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Michel Sager (Traducteur)
EAN : 9782253011187
Le Livre de Poche (05/10/1995)
4.07/5   146 notes
Résumé :
Parmi les cauchemars dont les esprits de la nuit s'amusent à tourmenter les humains, le rêve de l'escalier est un des plus efficaces dans sa simplicité. La rampe se dérobe sous la main du dormeur, se fragmente, se pulvérise, les marches hautes comme des tours se creusent en abîmes ou s'amenuisent en barreaux ployant au-dessus du vide - et l'épouvante serre le cœur du dormeur qui s'y croit cramponné.
Cette suite d'espoirs déçus, de certitudes anéanties, de vai... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Plus d'une vingtaine de nouvelles composées de plusieurs exercices très brefs, parfois de purs exercices de style. C'est des nouvelles fantastiques, à la frontière entre le réel et l'imaginaire, avec de nombreuses mises en abyme. Souvent l'auteur se met lui-même en scène en introduisant son nom dans l'histoire.
Il y a dans ce recueil un certain humour, en particulier dans « L'épouse ailée » dont je relève cette remarque sur l'adultère : « vous avez rencontré le diable au bon moment ».
La mort semble hanter l'auteur. D'ailleurs le recueil a été publié un an avant sa mort et de nombreux textes sous-entendent la fin de notre civilisation, se situant dans l'avenir imaginaire.
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« Viens vite, je n'en peux plus. Viens, ma chérie, nous serons malheureux, je te le jure. »
- Lettre d'amour -

Un recueil de nouvelles, voire de micro-nouvelles, dont certaines chutes sont excellentes de malice (L'épouse ailée, par exemple). Normal de penser tout de suite à la chute lorsque l'on rêve d'un escalier. Je découvre Buzzati avec ce livre et j'ai tout simplement adoré cet esprit qui se révèle drôle et mordant très souvent, mais en filigrane empli d'une tristesse cachée. le fantastique n'est bien évidemment que le prétexte pour se jouer du cadre et c'est rudement bien vu. Un vrai régal à savourer par petites touches, à son rythme et même y revenir pour entrevoir une autre dimension, en fonction d'une expérience personnelle ou d'un état d'âme fluctuant avec l'air et le temps. Il évoque l'amour, le désespoir, l'aliénation de l'homme, la peur du futur, de vieillir, le progrès scientifique ou encore la pollution... de très nombreux thèmes dans un tout petit recueil. Il dispose d'une écriture qui fait mouche en très peu de mots et dont l'ironie est un vrai bonheur pour le lecteur. Il parle de lui, de ses peurs, de ses goûts que l'on devine, et va jusqu'à se mettre en situation dans certains textes.

« Et la chose peut-être la plus terrifiante est le silence de tombe dans lequel la tumeur universelle prolifère et envahit, en l'anéantissant, l'heureux paradis de l'homme. »
- L'éléphantiasis -
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Dino Buzzati a publié ce recueil en 1973 et s'il est moins connu que le K, il mérite largement d'être découvert. Les nouvelles sont assez différentes les unes des autres, parfois cyniques, parfois effrayantes, souvent pessimistes.

Buzzati renouvelle la veine fantastique en revisitant des thèmes classiques du genre (l'objet magique, le cauchemar) mais en leur instillant davantage d'angoisse et d'absurde. Il nous dépeint un univers inquiétant, en mutation, souvent lié au progrès scientifique et à l'apparition de nouvelles technologies. Journaliste de formation, il a l'art de situer l'action en quelques mots et de nous embarquer immédiatement dans un cadre en apparence réaliste qui va bientôt basculer dans l'inconnu et l'incontrôlable.

Dans le Rêve de l'escalier, un curieux narrateur-personnage nous dévoile sa méthode de production des rêves. Il nous emmène chez le joailler M. Minervini pour nous faire une démonstration : il l'appelle, fait du bruit, l'attire dans les escaliers pour en faire ensuite disparaître les marches une à une... Bref, le récit diabolique d'un cauchemar de plus en plus angoissant, orchestré par une sorte de mauvais génie « très demandé » dans son milieu.

