Il est des ouvrages qui, une fois terminés, vous hantent pendant quelques temps, tellement l'impression qu'ils vous ont faite est forte.
C'est le cas, en ce qui me concerne (et sans vouloir tomber dans un mauvais jeu de champ lexical) des « Revenants » de
Laura Kasischke.
L'intrigue est plutôt difficile à résumer : l'ouvrage commence au début de la rentrée d'automne, lors de laquelle Craig Clements-Rabbit retourne à l'université en n'étant plus que l'ombre de lui-même, ayant tué sa petite amie Nicole dans un accident de voiture.
Jeune fille bien sous tous rapports, appréciée de tous, membre d'une sororité populaire, la mort de Nicole, et le retour de celui qui est considéré comme son assassin, ne laissent aucun de ses camarades indifférent, même s'ils ne connaissent pas la vérité au sujet de cet accident, relaté mensongèrement par un article de journal local (remarquable critique de la rumeur et de ses effets dévastateurs). Version que tente de contredire en vain Shelly Lockes, un professeur de musique de l'université qui était la première présente sur les lieux et qui a appelé les secours.
Craig arrive d'autant moins à s'en remettre qu'il lui semble voir Nicole partout… Sentiment partagé par Perry, le colocataire de Craig et ami d'enfance de la jeune fille, mais également par d'autres étudiants.
Est-ce que ces visions relèvent de la folie, d'un deuil impossible à faire, d'autre chose ? Perry se confie au sujet de ces visions à Mira Polson, professeur d'anthropologie spécialisée dans la mort et les superstitions afférentes, qui s'empare du sujet, d'abord par ambition professionnelle, puis qui se laisse prendre à cette histoire bien plus complexe et glaçante qu'elle ne le paraissait…
On retrouve dans «
Les Revenants » certains des thèmes déjà abordés par
Laura Kasischke dans «
Rêves de garçons » : l'obsession de la mort par une jeunesse pourtant présomptueuse en se croyant invincible (cette « stupidité de se croire plus fort que la mort » (p. 647)), mais surtout les faux semblants, et l'hypocrisie qui va avec : plus un personnage semble gentil, pur, innocent, et plus l'auteur s'amuse, par des révélations successives et bien dosées, à nous montrer que les apparences étaient bien trompeuses.
Le genre de l'ouvrage lui-même participe de ce jeu de dupes : le roman surnaturel, à fantômes, à mystères, dévie subitement en empruntant tous les codes du thriller sociologique, de la machination perverse, qui broie aussi bien les personnages que le lecteur.
Cet écart entre apparence et réalité est ainsi l'un des thèmes les plus importants du roman :
Laura Kasischke, virtuose du style, alterne flashbacks (avant la mort de Nicole) et épisodes situés dans le présent, mêlés de rebondissements sans fin, résumant l'ouvrage à « un truc de
Kant sur la manière dont l'esprit humain ordonne subjectivement le réel. La vieille barbe avait appelé cela ‘'le caractère relatif et flottant de la connaissance humaine'' ».
Laura Kasischke nous montre également une image de l'université assez terrible, entre volonté d'étouffer le scandale par la menace et le licenciement, toujours dans une optique de préserver les apparences, et la faiblesse de son niveau réel (« Elle avait toujours pensé que devenir universitaire (surtout si elle avait la chance de décrocher un poste au sein d'une prestigieuse université de recherche, puis dans une niche comme Godwin Honors College, connue pour encourager la libre exploration intellectuelle) serait synonyme de conversations sans fin dans des couloirs et ses bureaux. […] Elle s'était attendue à participer, lorsqu'elle serait à son tour professeur, à de passionnants débats quotidiens dans la salle à manger sur les points les plus subtils des sujets les plus obscurs. Elle n'aurait pu se mettre le doigt plus avant dans l'oeil » (pp. 315-316).
Tout en glissant quelques petits clins d'oeil, notamment celui-ci : « Il avait tout une série de suggestions à lui faire et, bien qu'elle se gardât d'accorder beaucoup d'attention aux enseignants en création littéraire (leur éducation comportait toujours des lacunes)… » (p. 317) (
Laura Kasischke est professeur de création littéraire) !
Les étudiants n'en sortent pas plus grandis, notamment les membres des sororités, prêtes à toutes les méchancetés, les bassesses, le crime, pour se protéger, elles et leurs secrets. Je ne sais pas quel est le degré de vérité (en excluant tout de même le crime ! Quoi que…), mais cela fait plutôt frémir.
Un roman marquant, passionnant, qui porte bien son nom.