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François Kérel (Autre)François Ricard (Autre)
EAN : 9782070368341
472 pages
Gallimard (13/09/1976)
4.05/5   894 notes
Résumé :
La Plaisanterie, titre du roman qui fit connaître Kundera du public français, était aussi le thème principal des récits réunis dans Risibles amours. Plaisanterie innocente qui dans un monde de "procès" à la Kafka, conduit à l'inextricable culpabilité : voilà le mécanisme que l'auteur perçait à jour.

Dans ce deuxième roman d'une férocité burlesque, nous retrouvons ce même monde, mais nous y entrons à travers le destin exemplaire d'un jeune homme qui, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (42) Voir plus Ajouter une critique
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Si la vie humaine était éternelle, la mort ne nous serait jamais venue à l'esprit. L'existence se déploierait en dehors de toutes urgences, de tous termes. La temporalité serait comprise comme étant le mouvement en général.
Mais alors, la vie non plus n'apparaîtrait pas à l'esprit. C'est en effet parce que l'on meurt que l'on vit et parce que l'on vit que l'on meurt. La vie et la mort sont consubstantielles.
L'existence humaine réelle se déploie à partir d'un passé, dans lequel on ne peut revenir autrement qu'en souvenir, pour passer en un présent insaisissable vers un futur inconnu, alors que la mort peut constamment survenir. Or il y a tant de moyens de se distraire existentiellement, de vivre comme si l'on était éternel, comme si seuls l'expression et la connaissance comptaient, en dehors de toutes considérations pour notre finitude.
Et c'est pourquoi j'aime tant Kundera. Il s'attaque si bien aux illusions humaines qui nous distraient d'une conscience authentiquement propre à la condition humaine concrète!
Ici, citant de nombreux poètes, c'est au monde de la poésie lyrique qu'il s'attaque, ce « champ magique [où] ... toute affirmation devient vérité pour peu qu'il y ait derrière elle la force du sentiment vécu. » (402)
Le poète fuit l'angoisse de l'existence humaine réelle dans les rêves de l'imagination pure, où sa liberté débridée lui permet de s'égarer avec une force de séduction quasi irrésistible pour son entourage si le hasard veut qu'il soit talentueux. C'est que cette fuite infantile, immature, veut être adorée comme le Dieu éternel qu'il était enfant dans le petit cercle familial rempli d'amour maternel (Kundera cite Wolker sur ce point (323)).
Derrière l'idéologie politique, la volonté d'être « moderne », la jalousie (sur ce point, Kundera cite Keats(319) et Hugo (331)), se manifeste l'exigence de l'absolu au présent qu'implique le refus d'une prise de conscience de ce qu'est la condition humaine.
Ces douces folies, d'apparence innocentes et charmantes se déploient ainsi dans une innocence dont l'irresponsabilité absolue passe à côté de la vie et de la mort : « le mur, derrière lequel des hommes et des femmes étaient emprisonnés, était entièrement tapissé de vers et, devant ce mur, on dansait. Ah non, pas une danse macabre. Ici l'innocence dansait! L'innocence avec son sourire sanglant. » (401)
Oui, si la vie humaine était éternelle, la mort ne nous serait jamais venue à l'esprit, mais nous ne sommes pas éternels, alors méfions nous des modes d'existences qui se déploient comme si c'était le cas. Notre innocente cruauté envers notre entourage pourrait bien mener à notre propre chute (Kundera mentionne l'exemple de Lermontov (449)) et ce, de manière aussi vaine que ridicule.
Évidemment, l'histoire rapportée par le roman est triste, pathétique même, mais le message en vaut la peine et dans ce court espace où Kundera introduit le quadragénaire, on y aime aussi certains personnages, le temps d'une « pause tranquille, où un homme inconnu a allumé soudain la lampe de la bonté. » (428)
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Un beau documentaire récent d'Arte, intelligent et nuancé, consacré à Milan Kundera, montre la complexité de ce grand auteur, la puissance de son analyse du monde et de l'être humain, mais aussi ses aspirations et ses contradictions.
Kundera est un de mes auteurs préférés, si ce n'est le préféré, et ce documentaire m'a conduit à terminer la nouvelle relecture de ses romans, en relisant une nouvelle fois La vie est ailleurs.

