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Roberto Saviano (Préfacier, etc.)
EAN : 9782743620806
299 pages
Payot et Rivages (17/03/2010)
3.98/5   53 notes
Résumé :
Monsieur Sariette, archiviste-paléographe, est le « parfait bibliothécaire » de la bibliothèque du baron d’Esparvieu, près de Saint-Sulpice, dont les précieuses collections encyclopédiques sont tenues à jour par ses héritiers. Le bibliothécaire, petit, frêle, chauve, craintif, vit seul et pauvrement. Il consacre sa vie à ses livres qu’il protège d’un amour jaloux et il ne déteste rien tant que prêter des volumes. Il est fier de son catalogue et surtout de son classe... >Voir plus
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L'ENFER AU PARADIS !

Anatole France ne s'entourait guère que de son humour confinant à la plus mordante des ironies pour mettre le lecteur dans le ton de son oeuvre tout autant que de ses intentions. Ainsi, il n'est nul besoin d'aller plus loin que les deux premières pages de la révolte des anges pour savoir à quels genres de personnages on a affaire avec les héros plus ou moins malheureux de ce roman, ceux qui constituent la bourgeoise et fort honorable famille d'Esparvieu, et qu'il en sera fort probablement pour les frais de deux notables institutions, fondements de la société de l'époque - nous sommes à la veille de la Grande Boucherie, le livre étant publié en 1914 - à savoir le sabre (l'armée) mais surtout et en premier lieu, le goupillon (l'église catholique mais aussi la religion de manière plus globale). Ainsi l'auteur nous assure-t-il presque dès l'entame, d'une part que «Depuis le Concordat de 1801 jusqu'aux dernières années du Second Empire, tous les d'Esparvieu étaient allés à la messe, pour l'exemple. Sceptiques au-dedans d'eux-mêmes, ils considéraient la religion comme un moyen de gouvernement.» Qu'ensuite, « Sous l'Ancien Régime, le peuple était croyant ; la noblesse ne l'était pas, ni la bourgeoisie lettrée. Sous le Premier Empire, l'armée, du haut en bas, était fort impie. Aujourd'hui, le peuple ne croit à rien. La bourgeoisie veut croire, et y réussit quelquefois, ainsi qu'y réussirent MM. Marc et René d'Esparvieu ».

C'est donc au sein de cette famille de croyants zélés que demeure le jeune Maurice d'Esparvieu en compagnie de cette parentèle qui réside toute entière dans une large demeure dont la fierté est constituée d'une extraordinaire bibliothèque, fondée par le premier géniteur patronymique, un esprit très savant et académique issu du premier Empire, laquelle se compose de tout ce qui compte d'ouvrage philosophiques, scientifiques, métaphysiques, religieux et théologiques que l'esprit humain a pu rédigé depuis l'aube des temps, en passant par les juifs, les grecs, les romains et autres pères de l'Eglise jusqu'à nos jours.

C'est au sein de ce temple de l'esprit qu'Arcade, l'ange gardien du jeune d'Espervieu, va pénétrer par effraction, y perdre la foi après avoir soigneusement étudié les fondements de la religion, de l'origine de (des) dieu(x), connaître l'histoire de la première révolte des Anges. Dès lors, pour Arcade qui vient de découvrir que la vérité se trouve dans les livres, Dieu ne sera plus ni omniscient ni omnipotent. Après avoir pris la décision de se rebeller, il recrutera d'autres de ses congénères révoltés, en exil parmi les hommes : le Prince Istar, un ange libertaire et poseur de bombes, Zita, bel(le) androgyne athée, Nectaire, un très vieil ange jardinier qui participa à la première révolte angélique, menée par Lucifer lors de sa chute... le but des conjurés, aiguillonnés par un Arcade très remonté contre son ancien maître - lequel s'avère n'être qu'un démiurge parmi bien d'autres, d'ailleurs pas le plus important, et non LE dieu de tout l'univers - sera de renverser ce petit dieu et d'établir une forme de gouvernement éclairé, ouvert, sans chef autoritaire ni caste (une démocratie réelle ? Une anarchie ? L'auteur n'est pas absolument clair là-dessus ou, plus exactement, il laisse la porte ouverte à bien des options, selon les velléités des anges déchus rencontrés au Royaume des Cieux.

