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Le juif errant tome 0 sur 10

Francis Lacassin (Autre)
EAN : 9782221011416
1120 pages
Robert Laffont (01/10/1983)
4.08/5   57 notes
Résumé :
L’histoire débute dans l’Océan polaire, qui entoure les bords déserts de la Sibérie et de l’Amérique du Nord, séparées par l’étroit canal de Bering.

Des traces de pas d’homme avec sept clous saillants formant une croix se font remarquer sur la neige du côté de l’Europe, tandis que des pas de femme du côté de l’Amérique.

Le Juif errant et sa sœur Hérodiade apparaissent, se tendant mutuellement les bras des deux côtes du détroit. Ils se... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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L'auteur le plus lu du XIXème siècle (c'est le préfacier Francis Lacassin qui le dit) ne l'est plus du tout actuellement. Quel dommage!
A titre d'exemple, il n'y a guère que 39 personnes qui ont noté ce livre alors que c'est un chef d'oeuvre d'aventures, de magouilles et d'émotions avec un scénario d'exception.

Oh, le brave Eugène sait y faire pour attirer le lecteur! Des rebondissements réguliers, des frissons, des aventures parisiennes, sibériennes, napoléoniennes ou orientales dans la secte des étrangleurs! Et il mobilise même le célèbre Juif errant pour apporter une touche fantastique à son récit.

Paru sous la forme d'une feuilleton, on comprend l'engouement du lecteur de 1844 pour connaître la suite du récit.

Et cela fera 1100 pages et c'est écrit tout petit.

Il faudra sûrement regretter sa longueur car la première salve d'aventures terminée, il faut user de patience pour retrouver de l'allant du fait d'une deuxième partie plus laborieuse avec l'installation d'une nouvelle intrigue plus tarabiscotée.

Mais l'écrivain est inspiré, il emmène le lecteur hors là comme dirait Maupassant, sur tous les continents, et il lie l'ensemble de manière pratique grâce à l'histoire avec un grand H et une sombre affaire d'héritage.

Eugène Sue a aussi une pensée politique et il n'hésite pas, tel un Hugo ou un Tolstoï, à dévoiler des prises de position enflammées pour les plus démunis. Dans le récit ce sont les couturières du XIX ème siècle ou les ouvriers de la forge qui, sous-payés, s'alimentent moins, ne se chauffent plus, tombent malades et meurent dans l'indifférence. le récit pose ce diagnostic effarant sur la misère ouvrière mais il propose aussi des solutions, chiffrées et peu coûteuses, pour améliorer les choses.

L'autre combat d'Eugène Sue, celui qui concentre la plus grande part de ses critiques, celui qui attise le plus sa colère va à l'encontre d'une célèbre congrégation religieuse dont le roman dissimule quelque temps le nom pour entretenir le suspense.
Présentés comme hypocrites et cupides, ces religieux, très puissants, sont le carburant principal de cette tragédie humaine. Ils offrent l'un des plus beaux méchants que j'ai lu mais il ne faut le nommer car il fait partie du coup de théâtre de la fin de la première partie.

