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EAN : 9782072925290
700 pages
Gallimard (30/05/2023)
4.03/5   790 notes
Résumé :
Ma charmante, mon inoubliable ! Tant que les creux de mes bras se souviendront de toi, tant que tu seras encore sur mon épaule et sur mes lèvres, je serai avec toi. Je mettrai toutes mes larmes dans quelque chose qui soit digne de toi, et qui reste. J'inscrirai ton souvenir dans des images tendres, tendres, tristes à vous fendre le cœur. Je resterai ici jusqu'à ce que ce soit fait. Et ensuite je partirai moi aussi.
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Critiques, Analyses et Avis (90) Voir plus Ajouter une critique
4,03

sur 790 notes
Un roman tel que celui-ci me place devant le miroir de ma propre ambition littéraire et en m'y regardant avec sincérité et sans concession, je ne peux qu'admettre que je suis encore très loin de posséder cette maturité d'esprit qui me permettrait de véritablement en faire la critique. Avec humilité, je reconnais que ce roman, écrit par un lauréat du Nobel de littérature, est un superbe roman, un grand roman. Je déplore seulement de n'avoir pas encore la capacité de l'apprécier entièrement comme tel.

L'adaptation cinématographique de David Lean est en bonne place dans mon Top 10 depuis toujours ; aimant tant le film, je me disais que lire le livre serait encore plus enrichissant. J'avais raison, le livre est 10 fois plus complet que le film mais, en contrepartie, son rythme est 10 fois plus lent également.

L'histoire est passionnante mais il faut vous attendre à être emporté(e) loin, très loin dans L Histoire, dans les profondeurs de la Russie d'une part mais également dans les méandres de son histoire sociale et politique d'autre part. J'ai rarement lu un roman d'une telle complexité avec, parfois, la sensation que ça part dans tous les sens, qu'on est emporté au milieu d'un tourbillon de neige, qu'on perd son chemin, qu'on ne distingue plus personne dans le blizzard ! Et puis, tout à coup, deux chapitres plus loin, on retombe abruptement sur ses pieds, on se retrouve et on repère dans la foule des protagonistes des êtres qu'on connaît, certains sont même devenus familiers.

A lire les autres avis, il apparaît clairement que beaucoup de lecteurs sont désorientés par la multiplicité des patronymes russes et c'est vrai que ce n'est jamais évident, mais avec la littérature russe c'est un postulat de base, cela fait partie intégrante de l'identité russe, donc on ne peut pas le déplorer, il n'y a qu'à s'accrocher et s'y faire.

L'oeuvre en elle-même propose la biographie fictive de Iouri Andreïevitch Jivago, orphelin issu du milieu russe favorisé (ses parents étaient des notables, pas des moujiks), de la fin du XIXème siècle aux années 30. Bien que de formation scientifique, Iouri Jivago est un poète. Comme bien des intellectuels russes, son intérêt pour les arts, la poésie, la pensée sociale et philosophique et les sciences est exacerbé et est étroitement lié à la conviction tendrement patriotique que la Russie est une très grande nation de laquelle doit fatalement émerger une civilisation nouvelle et s'épanouir la toute-puissance d'un peuple profondément attaché à sa terre et à son identité.

***ALERT SPOILER***
Toute l'action du roman se situe à la période oh combien charnière entre l'ancienne Russie, celle de Pierre-le-Grand et de Catherine-la-Grande, des tsars, des armées cosaques, des moujiks asservis et des koulaks enrichis, et la Russie bolchevique, ayant opéré son renversement révolutionnaire, la mère-Patrie offrant en sacrifice ses enfants pour prix d'une utopie politique sanglante mais dite nécessaire. 1905, première révolution ; 1917, seconde révolution.

L'existence entière de Iouri correspond à cette période trouble. Jamais il n'aura connu de "vitesse de croisière" dans une vie entièrement chahutée et altérée par les évènements qu'il subit de plein fouet, avec sa famille, ses amis et ses amours. Son existence est une survie, le continuel besoin de se mettre à l'abri et d'improviser les moyens de subsistance. Au quotidien, c'est l'instabilité et la précarité. Aucun repère, le risque omniprésent des renversements de situations, des séparations...

