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EAN : 9782070130504
320 pages
Verticales (26/08/2010)
3.47/5   940 notes
Résumé :
"À l'aube du second jour, quand soudain les buildings de Coca montent, perpendiculaires à la surface du fleuve, c'est un autre homme qui sort des bois, c'est un homme hors de lui, c'est un meurtrier en puissance. Le soleil se lève, il ricoche contre les façades de verre et d'acier, irise les nappes d'hydrocarbures moirées arc-en-ciel qui auréolent les eaux, et les plaques de métal taillées en triangle qui festonnent le bordé de la pirogue, rutilant dans la lumière, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (175) Voir plus Ajouter une critique
3,47

sur 940 notes
On m'avait beaucoup parlé de ce roman et de son auteure. On m'en avait dit le plus grand bien et force est de constater que j'avais nourri quelques attentes. Sans aller jusqu'à dire qu'elles ont toutes été déçues, mon impression d'ensemble confine tout de même à la déception. Une déception à la mesure des attentes ainsi forgées : très grandes.

On m'avait fait grand cas du style de Maylis de Kerangal. Oui… sans doute y a-t-il un style là-dedans… lequel, je n'en sais rien, mais sans doute un style… de même que dans tout vêtement H & M, il doit bien y avoir un style, une ligne, un je-ne-sais-quoi qui en rien ne lui est propre mais qui fait illusion, le temps d'une saison… Avec sa seringue à style, Madame de Kerangal a généreusement pompé ici ou là des styles qui ont dû l'impressionner pour ensuite très consciencieusement les réinjecter dans son écriture. Elle fait ça très bien la stylosuccion. Chllluupp !

Il y a un nom qu'il ne faut surtout pas évoquer parce qu'il sent le soufre, mais n'empêche, faut bien admettre qu'il en jette un peu avec son style, alors on va essayer de le copier discrètement, sans se faire remarquer, tâcher d'en extraire sa formule… et de le re-synthétiser en laboratoire. Ce nom, c'est Céline mais chuuut ; sa formule c'est un mélange de prose violente et volontiers argotique, ordurière ou familière, le tout habilement mêlé de langage ultra-soutenu. Ça fait mouche à tous les coups cette affaire-là, alors la petite Maylis, ça lui a plu. Forcément.

Mais voilà, l'ennui, c'est que n'est pas Céline qui veut. Ça sent le sous-sous-Céline à pleins naseaux. Il y a quelque temps, il y avait André Rieu qui faisait ça à la musique classique, qui faisait du " comme " untel ou untel. Ici, on a Maylis de Kerangal qui fait aussi du " comme " ou du " j'aurai-du-style.com ". On peut même s'amuser à copier Picasso, mais ce ne sera toujours que de la copie de Picasso : parce qu'un style, vois-tu Maylis, ça vient de soi, tout au fond des entrailles, là où ça pue un peu ; ça nait à l'intérieur des tripes et ça sort de tous les pores de la peau. Alors, vous aurez beau essayer, vous contracter très fort l'intestin en serrant puissamment les paupières, rien de sortira de vos pores qu'une transpiration laborieuse. Mais de style, pas une goutte vous n'obtiendrez de la sorte.

L'idée de base me semble pourtant intéressante et bonne : s'atteler à un ouvrage d'art de travaux public ; il y a des choses à dire, des expériences à vivre, à éprouver, à faire ressentir ; pas de doute là-dessus, ce n'est pas l'idée qui est en cause : c'est l'exécution. Alors, j'admets, elle a été très studieuse, très professionnelle la Maylis, elle a fait un travail très propre, très soigné et tout, et tout, en faisant même bien attention à mettre du style dans sa pièce montée comme d'autres du caramel. Chllluupp !… Une couche d'argot, une couche de vulgaire, une couche d'ultra-sophistiqué. Elle a bien compté les couches, tout y est, au gramme près.

