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EAN : 9782864325529
136 pages
Verdier (24/04/2009)
3.58/5   323 notes
Résumé :
Les voilà, encore une fois : Billaud, Carnot, Prieur, Prieur, Couthon, Robespierre, Collot, Barère, Lindet, Saint-Just, Saint-André.
Nous connaissons tous le célèbre tableau des Onze où est représenté le Comité de salut public qui, en 1794, instaura le gouvernement révolutionnaire de l'an II et la politique dite de Terreur.

Mais qui fut le commanditaire de cette oeuvre ? A quelles conditions et à quelles fins fut-elle peinte par François-Élie ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (64) Voir plus Ajouter une critique
3,58

sur 323 notes
J'ai publié une chronique en 5 parties - feuilleton littéraire pour décrire mon admiration devant l'écriture de "Les Onze" de Pierre Michon.
En voici le premier épisode :

Pierre Michon est d'abord et avant tout un styliste et un conteur.
Un conteur ? Oui, celui-là même qui vous enchante avec ses mots, qui vous embarque avec ses phrases, qui vous emporte avec son rythme.

Dans "La grande Beune" déjà il nous entraînait à sa suite dans un lointain pays entre Brive et Périgueux, où une buraliste faisait tourner la tête d'un jeune instituteur – et nous avec. Dans Les Onze maintenant, il nous transporte dans le temps en une époque qui scella le destin de notre Démocratie, la Républicaine. Nous sommes en 1794.

François-Elie Corentin est un jeune homme élevé sur les bords de Loire – dans ce pays magnifiquement décrit par Michèle Desbordes dans La Demande - et il aime la peinture.

Mais Pierre Michon prend son temps. Il lance une grande Adresse à un Monsieur qui peut tout aussi bien tenir du Lecteur que de qui vous voulez. Peu importe : le style est là pour dire le reste. Et le livre est si dense qu'on pourrait le dissoudre dans onze romans sans en faire trop.

Un premier chapitre s'ouvre sur Tiepolo. Tiepolo, « un jeune homme tout de lumière aliéné que la vieillesse casse et avilit, un tendre visage aliéné par le temps au point qu'on puisse le confondre avec celui de Simon, un des êtres les plus vils de ces époques riches en monstres. » Et voilà que Michon rêve que dans la grande fresque que Tiepolo a peinte, Béatrice de Bourgogne va se lever et « de tout son poids de chair blonde de brocards bleu marcher vers lui et renversant la couronne, l'étreindre ». « J'ai ce désir, cette idée » et tout Michon est là dans ces quelques mots : dans le style, à l'état pur, et dans l'imagination qui lui fait convertir son désir ou son idée en récit.

Pierre Michon imagine l'origine du Tableau des Onze chez Tiepolo.
« Non, pas de Venise, pas de jeunes filles, pas de romance ; car tout cela, jeunesse, blondeur, vin de magie, manteau mozartien, Giambattista Tiepolo le père avec ses quatre continents sous le manteau, toutes ces formes mouvantes et vivantes n'ont d'autre sens que de s'être jetées pour finir dans un tableau qui les nie, les exalte, les cogne à coups de massue, pleure de ce saccage et immodérément en jouit, onze fois, à travers onze stations de chair, onze stations de drap, de soie, de feutre, onze formes d'hommes tout cela ne prend sens et n'est écrit en clair que dans la page de ténèbres, les Onze. »

Pourquoi pas ?
Mais effectivement, comme il le dit à la fin du premier chapitre, il va falloir « raconter à grands traits cette histoire si souvent racontée – puisque c'est bien du même homme que je parle ». Alors allons-y.

Le chapitre deux raconte l'enfance du petit François-Elie, né à Combleux près d'Orléans en 1730. Il la raconte par sa lignée : le grand père qui fit fortune, comme de nombreux bataillons de Limousins, « dans les grands travaux de fleuves et de canaux, sous Colbert et Louvois ». Et puis de son union avec une fillette de vieille noblesse et de petite fortune, d'où naquit vers 1710 Suzanne, la mère du peintre. Une enfant élevée par sa mère devenue veuve, mais une enfant élevée comme une « princesse sage, frileuse, rêveuse » mais qui sait voir « les digues, les levées avec leurs noeuds de fer, le tout bien cimenté de ciment limousin, sang et boue, l'oeuvre magique du père. » Vient donc Suzanne, qui va par delà les levées dans quelque petit salon littéraire.

