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Marie-Odile Masek (Traducteur)
EAN : 9782070417940
313 pages
Gallimard (28/02/2002)
4.07/5   4245 notes
Résumé :
TRACY CHEVALIER

La jeune fille à la perle

La jeune et ravissante Griet est engagée comme servante dans la maison du peintre Vermeer. Nous sommes à Delft, au dix-septième siècle, l'âge d'or de la peinture hollandaise. Griet s'occupe du ménage et des six enfants de Vermeer en s'efforçant d'amadouer l'épouse, la belle-mère et la gouvernante, chacune très jalouse de ses prérogatives.
Au fil du temps, la douceur, la sensibilité et la ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (484) Voir plus Ajouter une critique
4,07

sur 4245 notes
C'est un livre intemporel que je tiens dans mes mains. Je l'ai lu il y a environ quinze ans, juste après la sortie du film du même nom. Je devais visiter un malade et les librairies du grand hôpital parisien étaient inondées de ce best-seller. C'était une vision assez surréaliste : la jeune fille à la perle en miniature et multipliée par mille ! Comme sur une planche contact.
Quand un grand artiste, un génie, entre dans votre vie, vous êtes happé. Il a pour vous l'autorité d'un roi et la force du destin. C'est une sagesse que de l'aimer, c'est un suicide que de se rebeller. Cette idée, à mon avis, réunit tous les livres écrits sur les peintres et leurs modèles.
Je n'oublierai jamais l'exposition à la Pinacothèque de Paris consacrée à l'âge d'or de la peinture hollandaise. D'ordinaire j'aime la peinture moderne parce que j'aime inventer en regardant tandis que les oeuvres plus anciennes sont « données », il n'y a pas de « participation » des visiteurs, pas autant en tout cas. Mais là j'ai été littéralement bouleversée par les portraits hollandais, la brillance des regards, la lumière dans les natures mortes… On dirait que dans le citron pelé il y avait la même larme que dans les yeux !
Finalement je sens que Vermeer ne me quitte jamais, il y a des signes, des hasards, des clins d'oeil à Vermeer que je rencontre régulièrement. Même Sempé fait une révérence à La Laitière ! Chez moi, sur les pochettes de disques de la musique baroque il y a souvent des reproductions de ses différentes peintures. À mes yeux, il y a encore un atout pour l'histoire de la Jeune fille à la perle : dans le film c'est Colin Firth qui joue Vermeer. C'était déjà mon acteur préféré depuis son rôle de Monsieur Darcy dans la série Orgueil et Préjugés de la BBC en 1995, bien avant de jouer dans la saga Bridget Jones et bien avant de remporter l'Oscar du meilleur acteur et le Golden Globe en 2011 ! Colin Firth donne une fidèle interprétation de Vermeer. En ce qui concerne Scarlett Johansson je trouve qu'elle rend Griet plus sexy qu'elle n'est dans le roman.
La jeune fille à la perle est un roman historique écrit en 1999. L'action se déroule à Delft aux Pays-Bas au XVIIe siècle, et le récit a été inspiré par le tableau homonyme du peintre Johannes Vermeer. Tracy Chevalier a imaginé l'histoire qui a conduit à la création de ce chef-d'oeuvre. L'histoire débute en 1664, à l'époque de l'âge d'or de la peinture hollandaise. le roman est écrit à la première personne. Griet est une jeune fille fine et candide. Sa famille est enfoncée dans la précarité. Son père était faïencier, fabriquant de porcelaine de Delft (faïences blanches à décor bleu), mais il perdit son commerce à cause de l'explosion d'un four, l'accident qui l'a rendu aveugle. La mère de Griet s'inquiète pour la survie de la famille. Elle fait engager Griet comme servante dans la maison de Johannes Vermeer pour faire le ménage dans l'atelier du peintre. Vermeer, appréciant la discrétion et le potentiel artistique de la jeune fille, lui fait découvrir les b.a.-ba de son art. Leur affinité va entraîner de nombreux tiraillements au sein de la maison des Vermeer, ainsi que des bruits qui vont se colporter en ville. Mais que reste-il de Griet du début du livre, de Griet qui idéalise tant Vermeer ? Va-t-elle accepter l'amour de Pieter, fils de boucher, qui immédiatement séduit par sa beauté et son caractère, lui fait la cour pendant de longs mois ? Pieter qui lui propose de l'épouser si elle quitte sa place de servante des Vermeer ?