Elle a voulu tout dire, et pour ce faire, elle n'a pas voulu choisir. Elle s'est dit : « Je les prends tous et Dieu reconnaîtra les siens. » Plein de personnages, donc, mais à peine brossés, esquissés, effleurés. Une amorce de background pour chacun, histoire de faire illusion mais… quand on gratte cette petite pellicule de patine, c'est tout creux à l'intérieur. Des coquilles vides ! Elle nous a vendu des coquilles vides ! Où sont passés les oisillons ? Bah, le vrai là-dedans, c'est que d'oisillons y en n'a probablement jamais eu. Tous les œufs étaient clairs… Alors adieu veau, vache, cochons, couvée…

Le chef de chantier, la responsable du béton, le grutier, l'homme politique, le scientifique ethnologue-écolo, le repris de justice repris de justesse, les Amérindiens, la mère de famille au couple bancal, le porte-parole syndical, le… Poh ! Poh ! Poh ! Eh ! n'en jetez plus la cour est pleine ! Et on en fait quoi de toutes ces coquilles vides ? On fait le tri ? On les décore pour Pâques ?

(Blague à part, vous notez que j'utilise un ton volontairement polémique alors qu'une attitude beaucoup plus indulgente et ouverte serait très certainement préférable et souhaitable. De même, je livre beaucoup de sensations personnelles sans franchement les étayer ni vraiment y apporter de fondements. Histoire de me racheter moindrement, je me contenterai d'illustrer ce point précis par une citation d'Edith Wharton dans son ouvrage, Les Règles de la fiction : « On produit un effet bien plus profond en se livrant à l'étude pénétrante de quelques personnages, au lieu de multiplier les silhouettes vaguement dessinées. Ni le romancier ni le dramaturge ne devrait s'aventurer à créer un personnage sans le suivre jusqu'au bout de l'action, et sans être sûr que cette dernière serait appauvrie par son absence. Les personnages dont la fonction n'a pas été précisément définie à l'avance risquent de devenir aussi déplacés que des intrus. »)

Et les noms !… les noms des personnages mes bons amis… Franchement, entre nous comme ça, quand j'ai commencé à voir ce qu'elle utilisait, j'ai eu envie de crier. Bon, j'étais sur un banc, dans un parc, auprès des jeux des enfants, donc je me suis retenue un petit peu… Y avait des mamans qui veillaient leurs gosses, elles auraient risqué d'appeler les flics… Faut faire gaffe en ce moment…

Non mais franchement ma petite Maylis, que t'aies bien aimé Diderot et Thoreau, ça d'accord, je le conçois aisément, mais que tu ne trouves rien d'autre pour habiller tes personnages, là ça frise la faute professionnelle. Que tu aies été fan dans ta jeunesse de Sancho Pança dans Don Quichotte ou de Brigid O'Shaughnessy dans le Faucon Maltais, très bien, c'est tout à ton honneur, mais franchement, les resservir réchauffés au micro-ondes quand on a des invités, ça se fait pas trop, je t'assure. Ça fait fourre-z'y-tout. J'ai rien contre les restes, tu me diras, mais que quand on est en petit comité, entre-nous, tu vois, les parents, les gosses, qu'on n'a pas trop le temps de cuisiner…

Explique-moi, ma petite Maylis, comment je branche mon affectif dans ton fourre-z'y-tout ? À quel personnage je m'identifie ? Tous à la fois ? Aucun ? Un truc à la Manhattan Transfer, alors ? Ouais, je veux bien, mais Dos Passos, il a peint une époque, un lieu, l'air du temps et chacun de ses anonymes représentaient un type, une synthèse, quelque chose. Mais eux, là, tous tes personnages, ils représentent qui, si ce n'est eux-mêmes ?

