Légère et enjouée, l'écriture de
Louis Gardel exprime à merveille les délices de la vie des pieds noirs à Alger au début des années 50. C'est un petit paradis savoureux qu'il décrit, et on se représente immédiatement, lorsqu'il parle des couffins que portent les femmes de ménage par exemple, à quoi tiennent les plaisirs de la vie des colons. le soleil beigne le texte. C'est une immersion fort agréable. Cela n'empêche pas toutefois une réflexion plus grave sur les différences au sein de la population qui compte arabes, pieds noirs et juifs, menée par le truchement un jeune protagoniste, très lucide et clairvoyant. de profondes fissures vont faire éclater l'univers idyllique. L'adolescent en saisit déjà les prémices.
Alors qu'il essaye de déchiffrer le fonctionnement du monde qui l'entoure, le narrateur découvre la complexité de l'être humain et de sa place dans une société en mouvement. Un personnage, son professeur Marco, le fascine, à un âge où on a besoin de modèles pour se forger sa propre personnalité. Il y a aussi sa truculente grand-mère, Zoé, et son ami, Solal.
Louis Gardel décrit avec beaucoup de justesse et de sensibilité les états d'âmes qui traversent l'adolescent, ses émerveillements, les chocs que lui causent les évènements qui agitent son univers. Il en est le spectateur attentif et déjà tente de trouver sa place dans ce qui ressemble à un chaos quelque peu déstabilisant. Son personnage garde une certaine retenue due à son manque d'assurance. Il aperçoit Camus dans la librairie du quartier mais ne l'approche pas.
L'Algérie des années 50 semble un terrain assez privilégié pour les colons, où les adolescents jouissent d'une grande liberté.
La baie d'Alger peut se classer dans le genre roman d'apprentissage, et autobiographique. Il échappe toutefois aux épanchements nostalgiques. C'est plutôt un regard qui enveloppe l'ensemble de la société algérienne de l'époque, et s'attache à comprendre les tenants et les aboutissants d'une situation à l'issue fatale. Les frontières des camps adverses s'avèrent poreuses. Les personnages retournent leur veste selon les circonstances. Rien ne semble figé ni définitif.
Louis Gardel prête à son héros et à sa grand-mère un profil qui échappe totalement aux clichés classique des pieds noirs. Ils portent au fond d'eux-mêmes un universalisme qui est sans aucun doute celui de l'auteur.