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EAN : 9782020006101
179 pages
Seuil (01/10/1972)
3.8/5   221 notes
Résumé :
Le degré zéro de l'écriture dans toute l'œuvre littéraire s'affirme une réalité formelle indépendante de la langue et du style : l'écriture considérée comme le rapport qu'entretient l'écrivain avec la société, le langage littéraire transformé par sa destination sociale. Cette troisième dimension de la Forme a une histoire qui suit pas à pas le déchirement de la conscience bourgeoise : de l'écriture transparente des Classiques à celle, de plus en plus trouble, du XIX... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
“Cher collaborateur-collaboratrice,

Suite à vos réponses au survey concernant les open spaces de notre start-up, un meeting a réuni la senior management team et les décisions suivantes ont été prises : un espace de co-working va être créé et leadé par le département Marketing, un kicker en leasing va venir s'ajouter au coffee corner et, enfin, les freelance pourront participer aux team-buildings afin d'avoir les mêmes avantages de gamification que leurs N+1.

Jean Valjean
Chief Happiness Officer”


Même si ce fragment de texte de mon cru verse dans la caricature, la langue française continue d'être bousculée par la mondialisation. Un certain anglais est devenu une source intarissable de nouveaux mots qui s'injectent et modifient le français actuel. C'est ce que l'on appelle communément une langue vivante puisque, tel un corps, elle n'a de cesse de se muer en quelque-chose qui, à peine établi, fait déjà partie de son passé. Ces évolutions continues sont l'essence même d'une langue. Elle a besoin que des modifications langagières adviennent pour ne pas mourir. Tant qu'il y a du mouvement, c'est qu'il y a de la vie. Mais ne nous y méprenons pas, comme dans toute chose, la fin d'une langue est inéluctable.

Rassurez-vous, nous n'y sommes pas encore.

Roland Barthes, le célèbre sémiologue français, s'est fait connaître grâce à son premier livre, publié en 1953, le degré zéro de l'écriture. Il retrace à sa façon l'Histoire de la langue française et la structure via une grille de lecture personnalisée qui a fait sa renommée. Sans doute aurait-il eu tant à dire sur le franglish. Je vous propose une courte analyse de ce classique controversé.

Tout d'abord il convient de préciser que ce premier livre de Roland Barthes dévoile une manière singulière (pour l'époque) d'expliciter la langue. On y découvre un style unique, un agencement de mots qui peut s'apparenter à un gloubi-boulga de paroles, une masturbation intellectuelle qui ne mène le lecteur nulle-part si ce n'est dans l'entre-soi des pensées de l'auteur. Il faut aller au-delà de ces considérations pour comprendre le point de vue de Roland Barthes et le faire résonner dans le bruit d'aujourd'hui.

Pour l'auteur français, la langue et le style sont deux modules différents au sein d'un même ensemble. La langue est un continuum qui traverse les siècles en gardant une unicité compréhensible par tout un chacun tandis que le style est une poussée créatrice qui est bien plus que la simple intention de l'auteur:

“Par exemple, Mérimée et Fénelon sont séparés par des phénomènes de langue et par des accidents de style ; et pourtant ils pratiquent un langage chargé d'une même intentionnalité, ils se réfèrent à une même idée de la forme et du fond, ils acceptent un même ordre de conventions, ils sont le lieu des mêmes réflexes techniques, ils emploient avec les mêmes gestes , à un siècle et demi de distance, un instrument identique, sans doute un peu modifié dans son aspect, nullement dans sa situation ni dans son usage: en bref, ils ont la même écriture.”

Roland Barthes pose des curseurs sur une ligne du temps qui remonte le cours de l'Histoire littéraire. On y (re)découvre que le roman est né dans la bourgeoisie, écrit par une certaine caste et à destination de cette même caste, que le passé simple a longtemps été le temps idéal du roman ou encore que le choix de la première ou troisième personne du singulier dans la rédaction d'un texte change fondamentalement ce dernier. de plus, le sémiologue français s'arrête plusieurs fois sur un fait qui me semble important, l'éclatement de la poésie classique par Victor Hugo:

