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Georges Bonneau (Traducteur)Daigaku Horiguchi (Traducteur)
EAN : 9782070709243
322 pages
Gallimard (12/03/1987)
4.38/5   117 notes
Résumé :
Quelle vie plus calme en apparence, plus unie, plus heureuse que celle de Natsume Sôseki ? Il naît en 1867 à Tokyo, l'ancienne Edo, étudie l'anglais, enseigne dans les écoles secondaires de 1893 à 1900 et passe en Angleterre trois années à l'issue desquelles on le nomme chargé de cours à l'Université impériale de Tokyo. Son premier roman, Je suis un chat, d'emblée le rend célèbre et lui permet d'entrer au grand quotidien Asahi. Après une existence discrète et retiré... >Voir plus
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"La seule chose profonde que j'ai sentie en ce monde, c'est le péché qui est sur l'homme. C'est ce sentiment [...] qui me faisait souhaiter d'être cravaché dans la rue par chacun des inconnus que j'y croisais. Et, à monter marche par marche l'escalier de cette expiation, c'est ce même sentiment qui me poussait, non content d'appeler la cravache des autres, à désirer me cravacher moi-même. Et, plus encore qu'à désirer me cravacher moi-même, à désirer me détruire moi-même."
(Natsume Sôseki en préface).

"Le Pauvre Coeur des hommes" ou "Kokoro : Sensei no Isho" a paru au Japon en 1914 sous la forme de feuilletons dans un premier temps, dans le "Asahi Shinbun" (journal japonais). La version française a paru bien plus tard, en 1957.
L'on peut aisément supposer que Natsume Sôseki a écrit ce roman durant les dernières années de sa vie (il est décédé en 1916) et quand on sait que l'écrivain nourrissait une véritable obsession pour "l'inéluctable péché de l'homme" on peut y voir là une analyse profonde et intimiste de la part de celui-ci, réalisée à des fins derivatives voire même exutoires. Un roman dont le thème principal est l'expiation. L'expiation : la pénitence, la souffrance imposée qui est considérée comme nécessaire lorsque l'on a commis une faute grave. Quelle que soit cette faute par ailleurs, libre à chacun d'en apprécier le degré de gravité.

Un roman qui dès les premières pages m'a troublée. Un style dépouillé de tout superflu, une atmosphère étrange presque éthérée, marquée par les silences et les non-dits car dans ce roman le silence s'invite tel un personnage à part entière, il hante chacune de ses pages jusqu'à la dernière, lourd, oppressant, comme pour masquer le terrible drame dont nous avons conscience dès le début sans toutefois pouvoir parvenir à le saisir (et c'est là que réside tout le talent de l'auteur) car derrière la banalité apparente des faits qui nous sont décrits se cache une analyse psychologique fine et complexe des deux personnages principaux que sont notre jeune narrateur et celui qui tout au long de ce récit sera nommé "Le Maître". D'aucuns nous ne saurons le nom, d'aucuns il n'est utile de le savoir.

Un roman que l'auteur a souhaité structurer en trois parties dont la dernière présentée sous la forme d'un récit épistolaire (pas moins de 129 pages d'une très longue lettre que le Maître adresse au narrateur) est à mon sens magistrale. J'ai rarement ressenti autant de gravité, d'abnégation, d'humilité dans une écriture. Outre le thème de l'expiation, l'auteur nous parle aussi des valeurs familiales nippones propres à l'ère Meïji, période durant laquelle la famille impériale représentait le modèle idéal de la famille japonaise, les mariages co-sanguins étaient monnaie courante à l'époque et le mariage était sacralisé et cela prend tout son sens dans ce récit. L'auteur nous parle aussi du rapport à la mort et à la maladie au travers de ces deux personnages énigmatiques qui se font face.

L'histoire d'une rencontre qui aurait pu en rester là et s'achever dans la politesse et le respect comme bon nombre de rencontres mais il en fut autrement...
De cet homme entre deux âges que notre jeune narrateur nomme "le Maître", de leur toute première rencontre (alors qu'il est étudiant à l'université de Tokyo) dans la station balnéaire de Kamakura au sein d'une des maisons de thé qui bordent la plage, à la naissance de cette relation ambiguë, de cette fascination inexplicable qu'exerce cet homme sur le narrateur. Cet homme dont finalement nous ne savons rien si ce n'est qu'il est un intellectuel, né de bonne famille, qu'il vit seul avec sa femme à Tokyo et qu'il s'est volontairement retiré, et cela depuis de nombreuses années, de toute vie sociale pour une raison que nous ignorons mais que nous devinons fort grave.
Au fil des pages nous suivons la quête spirituelle et parfois même désespérée de notre narrateur dont l'obsession pour le Maître va grandissante autant que le mystère qui entoure sa personne. Désespérée, au point de prendre toute la place, trop de place dans son esprit, au point même de prendre la place du "Père" puisque notre jeune narrateur n'hésite pas à laisser son père à ses derniers jours d'agonie pour se rendre auprès du Maître.

