L'Eté 76 -
Benoît Duteurtre – nrf – Gallimard ( 187 pages)
La voix du narrateur révolté , double de l'auteur,se fait entendre dès le prélude, ne cachant pas son amertume d'être boudé par les jurés .Comment un romancier sympathique , opiniâtre peut-il être lâché par ses amis? Seraient -ils devenus des traites ?s'interroge-t-il, exaspéré.
Dans ce roman il se retourne sur son adolescence, brosse son autoportrait: celui d'un ado complexé par son origine sociale de petit bourgeois, « jeune paysan normand, jovial, ambitieux, apprenti hippie, aux cheveux longs bouclés,taches de rousseur et dents du bonheur, anarchiste doux et pacifique ». Il nous dévoile son cursus scolaire (de 1970 à 1977), ses fréquentations, ses premiers émois et met à nu les ressorts invisibles de sa passion musicale. Il nous balade dans le temps et l'espace par de fréquents allers et retours entre mer et montagne et des escapades parisiennes.
N'est ce pas au coeur de cette forêt vosgienne, dans ce cadre lénifiant qu'il passait ses vacances en famille ( s'improvisant ermite montagnard pour satisfaire son besoin d'écrire) et où maintenant il s'offre des parenthèses pour se ressourcer, oublier ses déceptions,et tente de « combattre ce venin, cette sourde litanie » ,d'éradiquer le maelström qui le torture ? Il se fait le chantre de ce village niché dans une vallée , «du sentier qui serpente parmi les bruyères,de l'abondante végétation de digitales, de cette petite fougère odorante au parfum anisé, de ce lieu cher où s'était cristallisée une certaine idée du bonheur , de sa quiétude, « de la beauté des papillons blancs, des aiguilles vert tendre soyeuses ».Il y ajoute des sensation
nouvelles, écoutant comme une partition « le chant des oiseaux,les rebondissements de l'eau dans une cascade et le rythme de ses pas sur le sentier ».
L'enchantement est renouvelé quand il exalte « ce panorama de la côte qui donnait au Havre son urbanité grandiose, cette ville de province étriquée, à l'architecture moderne, propice à la rêverie ». Une ville qui abrita une pépinière de talents:
Queneau , Honegger et dont le musée des
Beaux-Arts offre au regard des toiles de Monet et de Dufy. Il sait dépeindre la métamorphose de cette cité ouvrière, «le port ouvert sur le ciel et la mer », dont il a exploré à solex les bassins « y trouvant un spectacle permanent comme les grues aux silhouettes de longs échassiers »,son ravissement à la vue des vieilles façades d'immeubles en entrant dans le port d' Honfleur.
La capitale , il l 'a arpentée , le nez en l'air, fasciné par « les tours , les ensembles incongrus de Montparnasse y voyant un grain de folie », espérant croiser le couple mythique Sartre Beauvoir, se réjouissant de découvrir la place des Vosges « comme un hommage à sa région préférée ».Paris , by night, et ses orchestres , ses bouquinistes, les rues du Marais. La ville de
Balzac le rendait optimiste.
C'est dans ce cadre de vie que l'on voit le narrateur s'éloigner de ' l'âge bête,' s'épanouir', selon le concept à la mode,affirmer ses goûts éclectiques, ses passions prendre racine et son destin se forger. Très vite « autonome,déterminé dans ses buts », il était avide d' appréhender le monde et portait déjà sur la société un regard aigu, formulant « des discours exaltés en faveur des femmes , des homosexuels, de l'écologie ».Il caressait le projet d'une revue littéraire, d'une troupe de théâtre.
Comment est née son âme de poète?Un cadeau de son père (L'anthlogie de la poésie française) a aiguisé l'intérêt du narrateur. Puis un professeur, adepte du ' Peace and Love', lui inculqua l'amour de la littérature, lui fit découvrir
Giono. Une pléthore de lectures vinrent s'ajouter tant sa soif de connaissances était inextinguible:
Verlaine, Breton et son écriture automatique,
Butor , Michaux , des philosophes, dévorant
Beckett, fasciné par « cette fantaisie dans l'invention, ce rire qui exprime le plaisir de l'esprit ». L'apprenti poète rimaille pour séduire Hélène ( liée physiquement à Pierre ), sa dulcinée, son mentor , son idole , sa muse , son égérie « au coeur raffiné , musical et poétique ». Leurs promenades poétiques étaient des « parenthèses de douceur », d'harmonie, d'échanges. Ils avaient inventé une nouvelle mélodie du bonheur. Avec le recul , le narrateur décrypte cette liaison platonique, sublime qu'il se plaisait à cultiver,sans se soucier de son orientation sexuelle « Les affaires charnelles ne m'effleuraient pas. Les choses du sexe ne m'intéressaient guère en ce temps -là », confesse-t-il , éludant sa nuit avec un homme plus âgé, à Vézelay. Son ambition et son audace le conduisirent chez
Salacrou (président de l'
Académie Goncourt) qui avez perçu son talent et l'encouragea à persévérer et à lire avant tout. Olivier , le surveillant, ne lui avait-t-il pas prodigué le même conseil? Lire avant d'écrire, lui suggérant
Nietzsche! Son ami de 1ère,
Jean-Paul, lui fit découvrir Francis Blanche,
Raymond Devos,
Alphonse Allais et Erik Satie. Il s'initie à
Ionesco.