Et Lara dans tout ça ? Et oui, Larissa Fiodorovna, la blonde Lara incarnée à l'écran par la sublime Julie Christie ? Et bien Lara incarne quant à elle une autre condition humaine, plus pragmatique que celle de Iouri. Elle est femme et sera très tôt exposée aux épreuves réservées à son sexe. Elle est belle, elle déchaînera des passions, elle-même possédant un tempérament passionné.

Tout au long du roman, les destins de Iouri et de Lara, mais également ceux de nombreux autres personnages, vont se croiser et se décroiser dans l'immensité de la Sainte-Russie, de Moscou à Vladivostok, en passant par l'Oural et l'infinie taïga.

"Le Docteur Jivago" est le roman du malaise, celui des personnages principaux qui doivent s'adapter à une nouvelle société dont les leviers sont pour la plupart conformes à ce à quoi ils aspirent mais diamétralement opposés à ce à quoi ils ont été préparés par leur éducation, leur patrimoine intellectuel et leur nature profonde. Malaise également du côté du lecteur qui suit de près leurs efforts, souffre avec eux des heurts continuels de leur existence et pressent au final qu'ils ne seront que les embryons avortés d'une société pas encore assez structurée pour leur laisser la possibilité d'y trouver le bonheur.

Je finirai en disant que le style de Boris Pasternak est magnifique, pas toujours évident à suivre ; oui, il faut souvent s'accrocher mais il s'en dégage toute la force et la poésie qui caractérisent si bien l'âme russe.

Amateurs de littérature "fluide" s'abstenir !


Challenge ABC 2012/2013
Challenge NOBEL 2013/2014
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Je suis tombée très jeune sous le charme de Tolstoï à la lecture d'« Anna Karénine » et de ses oeuvres principales puis ce fut la découverte de l'univers de Dostoïevski, plus déprimant, ensuite les vers merveilleux de Pouchkine , jusqu'à cette année, la découverte de la sublime plume d'Ivan Bounine. Leur écriture me transporte, je suis comme un ectoplasme, je disparais dans leur roman. La Russie ou leur écriture m'envoûte, me fascine. Aussi ai-je décidé de combler ma méconnaissance des auteurs russes en glissant de temps à autre dans mes intentions livresques, l'oeuvre d'un grand romancier russe.

Mon choix s'est porté sur l'oeuvre de Boris Pasternak, « le docteur Jivago, » dont je n'ai pas vu l'adaptation au cinéma de David Lean, mais dont l'inoubliable musique de Maurice Jarre résonne toujours dans ma tête comme je conserve l'image de l'affiche avec le bel Omar Sharif.

Bref, je suis partie avec l'idée préconçue que j'allais savourer une belle histoire à la mode Tolstoï. Que nenni ! La magie n'a pas opéré faute à "préconçue".

C'est une oeuvre politico-historique et philosophique avec en pointillé, une histoire d'amour impossible qui n'est pas le sujet essentiel mais qui sert à illustrer la société civile de l'époque et ses moeurs ainsi que les difficultés de l'individu à trouver une once de bonheur alors que tout est pulvérisé autour de lui.

Boris Pasternak nous dépeint une extraordinaire saga à travers l'histoire de son pays, de très beaux paysages, leur immensité, leur impressionnant hiver, et une palette d'existences individuelles d'hommes et de femmes.

Né en 1890 à Moscou, dans une famille juive, il quittera ce monde, dans la misère, en 1960. Il nous lègue une oeuvre littéraire qui balaie l'histoire de la grande Russie tsariste qui après s'être épuisée dans la guerre contre le Japon en 1905, connaîtra ensuite l'enlisement dans la première guerre mondiale, puis la guerre civile, jusqu'à l'avènement de la dictature communiste.

Il imagine un personnage romanesque, Iouri Andréiévitch, « le Docteur JIVAGO », qui lui ressemble un peu j'imagine. Un être enthousiasmé, au début, par les idées révolutionnaires mais d'une telle humanité qu'il ne peut adhérer totalement à ces idées tant sa désillusion est au rendez-vous. La destinée de ce médecin sera hors du commun, dramatique. Il sera projeté avec sa famille ainsi que Larissa Fiodorovna Antipova « Lara », à l'image d'un fétu de paille, dans les tourments de l'histoire de la Russie et tous ses bouleversements.