Un roman publié en 1973 que j'aborde chaque fois avec appréhension, tant c'est pour moi le plus cruel, le plus plus grinçant, le plus subversif, le plus désabusé, le plus nihiliste de tous ses romans.
C'est sans doute aussi celui où, en partie, Kundera règle une dernière fois ses comptes avec la période communiste de la Tchécoslovaquie, en réalité sa propre période communiste, de la fin des années 40 au milieu des années 50, qu'il a dit plus tard regarder avec un profond dégoût du jeune homme qu'il était alors.
Et de régler ses comptes avec cette illusion lyrique qui l'a saisi, qui lui a fait écrire dans les années 50 plusieurs recueils de poèmes, reniés depuis lors, et qu'il a refusé d'inclure dans l'anthologie de la Pléiade parue en 2011 qui contient toute son oeuvre.

Que cette histoire est grinçante! Quel héros inconscient, grotesque, pitoyable et effroyable, ce Jaromil, cet être immature, enfant surprotégé, vampirisé par son horrible mère, adolescent puis jeune homme complexé, inadapté à la vie sociale, qui va d'abord compenser son problème avec la réalité de tous les jours par une évasion dans l'écriture poétique, puis qui va trouver dans l'action révolutionnaire qui accompagne les débuts de l'ère communiste en Tchécoslovaquie une façon inhumaine, sadique, de s'affirmer, aux dépends même de la jeune fille avec laquelle il vit.
Même sa mort surviendra de façon totalement incongrue, stupide.

Mais aussi cette oeuvre démonte complètement, de façon totalement radicale, tout ce à quoi l'être humain croit, tout ce à quoi l'humain est attaché, y compris la beauté poétique prise par Kundera pour une illusion, au même titre pourrait-on dire que la religion.
Evidemment, si l'on prend la chose au premier degré, ça fait mal, c'est difficile à admettre pour ceux qui, comme moi, aiment Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé, Apollinaire, Char, Desnos, Césaire, et tant, tant d'autres poètes.
En définitive, Kundera semble nous dire, en quelque sorte « La poésie est l'opium du peuple », ne vous fiez pas à l'illusion lyrique qu'elle vous apporte. Et aussi, la vie n'est qu'une supercherie, tout y est relatif, rien n'a de sens.
Et je crois que c'est ce refus apparent de tout, richesse et notoriété bien sûr, mais aussi religion, politique, poésie, qui fait que Kundera est clivant, rejeté, voire détesté, par un certain lectorat.

Mais, il faut voir au-delà. Et la réponse aussi est dans ce roman, dans l'émouvant chapitre intitulé le quadragénaire. Cet homme qui a connu la « jeune fille rousse », la petite amie de Jaromil, celle dont le témoignage insensé de ce dernier contre son frère a conduite en prison, ce quadragénaire, l'accueillera à sa sortie de prison avec humanité, avec une compassion désintéressée.
Cette partie du roman nous invite à penser que, dans un monde désenchanté, où rien ne mérite notre adhésion, où rien, y compris la poésie, n'est à sacraliser, seules ont valeur humaine, la compassion, l'attention désintéressée, la « main secourable ».

