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Marianne Millon (Traducteur)
EAN : 9782742769070
446 pages
Actes Sud (03/09/2007)
4.08/5   125 notes
Résumé :
1914. L'Empire britannique est à son zénith et Londres s'apprête à subir les foudres du Kaiser. Thommy Thomson œuvre dans l'ombre pour un plumitif mégalomane quand un avocat lui propose un marché insolite : écrire l'histoire de son client, Marcus Garvey, un gitan accusé d'avoir assassiné au Congo les fils du duc qu'il servait. Publié avant le procès, le récit concourt par son immense succès à sauver de la potence celui que tout accuse. Il met au jour le détail de l'... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
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Un roman d'aventure dans la pure tradition du 19ème siècle, exotique et haletant, un thriller sauvage et féroce, véritable éloge du pouvoir de l'écriture ! Divertissant à souhait, mais brillamment divertissant !

« le Congo n'était pas un lieu, le lieu c'était nous ».

Après la lecture du livre fantastique La peau froide qui m'avait fait forte impression, j'ai voulu poursuivre avec cet auteur espagnol Albert Sanchez Pinol et me suis ainsi tournée vers son deuxième roman au titre énigmatique « Pandore au Congo ». Si nous retrouvons quelques mêmes ingrédients, notamment la présence d'êtres surnaturels, ce roman nous amène loin, beaucoup plus loin, dans la réflexion. Il est tout simplement captivant, brillant et serti d'une très belle plume, à la fois précise, sans circonvolutions mais pure, relevée, fraîche, sachant ménager le suspense et les coups de théâtre, rendant la lecture passionnante.
Si La peau froide nous laissait un glacial goût iodé d'embruns, Pandore au Congo nous enveloppe d'une chaleur verdâtre, moite et suffocante…Un froid / chaud qui montre combien l'auteur espagnol est capable avec un immense talent de nous amener dans de lointaines contrées inhospitalières, de nous faire peur, de nous perdre corps et âme avec les protagonistes en faisant varier les ambiances et les paysages.

Nous sommes à la veille de la première Guerre Mondiale, à Londres. Thomas Thomson est le dernier maillon d'une longue chaîne de nègres pour le compte d'un auteur, le docteur Flag, dont l'oeuvre prolifique se situe principalement en Afrique : « Il n'y avait pas tellement de lieux qui offraient un aussi large éventail d'éléments narratifs que l'Afrique noire. Les Massaïs, les Zoulous, les rebelles boers. La savane, la jungle. Eléphants, crocodiles, hippopotames et lions, explorateurs et chasseurs ».
Médiocre littérature à l'eau de rose, histoires faciles et rapidement écrites au rythme de trois livres par semaine, il n'est pas fier de contribuer à cette mascarade – lui se rêve grand écrivain - mais il s'agit de sa principale source de revenu. Toute la chaine s'écroule à la suite de hasards malheureux, les écrivains par procuration mourant les uns après les autres.
Alors qu'il va à l'enterrement de l'un d'eux, espérant rencontrer l'auteur prolifique, ce proxénète des lettres comme il l'appelle, il est abordé par un certain Edward Norton, un avocat, qui a pour mission de défendre un homme, un simple gitan, accusé d'avoir tué deux jeunes aristocrates. Cet homme, Marcus Garvey, risque la pendaison. L'avocat souhaite que Thomas Thomson écoute cet homme et écrive son récit afin de pouvoir mieux défendre son client. Qu'au lieu de divertir de nombreuses personnes par d'insipides petits romans, qu'il puisse désormais en sauver une. Et voilà notre homme se rendre régulièrement à la prison et consigner scrupuleusement les souvenirs de l'assassin. Ce qu'il va entendre dépasse l'entendement…

« Ce qui s'est passé au Congo dépasse l'entendement humain, Thomas. C'est une de ces histoires qui nous font douter de tout. Ecoutez-la et écrivez-la. Je n'ai jamais rien tendu d'aussi extraordinaire. Jamais. Et vous non plus ».