Il fallait bien une telle oeuvre pour laisser à la postérité cette fresque qui se veut un témoignage du quotidien des russes dont la vie ne valait pas grand-chose à cette époque. Tous les personnages de ce roman représentent un concentré de toutes les tonalités de l'époque. le lecteur assiste impuissant à l'éclatement d'une société « où l'homme devient un loup pour l'homme ». Atrocités, barbarie, fanatisme, famine, épidémie, arbitraire, c'est un instantané d'une période sanguinaire qu'il est heureux de ne pas vivre mais qu'il est important de connaître.

Ce roman a été publié pour la première fois, en 1957, par les éditions italiennes Feltrinelli pour éviter la censure soviétique. Les autorités soviétiques voient les écrits de Pasternak comme "en dehors de la réalité socialiste". Il est censuré par Staline. Il se verra obligé de refuser le Prix Nobel de littérature sous la pression des autorités soviétiques qui menacent ce dernier de lui interdire son retour en URSS s'il se rend à Stockholm.

Ce roman sera publié en Russie en 1985, auparavant il circulera sous le manteau : le lire étant considéré comme acte de résistance au régime soviétique.

Très attaché à sa Russie natale, il y restera envers et contre tout même au risque du goulag.

Son expérience empirique de cette période lui fera dire au Docteur Jivago page 210

« C'était la guerre, son sang et ses horreurs, son désarroi et sa sauvagerie. C'étaient les épreuves et la sagesse concrète qu'elles avaient enseignée. C'étaient les villes perdues de province où le hasard l'avait égaré, et les hommes qu'il lui avait fait coudoyer. C'était la révolution, non pas la révolution idéalisée à l'étudiante comme en 1905 mais la révolution présente, sanglante, la révolution militaire qui faisait fi de tout et que dirigeaient les bolchevicks seuls à saisir le sens de cette tempête. »

Ou encore page 478 :

« le docteur pensa au dernier automne : l'exécution des mutins, le meurtre de la femme et des enfants de Palykh, les massacres sanglants, cette boucherie dont on ne prévoyait pas la fin. Les Blancs et les Rouges rivalisaient alors de cruauté par un jeu de représailles, de surenchère, leurs atrocités ne cessaient de croître. On avait la nausée du sang. Il refluait à la gorge, montait à la tête, vous noyait les yeux. Et Livéri appelait ca « se lamenter ».


J'ai lu l'édition Folio où il est juste indiqué « traduit du russe » sans l'indication du traducteur. J'ai ainsi relevé quelques erreurs qui m'ont dérangée, certaines phrases n'ayant aucun sens. J'y ai aussi trouvé quelques longueurs mais c'est néanmoins, une oeuvre essentielle et remarquable.

Il est à noter qu'en début de cette édition figure la liste de tous les personnages du roman tant ils sont nombreux et où le lecteur se perd un peu entre le nom et les diminutifs et leur histoire individuelle.

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Voilà, une grande page de lecture est tournée. Mes liens avec Pasternak remontent à plus de 25 ans, j'avais eu la chance par deux fois de me rendre à Peredelkino, dans la banlieue de Moscou, visiter la maison, de Boris Pasternak. J'avais été éblouie par cette maison avec une magnifique rotonde composée de baies vitrées face à une forêt. C'est là que j'ai vu le bureau où il a écrit le livre de sa vie: le Docteur Jivago.
Bien sûr comme la plupart d'entre nous, avant de lire ce roman fabuleux, j'ai vu plusieurs fois le film splendide dont est tiré le livre.
Souvent, je préfère voir le film après la lecture, là, il y a un avantage indéniable à le voir avant.
Cela permet de nous situer géographiquement, de Moscou à l'Oural et la Sibérie orientale. Également, il nous sert d'appui pour comprendre tous ces personnages secondaires qui sont pour tant déterminants.
L'écriture de Pasternak nous entraîne dans le tumulte de la première guerre mondiale puis celui de la révolution bolchevique qui conduit la destinée du docteur Jivago.
On ne s'ennuie pas un instant, pour tous les amoureux de la littérature russe, c'est une nécessité que de lire ce livre.
La poésie n'est pas en reste, chère à Pasternak dans la description des paysages, dans l'amour pour Lara.
Un immense bonheur de lecture, que je vous conseille vivement.
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Challenge Nobel 1/x.
Comment oser critiquer un pareil livre?
Je m'attendais à un roman Tolstoïen, j'ai trouvé un essai politico-historique masqué dans un roman. Que les autorités soviétiques aient tout fait pour empêcher Docteur Jivago de sortir à l'Ouest, rien que de logique!Le témoignage de Pasternak sur le régime communiste est impitoyable, la vie quotidienne devenue une bataille inégale contre la famine,le froid,la délation, l'insalubrité, la misère physique, affective, intellectuelle: trop loin de la propagande pour avoir une chance d'échapper à la censure.
L'histoire d'amour entre Lara et Jivago passe au second plan du récit.
Lourd parfois, touffu, imposant : un roman à lire absolument, bien loin du cinéma, bouleversant du début à la fin.
Un regret: le nom du traducteur ne figure pas dans l'édition Folio.
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Chère lectrice, cher lecteur,

