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EAN : 9782207302118
256 pages
Denoël (06/05/1976)
3.97/5   15 notes
Résumé :
Le gouvernement américain est inquiet : un charlatan a enregistré un message interstellaire et l'a diffusé à grand fracas dans le pays. Le document récupéré, un centre de recherches est mis sur pied, groupant trois mille savants, pour interpréter le message. Mais comment comprendre quelque chose qui nous est tellement étranger ?
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique



La Voix du Maître / Stanislas Lem
La chose et (ou) le processus.
Un scientifique américain a enregistré un message, le premier de l'histoire de l'humanité venant du fin fond du Cosmos d'une civilisation supérieure à la nôtre contenant une information qu'il serait possible de transformer en arme absolue. Cette lettre neutrinique (le support de l'information est ici un flux de neutrinos émis par une sorte de laser à neutrinos) en provenance des étoiles (étoile alpha de Canis minor) est baptisée du cryptonyme de Master's Voice (MAVO) et est confiée à un centre de recherche groupant 3000 savants surveillés nuit et jour avec pour mission non seulement de déchiffrer le message dans le plus grand secret sous le contrôle du Pentagone, mais encore de prendre contact avec l'émetteur, ce qui ferait de nous les substituts d'une représentation diplomatique de l'humanité dans le Cosmos. le décryptage s'avère ardu et le secret contenu met à rude épreuve la perspicacité des scientifiques ; le narrateur raconte : « La lettre en provenance des étoiles devenait une sorte de test de Rohrschach particulièrement compliqué. En effet, de même que le sujet examiné, pensant qu'il discerne dans les taches bariolées des anges ou des oiseaux de mauvais augure, surdéfinit l'imprécision de ce qu'on lui montre par ce qui joue dans son âme, de même, nous aussi, nous nous efforcions derrière le rideau des signes incompréhensibles, d'établir la présence de ce qui se trouvait avant tout en nous-mêmes. »
Certains qualifient le projet MAVO de test expérimental de la culture quant à son invariance cosmique. Pour le narrateur, célèbre mathématicien, il s'agit de raconter de quelle façon notre culture a été mise à l'épreuve d'une universalité cosmique et nullement terrestre, et ce qui en a résulté. Il craint que l'on ne sache avec ce message faire mieux que n'aurait fait un sauvage qui, s'étant chauffé à la flamme d'un brasier fait des oeuvres des plus grands savants, considérerait qu'il a parfaitement utilisé cette découverte, et ce malgré le mythe inébranlable de notre universalisme cognitif et de notre disposition à recevoir et comprendre une information entièrement neuve. Et puis ajoute-t-il avec humour : « l'ignorance qui freine les fièvres des gens raisonnables n'arrête nullement les imbéciles…Je suis bien incapable de comprendre pourquoi on ne laisse pas circuler sur les routes des gens qui n'ont pas leur permis de conduire, alors que les rayons des libraires peuvent se garnir, en quantité aussi abondante que l'on voudra, de livres de gens dépourvus de toute décence-- pour ne pas parler de connaissances. Actuellement, les publications de valeur sont inéluctablement submergées sous un déluge de camelote. »
Les séances de travail du groupe de scientifiques sont très souvent houleuses, les scientifiques se heurtant aux philosophes et autres linguistes pour un résultat qui frise la stérilité. Selon le narrateur, on a trop cru qu'il existait des proportions simples entre les investissements et les résultats, ce qui est loin d'être le cas. Un petit comité aurait suffi.
Peu à peu au fil du décryptage, pour Hogarth, le narrateur, ainsi que pour quelques autres scientifiques, il apparaît que le message est un algorithme au sens mathématique, donc une fonction récurrente générale ; mais la recherche de la valeur de cette fonction a saturé toutes les machines à calculer ! Réflexion faite, la lettre cosmique lui semble être la description d'un processus cyclique. le cerveau fera mieux que la machine.