L'éléphantiasis : un procédé révolutionnaire, nouvel assemblage de molécules, permet de produire de nouveaux matériaux synthétiques, résistants et malléables à la fois, s'adaptant aux besoins de chacun. Mais cette découverte ne va pas sans quelques problèmes... de taille.
« Imaginez qu'une poupée d'enfant croisse sans mesure, et atteigne la stature d'un éléphant. Et dans la même proportion gonflent les chaises, la télévision, le frigo, les châssis des fenêtres, la cabine de l'ascenseur. »

Dans Les Vieux clandestins : des lunettes magiques permettent de s'adonner à un passe-temps macabre : elles permettent de voir ceux qui vont mourir à courte échéance.
« Mais ce sont tous des vieux clandestins, invisibles, indéchiffrables, ignorants de leur sort... Des cryptovieux. Personne ne sait les reconnaître. »

Crescendo : cette nouvelle repose sur le procédé littéraire de l'amplification, qui consiste à reprendre successivement la même histoire en la développant et en l'enrichissant, voire en lui donnant un sens nouveau. C'est ainsi que d'une histoire banale – Annie Motleri entend frapper à la porte et va accueillir un vieil ami notaire -, l'auteur imagine d'autres fragments à tonalité policière, ou plus ou moins réaliste, pour sombrer ensuite dans l'horreur et le fantastique.

Le papillon : le sous-secrétaire à l'Ordre Public, surnommé « Le Grand bourreau » est sur le point d'être agressé par deux malfrats. Il formule alors le souhait d'échanger sa place avec une chauve-souris qu'il vient d'apercevoir dans le ciel. Devenu chauve-souris, il tente de se faire une place sans succès parmi ses nouveaux congénères. Au matin, il décide qu'il vaut mieux être un papillon mais c'est alors que...

Mosaïque : une nouvelle originale, une juxtaposition de petits éclats de vie, sans rapport les uns avec les autres. Pensées des uns, tranches de vie des autres, dont le fantastique et le cynisme ne sont évidemment pas exclus.


Vergetures du temps : diverses anecdotes où présent et passé s'entrecroisent l'espace d'un instant...

Le sommet de la vague : il s'agit d'une représentation symbolique et musicale de la vie qui accorde arbitrairement la gloire à un homme avant de la lui reprendre brutalement. le destin est figuré sous les traits d'un orchestre installé à bord d'un grand radeau tandis que la foule des hommes, au rythme de la musique, tente d'atteindre le sommet de cette vague qui promet gloire, richesse et bonheur éphémères.
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« le rêve de l'escalier » regroupe vingt-cinq nouvelles qu'on peut qualifier de fantastiques dans la mesure où elles nous parlent de rêves et d'illusions, du temps qui passe et se casse ; mais aussi de la réalité qui peut parfois se révéler un cauchemar éveillé...

Quelques exemples :
« le rêve de l'escalier »
Un escalier se dérobe sous les pas d'un rêveur.
« Crescendo »
Une femme visitée par un souvenir.
« le papillon »
Un homme pense échapper à la mort en en occupant le corps d'un autre.
« Mosaïque »
Vingt-trois tableaux pour illustrer le destin et la mort.
« Tic-tac »
Une horloge au bruit bizarre.
« Anecdotes de la ville »
Destin et mort en ville.
« Vieille auto »
Une voiture increvable.
« Changements »
Les temps changent et notre façon de voir les choses aussi.
« Récit à deux voix »
Un duo dans l'histoire.
« Délices modernes »
Les paradis artificiels.
« Icare »
Un satellite, la Terre… S'écrasera, s'écrasera pas… le savoir ou pas ?

