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Marc de Gouvenain (Traducteur)Lena Grumbach (Traducteur)
EAN : 9782742735303
315 pages
Actes Sud (06/11/2001)
3.97/5   75 notes
Résumé :
Telle est la malédiction qui poursuit Sven Elversson: on croit savoir qu'au cours d'une expédition polaire qui a tourné au désastre, il aurait mangé de la chair humaine. De retour dans son île natale, il est livré à la réprobation publique par le pasteur du village. Désormais, quels que soient ses efforts pour se racheter, Sven fera figure de coupable -même aux yeux de la jolie femme du pasteur, qui ne peut démêler les troubles sentimentaux que le "banni" lui inspi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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En débutant ma lecture, j'ai été heureuse de bien connaître la Suède et particulièrement sa côte ouest, déchiquetée et parsemée d'îlots sur lesquels, tels des champignons, poussent les minuscules cabanes des pêcheurs, enduites du caractéristique rouge de Falun. Cela m'a permis de mieux me représenter l'environnement de cette histoire hors du commun ; si j'avais dû compter sur la seule plume de Selma Lagerlöf pour faire naître dans mon imagination les paysages où évoluent ses protagonistes, je n'aurais peut-être pas été aussi saisie par sa narration tant son style est épuré, concis et direct.

Difficile de résumer ladite histoire d'ailleurs. Dans une atmosphère lourde, aux accents dramatiques, l'auteur, première femme à qui le Nobel de littérature a été décerné (en 1909), nous transporte avant la Première Guerre mondiale dans son pays natal pour nous narrer, à la façon d'un conte philosophique, du moins c'est ainsi que je l'ai ressenti, le long chemin de souffrance d'un jeune homme victime d'une injustice et condamné à quêter auprès de la société une rédemption qui semble totalement inaccessible.

L'auteur nous fait toucher du doigt la spiritualité luthérienne étroitement liée aux moeurs d'un peuple campagnard qui semble avoir enfoui la miséricorde divine sous le confort domestique et les conventions sociale et que seule l'horreur de la guerre ramènera sur la voie de l'amour universel.

Dit comme cela, j'ai conscience que je ne vous apprends pas grand-chose sur l'oeuvre et que je ne vous donne peut-être même pas très envie de tenter l'aventure. Ce serait dommage ; je suis navrée d'échouer à synthétiser un récit à la fois simple et puissant, très complexe derrière un extérieur très humble.

Déjà, un bon point pour l'auteur, son récit ne ressemble à rien de ce que j'ai déjà pu lire. A travers un portrait sans concession et quasi exhaustif des passions humaines, Selma Lagerlöf emmène son lecteur à travers les destinées croisées d'une poignée de personnages que le lecteur s'étonnera de plaindre ou de rejeter avec une singulière violence.

Une très belle surprise dans le cadre du challenge NOBEL.


Challenge NOBEL 2013 - 2014
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Ma rencontre avec Selma Lagerlöf est récente : le Merveilleux voyage de Nils Olgerson, traduit en français, dans son intégralité par Marc de Gouvenain et Lena Grumbach pour Acte Sud en 1996. Récit magnifique ainsi que je l'ai souligné à ce forum.
Nos deux traducteurs ont poursuivi en traduisant en 1999 cet autre roman de Selma L. le Banni. Un grand roman offert aux amoureux français de belle littérature, un beau cadeau dont il faut savoir gré aux traducteurs naturellement effacés derrière l'auteure.

Venons-en au roman de Selma, le Banni. Il s'agit d'une histoire construite à la manière d'un conte et en même temps d'une allégorie de l'Amour faisant face à un pharisianisme luthérien en ce début du XXème en Suède. Bref ! Une dénonciation de l'hypocrisie, voire de la bêtise religieuse. Je vais donc vous raconter ce que j'ai retenu de cette belle narration. Il s'agit de raconter, non pas de résumer.

Quatre destins vont se croiser et se heurter, celui de Sven, injustement maudit ; celui du pasteur Edvard fils d'une lignée maudite et qui précipite Sven dans la plus grande des souffrances dans la négation de sa qualité de pasteur ; celui de Sigrun, la parfaite jeune fille heureuse dans sa famille et qui épousera pour son malheur ledit pasteur ; celui de Lotta, l'amie de Sigrun dont elle s'éloignera, malgré elle.