« Si vous demandez à un spécialiste de la nature ce qui s'associe dans son esprit au concept de processus cyclique, il vous répondra très probablement que c'est la Vie. » En concrétisant les données qui ont pu être déchiffrées, les biochimistes parviennent à la fabrication d'une substance colloïdale qui bizarrement représente dans son comportement une infraction aux lois de la thermodynamique. À partir de là, toutes les spéculations vont être de mise. Est-ce un protoplasme constitutif des expéditeurs du message ? Ou bien n'est-ce que le foetus ou l'embryon des ces organismes ? Bien d'autres hypothèses sont exprimées sans qu'un accord intervienne. On suppose alors que l'émission neutrinique -(en fait il s'agirait bien de l'utilisation du flux neutrinique cosmique naturel auquel les expéditeurs auraient imprimé une modulation supplémentaire)- favoriserait les grandes molécules et faciliterait l'apparition dans un milieu aqueux donné la configurations atomique constitutive de l'ossature chimique de la Vie. Survient alors la question : s'agit-il de la part des expéditeurs du message d'un acte bienveillant, une sorte de partage du savoir, ou bien un acte d'agression camouflé adroitement qui aboutirait à la prise en main de la Terre jusqu'à détruire l'humanité.
Un exemple simple nous montre que la convergence conceptuelle des langages de toutes le les cultures humaines est frappante. La reproduction sexuée et la mort sont inconnues des amibes. Et si les émetteurs étaient asexués et immortels ? Comment faire comprendre un message tel que : « Grand-mère décédée ! » ?
La réflexion du narrateur va plus loin encore lorsqu'il dit : « nous n'osons pas penser, ni nous (les scientifiques) ni nos philosophes, que le caractère définitif et unique de l'existence de l'espèce n'implique nullement la perfection, laquelle aurait dû patronner son apparition. »
Au passage, notre narrateur confirme l'idée platonicienne de l'existence des mathématiques : « le monde a injecté ses règles dans le langage humain dès que celui-ci à commencé à surgir ; la mathématique sommeille en tout langage et elle est à découvrir seulement, non à inventer. »
Ce roman philosophique de science-fiction de très haut niveau tant pour ce qui concerne la forme que le fond, paru en 1968, d'une lecture assez difficile, n'est pas ordinaire : il s'agit à partir d'un événement rare pour ne pas dire unique (le message cosmique) de procéder à une analyse des réactions et des comportements des récipiendaires tant du point de vue de l'analyse de l'information elle-même que du langage utilisé. Il s'agit d'une réflexion philosophique sur la civilisation plutôt qu'un roman fantastique, d'un traité d'épistémologie en quelque sorte. L'analyse de l'information contenue dans le message nécessite à coup sur aussi bien une étude mathématique que topologique, d'où la question : est-ce la chose ou le processus qui importe au premier chef ? Jusqu'au jour où Prothero, un collègue de Hogarth, lui confie ce qu'il garde secret depuis un certain temps, qu'il a fait une observation étonnante sur le protoplasme colloïdal, à savoir que sous certaines conditions de rayonnement, des atomes se désintègrent à un endroit pour réapparaître de façon énigmatique au-delà d'une certaine distance quasi instantanément, sans de ce fait enfreindre les lois de la thermodynamique. Si les calculs de Prothero sont exacts, ce qui est quasi certain, et si les expériences à venir confirment celles qui ont déjà été faites, il apparaît qu'il est possible de provoquer une explosion nucléaire de telle sorte que, transportée à la vitesse de la lumière, elle libère son énergie destructrice non pas là où a lieu la détonation, mais en n'importe quel point du globe arbitrairement choisi. Hogarth et Prothero détiennent un secret effroyable dont ils ne savent que faire et qui va les conduire au minimum à l'insomnie.
Et pourtant n'ont été déchiffrées du message stellaire que quelques bribes et le narrateur s'en explique : « le code est écrit en langage aculturel et pourtant il possède en outre des éléments de la culture des expéditeurs…Nous ne pouvons pas deviner ce qu'est la culture des expéditeurs ; nous ne le pouvons pas à présent pas plus que nous ne le pourrons dans mille ans. Ils doivent le savoir. Aussi ont-ils envoyé une information qui ne requiert pas, pour être déchiffrée, la connaissance de leur culture. » Il s'avère que pour l'instant n'ont été utilisés que deux à quatre pour cent de l'ensemble de l'information codée !!