Et c'est là, dans ces salons mondains que Suzanne va rencontrer « le fils d'un Limousin qui avait miraculeusement bondi hors des dix mois de négritude sur douze » : Corentin, son futur époux est en effet l'un des premiers à vouloir devenir « Homme de Lettres »

Lien : https://www.biblioblog.fr/po..
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Lettre à Pierre Michon
J'ai longtemps imaginé cette lettre, sans qu'elle sache comment soudain jaillir. L'espoir de vous croiser dans cette librairie nantaise que nous fréquentons l'un et l'autre. L'idée d'une proximité géographique, le miracle de la Loire sans doute. Enfin, l'éblouissement pourtant bien réel que m'a procuré la lecture des Onze. Je trouve qu'il y a quelque chose de miraculeux à s'adresser ainsi à un grand écrivain. Comme une façon de s'adresser à tous les écrivains, depuis Homère à Victor Hugo, jusqu'à vous. Comme célébrer l'idée même de la littérature dans un rapport intime tout à fait singulier. Quelque chose dont j'ose dire qu'elle ressemble à votre littérature, qui embrasse l'Histoire et les hommes par la science de leur simple vie. Tracer les grands traits, les trajectoires immenses, les destinées, tout cela par la description de vies parfois minuscules.
Mais je voudrais un instant revenir à la Loire, que j'ai découverte en arrivant ici. Découverte autant qu'on le peut en en parcourant seulement une centaine de kilomètres. Et pourtant déjà, elle semble tracer une idée à laquelle je vous associe volontiers. L'image des pêcheurs au lever du jour, dans les brumes si particulières des rives de l'Anjou. L'idée que quelque chose de nécessaire, à la fois petit et immense, se déroule ici, avec le temps, malgré le temps. le fleuve impose une vision du temps, un mouvement, une fatalité, une force à laquelle nulle ne résiste. Vous aurez sans doute lu « Dans les veines ce fleuve d'argent » de Dario Franceschini, dont le personnage principal est vraisemblablement le Pô. Son récit ourlé de mystères m'a évoqué la Loire, le fantôme de Julien Gracq, les anciennes demeures royales, et la pêche. Je vous imagine pêcheur, à la rencontre du temps de l'écriture, à l'écoute des bruissements de l'eau.
Les Onze m'ont traversé de toutes ces impressions. Car la Loire fut aussi le théâtre de cette Révolution. Les légendes la décrivent chargée de sang et de cadavres. La révolte vendéenne, réprimée, gonfle ses eaux.
L'histoire de Corentin est celle d'un homme inscrite dans son temps, à sa façon. le temps des démesures, le temps où l'homme simple, limousin, peut être transporté dans l'Histoire. le temps où ceux qui font l'Histoire pensent déjà à la postérité. Façon de conjurer la mort souvent brutale. Votre langue est superbe, précise et aiguisée, pour décrire cet épisode imaginaire. Elle effraie parfois, parce qu'elle dit la terreur. Mais elle conduit la vie de tous ces hommes, fidèlement, quoi que dans un mensonge. Quel prouesse en effet d'être si réaliste à inventer l'Histoire. Mais malgré la supercherie, chacun sait que ce portrait des Onze est pus que vérité.
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Une fois refermé ce court roman ma première réaction a été : quel style remarquable!
Un style impressionnant au service d'une histoire impressionnante. le narrateur se trouve au musée du Louvre, dans une salle du pavillon de Flore à l'extrémité de l'aile du musée du Louvre, où il nous fait découvrir en s'adressant à un personnage anonyme l'unique oeuvre présente dans la salle :le tableau dit "Les Onze". de François-Elie Corentin. Immense toile de 4m sur 3m représentant le Comité du salut public en 1794. Il nous raconte l'histoire de ce tableau, son auteur. Il nous apprend ce que d'autres ont pu y lire et y voir notamment Michelet qui décrit ce tableau dans son histoire de la révolution française. le tableau est pour le narrateur une métaphore de l'histoire et la représentation des forces et des puissances qui gouvernent le monde depuis la nuit des temps et que les artistes ont tenté de représenter aux travers des siècles. L'histoire des ancêtres du peintre qui ont réussi leur vie sur la misère et l'exploitation des hommes, soit dans la construction d'un canal par les ouvriers-esclaves Limousin, soit par la vente à ces mêmes ouvriers d'une piquette, la vie même du peintre, symboliser par son aspect physique ou la manipulation de l'amour que lui portent les deux femmes, sa mère et sa grand-mère, qui l'entourent, la vie des membres du comité du salut public tous à une exception près ayant des vélléités de littérature et tous ayant du sang sur les mains par la répression et les massacres lors des années de la révolution française, toutes ces vies qui font l'histoire illustrent aux yeux du narrateur ce que nous sommes : des êtres ballotés par des puissances tyranniques ou divines... et que toute beauté, tout progrès se créé sur le malheur et la misère.
