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EAN : 9782070362769
278 pages
Gallimard (08/12/1972)
4.34/5   305 notes
Résumé :
"Il y a cet entassement des corps dans le wagon, cette lancinante douleur dans le genou droit. Les jours, les nuits. Je fais un effort et j'essaye de compter les jours, de compter les nuits. Ça m'aidera peut-être à y voir clair. Quatre jours, cinq nuits. Mais j'ai du mal à compter ou alors il y a des jours qui se sont changés en nuits. J'ai des nuits en trop; des nuits à revendre. Un matin, c'est sûr, c'est un matin que ce voyage a commencé..."
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Le grand voyage, en train, vers les bas-fonds. Vers Buchenwald. Il y arrivera, Jorge Semprun, environné de cadavres gelés collés à lui. Entourés d'hommes crevant de soif, grelottants, misérables. Misérable, Jorge Semprun ? Non. Il a su garder sa dignité d'homme. En s'interrogeant, continuellement, sur notre condition humaine.
« Quand on part pour un voyage comme ça, il faut savoir se tenir, et savoir à quoi s'en tenir. Et ce n'est pas seulement une question de dignité, c'est aussi une question pratique. Quand on sait se tenir et à quoi s'en tenir, on tient mieux. Il n'y a pas de doute, on tient mieux le coup ».

Ce voyage qui le conduit de la prison d'Auxerre, où il était détenu à cause de faits de résistance (c'est un « rouge espagnol », rescapé de la guerre civile espagnole, qui s'est engagé à fond contre le nazisme) jusqu'à Buchenwald, en Allemagne, tout près de Weimar, ce voyage, il le raconte 16 ans après, lorsque les strates se sont accumulées au fond de sa mémoire et de ses tripes.
Ici, point de chronologie. Il mêle ses souvenirs de résistance à ceux des arrestations – de ses amis, de lui-même -, à « l'après » du camp, à ce « dehors » dont il rêvait lorsqu'il était « dedans », car « il faut avoir été dedans, pour comprendre ce besoin physique de regarder du dehors ». La libération des prisonniers, de ces pauvres prisonniers affamés dont il fait partie, et leur voyage vers la France, leur accueil par l'administration se mélange au voyage interminable de l'aller dans le wagon noir et glacial, où il « fait la conversation » avec un gars de Semur, pour tenir.

De plainte, il n'en est pas question, ici.
« le grand voyage » est une longue et terrible incantation d'un homme relié à l'Homme. D'un homme qui se veut responsable de sa condition, qui refuse de se laisser aller mais qui refuse de juger ceux qui sont faibles. Il interroge l'autre, il s'interroge. En vrai philosophe, il traque en lui-même et chez chaque être humain qu'il rencontre –fût-il l'ennemi -, le moindre souffle de conscience.

Durant cette lecture, j'ai communié avec lui, j'ai voulu comprendre, moi aussi, j'ai voulu creuser. Et j'ai adhéré à sa conception du monde, des hommes, de la nature.
« Heureusement qu'il y a eu cet intermède de la Moselle, cette douce, ombreuse et tendre, enneigée et brûlante certitude de la Moselle. C'est là que je me suis retrouvé, que je suis redevenu ce que je suis, ce que l'homme est, un être naturel, le résultat d'une longue histoire réelle de solidarité et de violences, d'échecs et de victoires humaines ».