Après une vie de pauvreté et d'errance en compagnie de ses parents, sorte de saltimbanques ambulants, puis subitement devenu orphelin, Marcus Garvey est employé aux écuries et aux cuisines dans la grande propriété du Duc Craver. Là, il va faire connaissance de ses fils : William, membre d'un conseil d'administration d'une banque poursuivi pour escroqueries et corruption et, Richard, renvoyé de l'armée du fait de ses moeurs, déplacées et malsaines. Impatients et capricieux, les frères Craver sont peu désireux d'attendre ce que leur réserve la justice anglaise et mettent sur pied une expédition au Congo, pays inconnu dans lequel la présence d'or, d'ivoire et de diamants peut offrir la gloire aux audacieux. Ayant des notions de français grâce à sa mère et sachant cuisiner, Marcus Garvey les accompagne dans cette aventure qui se transformera en cauchemar tant la violence et le cynisme envers les noirs qui vont servir de porteurs et de mineurs sont portés à leur paroxysme.
Certes, ils vont bien découvrir une riche mine d'or au fin fond du Congo, mais surtout, ils feront la connaissance d'une autre civilisation venue directement des entrailles de la Terre, celle des Tectons, des êtres d'une blancheur absolue, aux oreilles pointues, aux yeux immenses, au crâne ovale et lisse comme un oeuf, pouvant se démettre des os pour passer à travers d'étroites galeries, gigantesques et visiblement belliqueux.
La rencontre entre ces deux civilisations va être violente, et atteindra un point de non-retour lorsque les conflits d'intérêts se cristalliseront autour d'une Tecton faite prisonnière. le long passage consacré à la capture des anglais par les Tectons, les entrainant dans les entrailles de la Terre est absolument haletant. C'est un passage d'anthologie inoubliable.

Pour celles et ceux qui ont lu La peau froide, cette captive, ce peuple rappellent immédiatement celui découvert sur l'île, créatures venues de la mer, monstres effrayants, créatures maritime très musclées, agiles, aux yeux d'un bleu intense, aux doigts palmés, recouverts d'une peau de requin vert salamandre, d'une peau froide.

Le parallèle entre les deux livres est troublant. le territoire envahi par les étrangers est défendue par des peuples qui viennent directement de ses profondeurs, la mer pour l'île et la terre pour le Congo. Un peuple à la peau glaciale, un autre dont la température excède de 5 degrés notre propre chaleur. Ce sont des peuples qui viennent des entrailles de cette terre envahie, l'essence même du territoire…Et de notre façon de réagir dépend leur volonté de rébellion. Message symbolique fort que veut nous faire passer Pinol quant aux volontés d'ingérence et de conquête des territoires.
Ces peuples mystérieux semblent mettre en exergue tous les maux des hommes...A croire que la terre et la mer sont remplis de maux, et, comme après l'ouverture de la boite de Pandore, ici symbolisée par la conquête violente, le pillage, l'appropriation, "les maladies se plaisent à tourmenter les mortels nuit et jour et leur apportent en silence toutes les douleurs, car le prudent Zeus les a privées de la voix. Nul ne peut donc échapper à la volonté de Zeus. » [ Hésiode, Les Travaux et les Jours]. Seule reste l'espérance...

Sous couvert d'un roman d'aventure dans lequel l'auteur prend plaisir à promener et à balloter son lecteur entre Londres et le Congo, entre Marcus Garvey dans l'expédition et Marcus Garvey en prison, entre Thomas Thomson jeune écrivain écrivant ce récit, pensionnaire dans une drôle d'auberge décatie et Thomas Thomson vieux, entre l'histoire et l'histoire de l'histoire lorsque l'auteur lui-même prend la parole, ce récit permet ainsi d'aborder tout un ensemble de thématiques beaucoup plus graves comme celle du colonialisme, du racisme, de l'entente entre les peuples, la notion de responsabilité, notamment de responsabilité dans la guerre et dans le crime organisé, le pouvoir de l'écrit et notamment de la presse…
Ce livre c'est aussi une ambiance et la découverte de paysages sauvages et féroces, remplie de jeux de lumières, d'entrelacements de vert et de bleu, qui prennent vie sous la plume incroyable de Pinol :

« Il continua vers le haut, toujours plus haut. Les troncs étaient maintenant plus minces. Les feuilles lui frappaient le visage et lui griffaient les mains. Marcus voulait monter un peu plus haut, encore un peu plus.
Finalement, il tendit le bras et une petite branche se brisa entre ses doigts. Ce fut comme si une lucarne s'ouvrait : les yeux les plus verts de l'Afrique se heurtèrent au ciel le plus bleu du monde ».