Pour conclure, et ne pas être trop long, un petit mot pour dire, que comme toujours, la construction du récit est parfaite, et que l'écriture a toujours cette petite musique spéciale, en apparence si simple, comme du Mozart.
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Naissance et vie d'un poète à Prague à l'époque du changement de régime. D'un très grand poète aux yeux de sa mère. Vient l'adolescence où l'on se cherche. Comment écrire sur l'amour quand on est encore puceau ? Comment faire dormir une fille dans sa chambre quand on a la sensation de vivre chez sa mère. Cette maman trop aimante et possessive qu'il adore et déteste à la fois. Histoire d'un poète maudit qui admire Rimbaud qui ne doute pas de lui. Des scènes sérieuses, tendres, risibles, terribles, sensuelles.
Un grand Kundera sur le passage de l'enfant à l'adulte.
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Une figure passée au peigne fin…
Au-delà du roman, c'est un portrait psychologique et symbolique que nous dévoile l'auteur. Impossible de fermer un tel bouquin sans essayer d'en extirper le sens profond. Maître dans l'art de disséquer la complexité du genre humain, Kundera nous scotche littéralement dans cet ouvrage qui a pour héros (ou plutôt anti-héros) un jeune poète dénommé Jaromil.

Sous le joug d'une mère exclusive ayant sacrifié toute vie sentimentale pour son fils, le jeune-homme ne pourra s'extraire du monde de l'enfance, prisonnier jusqu'à la mort de ce binôme étouffant. Tous les stigmates de l'immaturité sont représentés à travers lui. Susceptible, colérique et jaloux, l'adolescent se laisse dévorer par ses frustrations et son désir permanent de plaire au plus grand nombre…quitte à flatter le régime de plus en plus contesté. A l'heure où gronde en sourdine la protestation et où le pays voit se dresser des intellectuels contestataires, lui ne perçoit le monde qu'à travers son nombril et se réfugie naïvement dans un lyrisme exacerbé. Seule sa gloire potentielle compte.

Difficile de ne pas y voir une critique acerbe de la poésie! Kundera sème le trouble avec ce titre évocateur qui n'est pas sans nous rappeler les mots de Rimbaud dans Une saison en enfer : « La vraie vie est absente ». La force de ce roman, c'est son impertinence. Jaromil est-il Rimbaud ? Kundera a-t-il voulu briser une figure de la poésie en nous livrant le portrait d'un gamin couvé qui ne peut grandir et s'affranchir de la pression maternelle ? Troublant quand on sait que Rimbaud fut élevé par une mère rigide, exigeante en l'absence de son père… Et cette quête permanente de reconnaissance? Ce comportement excessif, inhérent à la jeunesse ? Cette mort prématurée avant d'avoir atteint l'âge de maturité ? La confusion est à son comble !

Dans ce roman, on ne saurait dire si Kundera s'attaque ironiquement à l'image du poète ou s'il vise à écorcher la jeunesse dans son ensemble en dénonçant les défauts qui lui sont propres. « le monde des adultes sait bien que l'absolu n'est qu'un leurre, que rien d'humain n'est grand ou éternel. » Tout est dit. Et c'est à travers le chapitre du quadragénaire que l'on découvre une approche de la vie tout-à-fait différente : une approche beaucoup plus calme, plus simple, plus consciente qui contraste avec l'effervescence désordonnée des pensées adolescentes excessives.

N'oublions pas que Kundera a quarante ans lorsqu'il écrit ce roman et qu'on est en 1969! Alors, où est la vie ? Ni dans la révolution, ni dans le lyrisme… A mon humble avis, la réponse de l'auteur se situe ailleurs (en lien étroit avec la notion d'âge et de maturité). Mais ça, c'est un autre débat…
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Comme promis, j'enchaîne avec un autre Kundera après La Plaisanterie. Adorant la poésie depuis mes années d'agrégation, j'ai choisi le fameux roman de Kundera mettant en scène un poète, me disant que j'allais me régaler... Et je dois bien dire que ce fut à la fois une lecture jouissive, extatique, horrible, cauchemardesque, répugnante, étouffante, iconoclaste, écorchant l'ego... C'est assurément un des romans les plus sombres de Kundera, quand bien même l'humour et l'ironie qu'on lui connaît sont présents.

