Ce roman raconte la vie du Duc Charles et de son entourage. M. Bourges s'est inspiré d'un réel personnage : Charles II de Brunswick. Il est chassé de son duché vers 1830 et déchu de sa position de souverain, puis va s'installer à Paris où il continue son existence d'aristocrate arrogant et capricieux dans un luxe outrancier digne de quelque satrape d'orient. Dôté d'une famille pour le moins dysfonctionnelle, tous ses enfants lui donneront des tracas à divers niveaux, sans compter ses maîtresses, ses serviteurs, etc. La narration se fait sur le mode parodique, mais avec un style recherché qui sort de l'ordinaire. le premier de ces aspects fut une surprise à laquelle je ne m'attendais pas, mais qui a contribué à mon appréciation. À noter que cela ne signifie nullement que le roman soit exempt de moments tragiques et de turpitudes. Quant au style, il est à la hauteur de sa réputation et vaut le détour. Mon bilan est largement positif. Outre le faste décadent et l'orgueil surdimensionné du Duc Charles, je retiendrai la noirceur de la Belcredi et le caractère impulsif et débauché du Comte Otto.
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Cependant par tout le château régnait une activité prodigieuse. Contrainte d'abandonner la place, Son Altesse tenait du moins à y laisser le moins qu'il se pourrait, et sous la conduite de M. Smithson, valetaille et menus officiers emplissaient des caisses énormes, que le Duc avait fait fabriquer pour être prêt à toute aventure. Cent cinquante soldats choisis des chasseurs de la garde aidaient aux hommes de livrée. On décrochait tableaux, horloges, miroirs d'applique ; on déclouait les tapis précieux, les damas, les lampas, les brocatelles ramagées, les velours ciselés des tentures. Chaises et fauteuils à pieds en spirale, lits antiques à colonnes torses, des cabinets d'ivoire et de lazulite, des paravents à bergerades, des tables, des consoles, jusqu'à des bras de nègre formant torchère, des carreaux de cuir gaufrés d'or et mille bagatelles pareilles, M. D'Œls fit tout enlever, d'après les ordres de Son Altesse, qui eût voulu emporter de surcroît les dorures des murs, les peintures des plafonds et la transparence des vitres.
Les cuivres partirent, entonnant le fameux chœur des Pèlerins. Il décrut, s'enfonça au lointain, et de mornes bouffées de sons, où l'hymne flottait en vagues soupirs, s'épandaient comme la mélancolie d'un crépuscule. Voici venir la nuit, une nuit de magie et d'enchantement, la nuit du Venusberg, le mont où la déesse retient captif le chevalier. On entendit un chant d'amour, puis la Bacchanale éclata ; toutes les voix de l'orchestre tonnèrent, et ce fracas passait comme le souffle même de la Grotte de beauté, comme la trombe harmonieuse où était emporté, dans une éternelle tempête d'amour, l'inquiet chevalier, Tannhäuser.
[Q]uand le Duc revint à l'hôtel, [...] un nouveau désastre vint l'accabler. Le pauvre prince s'aperçut que ses cheveux tombaient en abondance, et Arcangeli ne put lui cacher plus longtemps l'effrayante vérité. Les journées qui suivirent furent lugubres. Les volets demeuraient fermés ; deux bougies éclairaient à peine la vaste chambre, où le silence régnait profondément ; et le Duc, tout blanc comme un fantôme, dans ses grands peignoirs garnis de dentelle, coulait le temps sur sa chaise percée, se forgeait un funèbre avenir, et restait des heures à considérer fixement le paquet de cheveux tombés.
Le pauvre homme crevait d'ennui, toujours couché entre son bouffon et ses bêtes, et il exigea, trois jours de suite, que son fils et sa fille vinssent lui chanter des chansons du Hartz, telles que : "Le cœur est un oiseau joli", ou bien : "Buvons et fumons", etc. Lui, cependant, hochait la tête, fredonnait, humait sa cassolette, se faisait laver d'eau de senteur, mangeait, tout en lissant sa barbe, une pleine sabotière de glace, disait d'une matinée quatre phrases, l'une après l'autre, à paroles traînées, et n'imaginait pas un plus malheureux que lui sur terre.
Ses journées n'étaient occupées qu'à repasser en elle-même l'obstacle des enfants du Duc ; elle bandait son esprit sans relâche, à inventer quelque plan du démon, qui pût s'avancer sourdement, grossir au-dessus de leur tête et, de sa chute, les écraser.
La Commune de Paris : Analyse spectrale de l’Occident (1965 / France Culture). Diffusion sur France Culture le 12 juin 1965. Illustration : Une photo de la Barricade de la Chaussée Ménilmontant, Paris, 18 mars 1871 © Getty / Bettmann / Contributeur. Pierre Sipriot s'entretient avec Henri Guillemin (critique littéraire, historien, conférencier, polémiste, homme de radio et de télévision), Emmanuel Berl (journaliste, historien, essayiste), Adrien Dansette (historien, juriste), Pierre Descaves (écrivain, chroniqueur, homme de radio), Jacques Rougerie (historien spécialiste de la Commune de Paris), Philippe Vigier (historien contemporanéiste spécialiste de la Deuxième République), Henri Lefebvre (philosophe), et Georges Lefranc (historien spécialiste du socialisme et du syndicalisme). Dans les années 60, la Commune de Paris était encore "un objet chaud" qui divisait profondément les historiens. Comme en atteste ce débat diffusé pour la première fois sur les ondes de France Culture en juin 1965 et qui réunissait sept historiens, journalistes ou philosophes spécialistes du XIXe siècle. Textes d'Élémir Bourges, Jules Claretie, Lucien Descaves, Paul et Victor Margueritte, Jules Vallès et Émile Zola lus par Jean-Paul Moulinot, Robert Party et François Périer.
« La Commune, objet chaud, a longtemps divisé les historiens. Elle a eu sa légende noire, sitôt après l’événement : celle de la révolte sauvage des barbares et bandits. Elle a eu sa légende rouge : toutes les révolutions, les insurrections socialistes du XXe siècle se sont voulues filles de l’insurrection parisienne de 1871 ; et c’était à tout prendre, politiquement, leur droit. Historiquement, cette légende a pu se révéler redoutablement déformante. L’historiographie socialiste s’assignait pour tâche de démontrer "scientifiquement" que l’onde révolutionnaire qui parcourt le premier XXe siècle trouvait sa source vive dans une Commune dont elle se déclarait légitime héritière. On quêtait, par une analyse anachroniquement rétrospective, les preuves de cette filiation, oubliant le beau précepte que Lissagaray, communard, historien « immédiat » de l’événement avait placé en 1876 en exergue à son Histoire de la Commune. "Celui qui fait au peuple de fausses légendes révolutionnaires, celui qui l’amuse d’histoires chantantes est aussi criminel que le géographe qui dresserait des cartes menteuses pour les navigateurs." »
Jacques Rougerie (in "La Commune, 1871", PUF, 1988)
Source : France Culture
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