L'autre intérêt de ce roman est épistémologique : c'est la réflexion sur l'humanité et son rapport avec la science qui peut devenir un piège technologique, l'usage qu'elle en fait et aussi la politique aveugle du désir de puissance à visée hégémonique sans rien respecter.
Extrait des réflexions de Hogarth : « La politique a considéré le globe - absolument comme dans les siècles passés - comme un échiquier pour ses règlements de comptes alors que cet échiquier se modifiant perfidement, n'était plus un point d'appui immobile, une base, mais plutôt un radeau devenu le jouet du choc de courants invisibles qui le portent dans une direction où nul ne regarde…La stratégie est demeurée la même, on a mis les jours avant les mois, les années avant les siècles, alors qu'il aurait fallu faire tout le contraire, inscrire sur les étendards le concept d'intérêt de l'espèce, briser l'envol technologique afin qu'il ne se transformât point en chute. »
Au fil des mois de déchiffrage, Hogarth découvre qu'il y a effectivement ce qu'on appelle le Projet dont il fait partie, mais aussi qu'il y a le Contre Projet, c'est à dire une autre unité de recherche avec ses scientifiques au service de l'armée, savamment tenue secrète afin que la première ne s'approprie pas à elle seule le fruit de ses découvertes. L'obsession de Hogarth et Prothero est de sauvegarder l'espèce, tandis que celle des généraux de l'autre équipe est de détenir la plus grande puissance possible ; mais ils n'ont pas semble-t-il connaissance du secret de Hogarth. Et encore bien d'autres surprises attendent notre mathématicien quant à la nature des résultats du déchiffrage. Des surprises telles qu'il se demande si le fait de n'avoir extrait que des bribes du message n'a pas entièrement faussé la compréhension et la traduction du message. Et la grande question qui se pose encore et toujours : l'humanité et sa tragique imperfection sont-elles l'aboutissement d'un processus stochastique ou celui d'une volonté cosmique ? La réponse est-elle dans le message ?
Un collègue de Hogarth a une autre explication concernant le message ; c'est une véritable théorie qui dit que le Cosmos est une créature à pulsations qui tour à tour se contacte et se dilate tous les 30 milliards d'années ; lorsqu'il se contracte, cela s'achève par une sorte de collapsus où l'espace se désagrège, se replie et se referme. La seule trace qui demeure de cette catastrophe, c'est le rayonnement neutrinique. Tout un chapitre (N°17) développe cette théorie hallucinante. Ainsi donc pour résumer, le code reçu ou plus exactement l'impulsion efficiente serait un message envoyé à l'intérieur de notre cosmos depuis le cosmos qui l'avait précédé. Les expéditeurs avaient donc composé un message si durable qu'il avait survécu à l'anéantissement de leur univers et que, s'étant uni aux processus de la création vivante, il avait mis en route des phénomènes d'évolution de la vie sur les planètes. Comme un testament d'une civilisation qui n'existe plus.
Hogarth et Prothero au terme d'expériences et de calculs sans fin vont en arriver à une conclusion tout à fait inattendue : la formule contenue dans le message permettant entre autres de dégager une énergie nucléaire fabuleuse ne serait-elle pas la clef pour pouvoir adresser une réponse aux expéditeurs au lieu d'être interprétée comme une arme destructrice initialement ? le dernier chapitre est une magnifique et profonde réflexion de Hogarth sur l'humanité, son origine et son destin : « Regardons au delà de nous mêmes. Enfermé dans ma chambre, je ne pouvais détacher ma pensée du fait que le grand désert au-delà des murs, avec la voûte sombre suspendue au-dessus de lui, et, ensuite, que toute la Terre sont constamment parcourus, heure après heure, siècle après siècle et ère après ère, par l'immense rivière des particules invisibles dont le flux porte une information qui parvient de même aux autres planètes du système solaire, à d'autres systèmes de ce genre à d'autres galaxies, que ce flux a été envoyé depuis un temps ignoré depuis des abîmes ignorés... »
Un livre culte. Un chef d'oeuvre.