En ces temps difficiles, je me suis mise à penser à un de mes romans préférés le docteur Jivago de Boris Pasternak. Vous pouvez consulter mon À propos, ce dernier fait partie des 6 livres que j'apporterais sur une île déserte. Pourquoi le docteur Jivago en ce moment? Tout simplement pour l'humanisme qui transcende l'âme de ce personnage et depuis le 13 novembre 2015, Jivago vient me hanter, d'où mon billet aujourd'hui.

Tout d'abord, la littérature russe est marquée par la plume d'importants écrivains. de Karamzine à Maïakovski, en passant par Pouchkine et Tolstoï, les oeuvres littéraires russes défilent selon les courants d'idées caractérisant chaque époque (romantisme, réalisme, symbolisme, etc.). Boris Pasternak (1890-1960), grand poète et écrivain du XXe siècle, détenteur du Prix Nobel de 1958, qu'il a dû refuser, apparaît comme une figure dominante de son temps. Ainsi, Pasternak offre à l'humanité une oeuvre capitale, magistrale de la littérature russe, le docteur Jivago. Ce roman s'inscrit dans la dynamique d'un tout, par ses nombreuses références littéraires, culturelles, historiques, philosophiques et folkloriques, mais aussi parce qu'il évoque l'âme d'un peuple, d'une époque, d'un lieu, d'une famille, d'un homme, d'un amour… Iouri Andréiévitch Jivago, personnage associé à une quête individuelle, écrasé par le poids de l'Histoire (révolution russe de 1917), est un homme sensible, amoureux de la vie, de la nature, de l'art, de sa Russie. Grâce à ce personnage, nous tenterons d'aller à la rencontre de l'imaginaire russe en élaborant sur le thème de la révolution, mais surtout, nous traiterons de l'amour existant entre Iouri (Jivago) et Lara. Pour les biens de ce billet, je vais tenter de me limiter, car il y aurait tant à dire…

Le docteur Jivago a comme décor principal la révolution russe de 1917 et les conséquences engendrées par cette dernière. Mais avant tout, la vision du quotidien précédant la révolution est présentée au lecteur. Ainsi, avant la guerre, le monde de l'insouciance, du confort, des bals, des beaux habits, de l'aristocratie, de la mandarine, de l'arbre de Noël des Sventitski, des parents de Tonia qui considèrent comme naturel que leur fille épouse son compagnon d'enfance, sont évoqués pour illustrer les traditions.

De plus, avant la guerre civile, l'harmonie entre l'homme et la femme apparaît comme parfaite. Voici une description du couple Jivago-Tonia :


“Ils avaient vécu côte à côte pendant six ans la fin de leur enfance et le début de leur adolescence. Ils se connaissaient l'un l'autre dans les moindres détails. Ils avaient des habitudes communes, une manière qui leur était propre d'échanger de brèves pointes, et de répondre en renâclant brièvement. (p. 109) ”

Iouri et Tonia forment un couple idéal. Ils se connaissent depuis l'enfance, ils ont confiance l'un en l'autre et ils s'entendent bien. Avant la guerre, le bonheur entre Pacha et Lara (autre couple) s'inscrit également dans la perspective de la simplicité et du bonheur. Une réalité pourtant éphémère pour les deux compagnons qui se connaissent depuis toujours. Car, la révolution entraîne l'écroulement de la vision du monde, du quotidien, des valeurs… Voilà pourquoi je pense à ce roman aujourd'hui…