"... car les réussites sociales qu'on attribue aux seuls mérite et travail dans ce temps comme dans le nôtre, procèdent d'infiniment plus de scélératesse..." (p36 Ed Folio)
"...car Dieu est un chien et quand on est infime, on ne grandit qu'en marchant sur plus infime"
" Il se dit avec une sorte de joie que le zèle compatissant pour les malheureux et la plaine des Brotteaux, la table hospitalière et la lande de Macbeth, la main tendue et le meurtre, nivôse et avril, c'est dans le même homme. (..). Il se dit encore que tout homme est près à tout. Que onze hommes sont près à onze fois tout. Que cela peut se peindre." (p114 Ed Folio)
C'est le premier roman que je lis de Pierre Michon et je reste sur une impression assez équivoque. Par moment j'ai été emporté par l'histoire et le style, notamment lorsqu'il décrit, il imagine les conditions de construction du canal le long de la Loire, ou bien lorsqu'il décrit le tableau. Mais à d'autre moment le style m'a bloqué en me donnant le sentiment que l'auteur forçait le trait à trop vouloir utiliser des termes très peu usités et à les faire tourner en boucle au fil des pages comme par exemple : anacréon. Néanmoins ce style particulier a au moins le mérite de nous faire découvrir du vocabulaire et d'ouvrir le dictionnaire.
Malgré ces remarques sur le style, ce court roman m'a impressionné par sa densité, ses multiples références picturales et artistiques et surtout par le fait que Pierre Michon arrive à rendre crédible l'histoire de ce tableau et de son auteur.
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Ceux qui écrivent sont des imposteurs magnifiques, en particulier lorsque les fictions qu'ils écrivent ont ce pouvoir magique de nous convoquer dans une réalité à peine déguisée, où les repères, en trompe l'oeil, n'ont d'autre but que de nous perdre.
L'opération est réussie au-delà de toute attente avec « Les Onze ». J'ai recherché en vain les traces de cet improbable François-Elie Corentin, fils de François, disciple zélé de Tiépolo, jusqu'à son surnom de « Tiepolo de la terreur ». La virtuosité de l'écriture tient la corde dans ce leurre somptueux. Magnifiquement dixhuitiémiste dans ses rondeurs, ses couleurs à la Watteau, ses allées et venues entre les peintres et leurs tableaux, les scènes champêtres drapées de jupes lourdes et satinées, le mystère du Paris des sections, celle des Gravilliers pour ne pas la nommer, là où la commande du fameux tableau est donnée à Corentin.
Il est inutile donc de chercher le tableau de Corentin au Louvre, il ne s'y trouve pas et ne s'y est jamais trouvé. L'imposture est quasi parfaite. Pour en trouver les failles il faut convenir que le portrait de chacun des Onze tient plus à l'imagerie convenue de l'après terreur qu'à la réalité. L'idée même de cette commande n'aurait pas effleuré l'un de ces onze du comité de salut public, qui ne se voyait pas en structure politique établie, l'idée même de la forme d'un quelconque état n'était pas débattue, la seule logique étant de faire front aux monarchies européennes, rassemblées aux frontières.
Une centaine de pages d'une incroyable densité où l'écriture crée l'illusion.
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Quatre mètres virgule trente sur un peu moins de trois. C'est le tableau de ventôse, le tableau des "Onze" exposé dans le pavillon de Flore du musée du Louvre. Michon nous les fait voir, les onze commissaires incarnant le comité de Salut Public qui instaura en l'an II de la République la politique de la Terreur. Ils s'appellent Billaud, Carnot, Barère, Lindet, St-Just, Prieur, Prieur, Collot, Saint-André, Couthon et Robespierre; ils prennent vie sous le pinceau du peintre Corentin et sous la plume habile du romancier Michon.