Ensuite, t'es retournée voir dans ta bibliothèque et t'as trouvé le Pont de la Rivière Kwaï. Tu t'es dit : « Tiens ! Y a un rapport avec le pont. » Alors ni une ni deux, Chllluupp ! « Je vais leur faire sauter, moi, leur pont. » Hep ! Hep ! Hep ! cocotte ! Touche pas à mes Pierre Boulle, j'y tiens. J'irais peut-être pas jusqu'à donner un coup de Boulle car ça aussi ça a déjà été fait, mais tout de même : y a des limites !

Tout de suite, tu l'as imaginé rouge ton pont, comme le viaduc de Garabit. Puis t'es allée sur internet et tu t'es dit : « En matière de pont rouge, y a rien de mieux que San Francisco. » Alors t'as réfléchi un bon coup, au moins trois, quatre minutes comme pour le nom de tous tes personnages, et tu t'es dit : « Macondo c'est déjà pris, alors qu'est-ce qu'on peut faire avec San Francisco - California, Cisco-Cali, Co-Ca : Coca, voilà, j'ai ce qu'il me faut ! Ma-ville-fictive-fantôme-mais-qu'est-San Francisco-mais-qu'il-faut-pas-le-dire, elle s'appellera Coca comme… euh, comme quoi déjà ? Bon, c'est pas grave, je retrouverai bien une autre fois ce que c'est. »

Et pour ta ville, t'as fait comme pour le reste, quitte à ce que cela soit complètement aberrant : alors si je résume bien, il y a du désert, du climat continental et de la forêt équatoriale auprès de ta Coca, et c'est un port aussi, et il y a une baie, et il y a un très gros fleuve. Hmm, hmm, pas banal, en effet. Je crois bien que tout près aussi, mais tu ne nous l'as pas dit expressément, il doit y avoir au moins une savane, une toundra et l'Himalaya… et une mousson aussi… et la banquise même… et… Eh non, Maylis ! Ça peut pas coller ton truc, réfléchis juste un bon coup et tu te rendras compte par toi-même. Mais bon, j'arrête ici, ça vaut mieux car je vois déjà la pampa se profiler derrière le bocage normand.

Alors à ce stade, vous vous dites sans doute que je suis la pire langue de pute qui existe sur cette planète et vous n'avez peut-être pas tout à fait tort car, Maylis de Kerangal a fait ça bien, dans son style (bon, là, je sens que je m'enfonce). Y a pas à dire, c'est honnête. Pour moi, pas du tout abouti, j'ai pas toujours tout compris de sa syntaxe mais à sa façon, c'est quand même un peu de la littérature. Un genre de littérature, quoi.

Toutefois, j'aurais aimé tellement plus, tellement suivre un seul personnage et que les autres n'auraient fait qu'environner. J'aurais aimé le voir découvrir le chantier, se l'approprier, y jouer son rôle de pion et se rendre compte qu'il n'était qu'un pion dans cette immense et colossale partie qui se joue au-dessus de sa tête et dont il ne connaît qu'une infime partie des règles. J'aurais aimé voir ce personnage évoluer, se poser des questions, s'interroger sur son avenir, l'après pont. J'aurais aimé sentir palpiter les ouvriers comme dans En Un Combat Douteux, j'aurais aimé te lire toi Maylis, vraiment toi, et non le style que tu cherchais à contrefaire, un vrai style qui serait venu de toi et pas de tes lectures Chllluupp !

J'aurais aimé boire le jus de tes tripes et tu ne m'as donné à lire que ton cahier à spirales. J'aurais aimé poser mon oreille sur ta poitrine et sentir battre ton cœur, le tiens je veux dire, pas celui pour réparer les vivants et je n'ai réussi qu'à poser ma main sur la pile de livres que tu as lue au lycée. Et je me dis que c'est vraiment dommage ma petite Maylis, car t'avais sûrement le tonus en toi de faire un vrai bon truc personnel et fort et dont on se serait encore souvenu dans cent ans…