C'est au cours d'une scène absolument truculente et moqueusement coquine, en tout digne d'une pièce d'un Georges Feydeau ou d'un Eugène Labiche, que le jeune Maurice va tout en même temps rencontrer enfin son Ange Gardien, apprendre brièvement à le connaître et le perdre définitivement, ce dernier ayant donc une révolution à préparer. Dès cet instant, les rôles vont s'inverser et Maurice, l'irrévérencieux, le presque agnostique, le jean-foutre et le chéri de ces dames, comprenant le drame que c'est de perdre un tel atout spirituel, va tout faire pour lui remettre le grappin dessus, tenter désespérément de le remettre à sa juste place, comprendre que c'est désormais impossible et finir par admettre que la situation s'est inversée totalement, à savoir qu'il est désormais l'ange gardien de son ancien ange gardien ! S'ensuit une succession de scène absolument dantesques et rocambolesques au cours desquelles on voit tour à tour les anges expliquer leurs révoltes - elles ne sont pas toutes de même forme ni de même expression -, leur amour des hommes (et bien souvent, des femmes terriennes !), leur dégoût pour ce faux dieu qui a pourtant tant réussi à imposer une doctrine aussi stupide que néfaste sur notre planète depuis près de deux mille ans, leur volonté d'en découdre, par tous les moyens et d'installer enfin sur le trône de Dieu le grand porteur de lumière, l'ange déchu, celui par qui le doute, la connaissance de la vie, les sciences et les arts ont été possibles, celui que les mauvais disciples du faux dieu ont nommé "le diable" ou "Satan" mais dont le nom exact est Lucifer. Lequel, à l'ultime fin d'un long rêve (magnifique de poésie, de puissance intellectuelle et de conviction), va refuser le trône promis et presque conquis, pour le motif qu'il ne veut ni ne peut devenir Dieu à la place de l'Autre au risque d'en reprendre toutes les tares, tous les défauts, toutes les ignominies. parce que le pouvoir salit, qu'il flétrit, qu'il abêtit et oblige à la violence.

Inutile de préciser que ce roman - l'un des ultimes grands textes romanesques d'Anatole France - est une violente charge contre la religion du Livre (principalement le catholicisme mais toutes les religions consacrées peuvent se sentir visées). mais il serait aussi vain qu'intolérable de contraindre Anatole France à un genre de pensée unique et rigide. D'abord, si c'est une charge contre le christianisme tel que vécu par ses coreligionnaires - bien plus vécu comme la crainte d'un vide sans elle que comme une foi profonde -, l'ensemble est bien trop subtil, bien trop aimablement moqueur et empli d'une immense connaissance intellectuelle de son sujet pour s'avérer n'être qu'un énième pamphlet anticlérical. Par ailleurs, l'athée - ou pour le moins l'agnostique - France ne peut s'abstenir d'établir un quasi panégyrique du panthéisme des grecs ou des romains ce qui, reconnaissons-le, pour un athée, demeure une gageure ! Au-delà de la satyre, on peut aussi découvrir un texte immensément désabusé. France avait-il prémonition de la monstrueuse déflagration à venir ? Entendait-il déjà rugir les six trompettes de l'Apocalypse future ? Avait-il prémonition que des hommes au-dessus de la mêlée comme son ami Jean Jaurès seraient éradiqués sur l'hôtel du nationalisme et de la bêtise guerrière ? C'est difficile à dire, bien entendu. Il n'empêche que ce texte incroyable, entremêlant fantastique, philosophie, ironie mordante presque autant que sombre, rêve éveillé, libertinage de circonstance sans plaisir (la postérité a facilement oublié qu'Anatole France fut loin, dans sa vie privée, d'être un "enfant de choeur" !) , critique sociale profonde et comédie de moeurs, etc, décrypte avec une finesse rare notre civilisation, les rêves effondrés de la République (tout n'est pas à comparer avec notre époque, mais tant d'éléments, pourtant) tout autant que les espoirs si souvent trahis de l'humanité.