Sven, enfant, est "offert" par ses parents à une famille anglaise aisée afin de lui assurer un avenir et une éducation que leur pauvreté sur leur petite île de pêcheurs perdue de Grimon ne peut lui assurer. Les vieux parents s'en souviennent et la mère se demande ce qu'est devenu leur fils tout en l'espérant beau, riche et en bonne santé.

Le père, un taiseux, quant à lui, sait des choses ; il sait qu'un drame s'est produit lors d'une expédition dans le grand nord. L'expédition disparue a été retrouvée après de longs mois de recherche.
Le retour triomphal des survivants, en Angleterre, s'est vite mué en cauchemar et en rejet de dégoût par la population quand il a été connu que les rescapés ont survécu en consommant le cadavre d'un des leurs.
Le jeune scientifique Sven était de l'expédition ; il a été renvoyé sans ménagement à ses parents biologiques. Annonce faite par le pasteur au père en lui assurant avec force démonstration compassionnelle qu'il apportera son aide à Sven et à ses parents dans la délicate situation qui est désormais la leur. Seule, la mère, tout à son bonheur d'avoir retrouvé son fils, refuse catégoriquement de croire que celui-ci a consommé de la chair humaine. Elle est bien la seule, car même son époux donne créance à cette histoire, bien qu'il accueille Sven comme un père aimant.

Tout bascule le jour où Sven se rend à l'église pour écouter la messe et prier. On se serait attendu à un accueil bienveillant du pasteur. Pourtant, celui-ci dénonce à la vindicte des fidèles la présence en son église de celui qui s'est rendu coupable d'un acte aussi répugnant. Cet adjectif revient souvent dans la narration – répugnant, pour signifier la violation du caractère sacré du mort, et qui rend le péché de Sven plus condamnable que n'importe lequel des crimes les plus odieux commis chaque jour dans le pays.
Le pasteur n'a pas pu surmonter le dégoût que lui inspirait la présence de Sven dans la maison de Dieu, malgré la conscience que son comportement était bien éloigné de l'amour de Dieu.

A partir de ce jour Sven se réfugie dans l'humilité comme un vieux chien pourchassé par un maître violent trouve refuge dans sa niche avec le regard le plus triste, le plus pathétique, le plus soumis qui soit.
Sven, auprès de ses parents se fait tout petit, pourtant sa mère l'aime indéfectiblement. Tout le pays sait ce que l'on reproche à son fils, tous ceux qui l'approchent le jugent et le condamnent ; les actes de grande bonté qu'il accomplira et qui en étonneront plus d'un, n'y feront rien – il bâtira seul une belle école que les enfants refuseront de fréquenter à cause du péché du bâtisseur. Il accomplira des miracles avec des pêcheurs habitués à commettre toute sorte de crimes et dont l'ordinaire s'améliorera grâce au travail de Sven, il aidera à démasquer un criminel en s'enfermant avec lui dans sa cellule.
Mais quand il demandera la main de la fille du criminel comme il s'y était engagé sur le vouloir de celui-ci, afin que celle-là ait un avenir meilleur que sa condition de pauvresse et de fille des rues lui refusait, elle n'acceptera pas, reprochant à Sven son crime, supérieur à celui de son père qui pourtant a assassiné deux pauvres vieillards pour les dépouiller. La bonté de Sven devient légendaire, reconnue par tous, mais cela ne suffira jamais. Alors, comme je l'ai dit plus haut il entre dans sa prison d'humilité et laisse accrocher à ses lèvres un petit sourire, déprimant de résignation dans la société des hommes qu'il fuit de plus en plus.