Dès les premières pages du roman, la révolution est associée à une tempête destructrice qui semble balayer tout sur son passage : « La tempête était seule au monde, seule et sans rivales» (p. 13). Tranquillement, cet événement se prépare pour éclater au grand jour. Mais encore, la révolution provoque le déracinement des protagonistes. Jivago quitte Tonia et son enfant afin d'aller exercer sa profession de médecin et Lara devient infirmière, abandonne sa petite Katenka dans le but de rechercher son époux, disparu pendant la guerre. La révolution se vit sur deux facettes. Elle bouleverse à la fois l'ordre social et individuel. Comme le fait remarquer Jivago à cet effet :


“La guerre a été un arrêt artificiel de la vie, comme si on pouvait accorder des sursis à l'existence, quelle folie! La révolution a jailli malgré nous, comme un soupir trop longtemps retenu. Chaque homme est revenu à la vie, une nouvelle naissance, tout le monde est transformé, retourné. On pourrait croire que chacun a subi deux révolutions : la sienne, individuelle, et celle de tous (p. 192).”

En ce sens, la révolution anime les forces de l'homme. Elle s'impose dans la réalité de chaque être humain. Pour faire suite à ce bouleversement intérieur et extérieur, la guerre civile va modifier l'essence et l'existence des personnages. Lara définit la progression du changement qui touche à la fois le matériel et le spirituel :


“Tu te rappelles mieux que moi comment, tout d'un coup, tout s'est détérioré. La circulation des trains, l'approvisionnement des villes, les fondements de la vie familiale, les assises morales de la conscience. (p. 517)”

La révolution éveille chez l'homme des pulsions pratiquement bestiales. Selon la constatation de Jivago : «L'homme est un loup pour l'homme». La guerre amène l'être humain à se comporter comme un fauve toujours prêt à bondir sur sa proie. Cependant, Jivago rejette la révolution, au nom de la vie. Il éloigne de lui toute idéologie relevant du communisme :


“Transformer la vie! Ceux qui parlent ainsi en ont peut-être vu de toutes les couleurs, mais la vie, ils n'ont jamais su ce que c'était, ils n'en ont jamais senti le souffle, l'âme. L'existence pour eux, c'est une poignée de matière brute qui n'a pas été ennoblie par leur contact et qui attend d'être travaillé par eux. Mais la vie n'est pas une matière ni un matériau. La vie, si vous voulez le savoir, n'a pas besoin de nous pour se renouveler et se refaçonner sans cesse, pour se refaire et se transformer éternellement. Elle est à cent lieues au-dessus de toutes les théories obtuses que vous et moi pourrions faire. (435)”

L'attitude de Jivago apparaît contestataire aux yeux de ses contemporains, mais elle s'avère pacifique. Elle vise une certaine compréhension des événements, de l'humain et des valeurs.

Mais encore, Jivago et Lara sont les deux personnages les plus importants du roman de Pasternak. Iouri, fils d'un homme ayant travaillé dans le domaine industriel et qui s'est suicidé après une faillite, n'a que dix ans lorsque sa mère meurt. Deux hommes vont alors marquer son enfance : Gromenko, qui semble représenter les valeurs traditionnelles et Védéniapine, qui apparaît comme la pensée en mouvance, en développement.

Jivago choisit une profession utile pour la société : médecin. Très lucide dans les diagnostiques qu'il pose sur ses malades, il le fait aussi sur son époque. Jivago apparaît comme un homme déchiré entre l'amour qu'il porte à ses semblables et la haine qu'il ressent face à la misère engendrée par les actes commis par son peuple divisé par la guerre.

Lara (Larissa Antipova), pour sa part, est l'archétype même de la beauté, de l'intelligence et de la bonté. Son enfance ne semble pas particulièrement heureuse. Séduite très tôt par un ami de sa mère, Komarovski, sa beauté et sa féminité peuvent se résumer comme étant l'essence tragique de l'existence. C'est ce que remarque Jivago lorsqu'il intercepte un regard entre Lara et Komarovski :


“La vision de cette jeune fille réduite en servitude était indiciblement mystérieuse et effrontément révélatrice. Des sentiments contradictoires se pressaient en lui. Ils lui serraient le coeur avec une force qu'il ignorait jusque-là. C'était cela même dont ils avaient ergoté avec tant d'ardeur avec Micha et Tonia, ce qu'ils entendaient par ce mot de «vulgarité», qui ne voulait rien dire, cette chose inquiétante et attirante dont ils se réglaient si facilement le compte en paroles, à distance respectueuse; et maintenant, cette force, Ioura l'avait sous les yeux, à la fois détaillée comme un objet et trouble comme un rêve, impitoyablement dévastatrice et implorante, criant sa détresse; où était maintenant leur philosophie d'enfants, et que lui restait-il à faire? (p. 86-87)”

Lara peut évoquer la destinée de son époque. Pour Jivago, cette vision de Lara s'avère un mélange d'énergie et de détresse qui efface un temps révolu et ouvre les portes de la révolution.