S'opposant bien évidemment aux dogmes religieux, La révolte des anges refuse aussi bien toute forme de dogmatisme politique, de purisme idéologique, d'absolutisme de l'Absolu, quels qu'ils soient. On comprend mieux dès lors comment Anatole France ne pouvait que s'attirer le saint dégoût des surréalistes - sans même prendre en compte ce style rare, réfléchi et impeccable où le verbe chaloir se conjugue et "chaille", où l'on découvre les "décrétalistes", où les bibles se disséminent en "bibliettes" -, s'attirer les foudres de la papauté (qui mit à l'index son oeuvre toute entière), déplaire invariablement au bon bourgeois, à l'armée, aux anti-dreyfusards, aux républicains bon teint, aux royalistes et aux maurassiens, et se voir aussi surement rejeté par le purisme communisme pourtant naissant.
Demeurer, jusqu'au bout, un libre-penseur, un anarchiste vrai, un homme refusant profondément toute forme d'assujettissement, n'est jamais une attitude aisée ni particulièrement comprise. Mais qu'elle est riche, lorsqu'elle s'exprime avec une telle profondeur, avec une telle d'acuité ainsi qu'un humour aussi dévastateur, quoi que toujours intensément élégant. Pour preuve, la titraille vraiment loufoque de ces chapitres, un peu à la manière classique, mais avec un tel décalage que l'on ne peut s'empêcher d'en rire. Pour exemple :
«Où il est parlé d'amour ; ce qui plaira, car un conte sans amour est comme du boudin sans moutarde : c'est chose insipide.» au chapitre huitième.
Ou bien encore celui-ci dans lequel il s'adresse à la fois à l'intelligence du lecteur tout autant qu'à son sens de la dérision (sans même souligner ce que ces mots peuvent avoir de prémonitoire à quelques semaines du commencement de la Grande Boucherie) : «Où l'on trouvera la révélation d'une cause secrète et profonde, qui bien souvent précipite les empires contre les empires et prépare la ruine des vainqueurs et des vaincus, et où le sage lecteur (s'il en est, ce dont je doute) méditera cette forte parole : «la guerre est une affaire»