« La distorsion que Hugo a tenté de faire subir à l'alexandrin, qui est le plus rationnel de tous les mètres, contient déjà tout l'avenir de la poésie moderne, puisqu'il s'agit d'anéantir une intention de rapports pour lui substituer une explosion de mots. »

Enfin, le degré zéro de l'écriture trouve sa signification avec l'exemple de l'Etranger de Camus. C'est-à-dire une écriture neutre et transparente dont le style est justement l'absence de style. C'est d'ailleurs cette neutralité qui sera le coeur atomique du travail de Barthes et ce premier essai est le fondement de sa pensée puisque ses autres oeuvres, — Mythologies ou Fragments d'un discours amoureux par exemple — sont autant de textes qui mettent en relief sa façon très personnelle de penser le monde.
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Le problème qui se pose à l'écrivain est qu'il doit utiliser utiliser ce qui lui préexiste, le langage et les mots, qui ont déjà leur tradition, pour écrire le surgissement de l'au-delà du langage qui est l'expérience humaine. Sitôt les mots assemblés et parcourus, ils se referment et l'écrit qui avait libéré l'être et le langage, se stabilise et se fige de nouveau dans un ordre qui participe à son tour à la progression de la tradition. On a beau vouloir transmettre, comme le veut l'intellectuel, celui qui prétend parler pour les autres, une intention dans l'écriture et tenter de faire de l'écriture un acte, la communication d'un contenu, on échouera à faire de la littérature, on ne produira qu'une écriture close et idéologique, formée à partir de mots devenus valeurs et jugements, que l'on assène comme des objets en bloc ; une écriture sans portée ni profondeur, une écriture sans vie ou déjà morte produite par un scripteur plutôt qu'un écrivain. (Et Paf pour Sartre).

Avant le travail des grammairiens du XVIIème siècle, l'écriture, dont l'outil n'est ni uniformisé ni épuré, peine à se stabiliser. le pouvoir monarchique en imposant l'ordre, impose aussi l'unité de la langue et l'intention de l'écriture. On écrit alors pour être "clair" et la clarté est cette intention d'harmonie, cette atonie de l'écriture policière de l'intellectuel qui parle pour ne rien dire sinon "faire joli". La poétique classique est donc exempte d'acteurs humains et d'expériences humaines. le passé simple et la troisième personne du singulier (le "il") l'aident beaucoup en cela en retirant au verbe sa puissance d'action pour n'en retenir que la valeur grammaticale et au personnage sa profondeur intérieur au profit de son apparence superficielle de figurant ; le passé simple et la troisième personne rendent la narration causale, lointaine et sans sujet ; le Roman s'écrit comme L Histoire et l'écriture, écrite par la "bourgeoisie" se dit alors "Belles lettres".

La Révolution n'y change rien car elle maintient l'autorité intellectuelle de la bourgeoisie. Ce n'est qu'après 1848, quand elle prend le pouvoir, que l'écriture change. La bourgeoisie se rend compte que sa place ne peut plus se rapporter, sans mensonge, aussi "proprement" qu'auparavant maintenant qu'elle est à l'oeuvre. Flaubert pose les conventions de la littérature qui se cherche une nouvelle légitimité, cette "littérature artisanale" qui implique de grands efforts pour "trouver un style". Zola, Daudet et Maupassant suivent médiocrement en insistant lourdement sur les effets pour montrer ostensiblement que "c'est bien écrit" - et la littérature réaliste est paradoxalement surtout artificielle. Vient alors la grande écriture traditionnelle (Gide, Valéry, Montherland, Breton), mais aussi les premières tentatives de disloquer l'écriture : Mallarmé par l'"agraphie", Camus et l'"écriture blanche" ou absente, Queneau et l'écriture "orale", sans style. Proust, lui s'accapare la littérature et fait éclater le "il" en imposant le "je".