De nombreuses similitudes peuvent être établies entre Lara et Jivago. Ils sont tous les deux très beaux, ils évoquent la perfection et le courage. Ensemble, ils vont vivre la révolution de 1917. Mariés à leurs amis d'enfance, ils aiment bien évidemment leur foyer. de plus, ils pratiquent la médecine. Mais encore, Jivago vit une révolution intérieure en raison de ses sentiments pour Lara :


“C'était la révolution, non pas la révolution idéalisée à l'étudiante de 1905, mais la révolution présente, sanglante, la révolution militaire qui faisait fi de tout et que dirigeaient les bolcheviks, seuls à saisir le sens de cette tempête. C'était l'infirmière Antipova jetée par la guerre dans une vie inconnue, Antipova qui ne reprochait rien à personne, Antipova dont l'effacement était presque une plainte, c'était une femme mystérieusement laconique, et si forte de son silence. C'étaient les efforts sincères, surhumains de Iouri Andréiévitch pour ne pas l'aimer, lui qui toute sa vie s'était efforcé de témoigner de l'amour non seulement à sa famille et à ses proches, mais à tout être humain. (p. 210)”

Mais, le docteur Jivago est capable, à ce moment, de refouler ses sentiments et il retourne vers son épouse, Tonia. Cependant, la révolution a fait naître chez-lui des émotions inconnues, autres.

Aussi, l'amour qu'éprouve Jivago pour Lara Antipova, à des nombreux endroits dans le récit, est associé à la nature. Ainsi, Iouri et Lara semblent en fusion avec les éléments naturels. L'image du sorbier l'illustre bien :


“L'arbre était presque recouvert de neige; ses rameaux et ses fruits étaient à moitié gelés. Les deux branches enneigées qui s'étiraient à sa rencontre lui rappelèrent les longs bras blancs de Lara, leur courbe généreuse. Il s'y accrocha, il attira l'arbre à lui. Comme pour lui répondre, le sorbier déversa une pluie de neige qui le recouvrit de la tête aux pieds (p. 481).”

Par ailleurs, l'amour entre Jivago et Lara s'avère d'essence tragique. Les deux personnages tentent de s'accrocher l'un à l'autre. Cependant, leur force vient du fait qu'ils s'aiment d'un amour qui transcende les limites du réel. Leur amour est intemporel, universel et symbolique. La révolution a tout détruit, mais ils connaissent, ce qu'il y a de plus important pour l'être humain : l'amour. Comme le fait remarquer Lara à Jivago :


“Il ne reste que la force inhabituelle, inadaptée, d'un certain besoin d'amour mis à nu, dépouillé de tout, pour lequel rien n'a changé parce que de tout temps, il a grelotté, il a tremblé, il s'est élancé vers une détresse proche de la sienne, aussi dépouillée, aussi solitaire. Toi et moi, nous sommes comme Adam et Ève qui au début du monde n'avaient rien pour se vêtir. Voici venir la fin du monde et nous n'avons guère plus de vêtements ni de foyer. Et nous sommes le dernier souvenir de tout ce qui a été infiniment grand, de tout ce qui s'est fait au monde pendant des millénaires qui se sont écoulés entre eux et nous et, en souvenir de ces merveilles disparues, nous respirons, nous aimons, nous pleurons, nous nous cramponnons l'un à l'autre, nous nous serrons l'un contre l'autre (p. 515).”