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Comme le dit l'auteur en préambule de ce roman : " [...] C'est là (ce roman), en tant que résultat d'une expérience, un hybride[...]"

Et bien ce ne fut pas une expérience concluante en ce qui me concerne. je n'ai pas apprécié le résultat de cette hybridation.
le monologue, sans (ou presque) dialogues, ç'a beau être bien écrit avec un vocabulaire riche et parlant d'un sujet intéressant, y a rien à faire, c'est pas pour moi ; je m'y ennui assez vite et en perds ma concentration, pourtant indispensable à ce genre de lecture. Il me faut des personnages, des discutions, de l'action ; de la vie, quoi ! Pas du blabla soporifique.

En conclusion : c'est pas parce que c'est pas pour moi, que ça ne l'est pas pour vous, car après tout c'est le résultat d'une expérience, un hybride.
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Le début du roman est assez ardu et sans action.
Puis peu à peu le texte devient passionnant et a fini par m'envoûter.
Les théories du message sont imaginatives et astucieuses.
A lire!
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Romney était avec Rainhorn, l'un des rares savants de la génération aînée. Celui qui n'a pas lu son Apparition de l'Homme ne sait rien de l'évolution. Il avait recherché les causes de la raison et les avait découvertes dans ce genre de concours de hasards qui, neutres par rapport à l'événement, revêtent ensuite, à la lumière d'une réflexion "a posteriori", un sens sarcastique, étant donné que le cannibalisme se révèle être l'allié du développement intellectuel, la menace que les glaciers font peser, les prémices de la préculture, le fait de ronger les os, une inspiration qui a fait surgir l'outil, et la conjonction remontant aux poissons et aux reptiles, des organes de reproduction et d'excrétion, le squelette topologique non seulement de l'érotisme, mais encore de la métaphysique qui oscillent l'une et l'autre entre la souillure et l'angélisme. Il a extirpé des zigzags de l'évolution toute sa sainteté et toute sa misère, en démontrant comment des séries aléatoires deviennent dans leurs écarts des lois de la nature. Mais ce par quoi ce livre est le plus stupéfiant, c'est par l'esprit de compassion qui l'imprègne, alors que celle-ci n'est nulle part exprimée "expressis verbis". (p. 125)
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Entre l'expansion, dans une explosion cumulative, des meilleures techniques instrumentales et la biologie de l'homme, surgit sous nos yeux un hiatus croissant et impossible à combler, qui sépare l'homme en deux camps : ceux qui rassemblent les informations et leurs renforts, d'une part et, de l'autre, la foule féconde qui conserve son équilibre parce qu'on lui remplit le cerveau d'une bouillie d'information tout aussi préfabriquée que de l'aliment pour bétail. Commence un grand dispersement, du moment qu'a été franchi - nul ne sait exactement quand - le seuil au-delà duquel la réserve de savoir accumulé ne pourra plus jamais être assimilée par le moindre cerveau d'un seul individu. (...) Les techniques de l'information ont créé une situation paradisiaque où soi-disant chacun qui le veut peut prendre connaissance de tout ; mais c'est là une fiction absolue. Le choix, synonyme de renoncement, est tout aussi inéluctable que l'acte de respirer. (p. 160)
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Que dire alors de la multitude des versions sensationnelles qui font penser à ces plats congelés si bien apprêtés pour être immédiatement consommés qu'on les croirait presque mâchés, et qui sont bien plus appétissant vus sous leur emballage de cellophane que lorsqu'on les goûte.
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A celui qui, à la recherche de la cause, n'est d'accord avec aucune des hypothèses proposées par la réflexion, ni sous leur forme providentielle ni sous leur forme diabolique, il ne reste que le substitut rationnel de la démonologie : la statistique.
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