A noter la simple lettre qui différencie Tecton de Teuton, et de teutons il en sera question dans le livre. Une description marquante de l'ennemi alors que Thomas Thomson est au front, les allemands venant de lâcher l'arme terrible du gaz et apparaissant derrière leurs masques :

« Même aujourd'hui, si longtemps après, cette aube française m'assaille dans mes cauchemars. Les officiers allemands utilisaient des sifflets pour éperonner leur artillerie. Je me rappelle aussi une langue pointue, truffée de blasphèmes et d'éclats. Les uniformes verts, maculés de boue, et les baïonnettes très longues. Leurs casques étaient beaucoup plus compacts que les nôtres, qui ressemblaient à des pots de chambre en miniature. Leurs masques possédaient d'énormes verres ronds. Les casques et les masques leur couvraient la tête et les transformaient en des sortes de créatures plus proches des insectes que des humains. C'était des Allemands, qui auraient pu tout aussi bien être des Martiens ».

L'autre est un ennemi et apparait très souvent sous un visage monstrueux. Que nous soyons l'envahisseur ou l'opprimé, la haine des peuples rend inhumains. C'est sans doute, pour moi en tout cas, le message principal des deux romans de Alberto Sanchez Pinol.

Est-ce que le livre écrit par Thomas permettra d'éviter la potence à notre Marcus Garvey, simple garçon d'écurie accusé des meurtres de fils de notables, je vous laisse le soin de le découvrir en plongeant dans ce livre jouissif et captivant qui, au-delà de l'aventure exotique, est un bel hommage rendu à l'écriture et aux écrivains.

« Tout le monde peut subir une avalanche, une guerre, une déception. Mais tout le monde n'est pas capable de décrire une avalanche, une guerre, une déception ».

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Si le mythe de la boîte de Pandore m'etait conté, alors surgiraient tous ces maux : La Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie, la Passion, l'Orgueil.
Si la réalité m'etait donnée à observer , alors surgirait l'Homme, laid et imparfait, unique demeure de ces maux et de l'abject.
Du nid où l' innocence s'éveille jaillit l'abominable qui dans son palais terrestre s'octroie la primeur de la monstruosité du grand prédateur et ce, pour un séjour infâme illimité depuis des siècles.
En découle le déroulement naturel des choses, la sordide histoire de l'humanité dont "Pandore au Congo" 'en dépeint une grande partie avec tant de talent et de justesse qu'on ne peut que l'adouber devant l'autel de la cruauté.

C'est à coups de baguette, de fouet et sous la terreur que deux aristocrates anglais, les frères Craver, s'enfoncent dans la jungle du Congo, avides d'or et de pouvoir , ils déciment des tribus noires, ces singes qu'ils disent, et mettent en esclavage les survivants, les futurs travailleurs assujettis.
Marcus Garvey, un gitan les servant fait partie de l'expédition, c'est lui qui, plus tard, contera cette histoire à Thommy Thomson.
Thommy Thomson, le narrateur de cette aventure est, lui, chargé d'écrire le livre de cette épopée mystérieuse pour le compte d'un avocat défendant les intérêts de Marcus, accusé des meurtres des deux frères...

Mais ces êtres, les Tectons, ceux qui sortent des entrailles de la terre du Congo, là où les frères Carver se sont installés, qui sont-ils ?
Du fantastique va t'il éclore une nouvelle armée avide de guerre et de meurtres ?
Ce mal qui incarne l'homme va t'il s'insinuer également en eux face à l'exhibition d'une des leurs, de l'assassinat des autres ?
La manipulation est le maitre mot, quant à savoir laquelle est la meilleure parmi tous les personnages c'est sans aucun doute la littérature elle-même qui en livre la quintessence.

Incontestablement , ce roman n'a rien de commun, derrière la science-fiction se dresse une philosophie constante , cette vision acérée de l'humain distribuée à l'envi accentuée par un humour ravageur ; des brutalités effrayantes jaillit l'amour, s'invitent des scènes ubuesques d'une qualité renversante.
Albert Sanchez Pinol à cette vision panoramique qui mélange les genres littéraires amenant le lecteur dans un récit si dense qu'on ne peut que contempler son talent et se laisser subjuguer par la singularité de son univers sans en perdre une miette.