C'est donc l'histoire d'un certain Jaromil, poète auto-proclamé dès la naissance, et même avant, dans sa conception-même, par sa mère. Son prénom signifie d'ailleurs "qui aime le printemps" ou "qui est aimé par le printemps"... le découpage en parties typique des romans de Kundera nous annonce la couleur avec "Le poète naît" jusqu'à "Le poète meurt". Dès le commencement, on voit cet enfant chéri conçu et fantasmé, typique des personnages de Kundera qui cherchent à fabriquer un sens grandiose, historique, littéraire à leur vie, à recopier des modèles dans leur existence, mais l'on devine simplement que l'on va assister à sa chute d'autant plus spectaculaire et pathétique, sans toutefois se figurer le déroulement du roman et l'ampleur de la chose. Jaromil enfant nous apparaît en effet comme un enfant pourri gâté, mégalomane, qui se croit génie dès le bas âge, ce qui est soigneusement cultivé par sa mère. Au fur et à mesure, la lecture me rappelait le Portrait de Dorian Gray, tant dans l'évolution négative du personnage, que dans la thématique récurrente du miroir, de la beauté juvénile adolescente, du potentiel sous-texte homosexuel, du rapport avec le peintre, que dans le style très agréable retranscrit à merveille par le regretté François Kérel... Les premières parties du roman sont les plus légères et on se dit simplement que Jaromil n'est qu'un sous-Rimbaud cliché couvé par sa mère qui se croit, comme beaucoup de personnages de Kundera, aussi important qu'il n'est en réalité insignifiant.

La deuxième partie nous prend par surprise avec un interlude sur un personnage nommé Xavier. Kundera adore mêler roman et essai, jouer avec ses romans, interrompre ses romans, les commenter, ce qu'il fera d'ailleurs de façon magnifique dans la cinquième partie "Le Quadragénaire", mais ici, il nous laisse dans le flou deviner ce qu'il confirmera par la suite : Xavier est un double fantasmé de Jaromil adolescent, vivant moult aventures extravagantes, passant d'une péripétie à une autre, de fenêtre en fenêtre, de décor en décor, de femme en femme, de rêve en rêve (les fans d'Inception apprécieront !), et m'a tout du long rappelé un personnage de Jean-Paul Belmondo entrant et sortant par les fenêtres, d'aventure en aventure...

Kundera reste Kundera, et la troisième partie sur l'adolescence de Jaromil s'intitule... "Le poète se masturbe" :) L'on découvre les premières amours de Jaromil et l'on se surprend à revivre en détails notre propre adolescence... Kundera m'a notamment bluffé à ce sujet, j'ai revécu mes propres émois adolescents de façon assez inédite, pas tant par le titre de la partie mais bien par les tourments intérieurs de Jaromil. Jusqu'à cette partie, le roman restait innocent, léger, semblait simplement nous narrer la vie pitoyable d'un personnage bouffon se prenant pour Rimbaud et ses déconvenues répétées. Il prend une autre dimension avec la quatrième partie "Le poète court" où, dans un élan de fuite de sa mère, Jaromil entre en collision avec le monstre des romans de Kundera : le communisme. Tout comme celui-ci broyait Tomas dans L'Insoutenable Légèreté de l'être ou Ludvik dans La Plaisanterie, il dévorera Jaromil, mais pas de la même façon. de poétaillon se rêvant Rimbaud étouffé par sa mère, il deviendra un petit inquisiteur fanatique délateur zélé, aveugle et enfiévré, le petit communiste parfait et jusqu'au boutiste. La fin de sa relation avec le peintre, qui était son mentor, est aussi inoubliable qu'inattendue, et l'enfoncement de Jaromil dans une doctrine machinique, dans un suivi ovin de foule, dans un suivi de l'Histoire (toujours moquée par Kundera) sidèrera le lecteur et fera entrer une noirceur dans le roman qui en était jusqu'alors absente et qu'on ne devinait pas venir. Ce qui était seulement un roman sur un raté qui se rêve immense et qui échoue (typique de Kundera) devient un roman de plus où la folie communiste (aussi typique de Kundera) dévore les personnages et nous vaccine contre ce type de régime. Jaromil reniera ses principes passés, ses idoles passées, idolâtrera la doctrine, et connaîtra le succès en devenant le bon petit poète du bon côté de l'Histoire dont il crachera aveuglément les slogans. Ce qui lui est jeté au visage par un personnage vers la fin du roman est aussi cru que véridique. Je me garderai bien de mentionner les détails, mais la descente aux enfers idéologique du personnage et ses conséquences autour de lui n'en finissent pas de sidérer le lecteur. le répit de la cinquième partie, avec les commentaires méta-textuels de Kundera, un renversement de point de vue, est tout aussi bienvenu qu'apaisant et essentiel. J'ai adoré ces jeux de mises en scène de la part de l'auteur qui éteignait provisoirement un décor, comme au théâtre, pour en allumer un autre, et l'on retrouve là aussi un thème qui lui est cher : L'incompréhension éternelle entre les êtres. Lorsque vient enfin le dénouement pathétique de Jaromil, le peu de pitié et de sympathie qu'il avait pu nous inspirer s'est envolé depuis longtemps, et sa fin est aussi pitoyable que celle des personnages habituels de Kundera. Et les analogies avec Dorian Gray perdurent jusqu'à la toute fin...