Pourtant, la passion qu'ils éprouvent l'un pour l'autre s'inscrit dans une perspective apocalyptique. L'homme est confronté au néant, à l'inconnu. Il ne lui reste qu'à profiter de l'instant présent. Ainsi, la beauté du quotidien demeure intimement reliée à l'amour entre Lara et Jivago. La scène où Jivago revient à la maison, après une journée de travail, dévoile cette plénitude rattachée aux gestes du quotidien. Lara émeut Jivago, l'éblouit comme si elle était habillée pour aller au bal, dans sa tenue de travail vaquant aux tâches domestiques. Les personnages de Pasternak se rattachent à leur réel, peut-être parce qu'ils tentent de saisir la vérité dans le moment vécu, dans l'essence même de la perfection humaine.

Malgré sa passion pour Lara, Iouri laisse partir loin de lui celle qu'il aime. En fait, Jivago se détache du réel afin de se diriger vers une quête de l'art pour l'art. Son éloignement est nécessaire. Il se dépouille de ce qu'il aime le plus, sa famille, Lara et sa troisième femme. L'art exige ce retrait du monde. Jivago, à la veille de sa mort, se retrouve dans une petite chambre, en plein coeur de la ville et il se concentre sur son écriture. Il ne partage pas son présent car l'art exige cet isolement. Son effacement a peut-être comme but d'élever son élan artistique. En ce sens, Lara l'a très bien compris : «Le souffle de liberté et de détachement qui émanait toujours de lui venait de l'envelopper» (p. 637). Jivago est l'auteur d'un recueil de poésie. Son recueil semble avoir comme mission d'assurer le salut de son époque… Sa quête, en ce sens, apparaît comme au-dessus du réel puisqu'elle vise l'immortel.

Finalement, le docteur Jivago de Boris Pasternak véhicule une certaine vision, celle d'un monde bouleversé dans sa réalité. Confrontés à la révolution de 1917 et aux conséquences engendrées par une guerre civile, les personnages de Pasternak cherchent le chemin qui les mènera vers une plénitude intérieure. Ainsi, le lecteur est amené à aller à la rencontre du peuple russe grâce aux descriptions de la vie avant et pendant la révolution. le docteur Jivago semble toujours d'actualité, car il place le lecteur devant des thèmes comme la guerre, la mort, la vie et l'amour.

À cet égard, l'amour devient le seul élément qui relie l'être humain à l'essentiel. Comme le présente le narrateur lorsqu'il décrit l'amour entre Jivago et Lara :


“Ils s'aimaient parce que tout autour d'eux le voulait : la terre sous leurs pieds, le ciel au-dessus de leurs têtes, les nuages, les arbres. Leur amour plaisait à leurs proches peut-être plus qu'à eux-mêmes; aux inconnus dans la rue, aux lointains qui s'écartaient devant eux dans leurs promenades, aux pièces dans lesquelles ils vivaient et se rencontraient. C'était cela l'essentiel, c'était cela qui les rapprochait et les unissait. Jamais, même dans leur bonheur le plus généreux, le plus fou, jamais ils n'avaient oublié leur plus haut, leur plus émouvant sentiment : le sentiment bienheureux qu'ils aidaient eux aussi à façonner la beauté du monde, qu'ils avaient un rapport profond avec toute la beauté, avec l'univers entier (p. 638-639).”

J'espère que vous avez apprécié ce billet… j'avais beaucoup à dire sur ce grand roman… Plus que jamais, ce dernier me parle…

N'hésitez pas à me partager vos commentaires. Je serais vraiment enchantée de vous lire…Avez-vous lu ce roman?

Bien à vous,

Madame lit : https://madamelit.wordpress.com/

Référence :

PASTERAK, Boris, le docteur Jivago, Saint-Amand, Gallimard, coll. Folio, 1993, 695 p.