Et les autres :
Inventions, Vitesse de la lumière, Bestiaire, L'aliénation, Progressions, Une soirée difficile, Vergetures du temps, Lettre d'amour, Petits mystères, Au sommet de la vague, Les vieux clandestins, L'éléphantiasis, Clair de lune, L'épouse ailée …

Vingt-cinq nouvelles fantastiques de longueur et d'intérêt divers, néanmoins à lire par les amateurs du genre.
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Ce recueil de nouvelles regroupe 25 textes, et comme le K, certaines nouvelles sont "fantastiques", d'autres ancrées dans le réel. J'ai mis au fur et à mesure de la lecture des post-it sur les nouvelles qui m'ont enthousiasmée : et cela nous fait 5 post-it : une bonne pioche donc, et voici les 5 vainqueurs (selon mon échelle). Je tiens à préciser que toutes les nouvelles m'ont intéressée mais il faut parfois faire un choix.
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Le rêve de l'escalier est la première nouvelle qui donne son titre aussi au recueil. C'est un être étrange qui est le narrateur ! je lui laisse la parole : "Je crois que je suis très habile à la production des rêves, en particulier de ceux qui engendent la peur.
En fait je suis très demandé. Bien que je ne fasse aucune publicité, les esprits de la nuit me préfèrent à tant de mes collègues qui mettent des insertions coûteuses dans les journaux.
Je dispose d'un répertoire de cauchemars très riches en imagination. Mais il y en a un qui est de très loin plus apprécié que les autres; un des moins originaux, je dois l'avouer, et la chose me mortifie un peu : c'est le rêve de l'escalier." Vous l'aurez compris, cet esprit va envoyer ce rêve à un pauvre bougre, Mr Minervini, orfèvre craignant les voleurs, celui ci va trembler, pour le plus grand plaisir du lecteur.
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La deuxième nouvelle raconte de onze façons différentes une anecdote où on apprend petit à petit toute la vie d'une demoiselle, Annie Motleri. La première façon est purement factuelle (7 petites lignes), une demoiselle va ouvrir la porte à un vieil ami notaire. le titre de la nouvelle "Crescendo" est extrèmement bien trouvé car dans la dizaine de paragraphes qui suivent, on va en apprendre plus sur cet ami, sur Annie mais aussi les peurs de cette femme, sa solitude. Un luxe de détails qui fait hésiter le lecteur : quelle est la part de réalité et de fantasme dans ces descriptions de ce qui se passe après qu'Annie ait ouvert la porte à cet ami? Existe il d'ailleurs ?
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La troisième nouvelle "Le papillon" est également "fantastique". Une nuit, à son bureau Mr Smith travaille. Il voit sur le sol un papillon mort puis décide de rentrer chez lui. Pour échapper à un attentat à son encontre perpétrés par deux mystérieux "chevaliers errants" (attentat imaginaire? ) , le sous secrétaire à l'Ordre public, Mr Aldo Smith, se transforme en chauve-souris puis en ...... pour connaître son sort, je vous recommande fortement la lecture de cette nouvelle sur l'ironie du sort.
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La nouvelle "Vieille auto" laisse la parole à une mustang-Morrisson en bout de course. Son propriétaire veut l'envoyer à la casse. "Anglaise de naissance, la Mustang- Morrisson est un être de peu de paroles. D'habitude, elle est très timide et réservée. Mais aujourd'hui elle me demande : "Comment se fait-il que tu n'aies pas voulu me dépoussiérer?" . Par petites touches, la voiture arrivera à convaincre son propriétaire de changer d'avis. Une nouvelle tendre sur le droit de vieillir .....
La nouvelle "Récit à deux voix" est le dialogue entre deux amis. L'un commence une histoire, s'arrête et l'autre poursuit. Au début les deux histoires ne semblent pas pouvoir se rejoindre, les personnages en ce même lieu sont improbables, la discussion surréaliste..Un couple qui se rend au Pérou, un clergyman, un sismologue et deux jeunes sportifs.... . et puis la magie de Buzzati fait que tout s'enclenche à merveille, l'histoire devient réelle et se déroule sous nos yeux.... jusqu'à la catastrophe finale ........bon sang mais c'est bien sûr....
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"Lettre d'amour" est la lettre qu'un homme envoie à sa fiancée. Ils ont vécu loin l'un de l'autre pendant de nombreuses années et il semble enfin possible qu'ils vivent ensemble. Tour à tour, il lui dit de venir le rejoindre , tout en disant que leur amour est impossible, qu'il est impossible à vivre, qu'elle va finir par le détester....que tout est joué d'avance, qu'ils sont trop différents pour que cela dure, lui ignare et elle cultivée, lui amateur de vins et elle, un peu rigide, élevée par les bonnes soeurs.... Enfin, je me suis demandée s'il n'écrivait pas tout cela pour qu'elle le quitte et parte en courant jusqu'à la dernière phrase : "Allons, mon amour, prends l'avion, prends la fusée interplanétaire, le tapis volant. Viens vite, je n'en peux plus. Viens ma chérie, nous serons malheureux ensemble, je te le jure."