Si le formalisme romanesque d'Anatole France peut souvent sembler dépassé au lecteur contemporain - à moins qu'il soit tellement insolite et atypique que le lecteur d'aujourd'hui y perd aisément pied -, cette histoire d'anges révoltés est tellement impossible à la réduction de genre littéraire, d'idée et de propos (certains n'étant plus lisibles que par des historiens, soyons honnêtes) qu'il est possible de ne plus y entrer autant qu'il faudrait. Mais qu'on se laisse porter par ces descriptions de cataclysmes démiurgiques, de grands rêves d'êtres nietzschéens malgré eux, d'avenirs utopiques mais beaux, servi par un style d'une finesse telle qu'on peine à lire quoi que ce soit d'autre dans son immédiate compagnie bibliophilique ! Il serait profondément injuste et incroyablement imbécile que cet auteur-là disparaisse de nos mémoires et, surtout, de nos lectures : n'est pas un tel génie - malgré le temps qui passe et les invariables désuétudes - qui veut. Qu'on se le dise !
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En peu de lignes, à l'ouverture de cet ouvrage, Anatole France fait le récit rapide de l'histoire d'une lignée, et de l'ascension fulgurante d'une famille de 1789 à l'aube du vingtième siècle.
Romain Bussart, laboureur à Esparvieu, fit fortune à la révolution en achetant des biens du clergé.
Le baron Alexandre d'Esparvieu, un de ses proches descendants, profita de cette fortune encore toute fraîche pour constituer l'Esparvienne, une bibliothèque de 360.000 volumes, tant imprimés que manuscrits.
Et voilà bien l'univers d'Anatole France reconstitué : une immense bibliothèque, confiée aux bons soins de Julien Sariette, modeste archiviste et paléographe doué d'une méthode et d'une patience obstinées.
Seulement quelques uns de ses volumes semblent avoir été pris d'une sorte de danse de Saint-Guy.
Il y aurait-il derrière tout cela quelque sombre diablerie ?
"La récolte des anges" est une parabole, un épître selon le grand écrivain bibliophile Anatole France.
Il y réinvente l'histoire des cieux, y redéfinit la nature de chacun de ses protagonistes pourtant devenus fameux en 2000 ans de messes, de vêpres et autres liturgiques petites réjouissances.
Anatole France y fait preuve ici d'une subversive ironie.
Le diable est dans le détail, mais aussi dans la bibliothèque éparpillée !
Le malfaiteur est dans la maison.
La trace d'un pied inconnu est remarquée ...
Un chuchotement est entendu ...
L'ange gardien de Maurice d'Esparvieu, dernier du nom, vient à apparaître et c'est ... "la révolte des anges" !
Malgré quelques longueurs, les personnages sont savoureux et les situations sont cocasses.
Cette nouvelle légende est un roman très parisien, puisqu'il paraîtrait que, même déchus, les anges aiment à flâner dans Paris, à y respirer son air tout particulier de liberté, de curiosité et de doute.
Le récit se suffirait presque à lui-même.
Mais il n'est que la tenture qui, écartée, laisse apparaître toute la pensée du grand philosophe.
Car ce livre, "la révolte des anges", est tout de philosophie, et de théologie profane.
Il s'attarde, bien sûr, sur la collusion entre le sabre et le goupillon.
Mais il ne s'en contente pas, le propos s'y enfonce encore bien plus dans un grand chamboulement de l'ordre établi.
Il en vient même à saper les fondements même de la mythologie chrétienne et du pouvoir politique.
Ce livre est une bombe, un concentré d'anarchie tranquille !
La science, l'art, le savoir, l'amour des hommes et des livres, voilà bien l'univers d'Anatole France reconstitué.
Alors, bien sûr, dans ce livre "la révolte des anges", le mot suit son petit pépère de chemin.
Il n'est pas question de se presser, on est bien là, entre amis bibliophiles moqueurs et mécréants.
Il en est de la vie comme de la musique, doit-y régner de l'harmonie.
Et le plus grand péché dont peut s'enorgueillir la plume d'Anatole France est d'avoir fait du diable le diapason de cette harmonie, d'en avoir fait un héros magnifique, le symbole de la vacuité du pouvoir ...
Un péché impardonnable pour un livre mémorable !
Les plus turbulents de nos écrivains contemporains n'ont qu'à bien se tenir ...



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Poursuivant la découverte d'Anatole France, j'ai donc attaqué ‘L'insurrection des anges ‘. Et le verdict est implacable : voici un auteur qui mérite amplement d'avoir une rue à son nom dans chaque ville de France, et qui n'a pas du tout mérité qu'on oublie pourquoi !
Pour un auteur de la fin du XIXème la lecture est surprenante de fluidité et de clarté
Le style est brillant, plein d'ironie et de vivacité ; le sujet est complexe, magistralement traité, et doté d'une lecture à plusieurs niveaux.

Tout commence dans une bonne famille de la grande aristocratie catholique, les d'Esparvieu. le patriarche, grand amateur de livres, a bâti une fabuleuse bibliothèque.Son responsable, Monsieur Sariette, un petit vieillard atrabilaire et monomaniaque, la garde comme Cerbère la porte des enfers. Mais voila que des livres se mettent à disparaître. le coupable : l'ange gardien du jeune Maurice d'Esparvieu, qui veut se cultiver. Au fil de ses lectures, il découvre que Dieu n'est qu'un imposteur ; il décide donc de s'incarner pour prendre contre lui la tête d'une révolution !