Johannes Vermeer a 32 ans quand débute l'histoire. Auparavant, il a passé six ans en apprentissage et a été ensuite admis en tant que « maître peintre ». Ensuite Vermeer se convertit au catholicisme en épousant Catharina Bolnes, issue de la bourgeoisie de Delft. Il est installé avec sa femme chez sa belle-mère Maria Thins, une femme perspicace et commerçante, au coin des papistes de Delft. Son tableau La Jeune Fille à la perle est estimé remonter à l'année 1665. van Ruijven est le mécène de Vermeer, riche percepteur de Delft. Il lui commande beaucoup de ses oeuvres. van Ruijven regarde Griet avec concupiscence…
Catharina Bolnes est impulsive, jalouse, idiote, maladroite, elle a détesté Griet depuis le premier jour. Catharina a un jour renversé et cassée la camera obscura, une boîte pourvue d'une lentille, permettant au peintre d'observer sa mise en scène différemment ! Vermeer ne lui demande pas de poser et même lui interdit d'entrer dans son atelier. le jour où rongée de soupçons elle y pénètre c'est pour le salir car, prise de colère, elle accouche sur le plancher !!!
J'adore le trio de l'univers de Griet : cuisine, ménage et peinture. le trio qui n'est pas si étrange que ça. En tout cas, qui ne m'est pas étranger ! Je m'identifiais avec Griet. En commençant déjà par la jolie découpe de légumes au tout début du livre ou par sa perception imagée des voix! J'aime ce livre parce que j'ai l'impression d'y reconnaître des personnes de ma propre vie. J'ai eu l'occasion de relire ce roman plusieurs fois. La restitution de l'époque, du travail quotidien de Vermeer, une parfaite concordance historique, très belles descriptions, tout cela constitue encore une des richesses du livre. Plusieurs quartiers ou monuments de Delft sont évoqués : le coin des papistes ( le quartier catholique où se trouve la maison des Vermeer), la place du Marché ( place principale de Delft, au centre de laquelle les pavés forment une étoile à huit branches, chacune pointant vers un quartier de la ville), le quai le long du canal de Delft, la Nouvelle-Église protestante… Chez Tracy Chevalier, chaque détail est expressif et significatif. Dans ce roman, il y a tant de choses techniques liées à la peinture que je me suis demandée si Tracy Chevalier était elle-même artiste peintre. Mais sa biographie ne mentionne pas d'études d'arts plastiques. J'ai seulement appris qu'elle est fille d'un photographe et elle a dû approcher cette écriture de la lumière qui est la photographie.
J'aime des écrivains qui savent décrire l'invisible. Par exemple, Nabokov en fait partie. Et Tracy Chevalier utilise ce procédé dans La jeune fille à la perle, l'unique oeuvre que j'ai lue d'elle. le lecteur est chauffé à blanc et pourtant il ne se passe presque rien, et c'est beau comme les tableaux de Vermeer eux-mêmes… C'est la résignation… Mais comment vivre comme si de rien n'était alors que Griet traverse des épreuves, tait ses sentiments, étouffe ses dons ?