Qu'en est-il de l'espérance allez-vous me dire ?
Mythologiquement, elle est restée enfermée dans la boîte.
Véritablement, l' Homme qui espère n'est que l'esclave de celle-ci, ou, "Le songe d'un homme qui rêve" selon Aristote.

Sensationnel !

Un grand merci à toi, Nomadisant , pour cette proposition de lecture, une énorme découverte qui m'a épatée . le premier livre d'Albert Sanchez Pinol donc pour moi et sûrement pas le dernier !
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Ce roman dense et foisonnant comme le Congo est une expérience littéraire atypique et géniale.

Pandore au Congo est d'abord un grand roman d'aventure comme il en a été écrit à l'époque de Jules Verne. Mais c'est aussi et surtout un roman du 21ème siècle dans lequel Albert Sanchez Piñol multiplie les genres littéraires.

A l'aventure, l'auteur mêle le fantastique avec la rencontre de ces créatures venues des entrailles de la terre, les Tectons. Il y ajoute également de nombreuses situations comiques et rocambolesques. le contexte historique reste calefeutré en toile de fond : c'est le Londres de la Première Guerre, alors capitale d'empire, et le Congo belge colonial.

Le narrateur Thommy Thomson raconte ses mésaventures pour écrire, en tentant de démêler le vrai du faux, l'histoire invraisemblable du condamné Marcus, auparavant homme de main de deux aristocrates anglais bien decidés à faire fortune au plus profond de la forêt congolaise, quitte à batailler contre les Tectons.

La mise en abyme de cette histoire pleine de péripéties permet à l'auteur de poser une grande réflexion sur la littérature, notamment sur le rapport de l'écrivain à son oeuvre, celle-ci étant conditionnée à ses lecteurs. En effet, si l'écriture est acte de création, c'est bien l'acte de lecture qui donne vie à l'oeuvre. Or il y autant de lectures d'une même oeuvre qu'il y a de lecteurs. C'est dire l'importance que représente le lecteur dans la compréhension et l'appréciation d'une oeuvre littéraire.

Dès lors, face à l'horizon d'attente des lecteurs, que donne l'écrivain de lui-même quand il raconte une histoire ? Quelle est la part du vrai et du faux ? La part du réel, du vécu, la part de l'imaginaire ? Finalement, ce qui fait le succès de la littérature, c'est le roman. Or, qu'est-ce qu'un roman sinon une oeuvre littéraire qui cherche à susciter l'intérêt et le plaisir du lecteur en entrelaçant le réel et l'imaginaire ?

« Les gens ne tiennent pas à ce que les faits s'ajustent exactement à la vérité, dit-il. Ce qu'ils veulent, c'est être émus.»

« Oh, ne vous en faites pas, monsieur Norton. J'ai trouvé le truc, avec ce pauvre idiot. le secret consiste à lui dire ce qu'il veut entendre. Chaque jour, quand nous commençons notre séance, je n'ai qu'à lui donner un peu de grain à moudre pour qu'il m'indique lui-même dans quelle direction il veut que parte l'histoire. Je lui raconte ce qui lui fait plaisir, c'est tout.»

« C'est ce que j'écrivis dans la version originale. Mais le témoignage de Marcus fut très différent. Dans ce passage précis, je me laissai conduire autant par la passion littéraire que par mon amour d'Amgam.»

A la fin du chapitre 23, le narrateur raconte les différentes vies de son roman :
- la troisième édition dans les années 1920 s'abstient de tout passage sur une bouteille de champagne bue par l'héroïne Amgam, à cause de la prohibition ;
- dans les années 1970, même chose mais pour des raisons environnementales, le champagne étant une boisson trop élaborée pour être écologique ;
- plus tard encore, l'éditeur étant une éditrice, il était bon que l'héroïne brise la bouteille de champagne en mille morceaux, comme un refus de l'ordre machiste et patriarcal symbolisé par le champagne.

Du même auteur, j'avais lu La Peau Froide. Aussi ai-je été désarmé un bon moment en lisant Pandore : quand l'aventure au Congo commence, on retrouve les mêmes éléments qui constituent La Peau Froide.
Toutefois, malgré un socle commun, les deux lectures sont différentes car elles sont conditionnées avec brio par leur cadre géographique.