C'est un roman qui violente le lecteur, ce que j'ai dit au début, sensation qui m'est rarement arrivée, du moins ainsi. D'abord, la mère de Jaromil (qui est d'ailleurs seulement appelée "Maman" dans le roman, seul Jaromil - et Xavier - est désigné par son propre nom dans le roman). Ce livre est l'anti-Livre de ma mère d'Albert Cohen. le Livre de ma mère m'a bouleversé il y a plus de dix ans, et ma propre mère joue un rôle fondateur plus qu'essentiel dans ma propre vie. J'ai beau être très friand des histoires à la Oedipe, je crois que je n'avais jamais lu un roman ou même digéré une fiction sous quelque forme que ce soit, où la relation mère-fils est aussi toxique et écoeurante, et en même temps me tendant un reflet déformant que j'avais beaucoup de mal à accepter. La mère de Jaromil est plus proche de la mère de Norman Bates dans Psychose que de Jocaste, Phèdre ou Lucrèce Borgia. Dans les trois dernières parties, on est littéralement étouffé, elle nous rend fou, et pourtant, on se reconnaît, jusqu'à un certain point, dans cette relation en tant que fils, et c'est là le plus terrifiant. La mère de Jaromil est un personnage aussi passionnant, mémorable et effrayant que son propre fils, et vous autres fils très proches de votre mère, cette lecture ne vous laissera pas indemnes. En bon personnage de Kundera, elle aussi calque sa vie sur des modèles, essaie d'y donner plus de sens et de grandiose qu'elle n'en a en réalité, et toute sa vie, c'est son fils, pour le meilleur comme le pire du pire. Nous est rappelée la force de la littérature, qui peut nous émerveiller, nous faire rire, et nous faire profondément souffrir.

