La collection de Poche de la Table Ronde, La petite Vermillon dut-elle rougir de confusion, il faut applaudir de voir apparaitre et à un prix très accessible, une biographie de
Marcel Proust qui n'a rien à envier aux classiques d'
André Maurois, G Painter, G Diesbach,
Jean-Yves Tadié et autres. Il s'agit d'une nouvelle édition, dix ans après la première par
Michel Erman, qui s'est illustré plus récemment par deux très utiles bottins proustiens : personnages et lieux, chez le même éditeur. L'ouvrage est aussi concis, ce qui est remarquable pour le sujet (un peu plus de 300 pages avec des notes succinctes, une bibliographie, malheureusement pas mise à jour, c'est le seul reproche, et un précieux index).
Michel Erman est universitaire, philosophe, et a su allier la précision et l'esprit de synthèse de l'enseignant, la curiosité du chercheur, et une présentation très vivante, facile à lire. Nous sommes loin des images d'Epinal habituelles, et c'est véritablement l'homme que l'on voit vivre dans son contexte, avec ses amitiés dont certaines sont, on le sait, « particulières », mais d'autres purement mondaines, son champ d'observation, ou littéraires, et dans différents lieux d'élection (de Paris à Venise, en passant par Cabourg). L'enfance est rapidement traitée, avec un tableau du milieu où il évolue et un premier accent est mis sur les exercices de style, sous formes d'articles dans divers journaux, les Pastiches d'écrivains célèbres, les réflexions sur l'art, en lien avec les ouvrages de
Sainte-Beuve,
Ruskin…, l'ensemble avec une détermination à se faire reconnaitre dans le monde littéraire qui est parfaitement décrite. C'est ensuite l'âge de la maturité et dans la solitude, l'attachement à son oeuvre romanesque (
La Recherche), dont on saisit très bien la façon dont elle s'est construite, avec les difficultés que
Proust a eues pour la faire publier. L'auteur nous invite à suivre les arcanes de l'édition de Grasset à Gallimard. Enfin, le philosophe n'est pas loin et c'est avec beaucoup de clarté qu'il nous fait pénétrer dans l'univers proustien, où la connaissance sensible, irisée de la mémoire de tous les sens tient lieu d'intelligibilité du monde, dans une approche phénoménologique avant la lettre, esthétique sans transcendance, et consciente des pulsions qui nous gouvernent, et dont un médecin contemporain, rentré à Vienne après un séjour chez Charcot analyse de plus près les mécanismes.
Le mot de la fin, une image :
Proust vient de mourir,
Céleste Albaret, sa gouvernante veut lui joindre les mains, on frère Robert demande : « Il est mort au travail. Laissons lui les mains allongées. » le lendemain l'
Abbé Mugnier proche de tout ce milieu littéraire où il est enfin reconnu viendra prier sur sa dépouille.
Au total, biographie qui ne peut qu'inciter à lire (ou à relire)
Proust, et on peut le faire par fragments avec l'aide des deux bottins proustiens du même auteur, un viatique …