La coquette est une aveugle ; elle ne voit pas ses rides. Le savant est un aveugle ; il ne voit pas son ignorance. L'honnête homme est un aveugle ; il ne voit pas le coquin. Le coquin est un aveugle ; il ne voit pas Dieu. Dieu est un aveugle ; le jour où il a crée le monde, il n'a pas vu que le diable se fourrait dedans. Moi je suis un aveugle ; je parle, et je ne vois pas que vous êtes des sourds.
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Cromwell disait : Je veux qu’on respecte la république anglaise comme on a respecté la république romaine ; il n’y avait plus rien de sacré ; la parole était libre, la presse était libre ; on disait en pleine rue ce qu’on voulait ; on imprimait sans contrôle ni censure ce qu’on voulait ; l’équilibre des trônes avait été rompu ; tout l’ordre monarchique européen, dont les Stuarts faisaient partie, avait été bouleversé… Enfin, on était sorti de cet odieux régime, et l’Angleterre avait son pardon.
Charles II, indulgent, avait donné la Déclaration de Bréda. Il avait octroyé à l’Angleterre l’oubli de cette époque où le fils d’un brasseur de Huntingdon mettait le pied sur la tête de Louis XIV. L’Angleterre faisait son mea culpa, et respirait. L’épanouissement des cœurs, nous venons de le dire, était complet ; les gibets des régicides s’ajoutant à la joie universelle. Une restauration est un sourire ; mais un peu de potence ne messied pas, et il faut satisfaire la conscience publique. L’esprit d’indiscipline s’était dissipé, la loyauté se reconstituait. Être de bons sujets était désormais l’ambition unique. On était revenu des folies de là politique ; on bafouait la révolution, on raillait la république et ces temps singuliers où l’on avait toujours de grands mots à la bouche, Droit, Liberté, Progrès ; on riait de ces emphases. Le retour au bon sens était admirable ; l’Angleterre avait rêvé. Quel bonheur d’être hors de ces égarements ! Y a-t-il rien de plus insensé ? Où en serait-on si le premier venu avait des droits ? Se figure-t-on tout le monde gouvernant ? S’imagine-t-on la cit menée par les citoyens ? Les citoyens sont un attelage, et l’attelage n’est pas le cocher. Mettre aux voix, c’est jeter aux vents. Voulez-vous faire flotter les états comme les nuées ? Le désordre ne construit pas l’ordre. Si le chaos est l’architecte, l’édifice sera Babel. Et puis quelle tyrannie que cette prétendue liberté ! Je veux m’amuser, moi, et non gouverner. Voter m’ennuie ; je veux danser. Quelle providence qu’un prince qui se charge de tout ! Certes ce roi est généreux de se donner pour nous cette peine ! Et puis, il est élevé là dedans, il sait ce que c’est. C’est son affaire. La paix, la guerre, la législation, les finances, est-ce que cela regarde les peuples ? Sans doute il faut que le peuple paie, sans doute il faut que le peuple serve, mais cela doit lui suffire. Une part lui est faite dans la politique ; c’est de lui que sortent les deux forces de l’état, l’armée et le budget. Etre contribuable, et être soldat, est-ce que ce n’est pas assez ? Qu’a-t-il besoin d’autre chose ? il est le bras militaire, il est le bras financier. Rôle magnifique. On règne pour lui. Il faut bien qu’il rétribue ce service. Impôt et liste civile sont des salaires acquittés par les peuples et gagnés par les princes. Le peuple donne son sang et son argent, moyennant quoi on le mène. Vouloir se conduire lui-même, quelle idée bizarre ! un guide lui est nécessaire. Étant ignorant, le peuple est aveugle. Est-ce que l’aveugle n’a pas un chien ? Seulement, pour le peuple, c’est un lion, le roi, qui consent à être le chien. Que de bonté ! Mais pourquoi le peuple est-il ignorant ? Parce qu’il faut qu’il le soit. L’ignorance est gardienne de la vertu. Où il n’y a pas de perspectives, il n’y a pas d’ambitions ; l’ignorant est dans une nuit utile, qui, supprimant le regard, supprime les convoitises. De là l’innocence. Qui lit pense, qui pense raisonne. Ne pas raisonner, c’est le devoir ; c’est aussi le bonheur. Ces vérités sont incontestables. La société est assise dessus.
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Le boxeur dont il consentait être le « trainer » était sûr de vaincre. Lord David choisissait un Hercule, massif comme une roche, haut comme une tour, et en faisait son enfant. Faire passer de l'état défensif à l'état offensif cet écueil humain, tel était le problème. Il y excellait. Une fois le cyclope adopté, il ne le quittait plus. Il devenait nourrice. Il lui mesurait le vin, il lui pesait la viande, il lui comptait le sommeil. Ce fut lui qui inventa cet admirable régime d'athlète, renouvelé depuis par Moreley : le matin un œuf cru et un verre de sherry, à midi gigot saignant et thé, à quatre heures pain grillé et thé, le soir pale ale et pain grillé. Après quoi il déshabillait l'homme, le massait et le couchait. Dans la rue il ne le perdait pas de vue, écartant de lui tous les dangers, les chevaux échappés, les roues de voitures, les soldats ivres, les jolies filles. Il veillait sur sa vertu. Cette sollicitude maternelle apportait sans cesse quelque nouveau perfectionnement à l'éducation du pupille. Il lui enseignait le coup de poing qui casse les dents et le coup de pouce qui fait jaillir l'œil.
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Le fantôme était goudronné. Il luisait ça et là. L'enfant distinguait la face. Elle était enduite de bitume, et ce masque qui semblait visqueux et gluant se modelait dans les reflets de la nuit. L'enfant voyait la bouche qui était un trou, le nez qui était un trou, et les yeux qui étaient des trous. Le corps était enveloppé et comme ficelé dans une grosse toile imbibée de naphte. La toile s'était moisie et rompue. Un genou passait travers. Une crevasse laissait voir les côtes. Quelques parties étaient cadavre, d'autres squelette. Le visage était couleur de terre; des limaces, qui avaient erré dessus, y avaient laissé de vagues rubans d'argent. La toile, collée aux os, offrait des reliefs comme une robe de statue. Le crâne, fêlé et fendu, avait l'hiatus d'un fruit pourri. Les dents étaient demeurées humaines, elles avaient conservé le rire. Un reste de cri semblait bruire dans la bouche ouverte. Il y avait quelques poils de barbe sur les joues. La tête, penchée, avait un air d'attention.
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Il fit tout de suite cette demi-chute de songer étrangement. Il faut prendre garde à la rêverie qui s'impose. La rêverie a le mystère et la subtilité d'une odeur. Elle est à la pensée ce que le parfum est à la tubéreuse. Elle est parfois la dilatation d'une idée vénéneuse, et elle a la pénétration d'une fumée. On peut s'empoisonner avec des rêveries comme avec des fleurs. Suicide enivrant, exquis et sinistre.
Le suicide de l'âme, c'est de penser mal. C'est là l'empoisonnement. La rêverie attire, enjôle, leurre, enlace, puis fait de vous son complice. Elle vous met de moitié dans les tricheries qu'elle fait à la conscience. Elle vous charme. Puis vous corrompt. On peut dire de la rêverie ce qu'on dit du jeu. On commence par être dupe, on finit par être fripon.
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