La caravane de Pâques

Les Cancalaises, singulièrement, s'épanchaient aux échos avec une exubérance qu'on eût dite méridionale, à croire qu'ils avaient raison, ceux qui assuraient que ces grandes femmes brunes, basanées, aux cheveux luisants, avaient dans les veines du sang de flibustiers espagnols. Marie-Anne Goulec -- Marie-Anne, à Cancale, s'abrège en Yande -- avait bondi une des premières hors de l'appentis où elle rinçait une panerée de moules. Le temps d'arpenter de son pas large la ruelle Félix-Faure en jetant au passage quelques mots par les fenêtres ouvertes, elle eût ramassé un auditoire.
-- Puisque ces crassous-là, avait-elle dit, n'ont point honte d'engueuser le jour de Pâques, c'est à nous de les en empêcher !
-- Ça ne sera point c'mode ! avait opiné une auditrice. Ils sont tous d'ensemble, et pour les déhaler !
-- Il n'en faudrait pas plus de dix de décidées pour les déculer demain de leurs bateaux, avait affirmé la Yande. Je l'ai fait pour les hîtes, je le referai ben pour le Bon Dieu !

C'était un ancien du long cours, qui, parce que l'argent est fait pour être bu et non pour payer un propriétaire, habitait l'épave des Trois-Frères, une bisquine à la retraite. Il s'était installé dans la chambre où il avait trouvé le moyen de mettre debout sur deux pattes un poêle fendu. Les beaux jours d'été ou les après-midi ensoleillés de septembre, il cuisait, allongé sur le pont.