Et Vermeer, a-t-il aimé notre héroïne ou non ? C'est la question qui obsède le lecteur jusqu'à la fin du livre. Peut-être que la vision idéaliste de son maître cache à Griet la réalité toute plate : qu'il ne pense qu'à lui-même ou à son travail, qu'elle n'est qu'un accessoire qu'il jettera une fois le tableau terminé ? Cette idée se révèle juste puisque Vermeer s'abstient de la défendre devant Catharina, et que, après le départ de la servante, il ne vient jamais vers elle… Mais on a envie comme Griet de croire le contraire ! La réponse est peut-être dans les perles ? le roman de Tracy Chevalier nous laisse beaucoup de pourquoi mais c'est cela qui fait qu'on le relit avec la même fraîcheur de perception et la même curiosité. le destin ne fait pas de cadeaux à Griet et l'auteure ne flatte pas le lecteur qui au fond de lui aimerait que l'amour triomphe si ce n'est dans un lit à baldaquin au moins caché dans un grenier, dans un champ, dans un atelier. (On pourrait écrire un deuxième roman avec le point de vue du peintre. Avec ses sentiments à lui, ses ressentis à lui, ses peines, ses frustrations. Sous le masque d'un personnage froid et peu bavard !) Dans la voie de chacun, il y a des relations qui laissent des questions et on a le reste de notre vie pour y méditer : on pèse et on repèse, et on change la lumière pour mieux voir…
Cependant il ne faut pas oublier qu'au 17 siècle l'homme était lié par le protocole qui organisait toutes ses relations et le goût du scandale n'existait pas, pas encore. La morale, la religion ne nous donnent pas toujours des réponses universelles et nos choix sont pénibles. La liberté n'est pas de ce monde. Ce n'est que l'art qui peut libérer, peut-être… Toute la force du livre est là.
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Une plongée dans le XVIIème siècle emplie de délicatesse et de mélancolie que la lecture de ce roman. Une expérience sensorielle aussi. On baigne dès la première scène dans une atmosphère particulière. le récit ressemble aux peintures de Vermeer par l'ambiance et le réalisme qui s'en dégagent. La romancière, dont je découvre enfin la plume élégante, a créé cette fiction à partir du célèbre tableau du même nom. On ne connaît pas l'identité de cette jeune fille alors elle lui en invente une. Tout débute en 1664 à Delft aux Pays-Bas. Griet une ravissante jeune fille de 16 ans issue d'une famille plongée dans la précarité est contrainte de travailler comme domestique au service de Vermeer qui a le double de son âge. Ce dernier repère vite que Griet possède un goût esthétique et le don d'associer les couleurs. Dans sa maisonnée composée essentiellement de femmes, entre lessives, courses au marché et ménage Griet bien que forte subit des offenses. Impressionnée et attirée par son maître petit à petit s'installe entre eux une relation ambiguë d'ailleurs elle est la seule autorisée à nettoyer et ranger son atelier. Ce privilège crée des tensions dans la demeure. Entre les méchancetés d'une des filles de Vermeer, la jalousie de la femme du peintre et les lourdes avances d'un mécène le manque de sa famille se fait ressentir et les drames personnels n'arrangent rien à son mal être. Courtisée par Pieter le fils du boucher, elle ne cesse de le repousser. Seule son attirance pour Vermeer l'aide à mieux vivre. Les tensions augmentent lorsqu'on découvre qu'il implique Griet dans son travail l'ayant initiée à préparer ses couleurs. Dans ce récit en clair-obscur tout n'est qu'images, ressentis, couleurs, senteurs, textures. La ville et ses artisans, les objets, les meubles marquetés, la luminosité, les gestes et attitudes tout est divinement décrit par la romancière. La relation de Griet et Vermeer est platonique mais empreinte de sensualité. Envoûtée par son maître et attirée par l'interdit Griet acceptera qu'il la peigne provoquant un déchaînement de passions. Il ne restera alors de son innocence que la part immortalisée dans ce regard énigmatique, celui de la jeune fille à la perle. Très beau.
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Une véritable peinture faite de douceur et de scintillement à l'image des tableaux de Vermeer