Aimer, adorer la lecture du « Grand voyage », ce n'est pas la question. Jorge Semprun, par son style incantatoire, par son désir de compréhension de tout ce qui est en soi et hors de soi, est un auteur qui m'a marquée au fer rouge.
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"Le bonheur de l'écriture, je commençais à le savoir, n'effaçait jamais ce malheur de la mémoire. Bien au contraire: il l'aiguisait, le creusait, le ravivait. Il le rendait insupportable."
Ces mots, Jorge Semprun les écrit dans - L'écriture ou la vie -, livre autobiographique et de témoignage sur ses deux années passées à Buchenwald, camp de la mort et de la barbarie nazie.
Dans - le grand voyage - écrit seize années après son retour de déportation, le lecteur est invité à suivre les "errances" d'un cerveau pris au piège de 120 hommes entassés dans un wagon à bestiaux en route vers l'inconnu dont ingénument certains s'accrochent à l'idée "rassurante" qu'il pourrait prendre la forme d'un camp de travail... dur, certes, mais loin de l'enfer mis au point et mis en scène par les nazis.
Durant cinq jours et cinq nuits, ces 120 hommes vont sans manger ( sauf une fois, un brouet trop salé ) et surtout sans boire, affronter "la fuite monotone et sans hâte du temps" au coeur de l'hiver, entassés dans un wagon de marchandises qui fait partie d'un convoi de prisonniers déportés, partis de Compiègne avec pour destination Buchenwald.
Le narrateur, Jorge Semprun donc, "fait couple" avec un jeune homme, contrepoint du jeune intellectuel pédant qu'il est ... il a dix-neuf ans ( dixit Semprun en personne ), "le gars de Semur" comme il l'appelle, est le modérateur, le bon sens, le point d'équilibre au sein de ce binôme en route vers l'impensable.
Leurs échanges vont ponctuer le cours de ce voyage.
Le récit s'inscrit à la fois dans le présent de ce wagon, avec ses moments forts : la mort d'un vieil homme dont les derniers mots sont : "vous vous rendez compte ?", l'épisode de la tinette, l'arrêt "ravitaillement" où les déportés assoiffés ont droit à un brouet trop salé, un gamin nazifié qui leur lance sans comprendre des pierres chargées de toute la haine aveugle de celui qui est né dans un monde dont l'histoire était déjà écrite, les "spectateurs" allemands qui voient les corps nus ( punition après une tentative d'évasion ) de ces déportés humiliés, dépouillés du peu de dignité qu'il leur restait...
Il s'inscrit dans le passé : l'exode de l'auteur, républicain espagnol , vers la France, ses études à Henri IV, son entrée dans la résistance, sa capture dans le Morvan, son internement et les conditions de celui-ci, sa relation et ses échanges avec une sentinelle allemande, son arrivée à Buchenwald ( scène surréaliste, absurde, tragiquement théâtralisée ), certains épisodes de ses deux années d'emprisonnement, la libération du camp, et ce moment très fort où il entre dans une maison de civils allemands, qu'il demande à la visiter, parce qu'il veut "voir de dehors" après n'avoir vu pendant deux ans que de "dedans', ce que lui accorde la propriétaire, une vieille Allemande déconcertée mais pas inquiète, et qui ne prend peur que lorsque son "hôte" arrivé dans la pièce principale au premier étage voit que la fenêtre jouxte le crématoire et se tourne vers elle qui a vu, qui a su... la vieille femme se défend en arguant du fait qu'elle aussi a perdu ses deux fils tombés sur le champ de bataille... mais toutes les morts se valent-elles ? demande-t-il en quittant les lieux. La visite de jeunes femmes "humanitaires" voulant visiter le camp et confrontés à l'horreur ( les restes calcinés ou pas des corps au crématoire, une montagne de plus de quatre mètres de hauteur de cadavres entassés...)
Le massacre transformé en chasse à courre de quinze jeunes enfants juifs âgés de huit à douze ans et qui sont les seuls survivants d'un convoi où les déportés entassés à 200 dans les wagons sont tous morts de froid...
Il y a aussi le futur immédiat et celui plus éloigné.
À la question de ces allers et retours entre présent, passé et futurs, Jorge Semprun a répondu qu'il était dû au travail de décantation du temps, et que dix-sept ans s'étant écoulés depuis la libération, il ne pouvait pas ignorer ce qu'était devenu le monde au moment où il a écrit son livre.
De plus cette malléabilité temporelle du temps lui a, dit-il, permis de mieux faire ressortir la densité de ce temps.
C'est donc à un voyage intérieur avec ses questions philosophiques, politiques, historiques, littéraires, "existentielles" ( pour faire simple ) auquel est convié le lecteur, un voyage intérieur qui nous permet de l'accompagner sur les chemins tourmentés de l'Histoire.
Semprun qui croyait, avec se livre, s'être "débarrassé" de la nécessité de témoigner, enchaînera directement après - le long voyage - avec - le long retour - et les autres, montrant ainsi que l'horreur des camps ne s'efface pas d'un trait de plume et continue de vous hanter votre vie durant.
Ce premier livre lui a valu en 1963 le Prix Formentor, un Prix attribué par treize éditeurs, le livre étant traduit en treize langues.
"Je n'avais pas vraiment survécu. Je n'étais pas sûr d'être un vrai survivant. J'avais traversé la mort, elle avait été une expérience de ma vie." ( L'écriture ou la vie )
"Mais oui, je me rends compte. Je ne fais que ça, me rendre compte et en rendre compte." ( le grand voyage )
Un livre magnifiquement écrit par un rescapé "illustre".
Un indispensable !
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Seize ans après sa libération du camp de concentration de Büchenwald, Jorge Semprun revient sur cette période noire de sa vie.
Pour nous en parler, il choisit de relater le voyage en train qui l'a mené là-bas en compagnie d'autres détenus.
Point de départ d'un aller sans retour certain, ce convoi charrie des corps immobiles, entassés les uns sur les autres, à travers des paysages magnifiques.
Destination inconnue pour tous ces hommes qui tentent de décompter les nuits et les jours dans l'obscurité et la promiscuité d'un wagon bondé.
De temps en temps, la peur les saisit et les fait hurler, s'agiter, tomber...mourir.