Et au lieu de ça, t'as préféré caresser monsieur Gallimard et monsieur jury Médicis dans le sens du poil. C'est dommage Maylis, car tu valais sans doute bien mieux que ça. C'est sûr qu'à court terme, t'as plus à y gagner, mais… Bon, bon, bon, allez, entendons-nous bien : moi aussi j'aime Denis Diderot et Walden, tout comme toi, mais je le garde pour moi, car, en soi, quand on ne vit pas sous mon toit, ça n'intéresse personne ce que j'aime et ce que je n'aime pas. Oh, et puis qu'est-ce que ça peut faire, cet avis minable n'est qu'un pont entre ton bouquin et moi… Mais dors en paix, Maylis, ce n'est que mon avis, mon misérable avis de pas grand-chose et puis, des gens bien plus autorisés que moi ont dit que c'était bien, c'est donc que c'est bien, à n'en pas douter...
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Après avoir beaucoup aimé Réparer les vivants et Un monde à portée de main, j'avais très envie de remonter le temps pour découvrir un roman qui compte dans la bibliographie de Maylis de Kerangal : Naissance d'un pont, livre paru en 2010 et couronné de deux prix, le Médicis et le prix Franz-Hessel qui lui assurait aussitôt d'être traduit en allemand.

Autant le dire tout de suite, je n'ai pas été déçu car j'ai retrouvé tout ce qui fait la valeur du style de l'auteure, un verbe riche, un phrasé abondant avec des phrases souvent un peu longues mais tellement prenantes et informatives que le plaisir est complet.
Naissance d'un pont est une histoire complexe avec plusieurs destins et des personnages qui se croisent, s'évitent, s'aiment, se détestent, s'agressent… Maylis de Kerangal démontre une maîtrise impressionnante de son sujet, comme elle l'a fait pour les deux autres romans cités plus haut. Elle relie chacun à son passé, à ses traumatismes, à ses souvenirs bons ou mauvais. Elle m'a fait vivre dans ce chantier aux proportions extraordinaires, chantier voulu par un élu mégalomane.
Dans ce roman, elle ne cache rien des problèmes, des dégâts causés sur la nature, sur les peuples vivant là depuis longtemps, ces Indiens qu'on a tant massacrés, niant toute leur culture. Elle lance beaucoup de pistes, ne va pas au bout de toutes mais cela donne un roman qui m'a captivé de bout en bout grâce à une tension réelle devant les menaces qui pèsent sur le déroulement du chantier. Même si parfois j'ai trouvé qu'elle en faisait un peu trop, je me suis gorgé de vocabulaire, de descriptions infiniment détaillées et d'aventures humaines étonnantes.
Ayant choisi un lieu imaginaire en Californie, une ville qu'elle appelle Coca…, il n'y a pas à chercher où cela peut bien se passer. de tels chantiers gigantesques se déroulent ou se sont déroulés un peu partout dans le monde, causant des dégâts irrémédiables à l'environnement au nom d'un progrès de plus en plus contesté.
J'ajoute enfin deux petits reproches : tout d'abord à l'éditeur qui place en couverture la photo d'un pont en chantier mais ce n'est pas un pont suspendu comme dans le livre – par contre, pour l'édition poche, rectification, on a mis un gros plan d'un ouvrier en plein travail, travail si bien décrit par l'auteure dans son roman.


Enfin, je regrette que, dans son érudition, Maylis de Kerangal ait oublié de parler de l'inventeur du pont suspendu, l'Ardéchois Marc Seguin, né à Annonay en 1786 et mort dans cette même ville en 1875, à 88 ans. Il était le petit-neveu de Joseph de Montgolfier. En 1822, il a réalisé le premier pont suspendu sur la Cance et, trois ans après, c'est à Tournon-sur-Rhône qu'il a fait construire le premier grand pont suspendu. Dommage, ces rappels auraient donné encore plus d'allure aux précisions techniques très intéressantes présentes dans le livre.

Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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J'ai un avis mitigé sur ce livre.
D'un côté, j'ai été séduite par l'originalité du sujet. Raconter la construction d'un grand ouvrage d'art, montrer la complexité technique et humaine d'une telle entreprise, c'est un objectif inédit pour un roman, ambitieux, et traditionnellement peu féminin. Mais Maylis de Kérandal réussit son pari : elle arrive à nous en donner une vision qui ne manque ni de force, ni de justesse, ni d'intérêt, ni de poésie parfois. Cela vient de son écriture étrange, fascinante, audacieuse. Elle a une façon étonnante d'associer des mots qui ne vont pas ensemble (« une terre déserte baignée de nuit à engelures… »), d'alterner des phrases lapidaires (« Silence ») avec des phrases interminables entrecoupées d'un labyrinthe de parenthèses, d'oser des comparaisons inattendues (« laïc comme un cocotier »)… Bref, un style rocailleux et inimitable, qui sait rendre les mouvements de masse et la complexité titanesque de l'oeuvre architecturale qui sort peu à peu de terre.
J'aime assez, aussi, la découverte progressive des personnages et de leurs relations brutales et improbables, les imbrications multiples des difficultés rencontrées sur le chantier : les grèves, les accidents, les aléas climatiques…, et la force symbolique du pont.
J'aime surtout beaucoup l'ironie latente qui filtre lorsque l'auteur s'amuse des préoccupations des écologistes, des ambitions du Boa, de l'état des avions d'Aéroflot, ou de la démesure des réalisations urbaines à Dubaï, par exemple. L'ironie transparaît dans les raccourcis et les ellipses : « Mineur car père et mère mineurs, mineur parce que rien d'autre… ». Elle perce dans les interventions inattendues de la narratrice (« Personne ne sait, sauf moi… »). Elle est perceptible aussi quand des expressions argotiques ou familières surgissent tout à coup au milieu d'une phrase au niveau de langue très soutenu (« Ils misaient sur l'ébriété pour avoir des idées de business puisque, putain, ils y étaient, dans la place ») : on passe sans crier gare, et de façon humoristique, du récit objectif aux pensées personnelles et au vocabulaire prosaïque d'un des personnages.

Mais, d'un autre côté, une irritation sourde m'a accompagnée pendant toute ma lecture. Difficile de la résumer en peu de mots. Elle tient à plusieurs éléments sans doute :
D'abord, c'est un livre difficile à lire (même pour les francophones, je rassure les non francophones !!) Il est agaçant de devoir relire 3 fois une phrase pour en saisir le sens ! La multiplication des phrases sans verbe, la suppression systématique des signes de ponctuation propres aux dialogues (ils ont été inventés pour faciliter la compréhension, non ?), tout ceci rend la lecture harassante. Pourquoi supprimer, aussi, les virgules et les pronoms personnels sujets ? N'est-ce pas créer volontairement de l'obscurité ? Que signifie, par exemple, une phrase comme : « La nuit sort dans les rues, marche ou se faufile… » ??? Pourquoi passer soudain du présent de narration au futur ou au passé simple ? Et je ne parle pas de mots tellement pédants qu'ils en deviennent risibles : les roses sont « immarcescibles », les femmes « callipyges », et Diderot est « dipsomane » ! le lecteur se sent pris en faute : je ne dois pas être assez cultivé… pas assez intelligent… !
Et puis, à part quelques anecdotes qui accrochent (l'histoire de Soren par exemple), le roman manque d'intrigue, on éprouve par moment de la lassitude, de l'ennui, il faut s'accrocher pour ne pas poser le livre. Il est décevant, par exemple, à mon goût, que le principal protagoniste, le chef du chantier Georges Diderot (en voilà un nom ironique pour quelqu'un qui n'a rien d'un philosophe !) ne tienne finalement que peu de place dans le récit, son aventure avec Katherine paraissant finalement dérisoire, alors que l'auteure en avait fait un portrait très riche dans le 1er chapitre, et qu'on attendait donc davantage. de même, je trouve que les problématiques des Indiens ou des conflits sociaux ne sont qu'à peine effleurées, c'est dommage, alors que plusieurs chapitres s'égarent dans du « hors sujet »… J'imagine un Zola traitant le thème de ce livre, comment il aurait décrit l'épopée grandiose de la construction de ce pont, comment il en aurait souligné magistralement la symbolique, comment il nous aurait fait palpiter des drames individuels autant que sociaux…

