Quel merveilleux livre !
C'est L'histoire d'un amour démesuré d'une mère, extravagante et excessive, pour son fils, brillant, drôle, capable de réaliser les ambitions folles qu'elle nourrit pour lui.
Ce que Romain Gary estime être un poids : « Il n'est pas bon d'être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ça vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c'est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu'à la fin de ses jours. » est une bénédiction : l'amour sans limites de sa mère l'a condamné à ne plus jamais trouver l'équivalent, mais son ambition lui a épargné la médiocrité, a fait de lui un grand homme et un formidable écrivain.
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La promesse de l'aube, publié en 1960, est, avec La vie devant soi (paru en 1975 sous le pseudonyme d'Émile Ajar), considéré comme l'un des chefs-d'oeuvre de Romain Gary, et comme l'un des plus beaux hommages de la littérature à l'amour maternel.
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Dans les années 1930, le double prix Goncourt a lui aussi livré des repas à vélo. Une expérience inattendue que l'écrivain raconte dans La promesse de l'aube. Comme quoi, modernité n'est pas toujours synonyme de nouveauté.
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Cette Promesse de l'aube est donc avant tout un formidable livre qu'il vous faut absolument découvrir, sans plus tarder. Mais ici c'est aussi l'occasion de le rencontrer aux côtés de Joann Sfar dans cette remarquable édition qui permet de prendre toute la dimension de cette œuvre !
Lire la critique sur le site : Sceneario
Jusqu'à ce jour il m'arrive d'attendre la France, ce pays intéressant, dont j'ai tellement entendu parler, que je n'ai pas connu et que je ne connaîtrai jamais - car la France que ma mère évooquait dans ses descriptions lyriques et inspirées depuis ma plus tendre enfance avait fini par devenir pour moi un mythe fabuleux, entièrement à l'abri de la réalité, une sorte de chef-d'oeuvre poétique, qu'aucune expérience humaine ne pouvait atteindre ni révéler.
Ils avaient appris et ils enseignaient "la sagesse", cette camomille empoisonnée que l'habitude de vivre verse peu à peu dans notre gosier, avec son goût doucereux d'humilité, de renoncement et d'acceptation.
J'ajoute que tout en ayant mes bons moments, il m'a toujours été difficile d'accomplir cet effort prodigieux de bêtise dont il faut être capable pour croire sérieusement à la guerre et en accepter l'éventualité. Je sais être bête, à mes heures, mais sans m'élever jusqu'à ces glorieux sommets d'où la tuerie peut vous apparaître comme une solution acceptable.
II y avait parmi eux un certain M. Piekielny – ce qui, en polonais, veut dire « Infernal ». Je ne sais dans quelles circonstances les ancêtres de cet excellent homme avaient acquis ce nom peu ordinaire, mais jamais un nom n'alla plus mal à celui qui en fut affublé. M. Piekielny ressemblait à une souris triste, méticuleusement propre de sa personne et préoccupée; il avait l'air aussi discret, effacé, et pour tout dire absent, que peut l'être un homme
obligé malgré tout, par la force des choses, à se détacher, ne fût-ce qu'à peine, au-dessus de la terre. C'était une nature impressionnable, et l'assurance totale avec laquelle ma mère avait lancé sa prophétie, en posant une main sur ma tête, dans le plus pur style biblique, l'avait profondément troublé. Chaque fois qu'il me croisait dans l'escalier, il s'arrêtait et me contemplait gravement, respectueusement. Une ou deux fois, il se risqua à me tapoter la joue. Puis il m'offrit deux douzaines de soldats de plomb et une forteresse en carton. Il m'invita même dans son appartement et me combla de bonbons et de rahatlokoums. Pendant
que je m'empiffrais – on ne sait jamais de quoi demain sera fait – le petit homme demeurait assis en face de moi, caressant sa barbiche roussie par le tabac. Et puis un jour, enfin, vint la pathétique requête, le cri du coeur, l'aveu d'une ambition dévorante et démesurée que cette gentille souris humaine cachait sous son gilet.