Sigrun est une jeune fille d'une grande beauté et comblée par le Ciel de toute sorte de vertus. Elle épouse le pasteur Edvard, quitte sa famille et sa région aimées pour suivre son époux non moins aimé. Très vite Sigrun s'ennuie ; l'autorité de son mari qui lui laisse assez peu de liberté, lui pèse. La mélancolie gagne, jusqu'au jour où elle croise Sven sur la côte ; elle adore la mer, Sven lui fait connaître la mer ; la voilà de nouveau heureuse. Moment de bonheur pris à l'insu de l'époux jaloux.
Sven est aux anges en son for intérieur, car au dehors il est toujours le garçon doux, modeste, respectueux, jusqu'à l'agacement, que l'on connaît désormais. Sigrun, dans le feu de la conversation, assise au milieu de la barque manoeuvrée par Sven , parle de ce Sven dont la déshonorante réputation est parvenue jusqu'à ses oreilles ; elle lui apprend que l'école qu'il a construite vient de brûler et y voit une bonne chose.
Le changement d'attitude de Sven le révèle à ses yeux ; elle comprend que ses paroles s'adressent à Sven assis en face d'elle et qui se dépêche de la ramener à terre. “Pardonnez-moi – dit-elle. Je ne savais pas que c'était vous”. “Elle se pencha en avant et du bout des lèvres effleura son front...” “Je veux que vous compreniez que je ne ressens pas pour vous, ce que ressentent tous les autres, dit-elle.”

Sigrun continuera de souffrir la jalousie tyranique du pasteur et sa misère conjugale ne cessera de croître. Et ce, d'autant plus, que le mari a déménagé et est venu se réfugier dans un presbytère pauvre, perdu dans un pays pauvre et caillouteux. Et pour quelle raison ? Afin d'avoir pour lui seul sa femme et lui éviter tout contact étranger suspect. Voilà qui la révolte ! Car elle ne se sent coupable de rien, d'aucun écart.

Lotta est une pauvre fille du même pays que Sigrun et qui, à l'occasion d'un voyage en train, raconte de sa voix criarde à qui veut l'écouter ses visions et sa mission divine. Elle pourrait passer pour cinglée, mais enfin, dans le train on l'écoute ou on l'entend avec une certaine bienveillance ou indifférence. Elle ne raconte pas seulement ses visions, mais sa vie de malheurs et ses incessants problèmes de santé.
Quand le train est presque vidé de ses voyageurs, il en reste un qui continue de l'écouter, avec attention, l'encourageant à parler lorsqu'elle semble hésiter. Alors, elle entreprend de lui raconter son enfance, l'amour qu'elle portait à Sigrun si belle, si inaccessible et qui, pourtant, a daigné poser son regard sur elle et devenir son amie. Rien ne l'a rendue plus heureuse.
Puis Sigrun s'est mariée. Elle la sent malheureuse et elle va à la rencontre de son amie qui a besoin d'elle. Car elle a connu de grands malheurs, a perdu son unique enfant et elle est actuellement en grande détresse. Et puis il y a toujours cette vision d'une ferme au portail délabré qu'elle est seule à voir et qui n'annonce rien de bon. Cette ferme, un visiteur, chez ses parents, l'avait aperçue, comme elle. Il raconte qu'elle avait appartenu aux ancêtres du pasteur Edvard dont la famille semble poursuivie par une malédiction en raison d'un crime ancestral.

Le lien entre les ancêtres du pasteur et le mariage de ce dernier avec Sigrun a bouleversé le voyageur qui quitte brutalement Lotta sans se retourner... C'est Sven, malheureux des malheurs de Sigrun qu'il aime secrètement.

Lotta retrouvera Sigrun ; effusion de celle-ci et Lotta comprend combien elle souffre. Lotta est acceptée par Edvard, loge dans une petite annexe du presbytère et aide son amie. La pauvreté du presbytère conduit le pasteur à accueillir un hôte plutôt âgé et qui discrètement courtise Sigrun. Un geste anodin de celui-ci en direction de Sigrun provoque la fureur jalouse du pasteur. L'hôte s'enfuit comprenant que sa vie est en jeu ; la poursuite s'arrête de façon brutale car Edvard se casse la jambe ; le voilà immobilisé dans sa chambre. Sigrun n'en peut mais, elle se réfugie auprès de Lotta, déterminée à fuir le domicile conjugal bien que son amie tente de l'en dissuader.