L'écriture de Pierre Michon est sans conteste riche mais très particulière; et même si l'ouvrage a été primé par l'Académie française, certains resteront sans doute dubitatifs devant cette plume redondante et exacerbée, donnant une impression de lourdeur car trop souvent répétitive. Néanmoins, le roman a un atout de poids, celui de nous faire croire en l'existence des "Onze" et en celle de son créateur,le peintre Corentin.En bon fabulateur, Michon réussit à nous faire contempler une toile qui n'existe pas! Ca, c'est plutôt fort !
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Citations et extraits (43) Voir plus Ajouter une citation
Mettez-vous bien dans le cœur l’espérance que recèle une vie qui consiste à ramasser de la boue dans une hotte, à vider cette hotte dans la charrette et à recommencer jour après jour jusqu’au soir une œuvre du même tonneau, avec pour aubaine à venir du pain noir, du pain de plomb, et par là-dessus un sommeil de plomb pour le faire passer ; et le dimanche, la cuite plomb. L’aubaine aussi de besogner dans les mois noirs en Limousin quelque chose qu’on appelle une femme par courtoisie, mais qui n’évoque une femme qu’à l’issue d’une opération métaphorique compliquée. Vous y êtes ? Vous êtes bien dans la carpe mûre jusqu’au cou ? Charriez. Ramassez la terre morte avec les poissons dedans. Mangez-en un si le cœur vous en dit, il est à vous, aux mouettes et aux corneilles. Mangez-le. Maintenant, relevez la tête. Voyez là-haut à deux pas la robe d’or, et au-dessus de la robe un regard posé sur vous. Et sous la robe d’or, avec plus de fulgurance, voyez le corps nu de la belle dame. Vous sentez dans vos braies l’émotion immédiate, la divine, l’intense, la seule ? Imaginez ceci encore : quoique limousin vous avez vingt ans et la beauté d’un dieu, et dans les bras la vigueur qui vous a permis de respirer jour après jour dans les nuées de moustiques la carpe mûre et n’en pas mourir, comme sont morts la moitié de vos congénères, tombés d’une échelle, étouffés dans la boue, secoués par les fièvres, pas plus que vous n’êtes morts petit, à trois ans dans le puits, à huit ans sous la charrette, à quinze d’un couteau, comme sont morts vos dix frères et sœurs. Sentez votre vigueur, votre beauté, votre chance d’une certaine façon. Car ceci se passe : la belle dame privée d’homme longtemps vous regarde avec, dans le regard, l’aveu qu’elle a dans ses jupes l’émotion que vous avez dans vos braies. Mais soudain elle regarde ailleurs et ne vous regardera plus, parce que la loi est de fer et que le Père universel veille, et parce que Dieu est un chien. Et si Dieu est un chien, vous avez peut-être licence d’être vous-même un chien à son image, de grimper le talus, de jeter à terre, de trousser et forcer, et de saillir sans façon à la mode des chiens. Et l’enfant qui vous observe (mais cela, vous n’avez pas le temps de le noter), l’enfant qui a tout vu en somme, souhaite passionnément que vous grimpiez le talus et disposiez de sa mère sous ses yeux. Et c’est ce qu’il craint le plus au monde.
Vous y êtes ? Vous sentez bien le trop de désir et le si peu de justice ? Vous portez à même la peau le double masque de l’amour ? Vous êtes Sade et Jean-Jacques Rousseau ? C’est bien, nous pouvons revenir au tableau. Nous pouvons de nouveau nous tourner vers Les Onze.
Onze Limousins, n’est-ce pas ? Onze Limousins drus. Onze barons drus, levés et regardant entrer votre mère jeune et nue dans la salle basse d’un château du marquis de Sade. Onze blondinets coupant des têtes, c’est-à-dire tranchant dans les jupes de leur mère.