Je n'en dirai pas plus: lisez ce roman "à la Dumas", vous ne serez pas de Sue.
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Marie-Joseph Sue dit Eugène Sue (Paris 1804 - Annecy 1857) dandy, voyageur, il hérite à 26 ans de la fortune paternelle, devient l'amant des plus belles femmes de Paris (il est surnommé le « Beau Sue » !!), adhère au très snob Jockey Club dès sa création en 1834. Après avoir dilapidé la fortune de son père en sept ans, il commence à écrire lorsqu'il est ruiné. Devenu écrivain, il est principalement connu pour deux de ses romans-feuilletons à caractère social, Les Mystères de Paris (1842-1843) et le Juif errant (1844-1845). En 1839 il est décoré de la Légion d'honneur pour son Histoire de la Marine.
Tout le monde pense connaître son roman le Juif errant, mais qui de nos jours l'a lu réellement ? Moi-même, ce n'est qu'aujourd'hui que je me suis lancé dans cette lecture et « lancé » n'est pas une simple formule, puisque le roman est un énorme pavé d'un millier de pages !
Sous Louis XIV, le marquis Marius de Rennepont, a abjuré le calvinisme, à l'époque de la révocation de l'édit de Nantes. Les Jésuites, pas convaincus de sa sincérité l'ont dénoncé et obtenu d'entrer en possession de ses biens. le marquis de Rennepont a néanmoins réussi à leur soustraire et à en confier la garde à une famille juive, qui se succède de père en fils. Par un testament, capital et intérêts devaient s'accumuler jusqu'au 13 février 1832, date à laquelle la somme devenue énorme après deux siècles, serait remise à ses héritiers, à condition qu'ils se présentent personnellement ce jour-là.
En 1832, les héritiers Rennepont sont au nombre de sept mais les Jésuites sont toujours sur leurs traces, à l'affût pour récupérer le magot et ils ont un plan articulé en deux parties. Des sept héritiers, l'un, Gabriel Rennepont, le missionnaire, est en Amérique, et quand il est entré dans la Compagnie de Jésus les Jésuites lui ont fait faire une donation générale et spéciale de ses biens présents et à venir. C'est donc par lui qu'ils comptent rafler la mise, mais parallèlement ils s'activent par tous les moyens en leur possession, pour empêcher les autres héritiers de rejoindre Paris à la date fatidique d'ouverture du testament. Contre eux se dresse le Juif errant car il a une soeur qui a laissé pour descendant un Rennepont et il se doit de défendre les membres survivants de cette famille.
Le jour fatal, les Jésuites entrent en possession du trésor mais un coup de théâtre reporte l'ouverture du testament de trois mois. Rodin, le Jésuite machiavélique qui tire les ficelles du complot, tend aux héritiers divers traquenards qui les mèneront à leur mort, mais alors qu'il vient d'être nommé général des Jésuites, c'est à son tour de mourir, empoisonné par un rival. Seul Gabriel a survécu, mais le trésor finira détruit par son gardien tandis que Gabriel sera mis au ban de l'Église.
Petites précisions quant au titre, le Juif errant n'est pas le sujet central du roman, il n'apparaît que ponctuellement à de très rares occasions (avec sa soeur Hérodiade), plus symbole que personnage actif, représentant d'une puissance s'efforçant d'être l'ange gardien des héritiers, qui sont en outre ses derniers descendants. Enfin, selon la légende, le Juif errant était un pauvre cordonnier de Jérusalem qui refusa au Christ portant la croix, de s'arrêter un instant devant sa porte pour se reposer, le chassant d'un « Marche ! Marche ! ». Ce à quoi le Christ lui répondit, « C'est toi qui marchera jusqu'à la fin des siècles ! ».
D'abord publié en feuilleton dans le Constitutionnel du 25 juin 1844 au 26 août 1845 puis en volume de 1844 à 1845 chez Paulin à Paris, ce sera un des plus grands succès de librairie du XIXe siècle. Pour le lecteur moderne, le roman n'est pas sans embûches car il souffre de sa longueur conséquence induite du fait qu'il ait été publié en feuilleton dans un premier temps. Ca tire à la ligne. On n'a plus l'habitude de lire des textes qui s'étirent autant, ponctués de digressions à n'en plus finir, de rebondissements les plus improbables, de scènes théâtrales et grandiloquentes, de suspenses outrancés servant une intrigue particulièrement complexe et riche en personnages.
Par contre on s'amuse de ces « trucs » de feuilletonistes, comme ces fins de chapitres laissant le lecteur en haleine sur une phrase angoissante, « Un instant, la foule, effrayée vit, de la cour, les bras roidis de la soeur Marthe et des orphelines cramponnés à la porte et la retenant de tout leur pouvoir. » Ou bien encore quand l'écrivain s'adresse directement au lecteur, « expliquons l'existence de ce manuscrit avant de l'ouvrir au lecteur », le mettant dans la confidence pour mieux l'intéresser à l'intrigue.
L'exotisme ne manque pas non plus et dans le contexte de l'époque, il n'en a que plus de poids. La Sibérie, les Indes, la secte des Etrangleurs, les animaux sauvages, les narcotiques inconnus de nos médecins occidentaux… tout cela ajoute de la couleur et du piment à cette intrigue qui n'en manque pourtant pas, au point qu'un acteur remarque « … au milieu de tant de soucis, de trames si noires et si diaboliques, la mémoire se perd, la tête s'égare… » ce qui a le mérite de confirmer le lecteur sur ses propres impressions.
Un excellent roman néanmoins pour celui qui est prêt à faire abstraction de toutes ces contraintes liées à l'époque.
A la fin de son ouvrage, dans une courte conclusion, Eugène Sue affirme et résume la thématique de son roman, répondant aux critiques reçues durant la publication du feuilleton, « une belle et bonne comédie de moeurs cléricales »contre l'esprit des textes jésuitiques ainsi qu'une prise de conscience de l'opinion face à la misère du peuple chaque jour « aggravée par l'anarchie et l'industrie » qui n'assurent pas un travail et un salaire suffisant aux honnêtes gens. Un texte intemporel finalement.