Chez le narrateur, ce qui domine est la violente prise de conscience du contraste entre le "dedans" et le "dehors".
Tout au long de sa détention, il sera marqué par le fossé qui le sépare des vivants du dehors, ceux qui vivent librement à quelques mètres de lui si peu vivant au dedans.
À tel point qu'une fois libéré, le besoin irrépressible d'une incursion au village le plus proche s'impose à lui.
Poser sur le camp le regard qu'ont posé les villageois pendant deux ans, témoins silencieux d'un spectacle quotidien dont ils ignoraient la part la plus noire...mais pouvaient-ils ignorer, lorsqu'ils voyaient les flammes surgir des cheminées du crématoire ?....

Les témoignages sur les camps de concentration et la déportation ne manquent pas dans la littérature et ce sont toujours des lectures intenses en émotion.
Celui de Jorge Semprun ne fait pas exception mais son style ainsi que la chronologie qu'il choisit pour raconter, lui donne une portée toute particulière.
Il se poste en observateur de ses compagnons d'infortune, des soldats S.S. et de la population allemande, nous dressant presqu'un portrait psychologique de cette terrible époque.
Il rend son importance à la personne humaine dans sa globalité et dans sa singularité et s'attache peu aux faits.
Un récit fort, un ton grave pour un sujet encore tellement sensible.
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Au moment d'entrer dans l'exercice babelien de la rédaction d'une critique d'une oeuvre de Jorge Semprun, difficile de ne pas être intimidé tant l'homme, philosophe, résistant, homme politique, scénariste de cinéma, brille d'un éclat singulier.

« le grand voyage » est le premier livre écrit par Semprun après sa libération de Büchenwald.

Une période de vingt années de silence. Dès les premiers jours de la libération, l'auteur a eu l'intime conviction que sa vie, ce serait à tout jamais le camp et que la parole était terriblement dangereuse, un piège, un garrot qui vrillait l'indicible, l'innommable.
Les survivants dérangeaient et culpabilisaient les citoyens avides d'oublier au plus vite, la guerre, les difficultés, mais aussi pour certains, enfouir des attitudes beaucoup moins avouables, des démissions, lâchetés, dénonciations….