Lien : https://madamelit.wordpress...
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critiques presse (2)
LeJournaldeQuebec
26 mars 2024
Un roman plein d’Histoire et de cœur, une extraordinaire épopée qui résume le siècle qui nous précède, avec ses espoirs de libération insensés ; les terribles épreuves qu’il annonçait.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LeMonde
11 juillet 2023
Le roman est un miroir que l’auteur tend à ses contemporains : regardez l’homme qui a tout sacrifié pour rester libre, [...] et regardez-vous vous-mêmes !
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (197) Voir plus Ajouter une citation
C'est que j'ai des relations et des protections dans tous les gouvernements, des pertes et des chagrins sous tous les régimes. Car c'est seulement dans la mauvaise littérature que les vivants sont divisés en deux camps et n'ont aucun point de contact. Dans la réalité, tout est tellement entremêlé ! Il faut être d'une irrémédiable nullité pour ne jouer qu'un seul rôle dans la vie, pour n'occuper qu'une seule et même place dans la société, pour signifier toujours la même chose !
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L'homme moderne n'a pas besoin de ça. lorsque les énigmes de l'univers s'emparent de son esprit, il se plonge dans la physique, et non dans les hexamètrse d'Hésiode. Mais il ne s'agit pas seulement de la vétusté de ces formes, de leur anachronisme. L'essentiel n'est pas que ces esprits du feu et de l'eau embrouillent ce que la science a lumineusement débrouillé. L'essentiel, c'est que ce genre va à l'encontre de tout l'esprit de l'art moderne, de son essence, de ses motifs.
Ces cosmogonies étaient naturelles sur la terre de jadis, que l'homme peuplait encore si peu qu'il ne masquait par la nature. Des mammouths erraient encore à la surface, et le souvenir des dinosaures et des dragons était encore tout frais. La nature sautait aux yeux de l'homme avec une évidence si grande, et à sa gorge avec tant de férocité et de manière si palpable, que peut-être tout l'univers était-il encore pour de bon rempli de dieux. Ce sont là les toutes premières pages de la chronique de l'humanité qui ne faisait que commencer.
C'est Rome, et le surpeuplement, qui ont sonné le glas de cet univers. Rome était un marché aux puces de dieux empruntés et de peuples conquis, une bousculade à deux étages, sur la terre et dans le ciel, un cloaque serré d'un triple noeud, comme une occlusion intestinale. Des Daces, des Gétules, des Schythes, des Sarmates, des Hyperboréens, de lourdes roues sans rayons, des yeux bouffis de graisse, la bestialité, les doubles mentons, les poissons qu'on nourrissait de la chair des esclaves cultivés, les empereurs analphabètes. Il y avait plus de gens sur terre que jamais il n'y en eut depuis, ils s'écrasaient dans les couloirs du Colisée et ils souffraient.
Et c'est dans cet engorgement sans goût de marbre et d'or qu'il est venu, léger et vêtu de lumière, homme avec insistance, provincial avec intention, galiléen, et depuis cet instant les peuples et les dieux ont cessé d'exister et l'homme a commencé, l'homme menuisier, l'homme laboureur, l'homme pâtre au milieu de son troupeau de moutons au coucher du soleil, l'homme qui ne sonne pas fier du tout, l'homme diffusé avec reconnaissance par toutes les berceuses des mères et par tous les musées de peinture du monde.
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« Ma charmante, mon inoubliable ! Tant que le creux de mes bras se souviendront de toi, tant que tu seras encore sur mon épaule et sur mes lèvres, je serai avec toi. Je mettrai toutes mes larmes dans quelque chose qui soit digne de toi, et qui reste. J'inscrirai ton souvenir dans des images tendres, tristes à vous fendre le cœur. Je resterai ici jusqu’à ce que ce soit fait. Et ensuite je partirai moi aussi. »
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Tant que l'ordre des choses avait permis aux privilégiés de faire des folies et de jouer les originaux aux frais des pauvres gens, il avait été facile de prendre pour de la personnalité ces pitreries, ce droit d'être inutile dont jouissait une minorité aux dépens de la masse !
Mais dès qu'on avait vu se relever les humbles, dès qu'on avait aboli les privilèges de la bonne société, tout le monde s'était décoloré ; chacun, sans regret, avait renoncé à une originalité de pensée qu'il n'avait jamais eue réellement.
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Personne ne fait l'histoire, on ne l'a voit pas, pas plus que l'on ne voit l'herbe pousser. Les guerres, les révolutions, les tsars, les Robespierre sont ses ferments organiques. Les révolutions produisent des hommes d'action, des fanatiques munis d'œillères, des génies bornés. En quelques heures, en quelques jours, ils renversent le vieil ordre des choses. Les révolutions durent des semaines, des années, puis, pendant des dizaines et des centaines d'années, on adore comme quelque chose de sacré cet esprit de médiocrité qui les a suscitées.
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"Le Docteur Jivago", roman du lauréat du prix Nobel de littérature Boris Pasternak, fait l'objet d'une nouvelle traduction aux éditions Gallimard. La traductrice Hélène Henry est l'invitée du Book Club pour éclairer l'histoire de la publication de ce roman et son travail de traduction.
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