Un jour une femme marginale frappe à leur porte, elle est fiévreuse et très agitée. Porteuse de la variole, elle mourra dans le lit de Sigrun qui y voit la main de Dieu. En effet, elle cherchait désespérément comment quitter son mari sans scandale. Elle l'a trouvé. La morte au visage ravagé prendra son identité. Elle s'enfuit ainsi du presbytère, imposant à Lotta sa complicité, en compagnie du compagnon de la femme décédée. En cours de route le compagnon lui apprendra que la femme n'était pas sa femme, mais celle du banni, Sven, qui l'a épousée malgré son extrême laideur. Elle l'aurait quitté pour suivre le guide au motif qu'elle avait la certitude que Sven ne l'aimait pas.

Le voyage est long, mais à la fin ils parviennent à une ferme bien aménagée qui comporte un bâtiment destiné à recueillir de pauvres chemineaux.
Le lieu est propre et vide à ce moment. Sigrun prend une chambre et son guide une autre. En se reposant, elle rêve de son départ pour l'Amérique afin de devenir infirmière sur les champs de bataille ; la première guerre mondiale bat son plein et elle veut apporter son aide à ceux qui souffrent ; cela a toujours été son ambition.

La ferme en question, est celle de la vision de Lotta, celle des ancêtres du pasteur, appartient à Sven qui en a fait l'acquisition à la fois pour y loger ses vieux parents, mais aussi pour ses actions charitables en faveur des pauvres.

Sigrun l'apprend pour sa plus grande surprise. Elle espère partir assez vite, mais accepte de se reposer un peu, déclarant à Sven qu'elle a les moyens de son voyage en Amérique. Quand, au petit matin, elle vérifie que son argent est toujours à sa place dans son sac, elle découvre avec horreur que le guide le lui a volé et a disparu dès l'aube. Elle s'est souvenue de lui avoir dit qu'elle possédait sur elle cet argent.
Rêves envolés, désespoir, mais il y a Sven tellement humain et tellement désintéressé qui lui propose de rester à sa guise avec la garantie de ne jamais être dérangée. Voilà comment Sigrun retrouve le banni devenu tel par son époux.

Le pasteur qui croit sa femme morte de la variole est inconsolable. Ce qu'a pu constater sa belle-mère en visite chez son gendre. Celui-ci reconnaît amèrement avoir été incapable de rendre Sigrun heureuse. Et pourtant, la belle-mère en entrant dans la chambre d'Edvard, constate combien son gendre aime sa fille, simplement au soin quasi fétichiste qu'il porte aux objets familiers ayant appartenu à Sigrun, à l'état psychologique ainsi qu'aux déclarations de son gendre.

Durant ce temps Sigrun demeure chez Sven et ses parents. Elle a contacté la variole, a été soignée et a été guérie. Un jour, elle adresse à Lotta une lettre lui demandant de prévenir son époux qu'il vienne la chercher. Elle demande pardon à Edvard. Lotta accomplit sa mission non sans avoir reproché au pasteur ce qu'elle a sur le coeur et lui avoir raconté sa vision de la ferme où avaient vécu les ancêtres d'Edvard et la malédiction qui poursuit les descendants, la croyance selon laquelle cette malédiction pourrait s'effacer si un membre de la descendance se faisait pasteur et épousait l'innocence en la personne de Sigrun. Stupeur d'Edvard ! Dans ce chapitre, comme toujours, Selma L. qui connaît parfaitement les contes de son pays, en utilise un qu'elle met dans la bouche de Lotta, comme une parabole. En effet, Lotta reproche au pasteur de lui avoir effacé un oeil comme l'a fait un géant à une sage-femme qui avait découvert son secret. On retrouve ce même conte dans le livre de Pierre Dubois, mais cette fois-ci, il ne s'agit pas de géant, mais d'un personnage appartenant "au petit peuple".

