Premier livre de
Lucien Bodard (et 1er que je lis de lui) paru après la seconde guerre mondiale. 281 pages dans le Livre de Poche. Il décrit le Paris du début de la guerre et comment il veut passer en Espagne pour pouvoir aller en Afrique car il ne veut pas rester en France occupée. Un texte dense - pas de chapitres - juste 3 parties - et même peu de paragraphes pour souffler. C'est le récit très modeste de choses éprouvantes, inquiétantes, dangereuses, vécues par un déjà diplomate (mais l'opposé du genre flamboyant de
Paul Morand). Ce titre un peu mou -
la mésaventure espagnole - est finalement bien adapté : Bodard ne veut pas se plaindre. Comme si Primo Lévy avait titré l'un de ses récits de camps "la mésaventure allemande". Bodard semble tellement modeste qu'il ne parle quasiment pas de lui, n'écrit "je" que rarement- ou est-ce un parti pris de narrateur ? - que ce récit de choses vécues semble presque un roman. Il s'efface, il décrit, il disparait presque. Il ne se fait repérer dans le texte ( mais c'est toute la difficulté de ces événements : ne pas se faire repérer et parfois savoir se faire repérer) qu'au travers d'une rare et discrète mais bien réelle ironie pour décrire les choses (la corrida notamment p.236). Il se préparait à être diplomate : il l'est, dans son écriture. Pas d'outrance, peu d'humeur. de la patience et de la maitrise de soi. Aucun triomphalisme. Peu d'émotion. Après la moitié du texte (p.178) il écrit "je" pour décrire l'effet de la détention sur le mental (en effet il est détenu au camp de Miranda en Espagne). le récit sur la détention est bien long à lire - moins bien sûr que la détention - assez étrange, de plusieurs mois dans cette micro-société très dure (mais Bodard ne se plaint pas. Il décrit) d'un fonctionnement subtil très complexe à comprendre et analyser (une mine pour les psychosociologues et les historiens de l'Institution militaire française), mais différente d'un camp de concentration nazi semble-t-il. La compacité de ce texte exprime parfois une accélération du temps (le passage dans la montagne la nuit) mais plutôt globalement une fuite sans cesse étirée du temps (tout est toujours repoussé à plus tard) , car Bodard a un espoir, un objectif, une attente : parvenir en Afrique. Sans dévoiler les détails, mon dieu que ce fut long, complexe, de pouvoir déjà partir de Paris vers le sud-ouest, le pays basque, pour pouvoir passer en Espagne, qui n'est malheureusement qu'un passage obligé avant le Portugal puis l'Afrique espérée. J'ai l'impression que le récit est si peu égocentrique qu'il doit être assez authentique, que Bodard n'a pas cherché à minimiser ou exagérer des faits et restitue finalement bien la confusion générale d'après "la débâcle".
3 étoiles et demi, seulement (mais avec moi c'est déjà pas mal) car j'ai trouvé ça long à lire quand même. Mais pas de défaut ni de choses agaçante majeure.