En conclusion : un livre et un auteur que je recommande fortement
Lien : http://l-echo-des-ecuries.ov..
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Je crois que je suis très habile à la production des rêves, en particulier de ceux qui engendrent la peur.

En fait, je suis très demandé. Bien que je ne fasse aucune publicité, les esprits de la nuit me préfèrent à tant de mes collègues qui mettent des insertions coûteuses dans les journaux.

Je dispose d’un répertoire de cauchemars très riches en imagination. Mais il y en a un qui est de loin plus apprécié que les autres ; un des moins originaux, je dois l’avouer, et la chose me mortifie un peu : c’est le rêve de l’escalier.
Dans notre milieu, ma réputation est fondée presque exclusivement sur cet article que les esprits nocturnes ne se lassent pas de me demander ; bien sûr avec les années je cherche à le perfectionner toujours davantage. Ils disent, les esprits, qu’il est d’un effet irrésistible, d’autant plus que, à les en croire, il renferme une allégorie de la vie.
On essaie ? Voici M. Giulio Minervini, quarante-cinq ans orfèvre et horloger : peu avant minuit, après avoir regardé la télé, il se couche à côté de sa femme, et bien vite il s’endort.

Comme pour tous les cauchemars angoissants, attendons qu’il se soit coulé profondément dans les replis du sommeil afin qu’il ait du mal à en émerger quand il voudra à toute force se libérer.
Observez-le bien. Il est plus de deux heures. Nous y sommes, à ce qu’il semble M. Minervini, couché sur le flanc gauche, ce qui bien sûr facilitera l’opération, on le croirait au paradis, tant l’expression satisfaite de son visage respire la béatitude, et même l’hébétude.
Alors je l’appelle. Il réagit. Il ne voit rien mais il entend, de l’autre côté de la porte, son non répété avec insistance, et aussi un remue-ménage suspect.

Dans le métier d’orfèvre, l’idée fixe du voleur est fondamentale. Un autre, sans doute, entendant un bruit plus ou moins inexplicable, n’y ferait pas attention. Mais Giulio Minervini si. Laissant sur le lit son propre corps endormi comme une bête, il se lève, enfile en hâte son pantalon et en pantoufles passe dans la pièce voisine. Où, est-il besoin de le dire ? il ne trouve personne.

Alors je me poste dans l’antichambre, et je l’appelle de nouveau. Et quand il apparaît dans l’antichambre je me suis déjà transporté, invisible, sur le palier. Je donne de petits coups à la rampe de fer, je simule un trottinement frénétique, et j’appelle avec un soupir : « Monsieur Minervini, monsieur Minervini ! »

Que se passe-t-il ? L’orfèvre, maintenant au comble de l’agitation, fait coulisser le lourd verrou de la porte blindée, entrouve un battant, jette un coup d’oeil dehors. A ce point les jeux sont faits.
Rapide comme la pensée, je descends au palier inférieur avec un claquement pétulant de talons aiguilles. Et de là je l’appelle, cette fois avec une voix feminine indubitable : jeune, malicieuse, pleine de promesses.
Lui se penche par-dessus la balustrade pour regarder en bas. Il ne voit rien, mais il entend mon souffle qui vient de l’embrasure de la porte d’un appartement où son oeil n’arrive pas même s’il allonge le cou.