Mais soyons juste. Si je compare Maylis de Kérangal à Zola, c'est déjà bon signe ! Signe que nous sommes dans la cour des grands ! de ceux qui marquent leur époque !
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Avec cette visite d'un chantier titanesque Maylis de Kerangal nous donne l'occasion de découvrir un monde concentré sur des éléments techniques et humains, un univers fermé régi par ses propres lois et codes, une entité qui cesse d'exister à l'achèvement des travaux.

Un sujet qui peut sembler austère mais rendu attrayant par cette fille, petite-fille et épouse de capitaines au long cours, qui a été élevée à l'ombre du pont du Havre et entend faire la critique d'une société qui laisse libre cours à la mégalomanie de quelques-uns pour leur seul profit.

Un roman esthétique où l'auteur met en avant la symbolique d'un chantier, une entreprise humaine qui mobilise toute la force de celui ou ceux qui y travaillent pour aboutir à une réalisation aux conséquences parfois aléatoires.

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Coca, ville (imaginaire) californienne de peu d'importance, écrasée par San Francisco, sa célèbre voisine. A sa tête, l'ambitieux John Johnson, dit le Boa. Après un voyage à Dubaï, pays de la démesure, chantier permanent, l'édile rêve en grand. Il veut sortir sa ville de l'ombre, montrer à la face du monde que Coca a de l'envergure. Pour cela, il lui faut un projet à la hauteur de sa mégalomanie. Ce sera un pont suspendu. Ouvrage d'art, monstre fabuleux, preuve indéniable de sa capacité à emmener la ville vers la gloire. Dès l'annonce de ce chantier colossal, entreprises du BTP, ouvriers spécialisés et simples manoeuvres convergent vers Coca, tous réunis par un même but : construire un pont.

En lisant pour la première fois Maylis de Kerangal, on ne peut qu'être ébloui par son écriture incisive, nerveuse, parfois lyrique et par sa capacité à camper ses personnages en quelques phrases qui nous les rendent familiers instantanément. Mais si ce style si particulier fait des merveilles quand il s'agit d'évoquer les greffes d'organes (Réparer les vivants), il est moins évident lorsqu'elle parle de la construction d'un pont. Alors que l'on vibrait avec les malades, les médecins, les parents du donneur, on s'ennuie un peu avec les bétonneurs, les grutiers, les ouvriers. Et surtout, on a l'impression de lire le même livre ! Thème et enjeux différents, style et constructions du récit identiques. D'où une légère déception. L'auteure ne se renouvelle pas, applique le même schéma, utilise les mêmes ficelles. Cela reste un bon livre mais cela ne donne pas envie d'explorer plus avant son oeuvre. Dommage.
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critiques presse (1)
C’est la grande réussite de ce livre : maintenir dans toutes ces forces contradictoires un certain équilibre qui laisse à la vie, sous ses formes les plus diverses, la possibilité de s’épanouir, et offre au lecteur comblé de méditer sur le sens des entreprises humaines.
Lire la critique sur le site : LeSpectacleduMonde
Citations et extraits (114) Voir plus Ajouter une citation
Summer aura le vertige en découvrant la démesure du paysage, […] elle soufflera longuement face vers le sol, les mains sur les genoux, crachera par terre à plusieurs reprises, une fois redressée, enjambera la glissière pour faire quelques pas dans la plaine rose, poudrée, presque lunaire dans la lumière rasante de l'aube, une peau. Elle se figera un court instant pour écouter le silence perforé par les rares voitures qui blindent dans son dos, silence minéral où chaque bruit sonne distinctement et pollinise l'espace — un caillou roule, une branche craque, un scorpion gratte le sol —, un vrai silence de chat sauvage, alors la nuit en levier fera monter le jour, étirant l'espace au plus loin, comme un écran qui se tend, et l'horizon sera soudain si proche que Summer avancera son bras pour y porter la main, touchée elle-même, et percevant soudain des bruits de pas humains elle sursautera, le chauffeur sera, c'est bon miss ? Ils retourneront à la voiture, Summer baissera la vitre puis se laissera aller contre la banquette.

