Le roman de montagne est un genre à part. Il obéit à certaines règles comme un polar se plie à des principes et des lois précises. On y côtoie la mort, celle infligée par les éléments (foudre, chute, tempête) mais aussi par les hommes. On y retrouve les grands sentiments humains qui semblent s'épurer en gagnant de l'altitude, alors que les bas instincts demeurent profondément tapis dans le creux des vallées. Et puis, l'amour. L'amour des sommets, de la liberté et l'amour tout court.
Situant l'action à la fin des années 60 d'une façon judicieuse,
Yves Ballu restitue une ambiance montagnarde aujourd'hui disparue, même à Chamonix, Mecque de l'alpinisme où se situe bien évidemment l'action.
Une bande de joyeux drilles, parisiens pour la plupart et aussi doués pour la varappe que pour la fête et les jeux de mots, une certaine irrévérence (nous sommes à la veille de mai 1968, ne l'oublions pas). Face à eux, la troupe des Guides, qui voient d'un mauvais oeil ces provocateurs leur piquer les dernières premières (escalades inédites) des faces tant convoitées.
Un jeune homme, Paul Brunel, débarque lui aussi de la capitale mais ne fait pas partie du groupe de trublions, l'air maussade, vaguement misanthrope et suffisamment machiste pour éveiller l'intérêt d'une jeune journaliste fricotant avec la bande. Il enquête sur la mort de son père, disparu dix ans plus tôt et que la lente avancée d'un glacier vient de régurgiter le corps. Il entend laver la triste réputation qu'on a voulu coller au souvenir de son père. Mais l'assassin guette. Voulant lui échapper, le héros tombera prisonnier d'une crevasse et y restera plusieurs jours. On suivra, en alternance, son récit poignant et parfaitement précis, ses espoirs, ses délires, son coma.
Yves Ballu avoue s'être inspiré d'un événement semblable ayant eu lieu en 1934. Un jeune parisien survécut pendant sept jours, isolé dans une crevasse. Lorsque les secours le découvrirent, il eut cette simple phrase : « messieurs, je n'attendais personne aujourd'hui ».
L'auteur, grand spécialiste de la montagne (en eut-il été autrement?) connait toutes les voies décrites dans ce roman pour les avoir gravies lui-même. Il est l'auteur de quantités de livres sur l'histoire de la montagne et des hommes qui l'ont approchés de si près, au risque d'y gagner une mort certaine. Mais
Yves Ballu est un vrai écrivain. Sa plume se fait légère comme une brise d'été en pleine montagne, précise comme le coup de piolet pour tailler des « marches » et, bien entendu, haletante pour tenir en éveil les lecteurs les plus blasés.