Ensuite, Kundera touche une autre corde sensible (et j'ai vu que certains ici en avaient été encore plus chagrinés). On le connaît iconoclaste et provocateur, et il s'amuse ici à ridiculiser les grands poètes en rendant leurs vies et destinées aussi pitoyables et vides de sens que celles de Jaromil. Ils y passent tous : Rimbaud, Lermontov, Jiri Wolker, Frantisek Halas, le jeune Victor Hugo, Baudelaire... On peut être égratigné de voir nos idoles tournées en dérision et rester perplexe par les raisonnements souvent par trop binaires de Kundera (enfance/adulte, imaginaire/réalité, rêverie poétique/monde réel, maturité/immaturité, etc.) qui pourraient paraître aussi manichéens et dogmatiques que la doctrine socialiste qu'il a tant en horreur. Mais tout comme dans L'Insoutenable Légèreté de l'être, passé le petit coup de poing dans l'estomac, Kundera parvient, à la fois grâce à son humour, sa malice, et sa maestria argumentative, soit à nous faire valider son propos, en connivence avec lui, soit à lui rendre son clin d'oeil amusé adressé au lecteur. Les grands poètes restent les grands poètes dans ce roman et conservent leur part de grandiose, quand bien même il s'amuse à les dépeindre comme d'autres éternels fils à maman rêveurs dont la vie est une farce pathétique. Il reste un de mes auteurs favoris malgré tout : D'une part, l'on est pas obligé d'être constamment d'accord avec ce qu'on lit, et d'autre part, il possède quand même le don, parmi tant d'autres, de nous faire approuver (ou reconnaître avec réticence et en ronchonnant !) les sophismes les plus absurdes et provocateurs avec une démonstration aussi drôle qu'implacable...

Voilà ce que je peux dire, un roman qui accomplit plusieurs tours de force : Nous centrer sur un personnage pathétique, pitoyable, misérable, méprisable (même s'il y a aussi des moments où on le trouve touchant, surtout vers le milieu), nous tendre un miroir répugnant jusqu'à nous faire vomir, nous fils, dans notre propre relation avec notre mère, et se moquer avec espièglerie de certaines de nos idoles, et l'on souffre autant que l'on apprécie à la fois l'écriture (et donc la traduction) splendide que le roman en lui-même, et le retour de tous les thèmes de prédilection de l'auteur. Bon, je vais quand même partir vers un ailleurs maintenant, vers d'autres aventures, par la fenêtre, exactement comme Xavier ou Bébel...
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Citations et extraits (119) Voir plus Ajouter une citation
…mais le peintre était fatigué de peindre et au lieu de peindre il lui fit l'amour et, en même temps, il tenait entre ses mains sa tête couverte de dessins, comme s'il était particulièrement excité à la pensée de faire l'amour à une femme qui était sa propre création, sa propre fantaisie, sa propre image, comme s'il était Dieu couchant avec la femme qu’il venait de créer pour lui.
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Jaromil renonçait à son langage et préférait choisir la possibilité d’être le médium de quelqu’un d’autre.
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Bonjour tristesse Tu es inscrite dans les yeux que j’aime.
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Si son mariage avait été sans joie, son veuvage fut grand et glorieux. Elle trouva une grande photographie de son mari qui datait de l’époque où ils avaient fait connaissance, elle la mit dans un cadre doré et l’accrocha au mur.
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"Suis-je belle nue ou habillée?"
Il existe un certain nombre de questions féminines classiques, que tout homme rencontre tôt ou tard dans la vie et auxquelles les établissements d'enseignement devraient préparer les jeunes gens. Mais Jaromil, comme nous tous, fréquentait de mauvaises écoles et ne savait pas quoi répondre ; il s'efforça de deviner ce que la jeune fille voulait entendre, mais il était embarrassé ; la plupart du temps, en société, la jeune fille était habillée, donc ça lui ferait sans doute plaisir d'être plus belle avec des vêtements ; seulement, comme la nudité est la vérité du corps, Jaromil lui ferait sans doute le même plaisir en lui disant qu'elle était plus jolie toute nue.
"Tu es belle nue et habillée", dit-il, mais l'étudiante n'était pas du tout satisfaite de cette réponse.
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Vidéo de Milan Kundera
Vidéo du 12 juillet 2023, date à laquelle le romancier tchèque naturalisé français, Milan Kundera, s’est éteint à l’âge de 94 ans. La parution en 1984 de son livre "L’Insoutenable légèreté de l’être", considéré comme un chef-d'œuvre, l'a fait connaître dans le monde entier. Milan Kundera s’était réfugié en France en 1975 avec son épouse, Vera, fuyant la Tchécoslovaquie communiste (vidéo RFI)
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