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Se plonger dans un grand feuilleton publié depuis plus de cent cinquante ans , nécessite une mise à l'écart de nos habitudes de lecture.
Il ne faut pas s'attendre à entrer dans l'intimité de personnages complexes mus par des intérêts contradictoires, ni à tourner les pages avec avidité tant l'action se précipite, et pas plus à laisser libre cours à son imagination en raison de l'exposé succint du cadre de l'intrigue.
Non, ici nous rentrons dans le temps long du récit avec plus de mille pages, des descriptions soigneuses et poétiques, des envolées lyriques, des aventures qui se mettent en place avec une lenteur savoureuse.
Aujourd'hui , le lecteur fuirait .... Hier, il en redemandait et au fil des jours et de la parution des épisodes dans la presse quotidienne, nos ancêtres qui pourtant n'accédaient pas aussi facilement que nous à l'éducation qu'elle soit primaire ou secondaire , se passionnaient pour les malheurs de la famille Rennepont persécutée par les cupides jésuites qui ne reculeront devant aucune turpitude pour faire main basse sur leur fortune.
Et la lenteur du déroulement du récit ne décourageait personne, bien au contraire, car il fallait faire durer le plaisir...
J'ai lu ce roman avec délectation, charmée par sa prose impeccable, sa construction parfaite et son vocabulaire choisi. Quelle élégance dans ce texte qui pourrait faire rougir de honte certains de nos écrivains contemporains pourtant encensés par la critique !
Mais au delà de la forme, le fond est remarquable car dans ce roman engagé, Eugène Sue attaque non seulement l'Eglise dans son ensemble à travers les charges impitoyables menées contre les Jésuites qui en représentent les pires travers, mais aussi contre la société toute entière, les excès du capitalisme naissant et les injustices sociales qu'il exècre.
Non seulement l'auteur met en évidence la triste situation de la classe ouvrière, mais non content de décrire par le menu les mécanismes de la pauvreté , il propose des solutions pour y remédier et se fait le chantre d'un nouveau projet global de société.
Dans la France de Louis-Philippe en proie à une agitation sociale et à la remise en cause d'un ordre ancien qui se maintient contre vents et marées, Eugène Sue fait partie de ces intellectuels engagés qui par le biais du roman populaire, cherchent à répandre des idées fortes qui sont susceptibles de faire réellement changer les choses.
Quelle modernité dans sa critique acerbe de la situation des femmes ! Toujours en pendant de la dénonciation, il y a le projet pour améliorer l'avenir dans le respect de tous.
Le roman se lit aussi comme une approche historique de la seconde moitié du 19ème siècle avec ses incursions dans le milieu ouvrier, dans le monde des fêtards, dans les palais et les sacristies.
L'ironie est aussi omniprésente et les forces manipulatrices mises en oeuvre par les féroces jésuites en la personne de Rodin, ce méchant parfait, sont admirablement analysées avec un sens aigu de la psychologie.
Et le juif errant dans tout cela ?
Finalement il apparait bien peu et son action reste marginale car il est bien loin de venir au secours de ces héros que l'on a appris à aimer au fil de la longue lecture de leurs aventures.
Qu'importe si le titre parait plus destiné à attirer le lecteur potentiel en reprenant une légende populaire de l'époque, il n'en demeure pas moins que ce feuilleton grandiose, moins connu que "les Mystères de Paris" mérité la plus éclatante des réhabilitations .



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Pour un résumé de ce roman vous pouvez consulter le dernier paragraphe de la quatrième de couverture même si ce résumé est un peu court.

Eugène Sue a écrit ce roman en 1844-1845 en pleine période romantique. C'est l'époque des Alexandre Dumas, des Victor Hugo, des Theophile Gauthier etc... C'est aussi l'époque où les romans sont publiés en feuilletons dans les quotidiens ce qui peut expliquer la longueur du roman, les écrivains cherchant à fidéliser le lecteur. Chaque épisode se termine par un rebondissement ou un suspens comme on le fait aujourd'hui avec les séries télévisées, comme quoi il n'y a rien de nouveau sous le soleil. le plus grand défaut de ce roman étant justement sa longueur. Ce roman est d'un romantisme délirant avec ses dialogues dramatiques aujourd'hui invraisemblables , ses rebondissements nombreux, ses intrigues juteuses, ses situations rocambolesques, son suspens dont on ne connaît le dénouement qu'à la fin du livre, ses personnages très caractérisés, la naïveté des propos des jeunes jumelles, les attaques à fond de train contre la Compagnie de Jésus, la facilité avec laquelle on prend partie pour les "bons" contre les "mechants" personnifiés par les Jésuites avec à leur tête le Père Rodin