Tout au long de ce récit je n'ai eu de cesse de me demander : qui est cet homme ? de quoi et pourquoi se punit-il ? le poids de ses actes passés est-il si lourd à porter qu'il n'est jamais parvenu à s'en absoudre ? Et finalement le sujet d'étude ici ne serait-il pas notamment notre narrateur en proie à son obsession qui s'immisce dans la vie du Maître et finit par s'y perdre lui-même ?

Un roman puissant et dense que je vous invite à lire, dans lequel l'auteur dissèque la complexité et les douleurs de l'âme humaine. L'envie, la lâcheté, le silence, le remord, la honte... Natsume Sôseki nous rappelle combien nos actes et nos paroles aussi anodins puissent-ils paraître, ont le pouvoir de rompre l'équilibre de nos vies et cela de manière inéluctable et dès lors l'expiation devient la seule forme d'absolution possible si l'on veut pouvoir continuer à vivre en paix avec nos consciences.

"C'est dans l'abnégation que chaque affirmative
s'achève.
Tout ce que tu résignes en toi prendra vie.
Tout ce qui cherche à s'affirmer se nie ;
Tout ce qui se renonce s'affirme."
(André Gide)
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Le Pauvre coeur des hommes (Kokoro) est un roman de Natsume Sôseki (1867-1916) écrit en 1914, deux ans après la fin de l'ère Meiji. Avec la mort de l'empereur et le suicide rituel anachronique du général Nogi s'achève la période de transition du Japon.

Ce roman est bouleversant. Les personnages sont des gens ordinaires, des anonymes, sans talent, ni ambition particuliers. Les uns sont encore soumis aux devoirs, aux traditions et au regard de la communauté. Les autres exercent leur liberté individuelle avec égoïsme, éprouvent des remords, souffrent de solitude. Tous essaient de se parler mais n'y arrivent pas. le roman décrit avec finesse cette misère existentielle tragique et touche par la grande compassion qui l'accompagne.

Le livre est composé de trois parties. Les chapitres y sont sont très courts car le roman fut d'abord diffusé en feuilleton. le lecteur est amené à découvrir puis à tenter de résoudre des énigmes au fur et à mesure de son avancée dans la lecture. le style est sobre et précis.

« Le Maître et moi » s'ouvre sur une plage de la station balnéaire de Kamakura. le narrateur est un jeune provincial en vacances qui s'apprête à poursuivre des études à Tokyo. Il remarque un homme d'âge mûr qui ne se mêle pas à la foule qu'il semble dominer. Aussi il a décidé tout naturellement de l'appeler « Maître ». Il réussit à se présenter et ils partagent bientôt baignades, promenades et conversations. A Tokyo, le jeune homme devient peu à peu un familier du Maître. Celui-ci est un intellectuel oisif qui mène une vie ascétique entouré d'une forteresse de livres. Il ne se préoccupe pas du monde extérieur et ne semble pas connaître de problèmes matériels. Il se méfie de l'argent. Il se méfie de l'amour. Il se méfie des hommes. Prudemment, au gré de promenades, le narrateur l'interroge sur son passé, sur les raisons qui le poussent à se rendre périodiquement au cimetière. Il semble avoir été trahi par un proche. Il semble également rongé par la culpabilité. le narrateur interroge également son épouse Shizu qui lui paraît résignée. le Maître demeure insaisissable. Pourquoi est-il aussi mélancolique ? Quelle est la nature de son traumatisme ? Pourquoi le jeune homme est-il à ce point fasciné par cet homme qui pourrait-être son père ?