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Mettez-vous bien dans le cœur l’espérance que recèle une vie qui consiste à ramasser de la boue dans une hotte, à vider cette hotte dans la charrette et à recommencer jour après jour jusqu’au soir une œuvre du même tonneau, avec pour aubaine à venir du pain noir, du pain de plomb, et par là-dessus un sommeil de plomb pour le faire passer ; et le dimanche, la cuite plomb. L’aubaine aussi de besogner dans les mois noirs en Limousin quelque chose qu’on appelle une femme par courtoisie, mais qui n’évoque une femme qu’à l’issue d’une opération métaphorique compliquée. Vous y êtes ? Vous êtes bien dans la carpe mûre jusqu’au cou ? Charriez. Ramassez la terre morte avec les poissons dedans. Mangez-en un si le cœur vous en dit, il est à vous, aux mouettes et aux corneilles. Mangez-le. Maintenant, relevez la tête. Voyez là-haut à deux pas la robe d’or, et au-dessus de la robe un regard posé sur vous. Et sous la robe d’or, avec plus de fulgurance, voyez le corps nu de la belle dame. Vous sentez dans vos braies l’émotion immédiate, la divine, l’intense, la seule ? Imaginez ceci encore : quoique limousin vous avez vingt ans et la beauté d’un dieu, et dans les bras la vigueur qui vous a permis de respirer jour après jour dans les nuées de moustiques la carpe mûre et n’en pas mourir, comme sont morts la moitié de vos congénères, tombés d’une échelle, étouffés dans la boue, secoués par les fièvres, pas plus que vous n’êtes morts petit, à trois ans dans le puits, à huit ans sous la charrette, à quinze d’un couteau, comme sont morts vos dix frères et sœurs. Sentez votre vigueur, votre beauté, votre chance d’une certaine façon. Car ceci se passe : la belle dame privée d’homme longtemps vous regarde avec, dans le regard, l’aveu qu’elle a dans ses jupes l’émotion que vous avez dans vos braies. Mais soudain elle regarde ailleurs et ne vous regardera plus, parce que la loi est de fer et que le Père universel veille, et parce que Dieu est un chien. Et si Dieu est un chien, vous avez peut-être licence d’être vous-même un chien à son image, de grimper le talus, de jeter à terre, de trousser et forcer, et de saillir sans façon à la mode des chiens. Et l’enfant qui vous observe (mais cela, vous n’avez pas le temps de le noter), l’enfant qui a tout vu en somme, souhaite passionnément que vous grimpiez le talus et disposiez de sa mère sous ses yeux. Et c’est ce qu’il craint le plus au monde.
Vous y êtes ? Vous sentez bien le trop de désir et le si peu de justice ? Vous portez à même la peau le double masque de l’amour ? Vous êtes Sade et Jean-Jacques Rousseau ? C’est bien, nous pouvons revenir au tableau. Nous pouvons de nouveau nous tourner vers Les Onze.
Onze Limousins, n’est-ce pas ? Onze Limousins drus. Onze barons drus, levés et regardant entrer votre mère jeune et nue dans la salle basse d’un château du marquis de Sade. Onze blondinets coupant des têtes, c’est-à-dire tranchant dans les jupes de leur mère.
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(...) car elle était une reine: c'est-à-dire quelqu'un à qui depuis sa naissance l'amour exclusif n'a jamais failli, et quand on a eu cela tout peut arriver, le ciel et l'espoir peuvent s'écrouler, on peut se perdre dans mille forêts, voir mille fois son coeur sorti de sa poitrine et foulé, la joie est toujours là, dessous, au moindre appel elle va bondir, elle reste là et attend, invincible, éclipsée seulement parfois, mais vivante, éternelle comme on disait quand ce mot avait un sens.