Eugène Sue dans ce roman dénonce la misère dans laquelle vivent les ouvriers et en particulier les femmes et appuie aussi les femmes dans leur recherche d'une plus grande liberté et autonomie. Il critique la situation dans laquelle les femmes vivent passant de la tutelle et l'autorité du père à celles du mari sans qu'elles aient leur mot à dire. Il dénonce aussi le fait que les ouvriers n'aient pas les moyens de payer la caution exigée advenant qu'ils soient accusés d'un crime les privant ainsi du travail avec lequel ils soutiennent leurs familles. Vous l'aurez compris, il critique les religieux les trouvant hypocrites, professant une religion dépourvue d'âme et de réelle compassion. C'est donc aussi un roman social qui prend fait et cause pour la classe ouvrière tout en étant d'accord pour dire qu'elle n'est pas parfaite.

Au final J'ai bien aimé ce roman malgré qu'il soit trop long. À mon sens ce genre de roman sont les premiers "thrillers" de la littérature française. On peut leur trouver des défauts mais si on replace ces romans dans leur contexte ils sont agréables à lire et je n'ai pas boudé mon plaisir.
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Sept rejetons d'une même lignée, aux fortunes et au rangs les plus divers, disséminés sur tout le globe, ignorant tout les uns des autres, sont poursuivis par une conjuration occulte et internationale de la Compagnie de Jésus visant à les spolier d'une fortune considérable. Dans leur méconnaissance du complot, un homme légendaire, frère de la femme dont les sept personnages menacés sont issus, les suit de son éternelle marche d'homme damné sous le regard de Dieu et trainant le choléra sur ses pas : le Juif errant, l'homme qui refusa au christ exténué, portant sur ses épaules la croix, de se reposer un instant sur le banc de pierre qui jouxtait son humble boutique de cordonnier.

Roman-feuilleton protéiforme et foisonnant, mélodramatique, à visée socialisante et utopiste, parfois moralisant et naïf dans sa prétention didactique, ce roman dis-je, est attachant par ces maladresses mêmes, et ces ficelles un peu grosses; l'intérêt de sa lecture n'est jamais démenti et malgré son volume imposant, il est d'un abord plutôt facile. Fable gothique, où le fantastique et le légendaire côtoie un réalisme cru et affligeant, cette oeuvre est d'une étonnante noirceur. J'ai particulièrement apprécié l'évocation redoutable et saisissante du choléra, sa propagation fatale et foudroyante, la kyrielle de folles rumeurs qui l'accompagne et la chasse aux empoisonneurs inhérente à toute épidémie mortelle et méconnue. Un remarquable roman populaire.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation

M. Hardy occupait, on l’a dit, un pavillon dans la maison de retraite annexée à la demeure occupée rue de Vaugirard par bon nombre de révérends pères de la compagnie de Jésus. Rien de plus calme, de plus silencieux que cette demeure ; on y parlait toujours à voix basse, les serviteurs eux-mêmes avaient quelque chose de mielleux dans leurs paroles, de béat dans leur démarche.

Ainsi que dans tout ce qui, de près ou de loin, subit l’action compressive et annihilante de ces hommes, l’animation, la vie, manquaient dans cette maison d’une tranquillité morne. Ses pensionnaires y menaient une existence d’une monotonie pesante, d’une régularité glaciale, coupée çà et là pour quelques-uns par des pratiques dévotieuses ; aussi, bientôt, et selon les prévisions intéressées des révérends pères, l’esprit, sans aliment, sans commerce extérieur, sans excitation, s’alanguissait dans la solitude ; les battements du cœur semblaient se ralentir, l’âme s’engourdissait, le moral s’affaiblissait peu à peu ; enfin tout libre arbitre, toute volonté s’éteignait, et les pensionnaires, soumis aux mêmes procédés de complet anéantissement que les novices de la compagnie, devenaient aussi des cadavres entre les mains des congréganistes.