Dans « Mes parents et moi », le narrateur revient dans son pays natal à la campagne à la fin de l'année universitaire. Son père est très malade ce qui l'oblige à demeurer près d'eux plus longtemps. Son frère aîné vit loin et sa soeur enceinte ne peuvent se rendre au chevet du père et soutenir la mère. Les parents sont des gens modestes, soucieux des apparences. Sa mère insiste pour que son fils trouve un emploi après l'obtention de son diplôme. S'il ne fait rien que vont dire les autres ? Ils se méfient du Maître qui vit sans rien faire mais peut-être pourrait-il l'aider à obtenir cet emploi ? le narrateur est attaché à ses parents, connaît ses devoirs de fils cadet. Il écrit une lettre au Maître. On apprend la mort de L'empereur et le suicide du général Nogi. le narrateur reçoit une longue lettre...

« Le maître et le testament » est comme un roman dans le roman. le Maître expose dans la longue lettre les événements tragiques qui l'ont conduit à sa profonde solitude intérieure. le personnage du narrateur étudiant disparaît et un autre apparaît : K. Ils étaient alors étudiants et logeaient dans une pension tenue par une mère et sa fille. le futur Maître est alors fasciné par K mais également rongé par la jalousie…



Ce roman considéré comme le plus représentatif de l'ère Meiji est sans doute le plus universel de tous les romans de Natsume Sôseki. Un classique qui vous transperce le coeur.
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"For sweetest things turn sourest by their deeds;
Lilies that fester smell far worse than weeds"
(W. Shakespeare, sonnet 94)

Ah, le pauvre coeur des hommes !
Après avoir refermé le livre, je me dis que le traducteur ne pouvait pas mieux saisir le titre original "Kokoro", un mot qui signifie à la fois le coeur, mais aussi l'esprit, l'âme, les sentiments... bref, tout ce dont est faite l'essence d'un être humain.
Décidément, ce n'était pas une bonne idée de finir ce roman juste avant de me coucher, car le saké littéraire de Sôseki est bien fort. Il serre la gorge, laisse un arrière-goût amer, et se prête à toutes sortes de ruminations nocturnes. Mais malgré l'impression de solitude, d'impuissance et de vanité de l'existence, le lecteur ne se sent pas abattu pour autant ; il se retrouve plutôt dans cet indéfinissable état de douce mélancolie empathique que les esthètes japonais appellent "mono no aware".

Une très belle lecture, donc, même si ceux qui espèrent d'y trouver quelque scénario épique seront bien déçus. Pareil pour les amateurs de détails historiques sur la fin de l'ère Meiji. On n'apprendra pas non plus les noms des personnages principaux, car ce n'est vraiment pas nécessaire.
Ce qui frappe tout d'abord chez Sôseki est le minimalisme de ses personnages, qui contraste avec la grande profondeur psychologique du roman.
Le livre est divisé en trois parties, chacune consistant en de très courts chapitres (qui rappellent la publication originale sous forme de feuilleton) qui vous poussent à continuer à lire, encore et encore...
Le récit est situé en 1912, et le narrateur des deux premières parties est un jeune étudiant à l'université de Tokyo. Lors d'un séjour estival, il fait connaissance d'un homme vieillissant, qu'il appellera bientôt le Maître. Un homme réservé, retiré de la société, qui ne veut plus s'investir émotionnellement, ni s'ouvrir aux autres. le jeune homme gagne sa confiance et ils discutent souvent... mais très vite, il devient évident que le Maître ne dit pas tout.
On découvre ensuite la famille campagnarde de l'étudiant, ses sentiments compliqués envers ses parents, et ses efforts pour trouver une place dans la vie. Et le livre finit par une longue lettre du Maître, qui dévoile son tragique histoire et le secret qu'il avait gardé toute sa vie. le jeune étudiant sera la seule personne au monde à qui le Maître ouvrira entièrement son coeur.
La lettre du Maître retrace le choc violent d'un garçon honnête et naïve avec la réalité. Obligé de jouer son rôle dans cette mauvaise pièce, il finira par se méfier de tous ses acteurs, y compris de lui-même. Il sait qu'on ne pourra jamais effacer certaines répliques et tout recommencer... la seule possibilité qui reste, c'est mettre fin à cet engagement raté au théâtre du Monde.