Le pasteur fait téléphoner à sa femme qu'il ira à sa rencontre le lendemain. En réalité, il se met en route sans attendre et se dirige droit vers cette ferme qu'il connaît, et qui comporte un portail étrangement délabré exactement comme dans les visions de Lotta.
Le pasteur, arrivé donc la veille, procède à des approches prudentes et, comme un voyeur, se dissimule du mieux qu'il peut afin d'épier Sven et Sigrun en pleine conversation sur la terrasse.
Sigrun annonce à Sven son départ sans appel, Sven comprend cela, d'ailleurs Sigrun lui rappelle que c'est lui qui l'a incitée à retourner vers son foyer, parce que cela lui semblait juste. Sigrun lui révèle qu'elle connaît l'amour qu'il lui porte ainsi que sa souffrance ; et elle lui parle des changements que son séjour sous le toit de Sven a opérés en elle. Elle sait désormais ce qu'est l'amour véritable, celui qui se manifeste jusqu'au sacrifice. La femme laide de Sven en est le modèle parfait. Elle est venue mourir chez Sigrun pour signifier à Sven l'insondable profondeur de l'amour qu'elle éprouvait pour lui. Sigrun sera toujours reconnaissante à Sven de le lui avoir enseigné et elle espère que son foyer retrouvé suivra le modèle que lui a montré Sven. Elle est résolue à tout raconter à son mari qui comprendra, estime-t-elle.

Ce chapitre, merveilleux, est un véritable hymne à l'amour. Et quand survient le silence, Sigrun lui demande à nouveau de réciter ce poème qu'elle aime tant et qui parle d'une Sigrun passionnément aimée du poète. Sigrun est bouleversée par tant de respect et d'amour, elle est persuadée qu'il n'a pas commis l'acte qui en a fait un banni et, dans un murmure que son mari dissimulé perçoit nettement, elle se déclare à elle même qu'elle aime Sven et qu'elle ne pourra jamais le lui dire. Magnifique instant du roman.

De toute façon, persuadé d'avoir perdu Sigrun, Sven s'éloigne. Edvard est tenté de commettre un crime. Mais cette fois, il résiste, il procède à son examen de conscience – c'est lui qui a fait de Sven un banni, c'est lui qui a fait fuir Sigrun. Avec la plus grande discrétion, il pose sur la table les deux alliances qu'il avait sur lui, la sienne et celle que Sigrun avait passée au doigt de la morte et il s'en va, mettant fin ainsi à la malédiction, car il s'est incliné devant l'amour, s'est racheté en quelque sorte de son manque d'amour originel et du crime ancestral.

Sigrun est bouleversée en retrouvant les alliances ; elle sait que son époux est passé et qu'il a accepté que Sven et elle s'aiment. Quelques jours plus tard Edvard lui fait parvenir les documents du divorce.

L'histoire aurait pu s'arrêter là. Mais tant de choses doivent encore être remises à leur place ; le conte de Selma n'a pas encore livré sa morale.

Plus tard, Sven décide de s'embarquer sur un bateau de pêche pour aider des pêcheurs ; avant cela, il passe chez son petit frère, désespéré, devenu presque fou, et qui lui demande pardon pour avoir adopté l'attitude commune de rejet à son égard. P'tit Joël, c'est son nom, est agité, ne trouve pas le sommeil depuis des mois ! Pourquoi ? A cause des cadavres de soldats qu'il a vu flotter à la surface de la mer, du navire sur lequel il travaillait. Des soldats tués lors de la bataille navale du Jutland et dont les yeux morts étaient un festin pour les mouettes. Il prend alors conscience que ce qu'il avait reproché à son frère n'est absolument rien à côté de ce que l'on fait aux vivants durant cette guerre. Une femme, de même, lui demande pardon, car son mari est désormais estropié pour avoir voulu désamorcer une mine. Ce qu'ils font aux vivants ne peut-être comparé à la bonté de Sven ! Oui, tous ceux qu'il rencontre, viennent le saluer et lui demander pardon. Y compris cette jeune femme, fille de l'assassin qui lui avait dit des mots méprisants en repoussant sa demande de mariage : “Quelle importance ça pouvait avoir, ce que vous aviez pu faire à un mort ? Quand il y en a qui ont fait que tous les ouvriers des carrières du Bohuslän ont perdu leur travail et sont entrain de crever de faim avec femme et enfants. Ceux-là, ils pèchent contre les vivants, et c'est bien pire.”