– Quand tu seras...
Il regarda autour de lui avec un peu de gêne, conscient sans doute de sa naïveté, mais incapable de se dominer.
– Quand tu seras... tout ce que ta mère a dit.
Je l'observais attentivement. La boîte de rahatlokoums était à peine entamée. Je devinais instinctivement que je n'y avais droit qu'en raison de l'avenir éblouissant que ma mère m'avait prédit.
– Je serai ambassadeur de France, dis-je, avec aplomb.
– Prends encore un rahat-lokoum, dit M. Piekielny, en poussant la boîte de mon côté. Je me servis. Il toussa légèrement.
– Les mères sentent ces choses-là, dit-il. Peut-être deviendras-tu vraiment quelqu'un d'important.
Peut-être même écriras-tu dans les journaux, ou des livres... Il se pencha vers moi et me mit une main sur le genou. Il baissa la voix.
– Eh bien! quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire...
Une flamme d'ambition insensée brilla soudain dans les yeux de la souris.
– Promets-moi de leur dire: au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny...
Son regard était plongé dans le mien avec une muette supplication. Sa main était posée sur mon genou. Je mangeais mon rahat-lokoum, en le fixant gravement.
A la fin de la guerre, en Angleterre, où j'étais venu continuer la lutte quatre ans auparavant, Sa Majesté la Reine Elizabeth, mère de la souveraine actuelle, passait mon escadrille en revue sur le terrain de Hartford Bridge. J'étais figé au garde-à-vous avec mon équipage, à côté de mon avion. La reine s'arrêta devant moi et, avec ce bon sourire qui l'avait rendue
si justement populaire, me demanda de quelle région de la France j'étais originaire. Je répondis, avec tact, « de Nice », afin de ne pas compliquer les choses pour Sa Gracieuse Majesté. Et puis... Ce fut plus fort que moi. Je crus presque voir le petit homme s'agiter et gesticuler, frapper du pied et s'arracher les poils de sa barbiche, essayant de se rappeler à mon
attention. Je tentai de me retenir, mais les mots montèrent tout seuls à mes lèvres et, décidé à réaliser le rêve fou d'une souris, j'annonçai à la reine, à haute et intelligible voix:
– Au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M. Piekielny...
Sa Majesté inclina gracieusement la tête et continua la revue. Le commandant de l'escadrille « Lorraine », mon cher Henri de Rancourt, me jeta au passage un regard venimeux.
Mais quoi: j'avais gagné mon rahat-lokoum. Aujourd'hui, la gentille souris de Wilno a depuis longtemps terminé sa minuscule existence dans les fours crématoires des nazis, en compagnie de quelques autres millions de Juifs d'Europe.
Je continue cependant à m'acquitter scrupuleusement de ma promesse, au gré de mes rencontres avec les grands de ce monde.
Je reste là, au soleil, le cœur apaisé, en regardant les choses et les hommes d'un œil amical et je sais que la vie vaut vraiment la peine d'être vécue, que le bonheur est accessible, qu'il suffit simplement de trouver sa vocation profonde, et de se donner à ce qu'on aime avec un abandon total de soi.
"Un monument ! Une biographie indispensable pour (re) découvrir Romain Gary, cet auteur incroyable ! " - Gérard Collard.
Dans le Jongleur, Agata Tuszyska peint un portrait unique de Romain Gary, unique auteur à avoir reçu deux fois le Prix Goncourt (pour Les Racines du Ciel et La Vie devant soi), diplomate, scénariste, pilote de guerre, voyageur; et montre comment son personnage va au-delà des limites de la pirouette artistique et des responsabilités humaines.
À retrouver en librairie et sur lagriffenoire.com
https://lagriffenoire.com/le-jongleur.html