Mais la dislocation de la littérature, c'est encore un style littéraire et l'écriture trahit son aporie profonde de ne savoir que se recombiner pour se maintenir vivante ; l'écrivain est à la recherche depuis de l'"utopie du langage", cette langue qui disparaîtrait sous l'expérience, qui saurait dire sans dire et faire surgir par soi-même cet au-delà de la littérature qu'est l'expérience humaine. Ce faisant, l'essai revient à sa thèse initiale dans une boucle qui insiste sur le fait que l'écriture n'a d'autre avenir que de se recommencer toujours en restant au seuil de cette utopie, seul moyen de maintenir vivante la recherche de l'au-delà du langage, de même que tout le projet de la recherche qui n'est qu'une introduction à l'écriture, mais pas encore, pour le personnage, projet littéraire ; la condition de la littérature est toujours de rester en deça du dire et de se consumer pour exister. Forme et fond se rejoignent car la forme de l'écrit n'a d'autre objet que de révéler le fond de l'existence.

Il est à noter que le mot "bourgeoisie" ressemble fortement à ce que dit Barthes de ces mots-valeurs dénoncés chez le scripteur-intellectuel et que rapporter l'expérience humaine ne se fait pas nécessairement sans engagement d'écriture : rien n'empêche l'écrivain.e de rester en surface et de s'exonérer de puiser au fond de lui ou d'elle pour révéler la "vérité" d'une existence. L'écriture peut alors être engagement sans être acte ; engagement d'un être biologique qui mène avec investissement sa recherche de se raconter dans son époque pour rapporter une vérité existentielle contemporaine. L'écriture ne serait pas alors nécessairement désinvestissement total de la "réalité" sans pour autant n'être qu'intention consciente de provoquer un effet. Par ailleurs en prétendant que le chef d'oeuvre littéraire est désormais impossible sous prétexte que l'époque des "belles lettres" est terminée et que le langage résorbé sur lui-même n'est qu'un éternel recommencement, Barthes semble ne pas tenir compte du fait qu'il existe un monde, ce qu'il prétend pourtant, en dehors des mots, et que le chef d'oeuvre, puisqu'il est écriture qui se nourrit de l'expérience existentielle, peut très bien s'inspirer des néologismes apportés par les expériences de vie sociales contemporaines, ne serait-ce que du fait des évolutions technologiques. L'isolement de la littérature ne se fait que par oubli de l'expérience humaine et le structuralisme pourrait être cet oubli... C'est que peut-être notre époque aurait besoin de retrouver le passé simple et le "il", non pas pour figer la littérature, mais permettre aux lecteurs et lectrices de retrouver le sens objectivé de leur existence au milieu du désordre ambiant, existence dont la littérature a fortement contribué depuis Proust à rendre consciente l'individualité. le retour du passé simple et du "il" paraîtrait alors un moyen de retrouver un sens du "social", ou du "communautaire", celui qui s'est manifesté en littérature au XIXème siècle, précisément à un moment de grands changements politiques et sociaux et que nous pourrions avoir retrouvé depuis une trentaine d'années après une seconde partie de siècle occupé à se débarrasser des systèmes politiques nationaux. Hypothèse...
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Le talent analytique de Roland Barthes ouvre de nouvelles perspectives et donne des clés pour aborder les questions de la création littéraire. Un essai très technique, mais qui ne décourage pas le lecteur non spécialiste par un désir de clairvoyance nettement sensible dans le style de Barthes. Ce "Degré zéro de l'écriture" est suivi de critiques sur, entre autres : La Rochefoucault, le mouvement réaliste, les encyclopédistes, Chateaubriand. Un vrai plaisir de lecture pour ceux qui ont l'exigence de savoir ce qu'on leur donne à manger.
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Dans cet essai Roland Barthes nous propose une analyse presque scientifique de l'écriture. Il étudie entre autre l'impact de l'Histoire sur celle-ci, l'importance et l'indépendance du style qui se construit sur le vécu de l'écrivain, l'emploi du passé simple et de la troisième personne du singulier dans le roman ...

Les nombreux exemples que propose Barthes pour illustrer son propos (la littérature Marxiste, Agatha Christie, Balzac ...) éclairent le texte et la dense réflexion qui l'habite. En effet, il convient de s'atteler à cet essai avec suffisamment de disponibilité d'esprit pour pouvoir en saisir toute l'essence. D'ailleurs, je pense honnêtement ne pas avoir tout saisi malgré mes nombreux griffonnages et prises de notes au hasard des marges au cours de ma lecture.