Tout l'art d'Anatole France consiste à renvoyer tout le monde dos à dos. D'un point de vue sociale, la grande bourgeoisie catholique dissimulant ses turpitudes sous la pudibonderie ; et les délires de la bohème. D'un point de vue politique, la critique de l'absolutisme et des monarchistes est impitoyable ; mais il conclut qu'une révolution n'arrivera qu'à mettre au pouvoir des despotes encore pires. Très prophétique, si l'on songe que le livre est paru en 1914. Les milieux d'affaires, et leurs liens incestueux avec la Troisième République, prennent également leur banderille au passage.

Mais c'est surtout sur le sujet religieux qu'on touche au grand art. Car même si le sujet consiste à nier la toute-puissance de Dieu, il n'en reste pas moins qu'il existe et que cette révolution est menée par des anges ! D'où l'insurmontable problème d'un des personnages, athée : il est d'accord avec l'ange, mais ne croit pas à l'existence de ce dernier. Les religieux et les non-religieux en tireront leurs conclusions. Mon opinion, pour ce qu'elle vaut, est qu'Anatole France répugnait autant aux excès de la religion qu'à ceux du matérialisme.

Précisons que rien dans tout cela n'est sardonique, mélodramatique, outragé ou révolté : tout reste léger comme une opérette d'Offenbach, et d'ailleurs à bien des égards on est plus dans la satyre sociale que dans la critique. Anatole France constate la réalité du monde et que ma fois, ce n'est pas très beau mais somme toute ça ne marche pas si mal comme ça. En fait, il semble avoir une tendresse pour chacun de ses personnages, du fils de famille débauché à la vivandière trompée, leurs petits arrangements avec l'honnêteté et leurs grosses ficelles.

Son sec rejet de la cause révolutionnaire explique mieux pourquoi il fut l'objet de si furieuses attaques d'Aragon. Pour moi, je suis définitivement conquis par son style et son habileté narrative !
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Je me demande qui aujourd'hui est encore capable de lire et de comprendre un tel livre ? La prose déjà qui n'est pas évidente, et surtout le thème abordé : qui s'intéresse encore aujourd'hui aux problématiques de la religion catholique dans la société ? En l'occurrence la société française des années 1900 ? Il y a belle lurette que la question semble réglée (dans une grande partie de l'Europe tout au moins) et l'Église enfoncée dans ses erreurs et les malversations de ses clercs n'a plus le pouvoir de régler la vie des humains à sa guise. La vérité du christianisme a été étouffée par ses propres ministres.
Voici donc un texte qui demande une culture étendue et ciblée pour être compris et apprécié. Comme tous les écrivains depuis Voltaire jusqu'à la mi-20e siècle, Anatole France sait de quoi il parle quand il critique la religion. Il sait argumenter et on est impressionné par les références qu'il apporte mais au fond, ce n'est pas totalement là son propos même s'il fait preuve d'un anticléricalisme militant.
Ce livre mêle en réalité satire, philosophie, fantaisie sans oublier d'explorer la psychologie humaine. Il est à la fois grave et drôle.
L'histoire se concentre sur une révolte menée par des anges rebelles qui remettent en question le règne de Dieu. L'ange Arcade et ses compagnons refusent l'ordre établit par un Dieu dont ils estiment qu'il maintient l'humanité dans la souffrance, l'ignorance et la mort. Ils entreprennent donc une quête pour virer le démiurge en place et mettre Lucifer (le bon ange) au pouvoir. L'auteur utilise l'allégorie pour critiquer la société de son époque, abordant des questions philosophiques profondes sur la nature de la divinité, le libre arbitre, le pouvoir et la rébellion contre l'autorité établie. A partir de là, le roman explore en partie l'étude de la guerre (le livre semble être paru en 1914 et cette évocation d'un tel sujet n'a sûrement rien d'un hasard). Ceux qui pensent savoir tout sur tout face à l'actualité sidérante d'aujourd'hui où les guerres se développent partout dans le monde devraient relire les auteurs comme Anatole France. Ils y trouveront "la révélation d'une cause secrète et profonde, qui bien souvent précipite les empires contre les empires et prépare la ruine des vainqueurs et des vaincus, et où le sage lecteur (s'il en est, ce dont je doute) méditera cette forte parole : « La guerre est une affaire »."
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L'ange gardien d'un jeune homme de bonne famille occupe ses temps libres à l'étude, au grand dam du bibliothécaire des lieux, ce qui a pour résultat de sérieusement dévaluer son Dieu à ses yeux. Quittant ses fonctions (au grand dam, cette fois, du jeune homme), il s'acoquine avec d'autres anges rebelles séjournant sur Terre pour fomenter la révolte. En même temps, il tombe dans les mêmes vices que le premier mortel venu.