Le livre a été écrit en 1914, à la fin de l'ère Meiji. Après des siècles d'isolation, l'empereur Meiji ouvre le Japon au monde occidental, à sa pensée, sa culture et son style de vie. Sôseki a réussi à saisir l'esprit de cette époque, ses conflits entre la tradition et la modernisation, entre la vie citadine et campagnarde, entre le conservatisme et libéralisme japonais. Et il les a tous projetés dans l'âme d'un vieux professeur sans importance.
Dans ce choc de deux cultures, il a ensuite implanté l'éternel thème de crime et de châtiment, de faute et d'expiation. Tout cela en dehors de la réalité judéo-chrétienne, à commencer par Job, en passant par Dostoïevski, pour aboutir dans Jung et la psychanalyse moderne. Rien de tel. Son point de vue, c'est l'ancien code bushido et le mot "junshi"... vous les comprendrez parfaitement en lisant le roman.
Je ne connais rien à la littérature japonaise, alors j'ai surtout ruminé "à l'occidentale" : que va devenir cet étudiant ? Il perd en même temps deux personnes très importantes, c'est fatal ? Ou, au contraire, sain ? Il sera obligé de se débrouiller seul, désormais. La lettre du Maître lui a brusquement asséné des vérités sur la vie qu'il n'a pas encore pu comprendre seul, à son âge. Pourrait-il supporter la révélation que tant que l'homme vit, il doit douter ?
Il a pourtant vu lui-même comment il était difficile au Maître de se distancier du monde... et aussi comme c'était inhumain.

Et voilà précisément la modernité de "Kokoro", servie comme sur un plateau. Tant de questions bouleversantes qui nous concernent toujours, dans un roman raconté si posément, écrit il y a plus de cent ans à l'autre bout de la planète. Contrairement aux romans "à la mode", l'histoire de Sôseki restera toujours "moderne", tout comme celles de Shakespeare cité en exerque, ou de n'importe quel autre auteur "classique".
On doit parfois partir à la recherche de la littérature moderne dans le passé. Pour comprendre que ces anciennes histoires parlent toujours de nous. Qu'une autre époque ou une autre culture ne sont pas forcément incompatibles avec la nôtre.
Consciemment ou inconsciemment, Sôseki montre la grandeur éthique mais aussi les limites de la tradition japonaise. le tableau qu'il propose est étonnant, et déconcertant pour la pensée européenne. Il nous ouvre les portes de pièces curieuses, en disant : regarde, ne touche à rien, ne juge rien. Bien des choses que tu verras ici ne sont plus que du passé. Mais sans cela, tu ne comprendras pas le présent. 5/5
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Le chemin de la mort

Je viens de terminer la lecture de ce chef-d'oeuvre de Sôseki et je suis encore sous le choc. Quel grand écrivain !

Pour résumer l'histoire : un jeune homme réside à Tôkyô pour ses études. Lors d'un voyage de repos au bord de la mer, il fait la rencontre d'un homme qui marquera sa vie à jamais et qu'il appellera toujours « le Maître ». L'ayant remarqué et désirant amorcer une conversation avec lui, le jeune homme multiplie les approches pour finalement réussir à se présenter et à converser avec cet homme qui le fascine. de retour à Tôkyô, il se rend chez le Maître régulièrement suite à l'invitation de ce dernier et devient un habitué de la maison. le jeune homme bénéficie alors de la remarquable sagesse et de la grande érudition de cet homme qui ne se livre pas facilement et semble éviter soigneusement la compagnie des autres hommes. Un jour, il apprend que le Maître se rend tous les mois sur une tombe afin de s'y recueillir. Il interroge le vieil homme qui lui apprend que cette tombe est celle d'un ancien camarade d'université. le jeune homme est très intrigué par cette histoire mais ne réussit pas à obtenir plus de détails. L'année scolaire terminée, le jeune homme quitte Tôkyô pour retourner chez ses parents à la campagne. Malheureusement, l'état de son père, malade depuis un certain temps, l'oblige à demeurer dans la maison familiale afin de soutenir sa mère dans cette épreuve et attendre la fin du père. Un télégramme du Maître arrive un jour à la maison, demandant au jeune homme de venir immédiatement à Tôkyô. le jeune homme ne peut quitter sa mère dans les circonstances et refuse de bouger malgré son immense désir de rejoindre celui qu'il considère comme son père spirituel. Il écrit les raisons de son refus au vieil homme qui lui fait parvenir en retour alors une longue lettre, révélant le drame caché de sa vie. le jeune homme quitte précipitamment son père mourant pour se précipiter à la gare. Il ouvre la lettre et la lit dans le train.