« Monsieur Minervini ! Monsieur Minervini ! »
Maintenant la voix est parfaite, vraiment un murmure provocant et charnel. Et l’orfèvre, parbleu, n’est pas de bois.

Qu’est-ce qu’il fait alors ? Otant ses pantoufles, pieds nus pour ne pas faire de bruit, il commence à descendre l’escalier. La première volée est de douze marches. Ensuite, un palier d’angle, sept marches, un autre palier d’angle, une autre volée de douze. L’éclairage, qui vient d’ampoules placées au-dessus des grands paliers d’où on accède aux logements, est faible et plutôt sinistre, mais on y voit.

Quand il aura descendu cinq ou six marches, la balustrade sur laquelle il appuie sa main gauche lui glissera des doigts, se dissolvant dans le néant. Il en restera un tronçon, dans la partie inférieure de la volée.
Descendre un escalier sans rampe et sans main-courante le long du mur est une chose très désagréable, bien qu’il n’y ait aucun danger si on fait attention.

Cependant la disparition de la rampe a fait disparaître en Minervini la pensée de la fille mystérieuse qui l’appelait ; et qui maintenant ne l’appelle plus. Maintenant il n’a qu’un doute : doit-il remonter jusqu’au grand balcon encore pourvu de sa balustrade et rentrer au plus tôt chez lui, mais en affrontant ces sept marches terrifiantes sans garde-fou extérieur ? Ou bien lui convient-il de descendre encore deux marches pour pouvoir attraper le tronçon de rampe d’en bas ?

Dans un silence absolu, l’orfèvre se décide pour la seconde solution, il descend les deux marches, de la main gauche il saisit la main-courante de bois, qui cède comme si elle n’avait été fixée à rien.
Minervini reste là pétrifié, il a dans sa main un lourd morceau de rampe. Avec horreur il le jette dans la cage, s’adosse au mur comme à un refuge, et entend le fracas métallique sur le fond, cinq étages plus bas.
Il comprend qu’il est pris au piège. La seule chose à faire est remonter. Il le fera avec la plus grande prudence, heureusement pieds nus il est moins facile de glisser. Le palier là-haut, avec sa belle balustrade solide, lui apparaît comme un amarrage fabuleux.
Pourquoi fabuleux ? Il ne s’agit que de neuf dégrés à franchir.
Neuf degrés, il est vrai, mais dans ce très court espace de temps les degrés sont devenus très hauts et étroits, on dirait la paroi d’une pyramide aztèque. Minervini ne me voit pas, mais il sait que je suis là.

Il demande : « C’est un rêve, n’est-ce pas ? »
Je ne réponds pas. «

« Je dis : c’est un rêve n’est-ce pas ? »
répète-t-il.

Et moi : « Bah : on verra plus tard. »

Il se mettra à quatre pattes, pour avoir quatre points d’appui au lieu de deux. Sage précaution parce que dans l’intervalle il devra constater que les marches ne sont plus de vraies marches avec un plan horizontal mais de simples barreaux métalliques qui sortent d’environ un mètre du mur, distants l’un de l’autre d’une quarantaine de centimètres, et entre l’un et l’autre il y a le vide. En outre les barres sous lui ont à moitié disparu et s’ouvrent des crevasses épouvantables qu’il faudrait franchir d’un saut d’acrobate, ce qui serait une folie parce qu’en dessous s’enfonce en entonnoir le précipice.