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Donc, le grand escalier. C’est Neumann qui l’a fait, Balthasar Neumann : c’est de la pierre mythologique, ça vient tout de Carrare, et les idées de Neumann ou d’un autre pour les statues qui toutes les trois marches sur la rampe se lèvent, ça vient d’Italie aussi. C’est toute l’Italie mythologique qui vous regarde de son haut, toutes les trois marches. C’est large comme un boulevard pour monter à ce ciel que Tiepolo peint mais qu’il n’a pas inventé : le projet, le canevas mental, deux savants jésuites le lui ont versé dans le creux de l’oreille, deux Germains de Rome. Le page qui monte quatre à quatre ce boulevard céleste vient de France, le page irrésistible qui deviendra ce peintre que nous savons. Vous imaginez cela, Monsieur, au temps de la douceur de vivre ? Elle n’est telle que parce qu’elle n’est plus, c’est vrai, mais comme il est doux d’y rassembler nos rêves, de leur donner la becquée dans ce nid germanique, oh à peine germanique, vénitien de par-delà, simplement. Ils viennent là au premier coup de trompette, nos rêves, ils connaissent le chemin. Ils accourent comme des poussins sous leur mère. Ils savent bien qu’elle est là, la douceur de vivre – à moins qu’ils ne le croient increvablement. Le temps de la douceur de vivre, on veut donc croire que c’était, et c’était peut-être en vérité, celui où Giambattista Tiepolo de Venise, c’est-à-dire un géant, un homme de la carrure de Frédéric Barberousse, en plus pacifique, employait trois années de sa vie (trois années de la vie de Tiepolo, qui ne voudrait les voir sortir de son petit cornet à dés ?), employait trois années au fond de la Germanie sur un plafond par-dessus un escalier, à montrer, peut-être à démontrer, comment les quatre continents, les quatre saisons, les cinq religions universelles, le Dieu trois qui est un, les Douze de l’Olympe, les quatre races d’hommes, toutes les femmes, toutes les marchandises, toutes les espèces, mais oui : – le monde -, comment donc le monde toutes affaires cessantes accourait des quatre orients pour faire hommage lige à Carl Philipp von Greiffenclau son suzerain, qui est peint au beau milieu au point de jonction des quatre orients, comme au quai de débarquement du fret universel, et dont on reçoit en plein l’image triomphale quand on arrive sur la dernière marche – Carl Philipp, suzerain des quatre orients, prince-évêque électeur, torve de visage, large de ceinture, d’épaules étroites, d’âge incertain, de pouvoir plus incertain, frotté de vers latins, d’escarcelle grande ouverte et de mœurs un peu dissolues car par ailleurs, sous son effigie sur les degrés de carrare, il poursuivait à coups de canne un rapin français qui lui soulevait des filles.
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"Je vous prie Monsieur, d'arrêter votre attention sur ceci : que savoir le latin quand on est MOnseigneur le Dauphin de France et le fils de Corentin de la Marche, ce n'est pas une seule et même chose ;ce sont même deux choses diamétralement opposées : car quand l'un, le Dauphin, lit à chaque page, à chaque désinence, à chaque hémistiche, une glorieuse ratification de ce qui est et doit être, dont il fait lui-même partie, et que levant les yeux par ailleurs entre deux hémistiches, il voit par la fenêtre des Tuileries le grand jet d'eau du grand bassin et derrière le grand bassin sur les cheveaux de Marly la renommée avec sa trompette, l'autre, François Corentin, qui relève la tête vers des futailles et de la terre de cave gorgée de vin, l'autre voit dans ses mêmes désinences, ces mêmes phrases qui coulent toutes seules et trompettent, à la fois le triomphe magistral de ce qui est, et la négation de lui-même, qui n'est pas ; il y voit ce qui est, même et surtout si ce qui est paraît beau, l'écrase comme du talon on écrase les taupes.."
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