Car l'écriture pour Semprun n'est pas un pur exercice de style, elle exprime, révèle, met à nu l'homme. C'est pour cela que pendant vingt ans, le silence plutôt que l'écriture, « L'écriture ou la vie ».

Le lecteur retrouvera dans « le grand voyage » cette alchimie qui construit la condition humaine, la poésie, la philosophie, la grâce de ces rencontres avec les femmes, souvent éphémères toujours emplies de signes phosphorescents, la vie, la mort. La mort, cette ombre qui ne quitte pas le narrateur, pour l'accueillir ou la donner.

Nous sommes à des années lumières de ces « leçons » de philosophie et d'éthique, académiques, désincarnées, de ces professeurs de philosophie d'hier et d'aujourd'hui, de ces livres recettes de ces « experts » en développement personnel qui encombrent les têtes de gondole.
Non pas qu'il faille être exclusivement un héros couturé de blessures, avoir vécu des pages de l'histoire avec un grand H, pour avoir la légitimité de parler de courage, de la mort, de la liberté mais il semble difficile de rédiger de savants essais sur ces questions, exclusivement à partir d'expériences « in vitro ».

Quel est donc ce « grand voyage » ?

Ce voyage c'est celui qui conduit Semprun de Compiègne à Büchenwald, en Allemagne près de Weimar. L'auteur exprime avec son style si alerte, si impétueux ce que fut ce huis clos abominable de trois jours et trois nuits.

Dans ces circonstances et comme plus tard dans la vie du camp, l'aphorisme de Malraux,
« une vie ne vaut pas grand-chose mais rien ne vaut la vie » prend tout son relief.
Dans ces circonstances, un détail, un hasard qui se jouent en un nano instant peuvent décider si le malheureux sera ou pas dans la moisson de la grande faucheuse.
C'est par exemple le réflexe de se précipiter dans l'espace du wagon près de l'ouverture grillagée qui soulagera partiellement de l'air vicié putride mortifère. C'est un accès à ce qui reste de la lumière, un ersatz de la vie, un accès aussi à la moindre information perceptible ; avoir encore quelques bribes de repères d'espace temps, ne pas être déjà complètement avalé dans cette nuit et brouillard des corps et des esprits.

Si ce récit constitue un témoignage historique exceptionnel, il ne s'agit pas pour autant d'un simple documentaire.
Semprun nous fait partager son regard décalé sur ces événements, la littérature, la poésie, chevillées au plus profond de son être, qui l'aident à survivre. Pendant ce voyage, il se récite intérieurement en boucle « le cimetière marin » de Paul Valéry ; à la nuit par instinct, il recherche la lumière, fut elle un entre deux avant une issue sans retour.

Semprun nous fait partager aussi, par les mots qu'il sait choisir, une infime partie de ses souffrances, qui laissent le lecteur, même averti, effaré, devant la créativité des bourreaux.
Si l'homme se différencie de l'animal par sa spiritualité, il s'en distingue aussi, hélas, par son ingéniosité à faire le mal, à torturer son prochain, à l'enfermer dans des camps pour infliger des souffrances avec méthode.

Comme dans ses autres romans le texte de l'auteur, à partir d'une matrice, intègre des séquences du vécu de l'auteur, passées ou postérieures du récit pivot.
Il est ainsi évoqué plus ou moins furtivement sa vie de lycéen parisien, son action dans le maquis « Tabou » en Bourgogne, les premières semaines de la libération…autant d'évocations qui loin de casser l'intérêt et le rythme de ce « grand voyage », en amplifient sa puissance.

Un livre, un auteur exceptionnels. L'esprit, les mots de Semprun nous manquent terriblement depuis qu'il est parti en 2011 pour cet autre grand voyage.