Sur le bateau de pêche où il a embarqué, tout le monde est de mauvaise humeur. Sven constate qu'il n'en est pas la cause. Depuis quelque temps les pêcheurs remontent dans leur filet des soldats morts en même temps que les poissons. Lorsque, ce jour-là, le capitaine ordonnent de les rejeter à la mer, Sven s'y oppose ; le capitaine, hésitant s'incline devant la détermination de Sven. Ces cadavres sont ramenés à terre afin d'être dignement enterrés.

Dans le petit cimetière où les sépultures sont prêtes à être accordées aux soldats, la mère de Sven observe, sans doute non sans fierté, en soutenant son humble fils qui ne demanderait qu'à être ailleurs : “tu dois bien te rendre compte que les gens te regardent d'une tout autre manière qu'autrefois.”
“La guerre, ses atrocités, les multiples malheurs qui frappaient la population des pêcheurs avaient fait que les gens considéraient avec plus d'indulgence Sven Elversson et son "crime". On remarquait aujourd'hui plus qu'autrefois ses efforts pour aider et reconstruire.”
“Finalement, cet homme est bon - disait-on. Il essaie de venir en aide à ceux qui sont en difficulté. Après tout, le plus important reste de prendre soin des vivants.” Cet acte a libéré Sven plus encore que la contrition de ses concitoyens et il repensait à l'avance à l'homme nouveau qui allait retrouver Sigrun.
Son ennemie d'autrefois, devenu son ami, le pasteur Edvard, après la cérémonie d'inhumation s'est lancé dans un discours sur la guerre immonde qui fait tant de mal aux vivants ; un discours vibrant sur l'acte de courage et de bonté de Sven que la population rassemblée reconnaissait sans réserve et puis, coup de théâtre !

Un des soldats morts avait dans sa poche une lettre dans laquelle il relatait le drame de l'expédition du pôle nord et affirmait, pour soulager sa conscience, que Sven était innocent de ce dont on l'accusait ! Sven, submergé par l'émotion s'effondre. Ce sont les bras fraternels du pasteur qui le maintiendront encore en vie pour un peu de temps.

Si Lotta Heldman a livré publiquement au cimetière, une dernière fois sa vision accusatrice des pêchés des hommes à la manière des prophètes anciens, l'histoire ne s'arrête pas là. En effet, un an après, voilà que Sigrun en deuil débarque chez son ex-mari ? Non son époux, car la procédure de divorce n'a pas suivi son cours ! L'état de santé de Sven, depuis son effondrement au cimetière justifiait d'autres priorités.
Son mari n'a pu faire autrement que de la laisser vivre à sa guise dans la petite pièce mansardée du presbytère qu'elle a choisie. Jusqu'à ce qu'un jour, elle pénètre dans la chambre de son mari, avec la proposition de reprendre l'oeuvre de Sven à la demande des parents de ce dernier qui avait reçu l'héritage de son père adoptif. Quand, pour calmer l'hésitation de son mari, elle lui prend la main...
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Oeuvre de la première femme à recevoir le Prix Nobel de littérature en 1909, une histoire qui porte à la réflexion et qui transporte dans la campagne suédoise du début du XXe siècle.

Un homme a mangé de la chair humaine pour éviter de mourir de faim lors d'une expédition nordique désastreuse. le dégoût ressenti envers ce « crime » est tel qu'il est complètement rejeté. Pourtant, d'autres dans le village ont volé, sont complices d'infanticides ou infligés de mauvais traitements à leur famille, mais personne n'est traité comme un pestiféré incurable. Comment le « banni » peut-il se comporter? Comment vont réagir ses proches? Et comment nous, lecteurs, réagirions-nous?

Une deuxième partie, très différente, où se mêlent des histoires d'amour et de malédictions familiales, amalgame de sentiments profonds et de surnaturel. Passion et jalousie, générosité et abnégation, exaltation religieuse et légendes, on y trouve des émotions humaines intenses teintées d'imaginaire mystique, dans un décor de petits villages suédois.