C'est un joyeux délire, très cocasse et émaillé d'une ribambelle de blasphèmes inspirés. Au milieu du livre, le rythme change le temps qu'un démon nous raconte l'histoire du monde où Dieu est représenté comme un imposteur cruel et incapable et où Lucifer et sa cohorte d'anges rebelles sont l'inspiration et les bienfaiteurs de l'humanité. On revient ensuite à nos personnages et leurs amusantes et pathétiques actions.

Plus je lis M. France, plus je l'apprécie. Ses textes sont teintés d'une ironie euphorisante. Dieu et l'Église ne sont pas les seuls à en prendre pour leur rhume ici ; la guerre (le roman est publié à l'aube de la 1ère guerre mondiale), les autorités, les révolutionnaires de tout acabit, les hommes, les femmes, tout le monde reçoit sa juste part de pétillant sarcasme.
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Profitant de la paix romaine, qui assurait partout la liberté du trafic et et des voyages et favorisait l'échange des produits et des idées, ce vieux dieu [Iahveh] prépara la conquête insolente de l'univers. Il n'était pas le seul, d'ailleurs, à tenter une telle entreprise. En même temps que lui, une foule de dieux, de démiurges, de démons, tels que Mithra, Thamous, la bonne Isis, Euboulos, méditaient de s'emparer du monde pacifié. De tous ces esprits, Iahveh semblait le moins préparé à la victoire. Son ignorance, sa cruauté, son faste, son luxe asiatique, son mépris des lois, son affectation à se rendre invisible devaient offenser ces Hellènes, ces latins qui avaient reçu les leçons de Dyonisos et des Muses. Il sentit lui-même qu'il n'était pas capable de gagner le cœur des hommes libres et des esprits polis, et il usa de ruse. Pour séduire les âmes, il imagina une fable qui, sans être aussi ingénieuse que les mythes, dont nous avons orné l'esprit de nos disciples antiques, pouvait toucher les intelligences débiles, qui, partout, se trouvent en foule épaisse. Il proclama que les hommes, ayant tous commis un crime envers lui, un crime héréditaire, en portaient la peine dans leur vie présente et dans leur vie future (car les mortels s'imaginent follement que leur existence se prolonge dans les enfers) et l'astucieux Iahveh fit connaitre qu'il avait envoyé son propre fils sur la terre pour racheter de son sang la dette des hommes. Il n'est pas croyable que la peine rachète la faute, il est moins croyable encore que l'innocent puisse payer pour le coupable. Les souffrances d'un innocent ne compensent rien et ne font ajouter q'un mal à un mal. Cependant, il se trouva de malheureux êtres pour adorer Iahveh et son fils expiateur, et pour annoncer leurs mystères comme une bonne nouvelle. Nous [les anges déchus] devions nous attendre à cette folie. N'avions nous pas vu maintes fois les humains, quand ils étaient pauvres et nus, se prosterner devant tous les fantômes de la peur, et, plutôt que de suivre les leçons des démons favorables, obéir aux commandements des démiurges cruels ? Iahveh, par sa ruse, prit les âmes comme dans un filet. Mais il n'en retira pas, pour sa gloire, tout l'avantage qu'il en attendait. Ce ne fut pas lui, ce fut son fils qui reçut les hommages des hommes et donna son nom au culte nouveau. Il demeura lui-même à peu près ignoré sur la terre.