De ces manœuvres, le but était clair et simple ; elles assuraient le bon succès des captations de toutes natures, terme incessant de la politique et de l’impitoyable cupidité de ces prêtres ; au moyen des sommes énormes dont ils devenaient ainsi maîtres ou détenteurs, ils poursuivaient et assuraient la réussite de leurs projets, dussent le meurtre, l’incendie, la révolte, enfin toutes les horreurs de la guerre civile, excitée et soudoyée par eux, ensanglanter les pays dont ils convoitaient le ténébreux gouvernement.

Comme levier, l’argent acquis par tous les moyens possibles, des plus honteux aux plus criminels ; comme but, la domination despotique des intelligences et des consciences, afin de les exploiter fructueusement au profit de la compagnie de Jésus : tels ont été et tels seront toujours les moyens et les fins de ces religieux.

Ainsi, entre autres moyens de faire affluer l’argent dans leurs caisses toujours béantes, les révérends pères avaient fondé la maison de retraite où se trouvait alors M. Hardy.

Les personnes à esprit malade, au cœur brisé, à l’intelligence affaiblie, égarées par une fausse dévotion, et trompées d’ailleurs par les recommandations des membres les plus influents du parti prêtre, étaient attirées, choyées, puis insensiblement isolées, séquestrées, et finalement dépouillées dans ce religieux repaire, le tout le plus benoîtement du monde, et ad majorem Dei gloriam, selon la devise de l’honorable société.

En argot jésuitique, ainsi qu’on peut le voir dans d’hypocrites prospectus destinés aux bonnes gens, dupes de ces piperies, ces pieux coupe-gorge s’appellent généralement :

« De saints asiles ouverts aux âmes fatiguées des vains bruissements du monde. »

Ou bien encore ils s’intitulent :

« De calmes retraites où le fidèle, heureusement délivré des attachements périssables d’ici-bas et des liens terrestres de la famille, peut enfin, seul à seul avec Dieu, travailler efficacement à son salut, » etc.

Ceci posé, et malheureusement prouvé par mille exemples de captations indignes, opérées dans un grand nombre de maisons religieuses, au préjudice de la famille de plusieurs pensionnaires ; ceci, disons-nous, posé, admis, prouvé… qu’un esprit droit vienne reprocher à l’État de ne pas surveiller suffisamment ces endroits hasardeux, il faut entendre les cris du parti prêtre, les invocations à la liberté individuelle… les désolations, les lamentations, à propos de la tyrannie qui veut opprimer les consciences.

À ceci ne pourrait-on pas répondre que, ces singulières prétentions accueillies comme légitimes, les teneurs de biribi et de roulette auraient aussi le droit d’invoquer la liberté individuelle, et d’appeler des décisions qui ont fermé leurs tripots ? Après tout, on a aussi attenté à la liberté des joueurs qui venaient librement, allègrement, engloutir leur patrimoine dans ces repaires ; on a tyrannisé leur conscience, qui leur permettait de perdre sur une carte les dernières ressources de leur famille.

Oui, nous le demandons positivement, sincèrement, sérieusement : quelle différence y a-t-il entre un homme qui ruine ou qui dépouille les siens à force de jouer rouge ou noir, et l’homme, qui ruine et dépouille les siens dans l’espoir douteux d’être heureux ponte à ce jeu d’enfer ou de paradis, que certains prêtres ont eu la sacrilège audace d’imaginer afin de s’en faire les croupiers ?

Rien n’est plus opposé au véritable et divin esprit du christianisme que ces spoliations effrontées ; c’est le repentir des fautes, c’est la pratique de toutes les vertus, c’est le dévouement à qui souffre, c’est l’amour du prochain qui méritent le ciel, et non pas une somme d’argent, plus ou moins forte, engagée comme enjeu dans l’espoir de gagner le paradis, et subtilisée par de faux prêtres qui font sauter la coupe et qui exploitent les faibles d’esprit à l’aide de prestidigitations infiniment lucratives.

Tel était donc l’asile de paix et d’innocence où se trouvait M. Hardy.
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Parmi les autres révérends pères qui se promenaient aussi dans le jardin, on apercevait çà et là plusieurs laïques, et voici pourquoi :

Les révérends pères possédaient une maison voisine, séparée seulement de la leur par une charmille ; dans cette maison, bon nombre de dévots venaient, à certaines époques, se mettre en pension afin de faire ce qu’ils appellent dans leur jargon des retraites.

C’était charmant ; on trouvait ainsi réunis l’agrément d’une succulent cuisine et l’agrément d’une charmante petite chapelle, nouvelle et heureuse combinaison du confessionnal et du logement garni, de la table d’hôte et du sermon.