Le dernier volet est un véritable réquisitoire contre la guerre, fléau qui fait bien pire que de s'en prendre aux cadavres, car la guerre s'en prend aux vivants. Triste fin, si on songe à la suite des choses. Selma Lagerlöf a écrit ce texte pacifiste en réaction aux horreurs du conflit 14-18, mais les humains n'ont rien compris puisque la mort triomphera encore une vingtaine d'années plus tard.
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Challenge Nobel 2013/2014
5/15

C'est une histoire à la fois simple et complexe à résumer sans en dire trop. Disons simplement que c'est un très beau texte d'amour. Il n'est ni explosif ni dramatique. Il est patient, se construit sur des années, par petites touches. Il est presque impossible, dans la Suède très protestante du début du 20è siècle. Mais il existe. Il est parfois possible que l'échelle des valeurs se renverse pour donner du bon, et que ce bon vienne du mal, de la guerre. Les mentalités petit à petit s'ouvrent à la beauté de la vie sur le sacré de la mort, à l'amour véritable sur celui des conventions, au respect mutuel et à la seconde chance. Et surtout, les protagonistes découvriront comment les exprimer, les montrer, sans s'anéantir ni eux ni leurs prochains. Un très beau texte.
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Dans le Banni de Selma Lagerlof, au début du XX ième siècle, Sven Elversson est confié par ses parents, pauvres pêcheurs de l'île de Grimön  en Suède, à un couple d'anglais qui l'adopte. Mais après avoir terminé ses études, il part dans une expédition polaire qui se retrouve bloquée par les glaces. Les  savants finissent par manger leurs camarades morts pour survivre. Une fois sauvé, Sven est banni par ses parents adoptifs à qui il fait horreur et retourne chez son père et sa mère qui acceptent de l'accueillir. Mais le pasteur, en révélant en chaire l'acte de Sven, le met à nouveau au ban de la société. Désormais, Sven Elversson, quoi qu'il fasse, n'inspire que dégoût et répulsion même aux plus endurcis des criminels.

La culpabilité et la Rédemption
 Ce récit est pour Selma Lagerlof l'occasion d'explorer le thème de la culpabilité et des ravages qu'elle peut causer à l'âme humaine. Sven Elvesson cherche à se racheter par une conduite exemplaire mais chaque fois la société le rejette avec répugnance. le jeune homme a une tel dégoût de lui-même qu'il adopte une attitude soumise, obséquieuse. A son frère P'tit Joël qui lui reproche de se laisser humilier, il répond en plein désespoir :
"Pourquoi irais-je me défendre … ; quand je me méprise moi-même plus que toi ni aucun autre ne pourrez jamais le faire ? Quand je ressens plus de dégoût pour moi-même que je ne pourrai jamais vous en inspirer ?"
Mais Selma Lagerlof peint aussi la dureté des humains entre eux et l'absence de pardon qui domine dans une société qui se dit pourtant chrétienne. le pasteur lui-même donne l'exemple de cette intolérance.  Même s'il est conscient de manquer d'amour, il participe à l'hypocrisie religieuse générale.
La cruauté des  rapports humains est le propre de tous. Mais les parents de Sven et  deux femmes y  échappent : Sigrun, la jeune épouse du pasteur, douce et bonne, et Rut, la femme que Sven Elversson a épousée et qui fera preuve pour lui d'un amour allant jusqu'à l'abnégation. Mais parce qu'elle est laide et qu'il est amoureux de Sigrun, Sven lui-même aura peu de considération envers elle et restera indifférent à son sort. Seul, l'amour véritable, est capable de tenir en échec les mauvais sentiments, la haine, le mépris, la jalousie.
Au thème de la culpabilité répond celui de la Rédemption. Au cours de la guerre de 14_18, lorsqu'il entreprend une courageuse action pour faire donner une sépulture aux soldats morts en mer, Sven retrouve enfin l'estime de soi. le sermon du pasteur qui le réhabilite lui fait retrouver sa place auprès de ses semblables et le réconcilie avec dieu. C'est aussi une condamnation virulente de la guerre et de ses horreurs que l'écrivain décrit avec force dans des pages hallucinantes.