J'ai particulièrement apprécié le mépris de Barthes pour la métaphore que je qualifierais de "commerciale" au cours de la diatribe qu'il adresse au naturalisme ainsi que la nécessité d’appréhender le langage réel dans la littérature afin de rendre l'acte littéraire plus humain. Aussi, l'analyse de L'île mystérieuse de Jules Verne vers la fin de l'ouvrage m'a quelque peu enthousiasmée surtout que je viens de finir Vendredi ou les limbes du pacifique qui reprend les mêmes traits aventuriers. J'ai ainsi pu prolonger agréablement cette lecture.

Par ailleurs, dans les nouveaux essais critiques Barthes propose des analyses très intéressantes des Maximes de La Rochefoucault ou des œuvres de Proust ou Flaubert, Il n'est finalement pas si difficile de se confronter à ces pensées si on ne connait pas ces œuvres, ça a été le cas pour La vie de Rancé de Chateaubriand que je ne connaissais pas et dont j'ai trouvé l'analyse fort éminente.

J'ai retrouvé dans cette relecture le même plaisir que j'avais eu la première fois à m'y confronter. J'aime ce regard technique que propose Barthes sur l'écriture et ce qui la constitue. Il la fait exister, il en analyse les procédés, il la rend vivante ; pour moi, ce fut une très belle redécouverte et - finalement - la réminiscence de très bons souvenirs estudiantins.

Challenge "XXème siècle"
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Que de temps m'a t-il fallut pour pouvoir arriver à bout de cet essai! L'écriture de Barthes est tout sauf simple. À plusieurs fois il faut relire certains passages pour bien les comprendre, mais surtout, pour bien les apprécier. Mais à terme, une fois l'oeuvre terminée, quel bonheur! Tout d'abord bonheur d'y être arrivé, mais surtout bonheur d'avoir réussis à percer la pensée de Barthes qui, même s'il est vrai qu'elle s'inscrit dans un courant structuraliste déjà bien antérieur, reste toujours fraîche et novatrice.
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Citations et extraits (49) Voir plus Ajouter une citation
p 12 et 13 Qu’est-ce que l’écriture

La langue est-donc en deçà de la Littérature. Le style est presque au-delà : des images, un débit, un lexique naissent du corps et d’un passé de l’écrivain et deviennent peu à peu les automatismes même de son art. Ainsi sous le nom de style, se forme un langage autarcique qui ne plonge que dans la mythologie personnelle et secrète de l’auteur, dans cette hypophysique de la parole, où se forme le premier couple des mots et des choses, où s’installent une fois pour toutes les grands thèmes verbaux de son existence. Quel que soit son raffinement, le style a toujours quelque chose de brut : il est une forme sans destination, il est comme une dimenseion verticale et solitaire de la pensée. Ses références sont au niveau d’une biologie ou d’un passé, non d’une Histoire : il est la « chose » de l’écrivain, sa splendeur et sa prison, il est sa solitude. Indifférent et transparent à la société, démarche close de la personne, il n’est nullement le produit d’un choix, d’une réflexion sur la littérature. Il est la part privée du rituel, il s’élève à partir des profondeurs mythiques de l’écrivain, et s’éploie hors de sa responsabilité. Il est la voix décorative d’une chair inconnue et secrète ; il fonctionne à la façon d’une Nécessité, comme si, dans cette espèce de poussée florale, le style n’était que le terme d’une métamorphose aveugle et obstinée, partie d’un infra-langage qui s’élabore à la limite de la chair et du monde. Le style est proprement un phénomène d’ordre germinatif, il est la transmutation d’une Humeur.
Aussi les allusions du style sont-elles réparties en profondeur ; la parole a une structure horizontale, ses secrets sont sur la même ligne que ses mots et ce qu’elle cache est dénoué par la durée même de son continu ; dans la parole tout est offert, destiné à une usure immédiate, et le verbe, le silence et leur mouvement sont précipités vers un sens aboli : c’est un transfert sans sillage et sans retard. Le style, au contraire, n’a qu’une dimension verticale, il plonge dans le souvenir clos de la personne, il compose son opacité à partir d’une certaine expérience de la matière ; le style n’est jamais que métaphore, c’est-à-dire équation entre l’intention littéraire et la structure charnelle de l’auteur (se souvenir que la structure est le dépôt d’une durée) Aussi le style est-il toujours un secret ; mais le versant silencieux de sa référence ne tient pas à la nature mobile et sans cesse sursitaire du langage ; son secret est un souvenir enfermé dans le corps de l’écrivain ; la vertu allusive du style n’est pas un phénomène de vitesse, comme dans la parole, où ce qu n’est pas dit reste tout de même un intérim du langage, mais un phénomène de densité, car ce qui se tient droit et profond sous style, rassemblé durement ou tendrement dans ses figures, ce sont les fragments d’une réalité absolument étrangère au langage. Le miracle de cette transmutation fait du style une sorte supra-littéraire, qui emporte l’Homme au seuil de la puissance et de la magie. Par son origine biologique, le style se situe hors de l’art, c'est-à-dire hors du pacte qui lie l’écrivain à la société.