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La bibliothèque d'Esparvieu est encore aujourd'hui, en théologie, en jurisprudence et en histoire, une des plus belles bibliothèques privées de toute l'Europe. . Vous y pouvez étudier la physique ou, pour mieux dire, les physiques dans toutes leurs branches, et pour peu qu'il vous en chaille, la métaphysique ou les métaphysiques, c'est à dire ce qui est joint aux physiques et qui n'a pas d'autre nom, tant il est impossible de désigner par un substantif ce qui n'a point de substance et n'est que rêve et illusion. Vous pouvez y admirer les philosophes procédant à la solution, dissolution et résolution de l'absolu, à la détermination de l'indéterminé et à la définition de l'infini. Tout se rencontre dans cet amas de bibles et de bibliettes sacrées et profanes, tout jusqu'au pragmatisme le plus nouveau et le plus élégant.
D'autres bibliothèques contiennent plus abondamment ces reliures vénérables par l'ancienneté, illustres par la provenance, suaves par le grain et le ton de la peau, précieuses par l'art du doreur, qui a poussé les fers en filets, en dentelle, en rinceaux, en fleurons, en emblèmes, en armoiries, et qui, de leur doux éclats, charment les yeux des savants ; d'autres peuvent renfermer en plus grand nombre des manuscrits ornés, par un pinceau vénitien, flamand ou tourangeau, de fines et vives miniatures. Aucune ne surpasse celle-ci en belles et bonnes éditions des auteurs anciens et modernes, sacrés et profanes.
On y trouve tout ce qui nous reste de l'antiquité ; tous les Pères de l'Eglise et tous les apologistes et les décrétalistes, tous les humanistes de la Renaissance, tous les encyclopédistes, toute la philosophie, toute la science.
C'est ce qui fit dire au cardinal Merlin, quand il la daigna visiter :
- Il n'y a pas d'homme qui ait la tête assez forte pour contenir toute la science amassée sur ces tablettes. Heureusement que ce n'est point nécessaire.
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- L'esprit peut-il concevoir, dit Aracade, ce qu'une grande ville contient de douleurs et de souffrances ? Je crois qui si un homme parvenait à se le représenter, l'horreur de cette vision serait telle qu'il tomberait foudroyé.
- Et pourtant, répondit Zita, tout ce qui respire dans cette géhenne aime la vie. C'est un grand mystère !
- Malheureux tant qu'ils existent, il leur est affreux de cesser d'être ; ils ne cherchent pas dans l'anéantissement une consolation ; ils n'y prévoient pas même le repos. Leur folie leur rend redoutable le néant même : ils l'ont peuplé de fantômes. Et voyez ces frontons, ces clochers, ces dômes et ces flèches qui percent la brume, surmontés d'une croix étincelante !... Les hommes adorent le démiurge qui leur a fait une vie pire que la mort et une mort pire que la vie.
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La guerre et le romantisme, fléaux effroyables ! Et quelle pitié de voir ces gens-ci nourrir un amour enfantin et furieux pour les fusils et les tambours ! Il ne comprennent pas que la guerre, qui forma les cœurs et fonda les cités, n'apporte au vainqueur lui-même que ruine et misère et n'est plus qu'un crime horrible et stupide maintenant que les peuples sont liés entre eux par la communauté des arts, des sciences et du trafic. Européens insensés qui méditent de s'entr'égorger, alors qu'une même civilisation les enveloppe et les unit !