Un roman écrit avec une simplicité désarmante. On croit lire une suite de banalités alors qu'on est plongé dans un chef-d'oeuvre dont la complexité psychologique se révèle par degrés jusqu'à atteindre un niveau insoutenable à la toute fin du récit. C'est un roman extrêmement fort, d'une puissance sourde, lancinante et tenace. le style de Sôseki est d'une incroyable finesse, d'un raffinement et d'une précision presque effroyable. Il avance dans son récit avec une grande humilité, s'abstenant de tout lyrisme et phrases inutiles. Tout est d'une telle simplicité, d'une telle limpidité. Un style dépouillé de tout artifice pour raconter une histoire complexe et révélatrice des sombres gouffres dans lesquels se débat le pauvre coeur d'un vieil homme qui, ayant commis une faute, n'arrive pas à se pardonner et ne peut plus vivre avec lui-même ni avec les autres hommes, se méprisant à un point tel qu'il décide de vivre comme s'il était déjà mort. Ouf ! C'est grand, c'est beau, cela remue au plus profond du coeur. C'est l'histoire d'une expiation, d'une auto-flagellation qui s'étend sur une vie entière. Rarement un personnage de roman ne m'a bouleversée à ce point. Sôseki dans ce roman, réussit à égaler Tolstoï et Dostoïevski.