La Nature
La nature est toujours présente et crée une atmosphère étrange dans le  roman. Elle peut être  effrayante, sauvage et désolée et c'est ainsi que la voit Sigrun, la femme du pasteur, originaire du Nordland couvert de profondes forêts, lorsqu'elle arrive, nouvelle épousée dans le Bohuslän, austère et sauvage.
C'est Sven Elversson qui lui fait découvrir la mer cachée derrières ses barrières rocheuses, la mer qui va redonner vie à la jeune femme transplantée et lui permet de retrouver l'espoir. Ce qui me plaît dans la jeune femme, c'est qu'elle trouvera la force de caractère de se  révolter et de se rendre libre… enfin pour un temps !

Il y a de très belles scènes, de beaux passages dans ce roman de Selma Lagerlof qui oscille entre réalisme et conte, des passages surprenants, magistralement écrits où les animaux deviennent la métaphore du mal, où le surnaturel s'introduit dans l'histoire, où l'invraisemblable prend le pas sur le rationnel comme dans l'échange des mortes, des moments où l'on ne peut croire à la véracité du récit mais où il présente pourtant un charme certain.
J'ai aimé l'ensemble du roman sauf les derniers chapitres et le dénouement. Selma Lagerloff  devient alors trop édifiante. le long sermon du pasteur sur Sven est insupportable,  la rédemption qui ne peut conduire qu'au ciel, le revirement de Sigrun aussi. On dirait que l'écrivaine veut  remettre en ordre cette société perturbée et que la morale doit l'emporter. A mon avis c'est la Selma Lagerlof bien pensante qui reprend le dessus alors qu'elle dénonçait l'hypocrisie sociale. Je pense que cette fin affaiblit le récit, surtout en ce qui concerne le personnage de Sven que l'on découvre innocent comme si la rédemption ne pouvait pas être celle d'un coupable, comme si Selma Lagerlof éprouvait les mêmes préventions que ceux qu'elle dénonçait. Même remarque envers le personnage de Sigrun.
Ce qui n'empêche pas que Selma lagerloff possède un don réel pour peindre les caractères tourmentés, complexes, dénoncer les travers de la société, et créer un univers bien à elle. le livre a donc de grandes qualités malgré mes restrictions très personnelles !

Lien : https://claudialucia-malibra..
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
- [...] je crois que rien n'est plus puissant que le dégoût. Il domine tout le monde. Personne ne peut lui résister. Il vaut mieux savoir cela dès le début. Qui lutte contre le dégoût sera vaincu. [...] Mais le dégoût n'est pas un mal en soi. [...] Et quiconque peut se servir du dégoût pour l'employer à des fins louables doit pouvoir être très utile parmi les hommes.
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Car de belles paroles ont été dites déjà contre la guerre, et des hommes de paix ont servi de modèles magnifiques, et les calculs les plus savants ont démontré sa folie, mais la guerre reste toujours aussi vivante.
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L'espace d'un instant, elle n'eut en pensée que l'idée qu'en ce moment elle découvrait un miracle du Seigneur. Elle faisait véritablement connaissance avec la mer. Jamais auparavant elle n'avait soupçonné ce que pouvait signifier la proximité avec cet élément, en sentir la respiration murmurer à son oreille, contempler son visage changeant, s'installer paisiblement dans ses bras et se laisser bercer.
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- [...] Helas, il ne devrait pas être si rare d'avoir l'occasion d'entendre de la musique céleste. Si tel était le cas, bien des choses seraient différentes, dans ce monde.
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Rien de ce qu’il venait de dire ne l’étonnait, car elle savait, elle qui était âgée, que jamais personne n’est resté devant la tombe d’un être aimé sans être rongé par les regrets et la culpabilité. (p.244)
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Vidéo de Selma Lagerlöf
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Les Jeux olympiques de littérature Louis Chevaillier Éditions Grasset
« Certains d'entre vous apprendrez que dans les années 1912 à 1948, il y avait aux Jeux olympiques des épreuves d'art et de littérature. C'était Pierre de Coubertin qui tenait beaucoup à ces épreuves et on y avait comme jury, à l'époque, des gens comme Paul Claudel, Jean Giraudoux, Paul Valéry et Edith Wharton. Il y avait aussi des prix Nobel, Selma Lagerlof, Maeterlinck (...). C'était ça à l'époque. C'était ça les années 20. Et c'est raconté dans ce livre qui est vraiment érudit, brillant et un vrai plaisir de lecture que je vous recommande. » Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
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