[N.B : ce roman fut publié en janvier 1914. Anatole France, anarchiste, pacifiste, participant à des journaux de gauche tel L'Humanité et qui comptait parmi ses amis le grand Jean Jaurès, ne pouvait que pressentir la terrible conflagration qui surviendrait quelques mois plus tard.]
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Du moins Maurice demeurait-il croyant. Dans les égarements de la jeunesse, sa foi restait intacte, puisqu'il n'y avait pas touché. Jamais il n'en avait examiné un seul point. Il n'avait pas considéré plus attentivement les idées morales qui régnaient sur la société à laquelle il appartenait. Il les prenait telles qu'elles lui étaient apportées : aussi se montrait-il en toutes circonstances un parfait honnête homme, ce qu'il n'aurait su faire s'il avait médité sur le fondement des mœurs.
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Vidéo de Anatole France
CHAPITRES : 0:00 - Titre
F : 0:06 - FLATTERIE - Madame de Sévigné 0:15 - FOU - Delphine Gay 0:25 - FOULE - George Sand
G : 0:34 - GAIETÉ - Robert Poulet 0:46 - GOUVERNEMENT - Marmontel
H : 0:58 - HABITUDE - Pierre-Adrien Decourcelle 1:09 - HOMME - Victor Hugo 1:19 - HOMME ET FEMME - Alphonse Karr 1:32 - HONNÊTES GENS - Anatole France 1:46 - HORLOGE - Alphonse Allais 1:56 - HUMOUR - Louis Scutenaire
I : 2:06 - IDÉAL - Marcel Pagnol 2:17 - IDÉE - Anne Barratin 2:29 - IGNORANCE - Charles Duclos 2:42 - IMBÉCILE - Louis-Ferdinand Céline 2:55 - IMMORTEL - Jean Richepin 3:05 - INJURE - Vauvenargues 3:14 - INTELLECTUEL - Alexandre Breffort 3:25 - INTELLIGENCE - Alain 3:35 - INTÉRÊT - Albert Willemetz
J : 3:46 - JEUNES ET VIEUX - Decoly 3:56 - JEUNESSE - Jean-Bernard 4:09 - JOIE - Martin Lemesle 4:22 - JOUISSANCE - John Petit-Senn
L : 4:33 - LARME - Georges Courteline 4:46 - LIBERTÉ - Henri Jeanson 4:57 - LIT - Paul Éluard
M : 5:05 - MALADIE - Boris Vian 5:18 - MARIAGE - Édouard Pailleron
5:31 - Générique
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE : Jean Delacour, Tout l'esprit français, Paris, Albin Michel, 1974.
IMAGES D'ILLUSTRATION : Madame de Sévigné : https://www.linternaute.fr/biographie/litterature/1775498-madame-de-sevigne-biographie-courte-dates-citations/ Delphine Gay : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/5e/Delphine_de_Girardin_1853_side.jpg George Sand : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/09/George_Sand_%281804-1876%29_M.jpg Robert Poulet : https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/personnalites/poulet-robert.html Jean-François Marmontel : https://www.posterazzi.com/jean-francois-marmontel-n-1723-1799-french-writer-stipple-engraving-french-c1800-poster-print-by-granger-collection-item-vargrc0085347/ Pierre-Adrien Decourcelle : https://www.mediastorehouse.co.uk/fine-art-finder/artists/henri-la-blanchere/adrien-decourcelle-1821-1892-39-boulevard-des-25144380.html Victor Hugo : https://www.maxicours.com/se/cours/les-funerailles-nationales-de-victor-hugo/ Alphonse Karr : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/9c/Personnalités_des_arts_et_des_lettres_-_Alphonse_Karr_%28Nadar%29.jpg Anatole France : https://rickrozoff.files.wordpress.com/2013/01/anatolefrance.jp Alphonse Allais : https://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/alphonse-allais-faits-divers.html Louis Scutenaire : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Scutenaire#/media/Fichier:Louis_Scutenaire,_rue_de_la_Luzerze.jpg Marcel Pagnol : https://www.aubagne.fr/actualites-109/marcel-pagnol-celebre-dans-sa-ville-natale-2243.html?cHash=50a5923217d5e6fe7d35d35f1ce29d72#gallery-id-4994 Anne Barratin : https://www.babelio.com/auteur/Anne-Barratin/302855 Charles Pinot Duclos
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