Précieuse imagination que cette sainte hôtellerie où les aliments corporels et spirituels étaient aussi appétissants que délicatement choisis et servis, où l’on se restaurait l’âme et le corps à tant par tête, où l’on pouvait faire gras le vendredi en toute sécurité de conscience moyennant une dispense de Rome, pieusement portée sur la carte à payer, immédiatement après le café et l’eau-de-vie. Aussi disons-le à la louange de la profonde habileté financière des révérends pères et à leur insinuante dextérité, la pratique abondait.

Et comment n’aurait-elle pas abondé ? le gibier était faisandé avec tant d’à-propos, la route du paradis si facile, la marée si fraîche, la rude voie du salut si bien déblayée d’épines et si gentiment sablée de sable couleur de rose, les primeurs si abondantes, les pénitences si légères, sans compter les excellents saucissons d’Italie et les indulgences du saint-père qui arrivaient directement de Rome, et de première main, et de premier choix, s’il vous plaît.

Quelles tables d’hôte auraient pu affronter une telle concurrence ? On trouvait dans cette calme, grasse et opulente retraite tant d’accommodements avec le ciel ! Pour bon nombre de gens à la fois riches et dévots, craintifs et douillets, qui, tout en ayant une peur atroce des cornes du diable, ne peuvent renoncer à une foule de péchés mignons fort délectables, la direction complaisante et la morale élastique des révérends pères était inappréciable.

En effet, quelle profonde reconnaissance un vieillard corrompu, personnel et poltron ne devait-il pas avoir pour ces prêtres qui l’assuraient contre les coups de fourche de Belzébuth, et lui garantissaient les béatitudes éternelles, le tout sans lui demander le sacrifice d’un seul des goûts vicieux, des appétits dépravés, ou des sentiments de hideux égoïsme dont il s’était fait une si douce habitude ! Aussi comment récompenser ces confesseurs si gaillardement indulgents, ces guides spirituels d’une complaisance si égrillarde ? Hélas ! mon Dieu, cela se paye tout benoîtement par l’abandon futur de beaux et bons immeubles, de brillants écus bien trébuchants, le tout au détriment des héritiers du sang, souvent pauvres, honnêtes, laborieux, et ainsi pieusement dépouillés par les révérends pères.
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Quoique depuis longtemps domptés par l’adresse et par l’énergie du Prophète, son tigre Caïn, son lion Judas et sa panthère noire la Mort avaient voulu, dans quelques accès de révolte, essayer sur lui leurs dents et leurs ongles ; mais, grâce à l’armure cachée par sa pelisse, ils avaient émoussé leurs ongles sur un épiderme d’acier, ébréché leurs dents sur des bras et des jambes de fer, tandis qu’un léger coup de badine métallique de leur maître faisait fumer et grésiller leur peau, en la sillonnant d’une brûlure profonde. Reconnaissant l’inutilité de leurs morsures, ces animaux, doués d’une grande mémoire, comprirent que désormais ils essayeraient en vain leurs griffes et leurs mâchoires sur un être invulnérable. Leur soumission craintive s’augmenta tellement, que, dans ses exercices publics, leur maître, au moindre mouvement d’une petite baguette recouverte de papier de couleur de feu, les faisait ramper et se coucher épouvantés.
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Et quoique ce ressentiment fût aussi rapide qu’ineffable, elle joignit les mains et leva les yeux au ciel avec une expression de fervente reconnaissance ; car si l’ouvrière ne pratiquait pas, pour nous servir de l’argot ultramontain, personne plus qu’elle n’était doué de ce sentiment profondément, sincèrement religieux, qui est au dogme ce que l’immensité des cieux étoilés est au profond d’une église.
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Baisser la tête, se jeter à genoux et en même temps lui plonger à deux reprises son poignard dans le ventre avec la rapidité de l’éclair, ce fut ainsi que Djalma échappa à une mort certaine ; la panthère rugit en retombant de tout son poids sur le prince… Pendant une seconde que dura sa terrible agonie, on ne vit qu’une masse confuse et convulsive de membres noirs, de vêtements blancs ensanglantés… puis enfin Djalma se releva pâle, sanglant, blessé ; alors, debout, l’œil étincelant d’un orgueil sauvage, le pied sur le cadavre de la panthère… tenant à la main le bouquet d’Adrienne, il jeta sur elle un regard qui disait son amour insensé. Alors seulement aussi Adrienne sentit ses forces l’abandonner, car un courage surhumain lui avait donné la puissance d’assister aux effroyables péripéties de cette lutte.
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