Lin Kong n'a pas choisi son épouse.
Soucieux de leurs vieux jours, ses parents comptaient sur une belle-fille qui prendrait soin d'eux.
Ils lui ont imposé Shuyu, une paysanne aux pieds bandés, saine et industrieuse, mais pour laquelle il n'a aucune affection.
Une situation courante dans la campagne mandchourienne.
Peu après la naissance de leur enfant unique, seul autorisé par le Parti, Lin Kong s'en va travailler en tant que médecin dans un hôpital citadin.
La plupart des infirmières lui vouent une sincère admiration.
Mais coincées par des règlements stricts, elles réfrènent toute velléité démonstrative.
C'est que l'Autorité abhorre, décourage et réprime les rapprochements de personnes de sexes opposés, toujours susceptibles de déboucher sur des idylles et donc des copulations et donc des naissances, ce que l'idéologie maoïste en vigueur entend précisément contrôler.
Rien que des regards obliques et des sourires furtifs, donc.
Pas de quoi détourner Lin Kong de sa passion pour la littérature étrangère qu'il assouvit en cachette et en totale infraction avec les recommandations du Parti.
Mais il y a Manna Wu, une jeune infirmière qui ose un regard un rien plus appuyé, auquel répond un demi-sourire approbateur.
La naissance d'une passion !
Pas question de s'emballer toutefois : même s'il ne visite plus son épouse qu'une fois par an, et encore dans le seul but de l'inviter à consentir au divorce , Lin Kong reste un homme marié.
Il ne s'agirait pas de s'afficher aux côtés d'une autre femme; ce n'est pas seulement l'Autorité, c'est surtout la Tradition qui réprouverait une telle relation extra-conjugale, quand bien même le verbe "aimer" n'a plus été conjugué depuis belle lurette - à supposer qu'il l'ait été un jour !
Et puis ce serait la ruine de leurs carrières respectives de médecin et d'infirmière et de leur situation privilégiée qui leur permet au moins de manger tous les jours et de loger dans des dortoirs - unisexes cela va de soi - moins exigus que la moyenne.
Donc il faut obtenir le divorce, ce à quoi consent Shuyu mais à chaque fois que le juge lui demande de confirmer qu'elle n'aime plus son mari, elle craque, fond en larmes et le divorce est remis au plus tôt à l'année suivante.
La loi chinoise prévoit cependant que le divorce peut être obtenu unilatéralement après dix-huit ans de séparation.
Manna et Lin Kong vont-ils réellement devoir patienter tout ce temps pour enfin pouvoir s'étreindre, jauger s'ils se plaisent vraiment et finalement fonder une famille ?
Leur passion résistera-t-elle à cette longue attente ?
Ha Jin dissèque les sentiments d'amoureux soumis au poids des traditions, contrariés par les injonctions de l'Autorité, défiés par le temps qui passe impitoyablement.
Il a obtenu le National Book Award pour ce roman.