Sur une île perdue et isolée de l'Atlantique Sud, la Peau Froide est une histoire purement fantastique, un cauchemar lovecraftien alors que Pandore, dans ce Congo exubérant, est inclassable tant les sujets qu'il aborde et les registres qu'il s'approprie sont variés. le génie d'Albert Sanchez Pinol est d'en faire une oeuvre grande et cohérente dans sa structure comme dans sa réflexion. Une lecture très belle et très riche.
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Haletante et matoise, l'essence du roman d'aventure... et de ce que peut être en réalité l'écriture.

Publié en 2005, traduit en français en 2007 par Marianne Millon chez Actes Sud, le deuxième roman du Catalan Albert Sánchez Piñol nous emmène beaucoup plus loin que son déjà très réussi « La peau froide » (2002).

Dans son premier roman, il nous montrait avec un brio rageur sa capacité à jouer avec les codes du roman verno-lovecraftien et avec les rituels romanesques de la survie sur une île (pas si) déserte.

Ici, il s'attaque avec succès à l'essence même de l'écriture romanesque et du roman d'aventures, d'une manière à la fois haletante et matoise qui évoque curieusement, hors tout contexte historique, le talent d'un Iain Banks.

Dans une Londres immédiatement post-victorienne, où la première guerre mondiale approche déjà à grands pas, Tommy Thomson, tout jeune écrivain, survit et apprend les ficelles du métier en réalisant secrètement, pour le compte du nègre de l'auteur à succès Luther Flag, des romans d'aventure à la chaîne, maniaquement scénarisés par le producteur millionnaire de best-sellers. Au décès de son commanditaire, et suite à un scandale au cimetière qui voit Flag refuser de lui confier de nouveaux travaux, Thomson est embauché par un avocat pour écrire les mémoires de son client Marcus Garvey, gitan minable, emprisonné pour avoir – dit-on – assassiné au Congo les frères Craver, deux jeunes nobles bien peu reluisants qu'il y accompagnait dans leur quête de fortune, en espérant que ce récit contribuera, en établissant la vérité et en la faisant partager à l'opinion publique, à l'acquittement de son client.

À chaque entrevue au parloir de la prison, au fur et à mesure que le lecteur prend connaissance, avec Tommy Thomson, des circonstances rencontrées lors du périple dans l'atroce colonie belge, un second roman (« ce qui s'est vraiment passé dans la forêt congolaise ») prend véritablement corps, véritable récit d'aventures où jungle inexplorée, peuple inconnu, terre creuse, amour improbable et sauvetage de l'humanité s'allient en un superbe et passionnant hommage à Edgar Rice Burroughs (dont le premier tome du cycle de Pellucidar et de la Terre Creuse était justement paru en… 1914).

Travaillant parallèlement un incroyable méta-récit sur le rôle judiciaire de ce roman providentiel et sur sa destinée publique, Sánchez Piñol réussit un tour de force de ruse et de mise en abyme de ce que peut être, finalement, une narration – en mobilisant notamment des gaz de combat, de l'observation d'artillerie, une veuve anglaise tenant une pension, un courageux et haut en couleur immigré irlandais, quelques zeppelins agressifs, une épouse de financier suédois et… une increvable tortue sans carapace.
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Nous sommes à la veille de la Grande Guerre, à Londres. Thomas Thomson, dernier maillon d'une longue chaîne de nègres pour le compte d'un auteur dont l'oeuvre prolifique ( 3 livres/semaine) se situe principalement en Afrique, vient de perdre sa principale ressource de revenus. Ambitionnant d'être un jour écrivain, il est abordé à la sortie d'un enterrement par Edward Norton, un avocat qui a la tâche difficile de défendre un pauvre hère accusé du meurtre de deux aristocrates. Contre une rémunération substantielle et la perspective d'écrire un livre qui bouleverserait sa vie et le monde, il lui propose de recueillir la confession de Marcus Garvey, un gitan condamné à la potence. Entre la menace d'une guerre mondiale imminente et l'ouverture prochaine d'un procès perdu d'avance, Thomas Thomson, pressé par le temps, consigne scrupuleusement les souvenirs de cet assassin.