« Vie sans vagues, ni hautes ni basses, vie sans zigzags, ma vie continuait, monotone. Mais au fond de moi, sans cesse, entre la Force et moi, l'âpre lutte continuait. Cela, comprenez-le, je vous prie. Cette perpétuelle impuissance, plus encore qu'elle n'impatientait ma femme, me mettait, moi, hors de patience : et à quel point, je ne saurais le dire. J'étais dans une prison. Prison si étroite que je n'y pouvais tenir. Mais prison, en même temps, dont je ne pouvais briser les barreaux. le seul effort qui ne me fût pas d'avance interdit, la seule issue qui ne me fût pas d'avance bouchée, c'était le suicide : cela, je le sentais. Mais pourquoi ? me direz-vous. Vos yeux vont d'étonnement, s'ouvrir tout grands. Mais, ses griffes perpétuellement resserrées sur mon coeur, cette Force m'arrêtait, de quelque côté que je voulusse aller. le seul chemin qu'elle me laissât libre, c'était le chemin de la mort. »
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Voilà encore un live que j'ai lu il y plusieurs années. Ma critique, sera donc faite d'après mes souvenirs. Souvenirs, qui se télescopent avec les images du film de Kon Ischikawwa, vu plus récemment et qui reprend classiquement l'ordre narratif du récit de Soseki.
Un jeune étudiant va devenir l'élève d'un vieux professeur vivant avec son épouse, plus ou moins retirés de la société. On va découvrir peu à peu que ce « sensei » cache un passé qui le culpabilise et qu'il ne parvient pas à dépasser. Un passé que je ne dévoilerai pas pour ceux qui souhaitent lire le livre, mais qui est la cause de son retrait du monde. C'est par la voix du jeune étudiant, narrateur, que l'intrigue se dénoue peu à peu.
Il s'agit d'un roman paru d'abord en épisodes, comme d'habitude dans l'édition japonaise de cette époque, puis édité dans son ensemble en 1914. On est encore dans l'ère Meiji dont Soseki est un des plus grands représentants. Une ère Meiji s'achevant sur l'occidentalisation à marche forcée du pays et laissant bientôt la place à l'ère Taicho qui complètera l'adaptation du Japon dans les années 20 dans la cour des grandes nations de l'époque. On sens dans ce récit le vieux professeur incarnant le monde traditionnel en voie de disparition, laissant la place à son jeune étudiant qui prendra la relève. le magnifique film de Kon Ishikawa complète le livre, à mon sens, par des images d'une rare poésie, sur ce monde en pleine mutation. Soseki nous offre un récit tout en finesse, comme d'habitude, où il faut savoir prendre son temps, contempler les choses, se laissant aller au déroulement de l'intrigue.
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Vous êtes trop d'une pièce pour qu'on puisse douter de vous. Avant de mourir, en un seul être, ne fut-ce qu'en un seul, je voudrais pouvoir croire. Croire, et puis mourir. Vous sentez-vous capable de devenir pour moi cet être unique ? Y consentez-vous ? Bref, êtes-vous sincère, du plus profond de votre coeur ?
- Aussi vrai que je prends la vie au sérieux, aussi vrai mes paroles sont sincères !
Ma voix tremblait.
-Bien, dit le Maître. Je vais donc vous parler ; pour vous, je vais dévoiler mon passé. Simplement, en retour... Non, au fait, c'est inutile... Au reste, mon passé n'est peut-être pas pour vous d'une telle valeur... Non, je ne peux pas... Non, pour le moment je ne peux pas parler, sachez-le ! Tant que l'heure ne sera pas venue, je ne veux pas parler. C'est ainsi !
Bien après mon retour à la pension, je sentais encore en moi comme une angoisse.
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Le lendemain, à la suite du Maître, je sautai dans la mer. Puis je me mis à nager dans la même direction que lui. Comme nous avions à peu près fait deux-cents mètres vers le large, le Maître se retourna vers moi et m'adressa la parole. Immense et bleue, s'étalait la mer. Rien ne flottait aux environs, hors nous deux. Et la forte lumière du soleil, aussi loin que les yeux portaient, illuminait l'eau et les montagnes. La liberté, la joie emplissaient ma chair, que je faisais mouvoir dans la mer en une danse folle. Le Maître cependant arrêta ses mouvements, se mit sur le dos et fit la planche sur les vagues. Je l'imitai. Le coloris du ciel bleu miroitait jusqu'à entrer dans les yeux à la manière d'une flèche, et je sentais à mon visage les violentes couleurs qu'il me jetait :
- Qu'on est bien, n'est-ce pas ! criai-je à pleine voix.
Peu après, semblant se dresser sur la mer, le Maître changea de position :
- Ne rentrons-nous pas ? me proposa-t-il.
J'étais de nature assez résistante, et j'aurais pu sur la mer prolonger mes ébats. Mais dès que le Maître m'eût exprimé son désir :
- Bien sûr, dis-je de bonne grâce, bien sûr, rentrons !
Et tous les deux, par le même chemin, nous retournâmes vers la plage.
C'est de ce jour-là que je fus lié avec le Maître. Mais où habitait le Maître, je l'ignorais encore.
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Chaque été quand je revenais au pays, et que je restais assis, immobile, au milieu des cigales à la voix brûlante, souvent, une étrange tristesse me saisissait. Cette tristesse, il semblait qu'elle entrât dans mon cœur avec la voix même, si douloureusement aiguë, des cigales : et je me figeais alors dans une longue immobilité, contemplant seulement, solitaire, ma solitude intérieure. Mais cet été-ci, petit à petit depuis mon retour, ma tristesse avait changé de nuance. Et tout comme le cri de la cigale commune avait fait place au cri de la petite cigale, ainsi je sentais, autour de moi, la destinée de ceux qui m'étaient chers entraînée insensiblement dans une immense métamorphose...
Je songeais sans fin à la tristesse du père, à son attitude, à ses paroles. Je songeais à ma lettre au Maître, restée sans réponse. Le Maître et le père représentaient à mes yeux des caractères opposés : c'est pourquoi, rapprochements ou contrastes, mon esprit eût difficilement séparé leurs deux images.
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L'inquiétude me venait, mais aussi le courage. Tous les jours, devant ma table, je travaillais tant que j'avais de force. Ou bien, dans l'ombre de la bibliothèque, je scrutais les hauts rayons : comme le collectionneur les curiosités, je fouillais des yeux les titres dorés des reliures.
Les pruniers étaient en fleurs ; le vent froid tournait peu à peu au vent du sud, et, quelques semaines passant, me vinrent aux oreilles les premières nouvelles de la floraison des cerisiers. N'importe : tel un cheval de fiacre, je gardais les yeux fixés droits devant moi, la pensée du mémoire me fouettant. La fin avril approchait. Mais, tant que je n'en aurais pas eu fini avec cette rédaction, je m'étais interdit de repasser le seuil du Maître.
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La seule chose profonde que j'ai sentie, c'est le peche qui est sur l'homme. C'est ce sentiment qui m'avait fait soigner de tout mon coeur ma belle-mere malade. C'est ce sentiment qui m'avait commande d'etre doux envers ma femme. C'est ce sentiment toujours qui me faisait souhaiter d'etre cravache dans la rue par chacun des inconnus que j'y croisais. Et, a monter marche par marche l'escalier de cette expiation, c'est ce meme sentiment qui me poussait, non content d'appeler la cravache des autres, a desirer me cravacher moi-meme. Et, plus encore qu'a desirer me cravacher moi-meme, a desirer me detruire moi-meme. J'hesitais a me detruire d'un coup. Mais, du moins, je decidai de vivre comme si j'eusse ete mort.
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Vidéo de Natsume Soseki
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE : Natsume Sôseki, Je suis un chat, traduit du japonais et présenté par Jean Cholley, Paris, Gallimard, 1978, p. 369, « Unesco ».
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