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Seize ans après avoir survécu à l'enfer concentrationnaire nazi, Jorge Semprun se remémore chaque minute de son voyage vers les camps. C'est un incessant aller-retour dans sa mémoire entre les évènements d'avant, d'après et de pendant... chaque minutes qui reviennent à sa mémoire le renvoie vers d'autre souvenirs, un paysage, une personne, une situation, une sensation qui eux-mêmes lui font se rémémorer d'autres paysages, d'autres personnes, pour revenir inlassablement à ce long voyage de quatre jours et cinq nuits, enfermé dans un wagon bestiaux avec 119 autres déportés. Voyage angoissant, douloureux où le tragique côtoie parfois le comique absurde.

Tout au long de ce récit, ce flot de souvenir, Jorge Semprun, avec beaucoup d'honnêteté, montre de manière magistrale comment ses réflexions, ses questionnements ont pu évoluer, se modifier, enrichis par ces seize années d'attente avant d'écrire. Ses souvenirs reviennent à sa mémoire au travers d'un filtre qui modifie considérablement la perception des choses, sur la mort, l'homme : c'est un survivant. Alors comme pour de nombreux déportés revenus se pose la question : comment en parler ? comment décrire l'innommable ? comment rendre perceptible l'enfer ? Mais surtout comment faire pour que la réalité indescriptible reste dans la mémoire de l'humanité même lorsque tous les acteurs de cette tragédie auront disparu.
Le grand voyage est le premier livre de Jorge Semprun. Lorsque l'on referme le roman, on comprend que l'auteur n'était pas encore prêt à parler des camps... il parle, décrit l'avant et l'après, le grand voyage et les premiers jours de la libération. Entre il y a un grand trou noir, un ailleurs.

Voici les derniers mots de ce formidable roman, lorsque l'auteur atteint les portes du camp :
"Gérard essaye de conserver la mémoire de tout ceci, tout en pensant d'une manière vague qu'il est dans le domaine des choses possibles que la mort prochaine de tous les spectateurs vienne effacer à tout jamais la mémoire de ce spectacle, ce qui serait dommage, il ne sait pas pourquoi, il faut remuer des tonnes de coton neigeux dans son cerveau, mais ce serait dommage, la certitude confuse de cette idée l'habite, et il lui semble bien, tout à coup, que cette musique noble et grave prend son envol, ample, serein, dans la nuit de janvier, il lui semble bien qu'ils en arrivent par là au bout du voyage, que c'est ainsi, en effet, parmi les vagues sonores de cette noble musique, sous la lumière glacée éclatant en gerbes mouvantes, qu'il faut quitter le monde des vivants, cette phrase toute faite tournoie vertigineusement dans les replis de son cerveau embué comme une vitre par les rafales d'une pluie rageuse, quitter le monde des vivants, quitter le monde des vivants."

Le livre est construit en deux parties. La première partie, la plus importante c'est l'auteur qui parle, qui se souvient, raconte ce grand voyage, la résistance, la libération des camps, la mort, la terreur, la torture, les SS, la fraternité entre déportés, entre résistants. Semprun nous délivre des passages d'une puissance incroyable notamment sur sa vision des allemands, le soldat allemand pendant sa détention à Auxerre, l'enfant qui les insulte lors d'une halte dans une gare où les habitants du village aux abords du camp, où il ne les condamne pas, ne les juge pas et analyse avec les seize années de recul. Puis la seconde partie, bascule dans le roman, c'est Gérard, nom d'emprun de l'auteur, que l'on suit à l'entrée du camp. Très courte seconde partie mais très intense.

Un style très particulier, difficile dans les premières pages, puis la poésie fait son effet et on se laisse embarquer dans les méandres des souvenirs de Jorge Semprun. Un texte magnifique, terrifiant.
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Citations et extraits (40) Voir plus Ajouter une citation
Hier, 12 avril j'avais visité le manège. C'était un manège comme n'importe quel manège, les officiers S.S. y venaient faire du cheval. mais il y avait, dans le bâtiment des vestiaires, une salle de douches spéciale. On y introduisait l'officier soviétique, on lui donnait un morceau de savon et une serviette éponge, et l'officier soviétique attendait que l'eau jaillisse de la douche. Mais l'eau ne jaillissait pas. A travers une meurtrière dissimulée dans un coin, un S.S. envoyait une balle dans la tête de l'officier soviétique. Le S.S. était dans une pièce voisine, il visait posément la tête de l'officier soviétique et lui envoyait une balle dans la tête. On enlevait le cadavre, on ramassait le savon et la serviette éponge et on faisait couler l'eau de la douche , pour effacer les traces de sang. Quand vous aurez compris ce simulacre de la douche et du morceau de savon, vous comprendrez la mentalité S.S.
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Plus tard, j'ai vu des types voler le morceau de ·pain noir d'un camarade.