Griet, jeune servante vivant à Delft au XVII ème siècle est placée chez le peintre Vermeer ; petit à petit une relation faite de sentiments ténus va s'installer entre le peintre et sa servante.

C'est comme si le seul but de ce roman, de son épaisseur, de sa douceur à travers les images, les sentiments, le temps qui passe - évoqués par les mots, les phrases, le style - n'était que la compréhension pleine du tableau de Vermeer.

Les mots de Tracy Chevalier sont plus que des pinceaux ou des couleurs ; ils sont le glacis, les superpositions de couleurs, l'obscurité, la lumière et l'éclat de la perle.

Jamais, après avoir lu ce livre, je ne pourrai voir ce tableau autrement que comme une oeuvre sublime riche de la vie et de l'âme de Vermeer.

J'ai le sentiment qu'un lecteur qui n'aurait jamais vu le tableau ne pourrait que le reconnaître et instantanément le pénétrer au plus profond.

Ce texte est magique !
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La Jeune fille à la perle où l'insouciance de l'enfance s'est envolée !

Tracy Chevalier a eu la belle idée de tirer une histoire totalement romanesque qu'elle entend rendre crédible en multipliant les détails, non sur les personnages mais sur leur environnement et d'une façon presque documentaire sur l'époque et les lieux.

Ce roman nous introduit au coeur de la vie des Hollandais au XVIIème siècle. Protestant et ne rechignant pas au travail pour les familles modestes, la rencontre avec Vermeer est un véritable choc culturel pour Griet. Car Griet, la jeune fille à la perle, est bel et bien une enfant propulsée dans un univers agressif, ballotée entre son travail harassant de bonne au service des Vermeer, l'intérêt ambigu du peintre envers elle, la jalousie de sa femme ou encore la possible menace représentée par le mécène du peintre. le roman dépeint magistralement la situation d'une jeune fille enfermée dans un monde aux règles cruelles et aux conventions étouffantes... Car s'il décrit le parcours de Griet chez les Vermeer, il donne également un aperçu réaliste de la Société Hollandaise du XVIIe siècle (à travers une famille paralysée par les codes sociaux et l'emprise du riche mécène de Vermeer). On s'émerveille devant l'énorme travail esthétique qui semble avoir été fait et qui plonge presque le lecteur dans un tableau de Vermeer.

« La jeune fille à la perle » est donc un roman à la fois doux et dur. L'éveil d'un esprit courbé par la corvée s'éjecte miraculeusement des lessives éreintantes dans un temps où l'on ne fait que servir du matin au soir en admirant à la dérobée les contenus amorphes d'une maison terne cernée par les grands froids. Griet, beauté naturelle éteinte mais non consumée s'anime soudainement devant ces ocres et ces bleus qu'un peintre en manque d'inspiration dévoile devant ses yeux jeunes avides de découverte. A travers la peinture deux êtres en sommeil communiquent, ressentent, quittent un monde triste où il ne faut que se reproduire ou frotter les sols en laissant derrière soi une mère délaissée rongée par le rictus et une progéniture abandonnée jalouse livrée à elle-même. Les doigts s'effleurent et les visages se décrispent. Deux personnages isolés par la condition et le désoeuvrement offrent à la postérité une oeuvre contemplative traversant des siècles de lumières et de cendres en alternance. le visage de Griet éblouissant de pâleur se teinte d'une rosée admirablement reconnaissante envers un nouveau monde synonyme de conscience. « La jeune fille à la perle » est en priorité la propagation d'une émotion intense dans une demeure dominée par le silence et l'ennui.

Le roman comporte peu de rebondissements mais une intensité unique, palpable. Il peut rendre plus sensible à l'univers du peintre, car il permet d'aborder la peinture selon un nouveau point de vue qui reflète toute la profondeur de ses toiles. Les non-dits et les actes manqués se succèdent et finissent par tisser la toile qui enserre les personnages. Cette toile, c'est bien sûr, le carcan social d'une Hollande où les moeurs sont strictement contrôlées et où il est impossible d'échapper à sa condition.

Il s'agit réellement d'un roman d'une inégalable pureté, qui nous transporte dans un rêve artistique.
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Une fois n'est pas coutume pour moi de lire les romans demandés par les enseignants de mes enfants… Et franchement qu'est que j'aurais aimé travaillé sur celui-ci au lycée.

L'écriture de l'auteur est très agréable et très descriptive. D'ailleurs grâce a ses descriptions détaillées j'ai pu reconnaître certains tableau. Il faut que j'avoue qu'en art je suis zéro. Je connais Dali, quelques Picasso, et puis ces tout. J'ai donc été très surprise de voir que c'était Vermeer qui avait peint la célèbre crémière égérie d'une certaine marque de produit laitier. (Bhen oui , du coup j'ai un peu lu avec accès direct a internet).

