Connaissant déjà Arrabal pour certaines pièces de théâtre, (Le Ciel et la Merde, par exemple) et pour son film – Viva la muerte - , je me suis laissée tenter par ce titre : L'enterrement de la sardine, qui m'a fait (sou)rire. Et me voilà partie pour une critique d'Arrabal : pêcheuse en eaux troubles, pécheresse que je suis.
En Espagne, l'enterrement de la sardine est une tradition ayant lieu le Mercredi des Cendres, lors du dernier jour du carnaval – un évènement propice pour la profanation du sacré, pour la sacralisation du profane et vive est la (ré)jouissance !
Le carnaval d'Arrabal, c'est l'éclate, le chaos le plus total, et les descriptions subissent cet éclatement généralisé. Différents tableaux se succèdent, se répètent. Il y a du Jérôme Bosch dans ce carnaval (Le Jardin des délices – qu'Arrabal reprend dans son théâtre), du Goya. J'ai reconnu les Deux vieillards mangeant de la soupe, sortis du tableau, mais Goya a également représenté L'enterrement de la sardine, de manière grotesque et horrifique.
Les références chrétiennes les plus macabres ne sont pas absentes. Il y a de la sardine, du poisson (Ichthus), et on célèbre la mort de la sardine, comme on célèbrerait la mort de Dieu. Et puis il y a des croix (ces représentations par excellence de la torture). Il y a le cortège des Pénitents qu'on purifie par la cendre.
La fin du carnaval, c'est la fin du monde. C'est apocalyptique comme texte – il me reste à découvrir Baal Babylone d'Arrabal.
Il y a autant de plaisir que de torture chez Arrabal.
Et c'est d'autant plus le cas lors du carnaval.
Un homme, un spectateur, enchaîné, assiste au carnaval depuis sa fenêtre et la foule, exaltée, défile sous ses yeux.
L'homme enchaîné (l'observateur) reçoit périodiquement les visites de deux femmes – Altagore et Lis - qui l'initient à l'amour, à la mort - et c'est violent. Il y a des calices, des cilices, Alice (oui, toujours elle, je la croise partout !), et La Palice.
Elles l'initient aussi à la lecture – des signes. Les rites nous rappelent que le carnaval, c'est une manière de canaliser les énergies d'anciennes fêtes païennes. Les signes cabalistiques, sataniques ou bénéfiques abondent, mais c'est à lire avec humour chez un pataphysicien, parce que c'est par l'humour que tout s'exprime. Ceux qui participent au carnaval chantent et détournent les comptines enfantines et les comptines enfantines sont dotées d'un caractère magique : Am, Stram, Gram, pique et pique et Colegram, etc. Ainsi, certains termes donnés comme cabalistiques ne sont autres que : Nracineh, Lvoltaireh, Becqueth.
Ce texte, c'est surtout du grand-guignolesque, du grand spectacle horrifique, avec ses danses macabres qui outrepassent toutes les limites de la bienséance. Un enterrement qui pourra vous réjouir, pourvu qu'il vous divertisse.
Commenter  J’apprécie         130
Et Altagore m'a parlé des folies de l'âme et du pouvoir qu'elles détiennent. Et puis elle m'a fait l'éloge de la folie.
Puis Altagore m'a affirmé qu'un jour elle me mènerait au cinéma Erasme. Et je lui ai demandé : "Comment est-il ?" Et elle m'a dit qu'à la porte il y aurait des photographies et qu'à l'intérieur nous verrions un film dont j'ai oublié le titre. Elle me l'a raconté et elle m'a expliqué les symboles magiques de chaque personnage et chacun des rites noirs célébrés. Altagore m'a appris que la salle serait la nef des fous, que nous y serions en communion spirituelle et que l'écran refléterait le retable des merveilles. Elle a ajouté que les personnages sembleraient des ombres sans épaisseur dans une sorte de monde sans pesanteur, parce qu'ils seraient faits d'une substance visqueuse d'origine magique.
Et quand Altagore est partie, je me suis endormi en pensant au cinéma et j'ai rêve qu'une femme mangeait un poulet rôti en compagnie de son mari et de ses deux enfants.
Une sorte de cheval à crinière de lion, une longue corne au milieu du front, marche au centre. Une jeune fille nue chevauche l'animal. Les prêtres tentent de la toucher ; alors, le cheval fonce, tête basse, et la bête reste clouée au sol. Ils rient et agitent leurs crosses. L'un d'eux, un énorme cigare à la main, fait "V" avec ses doigts.
Une fillette se dirige vers la glace de la boutique située en face de l'avenue. Elle la regarde longuement. Elle fait un pas vers elle et disparaît. Une femme crie : -
- Aliiiiice, Aliiiiice !
Des enfants, montés sur patins, zigzaguent au centre de l'avenue entre un petit groupe de vieillards qui s'éloignent en valsant.
Je lui ai dit que si sa tête était un pot, j'y mettrais de l'eau et des fleurs. Et que si c'était une image, je la collerais sur ma baignoire, et que si c'était une ligne je ferais passer un train dessus.
Au bout de quelques instants, elle a retiré ses vêtements. Sur son ventre était dessiné une sorte de masque dont les lèvres étaient celles de son sexe. Elle a placé là, au milieu, comme fichée, la cigarette qu'elle avait à la bouche, et un filet de fumée montait toujours.
Et je lui parlais, mais elle ne répondait pas.
Au bout de quelques minutes, elle a éteint la cigarette et elle m'a déshabillé avec soin. Puis elle a sorti de son sac des œillets et me les a plantés au bas des reins. Et j'ai vu que, de ses yeux qui ne pleuraient pas, s'échappaient des larmes.
Altagore m'a expliqué qu'on allait enterrer Coubert, et qu'un prêtre chanterait le Libéria et que des hommes et des femmes d'Ornanus suivraient le cercueil, ainsi qu'une voiture publicitaire de la marque -Réalisme-.
Dans les catacombes .En septembre 2013, une exposition au Musée du Montparnasse et en partenariat avec La Règle du jeu, dévoilait pour la première fois des créations artistiques inédites de l?artiste et dramaturge mondialement reconnu, Fernando Arrabal. Dans cet entretien intitulé «Dans les catacombes», tourné à son domicile, projeté lors de l?exposition, l?artiste absolu explique le processus créatif de ces oeuvres regroupées sous le terme de Poèmes plastiques, et confie la genèse de quelques-unes d?entre elles.