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Chaque mot poétique est ainsi un objet inattendu, une boîte de Pandore d'où s'envolent toutes les virtualités du langage ; il est donc produit et consommé avec une curiosité particulière, une sorte de gourmandise sacrée. Cette Faim du Mot, commune à toute la poésie moderne, fait de la parole poétique une parole terrible et inhumaine. Elle institue un discours plein de trous et plein de lumières, plein d'absences et de signes surnourissants, sans prévision ni permanence d'intention et par là si opposé à la fonction sociale du langage, que le simple recours à une parole discontinue ouvre la voie de toutes les Surnatures.
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On sait que la langue est un corps de prescriptions et d'habitudes, commun à tous les écrivains d'une époque. Cela veut dire que la langue est comme une Nature qui passe entièrement à travers la parole de l'écrivain, sans pourtant lui donner aucune forme, sans même la nourrir : elle est comme un cercle abstrait de vérités, hors duquel seulement commence à se déposer la densité d'un verbe solitaire. Elle enferme toute la création littéraire à peu prés comme le ciel, le sol et leur jonction dessinent pour l'homme un habitat familier. Elle est bien moins une provision de matériaux qu'un horizon, c'est-à-dire à la fois une limite et une station, en un mot l'étendue rassurante d'une économie. L'écrivain n'y puise rien, à la lettre : la langue est plutôt pour lui comme une ligne dont la transgression désignera peut-être une surnature du langage : elle est l'aire d'une action, la définition et l'attente d'un possible. Elle n'est pas le lieu d'un engagement social, mais seulement un réflexe sans choix, la propriété indivise des hommes et non pas des écrivains; elle reste en dehors du rituel des Lettres; c'est un objet social par définition, non par élection. Nul ne peut, sans apprêts, insérer sa liberté d'écrivain dans .l'opacité de la langue, parce qu'à travers elle c'est l'Histoire entière qui se tient, complète et unie à la manière d'une Nature. Aussi, pour l'écrivain, la langue n'est-elle qu'un horizon humain qui installe au loin une certaine familiarité, toute négative d'ailleurs : dire que Camus et Queneau parlent la même langue, ce n'est que présumer, par une opération différentielle, toutes les langues, archaïques ou futuristes, qu'ils ne parlent pas : suspendue entre des formes abolies et des formes inconnues, la langue de l'écrivain est bien moins un fonds qu'une limite extrême; elle est le lieu géométrique de tout ce qu'il ne pourrait pas dire sans perdre, tel Orphée se retournant, la stable signification de sa démarche et le geste essentiel de sa sociabilité.
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Chaque mot poétique est ainsi un objet inattendu, une boite de Pandore d'où s'envolent toues les virtualités du langage; il est donc produit et consommé avec une curiosité particulière, une sorte de gourmandise sacrée. Cette Faim du mot, commune à toute la poésie moderne, fait de la parole poétique une parole terrible et inhumaine.
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Il y a donc une impasse de l’écriture, et c’est l’impasse de la société même : les écrivains d’aujourd’hui le sentent : pour eux, la recherche d’un non-style, ou d’un style oral, d’un degré zéro ou d’un degré parlé de l’écriture, c’est en somme l’anticipation d’un état absolument homogène de la société ; la plupart comprennent qu’il ne peut y avoir de langage universel en dehors d’une universalité concrète, et non plus mystique ou nominale, du monde civil.
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