Mais en dehors de ça c'est aussi toute la passion que peu vouer une jeune femme a un maître qu'elle admire plus que tout.
Ce roman est tellement riche, et pourtant si simple a lire. le caractère de cette jeune fille pleine d'illusion, . Cette opposition entre catholique et protestant, la lutte des classes, l'opportunisme aussi par certains côté,..

Un roman simple mais si riche en émotions.
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Citations et extraits (162) Voir plus Ajouter une citation
Je grimpai l'escalier pour aller trouver mon père. Il était assis sous les combles, près de la fenêtre, la lumière effleurait son visage. Faute de mieux, c'était sa façon de voir, maintenant.

Mon père était artiste céramiste. Ses doigts étaient bleus à force de peindre cupidons, damoiselles, soldats, bateaux, enfants, poissons, fleurs ou animaux sur des carreaux blancs avant de les vernir, de les passer au four et de les vendre. Un jour, le four avait explosé, le privant et de ses yeux et de son commerce. Il avait eu de la chance. Deux de ses compagnons étaient morts.

Je m'assis près de lui et lui pris la main.

« J'ai entendu, dit-il, sans me donner le temps d'ouvrir la bouche. J'ai tout entendu. » Ses oreilles compensaient des yeux qui n'étaient plus.

Je ne trouvais rien à dire qui ne parût pas un reproche.

« Je te demande pardon, Griet, j'aurais voulu mieux faire pour toi. » On pouvait lire certaine tristesse à l'endroit où se trouvaient jadis ces paupières que le docteur avait à jamais cousues.

« Mais c'est un homme honnête et bon. Il te traitera bien. »

Il n'ajouta rien au sujet de sa femme.

« Comment pouvez-vous en être aussi sûr, père ? Vous le connaissez ?

- Ne sais tu pas qui il est ?

- Non.

- Ne te rappelles-tu pas le tableau que nous avons vu il y a quelques années, à l'hôtel de ville, où Van Ruijven l'avait exposé après l'avoir acheté ? C'était une vue de Delft depuis les portes de Rotterdam et de Schiedam. Le ciel y tenait une très grande place et le soleil éclairait certains édifices.

- Et du sable avait été ajouté à la peinture pour donner un aspect rugueux à la brique et aux toits, ajoutai-je. De grandes ombres s'étiraient sur le canal et de minuscules personnages s'activaient sur le rivage près de chez nous.

- C'est ça. » Les orbites de mon père s'élargirent comme s'il avait encore ses yeux et contemplait à nouveau le tableau.

Je m'en souvenais avec précision. Je me revoyais pensant au nombre de fois où je m'étais arrêtée à cet endroit précis sans jamais voir Delft avec les yeux de ce peintre.

« Vous voulez dire que cet homme, c'était Van Ruijven ?

- Le mécène ? »

Le père partit d'un petit rire ? « Non, non, mon enfant, ce n'était pas lui. C'était le peintre. Veermer. C'était Johannes Veermer et son épouse. Tu es censée faire le ménage de son atelier. »
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Les couleurs elles-mêmes compensaient mes difficultés à cacher ce que je faisais. J'aimais broyer les ingrédients qu'il rapportait de chez l'apothicaire, des os, de la céruse, du massicot, admirant l'éclat et la pureté des couleurs que j'obtenais ainsi. J'appris que plus les matériaux étaient finement broyés, plus la couleur était intense. A partir de grains rugueux et ternes, la garance devenait une belle poudre rouge vif puis, mélangée à de l'huile de lin, elle se transformait en une peinture étincelante. Préparer ces couleurs tenait de la magie.
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Les couleurs elles-mêmes compensaient mes difficultés à cacher ce que je faisais. J'aimais broyer les ingrédients qu'il rapportait de chez l'apothicaire, des os, de la céruse, du massicot, admirant l'éclat et la pureté des couleurs que j'obtenais ainsi. J'appris que plus les matériaux étaient finement broyés, plus la couleur était intense. A partir de grains rugueux et ternes, la garance devenait une belle poudre rouge vif puis, mélangée à de l'huile de lin, elle se transformait en une peinture étincelante. Préparer ces couleurs tenait de la magie.
Grâce à lui, j'appris à laver les diverses substances afin de les débarrasser de leurs impuretés et d'en exprimer les couleurs authentiques. Je me servais d'une série de coquillages pour récipients, rinçant les couleurs jusqu'à une trentaine de fois afin d'en retirer craie, sable ou gravillons. C'était là un travail long et lassant, mais il était gratifiant de voir la couleur devenir plus franche à chaque lavage et plus proche de celle que l'on recherchait.
La seule couleur qu'il ne me laissait pas manipuler était l'outremer. Le lapis-lazuli était, en effet si couteux et le procédé visant à obtenir un bleu pur à partir de la pierre si difficile qu'il ne laissait ce soin à personne.