Quand la survie d'un homme tient précisément à cette tranche de pain noir; quand sa vie tient à ce fil noirâtre de pain humide, voler ce morceau de pain c'est pousser un camarade vers la mort.

Voler ce morceau. de pain c'est la mort d'un autre homme pour assurer sa propre pour la rendre plus probab!e, tout au moins,

Et pourtant, il y avait des vols de pain.

J'al vu des types pâlir et s'effondrer en constatant qu'on leur avait volé leur morceau de pain.

Et ce n'était pas seulement un tort qu'on leur causait à eux directement. C'était un tort irréparable·que l'on nous causait à tous.
Car la suspicion s'installait, et la méfiance et la haine. N'importe qui avait pu voler ce morceau de pain, nous étions tous coupables.

Chaque vol de pain faisait de chacun de nous un voleur de pain en puissance,
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Les S.S. n'achètent pas notre force de travail, ils nous l'extorquent, simplement, par les moyens de la contrainte la plus dénuée de justification, par la violence la plus pure. Car l'essentiel, c'est que nous sommes de la main d'oeuvre. Seulement, comme notre force de travail n'est pas achetée, il n'est pas économiquement nécessaire d'assurer sa reproduction. Quand notre force de travail sera épuisée, les S.S. iront en chercher de nouveau.
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Nous regardions monter sur la plate-forme ce Russe de vingt ans, condamné à la pendaison pour sabotage à la "Mibau", où l'on fabriquait les pièces les plus délicates des V-1. Les prisonniers de guerre soviétiques étaient fixés dans un garde-à-vous douloureux, à force d'immobilité massive, épaule, contre épaule, à force de regards impénétrables. Nous regardons monter sur la plate-forme ce Russe de vingt ans et les S.S. s'imaginent que nous allons subir sa mort, la sentir fondre sur nous comme une menace ou un avertissement. Mais cette mort, nous sommes en train de l'accepter pour nous-mêmes, le cas échéant, nous sommes en train de la choisir pour nous-mêmes. Nous sommes en train de mourir de la mort de ce copain, et par là même nous la nions, nous l'annulons, nous faisons de la mort de ce copain le sens de notre vie. Un projet de vivre parfaitement valable, le seul valable en ce moment précis. Mais les S.S. sont de pauvres types et ne comprennent jamais ces choses-là.
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Je regarde le S.S., je le connais. C’est un « Block-führer » qui n’arrêtait pas de gueuler et de brimer les types sous sa férule. Je regarde les deux jeunes, j’allais leur dire : « Fusillez-le sur place, et regroupez-vous, nous continuons », mais les paroles me restent dans la gorge. Car je viens de comprendre qu’ils ne feront jamais ça. Je viens de lire dans leurs yeux qu’ils ne feront jamais ça. Ils ont vingt ans, Ils sont embêtés à cause de ce prisonnier, mais ils ne vont pas le fusiller. Je sais bien que c’est une erreur, historiquement. Je sais bien que le dialogue devient possible, avec un S.S. quand le S.S. est mort. Je sais bien que le problème, c’est de changer les structures historiques qui permettent l’apparition du S.S. Mais une fois qu’il est là, il faut exterminer le S.S., chaque fois que l’occasion s’en présentera au cours du combat. Je sais bien que ces deux jeunes vont faire une sottise, mais je ne vais rien faire pour l’éviter.
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