Marcher dans la nuit violette.
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Ce sont des lettres assorties d'appels téléphoniques, sa mère — et son père derrière elle — sollicitant invariablement des réponses positives à des questions qui l'indiffèrent — manges-tu correctement, es-tu bien considéré ?, as-tu écrit à Augusta ?, mets-tu de l'argent de côté ? Des questions, des questions, toujours des questions. Comme si leur langage commun ne pouvait s'affranchir du régime interrogatoire, questionner signant le rappel de son bon droit de mère, de sa légitimité imprescriptible à être informée de sa vie, à le posséder, répondre signant de même la preuve de son amour filial.

De l'autre côté de l'eau.
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De ce qui les attend, ils savent peu de chose. Les chômeurs autochtones qui avaient postulé s'étaient enquis des qualifications à faire valoir : c'est quoi les qualifs ? Et l'agent préposé à l'embauche, celui qui tapait les noms dans l'ordinateur avant de délivrer la carte magnétique qui donnait accès au chantier une fois introduite dans la pointeuse, s'était pincé le biceps : les qualifs, mon chou, c'est trois choses : du muscle, du muscle, du muscle. Personne n'avait ri et tous étaient venus.

Organiser le tâtonnement.
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John Johnson […] s'empare de la mairie de Coca en janvier 2005. […] Or, loin de voir dans sa charge nouvelle une retraite avec vue imprenable sur les rentes paisibles de la corruption, il est soudain pris de grandeur. Il se souvient des slogans de sa campagne — des phrases concoctées par des professionnels, formules puissantes qui claquent comme des étendards dans les stades et sur les places, mots d'ordre à douze pieds qui lui font le verbe haut et un menton d'orateur.

Organiser le tâtonnement.
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Ses prises d'intérêts privés dans les projets municipaux avaient de quoi affoler ses collaborateurs les plus malins comme les plus serviles, mais il ne s'en trouva aucun pour le mettre en garde et chacun sait pourquoi : le Boa préside une forteresse maçonnée au trafic d'influences dont il contrôle tous les accès et tous les ascenseurs, il est fort, riche, et peu regardant sur le prix à payer pour rester dans les bonnes grâces des institutions et organismes respectés de la ville.

Organiser le tâtonnement.
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Videos de Maylis de Kerangal (95) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Maylis de Kerangal
Avec Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti & Martin Rueff Table ronde animée par Alastair Duncan Projection du film d'Alain Fleischer
Claude Simon, prix Nobel de Littérature 1985, est plus que jamais présent dans la littérature d'aujourd'hui. Ses thèmes – la sensation, la nature, la mémoire, l'Histoire… – et sa manière profondément originale d'écrire « à base de vécu » rencontrent les préoccupations de nombreux écrivains contemporains.
L'Association des lecteurs de Claude Simon, en partenariat avec la Maison de la Poésie, fête ses vingt ans d'existence en invitant quatre d'entre eux, Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti et Martin Rueff, à échanger autour de cette grande oeuvre. La table ronde sera suivie de la projection du film d'Alain Fleischer Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde.
« Je ne connais pour ma part d'autres sentiers de la création que ceux ouverts pas à pas, c'est à dire mot après mot, par le cheminement même de l'écriture. » Claude Simon, Orion aveugle
À lire – L'oeuvre de Claude Simon est publiée aux éditions de Minuit et dans la collection « La Pléiade », Gallimard. Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde (colloques du centenaire), sous la direction de Dominique Viart, Presses Universitaires du Septentrion, 2024.
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