Quel Art dans cette écriture !!!
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J'avais l'habitude de disposer les légumes en cercle, par catégorie, comme les parts d'une tarte. Il y avait cinq parts : choux rouges, oignons, poireaux, carottes et navets. Je m'étais servie d'une lame de couteau pour délimiter chaque part et j'avais placé une rondelle de carotte au centre.
L'homme tapota sur la table. "Est-ce dans cet ordre qu'ils iront dans la soupe ?" me demanda-t-il en étudiant le cercle.
- Non Monsieur", j'hésitais, je n'aurais pu expliquer pour quelle raisons je les ai arrangés de la sorte. Je m'étais dit que ça devait être comme ça, un point c'est tout, mais j'avais trop peur d'avouer ça à un monsieur.
- "Je vois que vous avez mis de coté les légumes blancs, reprit-il en montrant les navets et les oignons. Tiens, ceux de couleur orange ne voisinent pas avec ceux de couleur pourpre, pourquoi ça?" Il ramassa une tranche de chou et un bout de carotte, les secoua dans sa main comme des dés.
Je regardais ma mère, elle hocha discrètement la tête.
-"Les couleurs jurent parfois quand elles sont côte à côte, Monsieur".
Il fronça les sourcils, de toute évidence, il ne s'attendait pas à cette réponse. -"Dites-moi, vous passez beaucoup de temps à disposer les légumes avant de faire la soupe?
- Oh non, Monsieur !", répondis-je confuse, je ne voulais pas qu'il crût que je gaspillais mon temps.
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******

Vous savez que le tableau a besoin de cette lumière que reflète la perle. Elle le complète, murmura-t-il.
Je le savais, bien sûr. Je n’avais pas regardé le tableau très longtemps, car me voir ainsi produisait sur moi un effet trop bizarre, mais j’avais perçu immédiatement qu’il avait besoin de la perle. Sans elle, il n’y avait que mes yeux, ma bouche, la garniture de ma chemise, l’ombre derrière mon oreille, des détails séparés et distincts, la perle en ferait un tout. Elle compléterait le tableau.


(Ce tableau de Johannes Vermeer est l’un des plus célèbres au monde. Une nouvelle fois, après « Les tournesols » de Vincent Van Gogh et « Les Meules » de Claude Monet, le tableau a été ciblé par des militants écologistes au Mauritshuis à La Haye en Hollande.
Vermeer est mon peintre préféré. Ayant déjà vu la toile plusieurs fois à La Haye, la vision du regard pur de cette jeune fille maltraitée ainsi m’a profondément peiné.
J’ai repensé aux derniers vers d’un petit poème que j’avais écrit sur cette Joconde du Nord :

« Poussière de perles écrasées,
Peau douce immaculée,
Étrange turban exotique dont les plis frémissent,
À qui appartint-il jadis ?

Qui peut être cette femme troublante
Une fille de Delft, une jeune servante ?
Beauté irréelle au visage précieux, fragile,
Sous son oreille, une perle brille.

Par ce portrait hors du temps
L'artiste nous transporte habilement
Bien au-delà de l'apparence,
Au-delà même de notre propre existence. »)

***
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