D'où est venue cette frénésie de musique?N'a-t-elle pas été déclenchée par ses parents qui lisaient la collection :Les grands musiciens? le voici sous le charme de Debussy qui le précipite « sur le poème de Mallarmé ». La découverte d'un pick up et des disques lui ont permis de « jouir pleinement de la potion sonore ».Il s'enivre d'accords savants,est subjugué par Messiaen, envoûté par des génies incontestables (Poulenc, Ravel, Xenakis). Après la chorale et le piano classique , il eut la révélation du rock, de
Léo Ferré, des Rolling stones. Un transistor lui a permis d'être rivé à
Radio France. La musique devenait son royaume enchanté, agissait comme un catalyseur , stimulant son inspiration «Les mots allaient jaillir tout seuls comme des diamants ». Sa vocation de médecin de campagne s'évanouissait , se tournant vers des études de musicologie. Il réussit à financer un stage autour de Stockhausen qui lui fit rencontrer « des illuminés »partageant « la ferveur avant-gardiste ».Un concert de Boulez le plongea dans l'extase .
Offenbach signifie plus que cette réminiscence d'un ville joyeuse .Se sentir entré dans « une communauté de pionniers »l'exaltait.
Quant à
l'été 76 , mis à part la canicule exceptionnelle, il sonna l'âge des seize ans, le premier job d'été , la première chaîne stéréo, la liberté des soirées entre copains et une première expérience qui ne peut que bouleverser le protagoniste , mais laissons le mystère au lecteur.
A chaque livre,
Benoît Duteurtre excelle dans la peinture d'une époque « qui venait de connaître les Trente Glorieuses »,où l'avortement n'était pas légalisé, où l'on s'écrivait encore, où l'enseignement expérimentait les 10% éducatifs et culturels ,où l'on adoptait un style de vie « calqué sur celui des États-Unis »avec une consommation débridée .C'est aussi le France , fleuron de la flotte française, qui vient d'être désarmé et abandonné au quai de l'oubli,le choc pétrolier,la disparition des Éditions musicales Durand. qui avaient publié d'illustres compositeurs ,
Dans ce roman aux résonances autobiographiques,
Benoît Duteurtre fredonne avec justesse, parfois avec mélancolie, fraîcheur et candeur la petite musique de ses souvenirs de sa période de teenager( évoquant en filigrane sa famille) et nous fait « entendre l'écho d'un refrain immémorial ».
Il cerne les frontières de l'amitié et de l'amour. Il soulève l'éternelle question qui nous taraude tous: peut-on espérer une vie dans l'au-delà?d'où son retour au viatique Carpe diem, rien de tel que cette communion avec la nature « en arpentant la montagne magique et en respirant ces fougères anisées , d'être en harmonie avec la splendeur d'un pré fleuri, allongé dans l'herbe. Selon
Claude Michel Cluny « La conscience d'être éphémère nous inspire l'obscur désir de se fondre in fine dans ce qui nous semble devoir ne jamais changer, alors que les élans de passion privilégient la brièveté, à
l'image de la jeunesse qui n'est qu'un passage dans la main des dieux ».
Ce récit , c'est aussi la genèse d'une vocation et le passage « d'un baba cool à celui du thuriféraire de la musique savante, de l' étudiant toqué d'art », l'itinéraire d' un écrivain et la construction d' « un éminent spécialiste de musique contemporaine », chez qui deux passions coexistent à merveille, l' accomplissement d'un écrivain mélomane, portraitiste et paysagiste.
Il signe d' admirables descriptions de sa ville natale , de la région havraise et de Paris ainsi que de magnifiques cartes postales, dont quelques unes dans un style rétro .Il sublime les paysages vosgiens qu'il vénère et qui lui« rappelaient les éblouissements de Monet ».
Le bonheur pour
Benoît Duteurtre? transmettre « ses engouements musicaux, littéraires et artistiques », ce qu'il fait avec brio sur France Musique dans l'émission « Étonnez-moi, Benoît ».
Au lecteur de se laisser bercer par la magie de la poésie et des musiques qui traversent ce roman.