Un échelon, deux échelons, trois échelons, il en manque encore six pour arriver à l’étage. La main se tend, cherche, le prochain échelon n’est plus là. A cet instant précis l’échelon sur lequel il appuie le pied gauche vient à lui manquer, il a à peine le temps de saisir des deux mains l’unique échelon restant, et de s’y mettre dangereusement à califourchon. Il ne peut plus bouger de là, il ne pourra plus jamais bouger, plus jamais. Et qui viendra à son secours ?
Alors il appelle au secours. Oh ! s’il pouvait. Bien qu’il y mette tout son souffle, aucun son ne sort de sa gorge. Au secours, au secours ! Avec horreur il se rend compte que le barreau sur lequel il est recroquevillé s’affaisse sous lui lentement, comme s’il était devenu de caoutchoux. Il s’agrippe désespérément à l’attache, il serre les genoux sur le tronçon flasque. Mais il sait que tout est inutile.

Il m’appelle : « Dis-moi, dis-moi. C’est un rêve, n’est-ce pas ? Si c’est un rêve, le moment du réveil viendra. C’est un rêve, n’est-ce pas ? »

Et moi : « Bah ! on verra plus tard. »
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J'avoue que la nouvelle, dans les tristes dispositions d'esprit où je me trouve ces jours-ci, m'a donné une consolation immense. De toute façon, moi je dois mourir. Mais ce qui est affreux, quand on meurt, c'est de s'en aller tout seul. Si on part tous ensemble, et si ici-bas il ne reste personne, je ne dis pas que cela devient une fête, mais presque. Quelle crainte peut-on avoir, s'il s'agit d'un sort commun ?
Et puis - ce sera de l'égoïsme, ce sera d'un esprit mesquin tant qu on veut - il y a un certain plaisir à voir abolie d'un seul coup la scandaleuse supériorité de qui a pour seul mérite d'être né après nous.

-Icare-
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Un premier indice fut la constatation que la simple peau de banane, convenablement préparée, pouvait produire des sensations délicieuses. D’année en année les expérimentateurs ouvrirent de nouveaux horizons sans violer le code. Une succession de glorieuses découvertes : les pommes de terre bouillies, ingérées dans l’obscurité complète, procuraient des visions dionysiaques ; des effets aussi intenses étaient obtenus avec l’infusion de gentiane, ou par l’audition à l’envers de musique de Wagner, ou en pétrissant des meringues et de la salive de chien boxer. Il y eut ensuite la mode de la gymnastique psychédélique, plutôt fatigante il faut l’avouer, mais très efficace.

- Délices modernes-
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Le temps, on le sait, est irréversible. Et pourtant, de même que le cours fatal des fleuves permet çà et là des bouillonnements, des tourbillons, des contrecourants qui pourraient presque faire croire à des exceptions à la loi de la pesanteur, de même, sur la peau démesurée du temps se produisent parfois de petites crevasses, des verrues, des vergetures, qui pour de brefs instants nous laissent suspendus dans une dimension arcane, aux extrêmes confins de l'existence.
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PETITS NOMS

Ange de ma vie !
Dodo, beau bambin !
Ça suffit, maladroit !
C'est à vous que je parle, l'idiot du troisième rang !
Espèce de crétin !
Non, je vous en prie, mon jeune monsieur, ne me touchez pas !
Allons, debout, flemmard !
Qu'est-ce que vous me fichez là, sergent ?
Félicitations, jeune agrégé !
A quoi penses-tu, mon ourson ?
Et il y a de l'espoir, monsieur l'avocat ?
Assez maintenant, démon !
Il ne vous aura pas échappé, mon excellent collègue...
Vite une bise, mon gros commandeur chéri !
Tu me grattes le dos, petit papa ?
Vous préférez un compromis à l'amiable, monsieur ?
Par ici, je vous en prie, monsieur le Député !
Maintenant je dois te quitter, mon beau matou !
Si vous me permettez, monsieur le Président...
Tu me l'offres, pépé ?
Comment va, mon vieux .
Peut-être vous souvenez-vous, maître...
Et si j'appuie ici, Excellence, cela fait mal ?
La paix soit avec toi, mon frère en Jésus Christ !
Comme il est parti vite, le pauvre !
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