Nimier aimait distribuer ses coups, le chef de file des « hussards », dandys provocs de la droite littéraire de l'immédiate après-guerre, ne manquait jamais d'impertinence, les stars du théâtre de boulevard ont été victimes de ses manchettes acerbes dans la presse critique de l'époque.
« J'aime assez le bavardage, parce qu'il ne change rien à l'ordre des choses. » Que vaut cet écrivain très droitier, défenseur de
Louis-Ferdinand Céline, qui connut, à trente-six ans, une fin similaire à l'idole de la gauche
Albert Camus, qu'il a toujours raillé ?
«
Les Epées », son premier roman, déroute. Sur la forme, impression d'un manuscrit inachevé, parfois indigeste, le flou s'empare de la narration et la grignote de tous bord, le lecteur se prend à marcher sur son fil décousu et fragile, trébuchant fréquemment.
Mais, ce qui constitue sa limite en fait aussi l'attrait, outre un vocabulaire et un langage plaisant qui nous ramène aux années quarante et cinquante, quand on écrivait « fleurt » ou « Rita Hèhouorse » en phonétique ; il y a tout un jeu avec la langue, avec la façon d'écrire, de ponctuer, de dérouler l'intrigue qui relève de l'artisanat de l'écrivain. Cette esthétique quasi-excessive, surfaite, cette façon de bomber le torse, certains critiques en parlaient comme d'un « style au carré » et de petits drapeaux plantés devant chaque phrase pour dire « j'ai du style ».
« La démocratie ne valait pas les chiottes pour la noyer ». Sur le fond c'est une provocation attendue et continue, malaisante, violente et parfois révoltante. Les occasions de détester François Sanders, le personnage principal, dont l'égocentrisme est presque un principe politique, sont nombreuses.
« Je ne suis pas dans un jour à m'en vouloir de grand-chose ». Tout cela est nuancé par le nihilisme un peu blasé, très grinçant d'un narrateur qui traverse les évènements de sa propre vie, comme extérieur à eux, sans grandes convictions, sans nécessairement croire en lui-même. Un résistant qui devient milicien, qui critique la bien-pensance, a l'injure facile, et entretient des rapports amoureux malsains, tout en restant dans le flou quant à ses propres convictions passe mieux qu'une ferveur dégénérée.
« les hommes ne savent que précipiter ou retarder des situations qu'ils n'ont pas créées. Chacun de leur geste se répercute si loin qu'ils en ignorent le sens. Ils font leur destin, mais ils ne le sauront jamais – ce qui revient à ne rien faire. »
« Ainsi la vie est elle douce à tous ceux qui ignorent le vertige ». Alors que rien pourtant ne lui manque, le narrateur est blessé, dans sa psychologie, à l'âme et au coeur, c'est peut-être ses moments de sincérité, d'introspection qui sont les plus empathiques du livre.
Est-ce que l'auteur partageait les poses de son narrateur, les « guerres civiles » de son moi, fragile à l'intérieur, arrogant à l'extérieur ?
François Mauriac le pensait, en constatant que
Roger Nimier saigne sans que l'on voie d'où vient la blessure.
Qu'en pensez-vous ?