Qui n'a pas encore découvert la prose desprogienne de
Iegor Gran ne sait pas ce qu'il perd ; dans ce cas je recommande de toute urgence la lecture de
la Revanche de Kevin ; puis de tous ses autres romans - avec
Iegor Gran on est toujours déçu en bien, comme on dit en Suisse. Avec ce nouveau livre on a affaire à un conte fantastique non conforme, décalé, imprévisible même. le canon tonne dans ce roman qui commence dans un asile de fou avec l'arrivée d'un Napoléon - mais pas n'importe quel Napoléon, car celui-ci est une femme, ce qui contrarie beaucoup le Général de Gaule. Pour le soigner, le Docteur Day, qui est un inculte absolu en histoire-géographie, décide d'emmener son Napoléon en Russie pour y revivre la retraite de la Grande armée après la fausse prise de Moscou, qui s'était soldée par un vrai désastre - une expérience censée guérir le malade... On l'aura sans doute vite compris :
le Retour de Russie est, au premier abord, une pochade. C'est plutôt facile à lire, mais c'est aussi un texte difficile à lâcher, parce que très bien construit, drôle, passionnant, et qui, par sa forme même - le conte fantastique -, a beaucoup à nous dire sur la folie ; on ne peut s'empêcher de penser à l'antipsychiatrie chère à Deleuze et
Guattari (le droit à la folie). D'ailleurs l'une des premières (bonnes) rencontres que font notre Napoléon féminin et notre déraisonnable docteur, eh bien cette rencontre n'est autre qu'"André le débile", le simple d'esprit qui vit seul dans la forêt et semble être le plus heureux des hommes. Et puis
Iegor Gran a eu la bonne idée d'utiliser les dessins de sa fille, Sophie, pour illustrer son histoire, et de faire aussi des clins d'oeil à certains textes de son père, le célèbre dissident
André Siniavski qui, lui, mêlait satire de la réalité et fantastique, à la façon de
Boulgakov. D'ailleurs s'il fallait employer un simple slogan pour vendre ce livre, je dirais qu'il est justement dans cet entre-deux improbable et fantastique, quelque part entre Desproges et
Boulgakov, tiens - rien moins que génial, quoi.