Après une vie d'errance en compagnie de ses parents, subitement devenu orphelin, Marcus Garvey est employé aux écuries et aux cuisines à la résidence du Duc Craver où il fera la connaissance de ses fils; William, membre d'un conseil d'administration d'une banque poursuivi pour escroqueries et malversations et, Richard, renvoyé de l'armée pour ses moeurs dévoyées. Peu enclin à attendre que la justice décide de leur sort, les frères Craver mettent sur pied une expédition au Congo, pays inconnu qui offrirait aux plus téméraires gloire et richesses. Ayant des notions de français, Marcus Garvey les accompagne dans cette aventure qui se transformera en cauchemar. Au delà de la découverte d'une mine d'or généreuse, ils feront la connaissance d'une autre civilisation venue des entrailles de la Terre, celle des Tectons, des êtres d'une blancheur absolue, gigantesques et visiblement belliqueux. La rencontre entre ces deux civilisations atteindra un point de non-retour lorsque les conflits d'intérêts se cristalliseront autour d'une captive.

Albert Sánchez Piñol nous offre une histoire dans le plus pur style des romans du XIX siècle. Hymne à la littérature populaire, il mélange habillement et pour notre plus grand plaisir, le fantastique, le roman d'aventures, l'exotisme, le thriller, le romanesque, et ménage savamment le suspense et les coups de théâtre. Il rend compte aussi d'un certain état d'esprit ou de mentalité des colons britanniques avec leurs préjugés et leurs idéaux. Plus qu'un excellent roman de gare, c'est un livre dans le livre, un livre à tiroirs dont il maîtrise toutes les ficelles. le lecteur est mené par le bout du nez sans qu'il n'y prenne garde et à l'instar de Thomas Thomson, s'enlise sans résistance aucune dans cette épopée rocambolesque. Albert Sánchez Piñol nous balade entre Londres et le Congo, entre Marcus, Thomas à 19 ans lors des faits et Thomas 60 ans après, Edward Norton, et notre serviteur, l'auteur lui-même. le lecteur bascule dans cette fantasmagorie avec une joie indescriptible quasi infantile. Sa faconde, son imagination débridée lui permettent de poser des questions sur l'utilité de la guerre, les relations entre les peuples, la ligne étroite qui départage la fiction, le réel et l'imaginaire, la manipulation intellectuelle, le pouvoir incontestable de la presse, le racisme, le caractère de l'homme et la notion du destin.

Sans être une oeuvre de grande envergure, PANDORE AU CONGO est divinement divertissant. Il nous tient en haleine jusqu'au point final, nous met au supplice car rien ne parait ce qu'il semble être, un livre gigogne en perpétuelles mutations. Ne pas attendre l'été pour s'y plonger, la touffeur du Congo réchauffera nos os en cette période de froid. J'ai été doublement heureuse de le lire car 1) ça a été un moment de pure jouissance, 2) le conseil de mon enfant s'est révélé judicieux.
Lien : http://www.immobiletrips.com..
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critiques presse (1)
Elbakin.net
29 janvier 2014
Sacré morceau littéraire que Pandore au Congo. En reprenant un fond fantastique pour le plaquer sur une grande période historique, Pinol ne se contente pas de raconter une histoire, il analyse et décortique l’Histoire, de la traite des Noirs à la Première Guerre Mondiale.
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Cette histoire commença par trois enterrements et s’acheva sur un cœur brisé : le mien. L’été 1914, j’avais dix-neuf ans et j’étais à moitié asthmatique, à moitié pacifiste et à moitié écrivain. A moitié asthmatique : je toussais moitié moins que les malades, mais deux fois plus que les bien portants. A moitié pacifiste : en réalité, j’étais trop mou pour militer contre les guerres. J’étais juste contre le fait d’y participer. A moitié écrivain : le terme écrivain est prétentieux. Même quand je dis “à moitié écrivain” j’exagère. J’écrivais des livres sur commande. C’est-à-dire que j’étais un nègre. (Dans le monde de l’édition on qualifie de “nègre” celui qui écrit des livres que d’autres signent.)
(Incipit)
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Je m’étais laissé conduire à cette guerre comme un agneau à l’abattoir. Et une fois pris dans un uniforme d’agneau, il était inutile d’esquiver mes responsabilités d’agneau. Les agneaux ne sont pas innocents, ils sont idiots. Que dis-je un jour à Marcus Garvey ? « Moi, je ne serais jamais allé au Congo ». Mensonge. Il n’était pas possible d’imaginer une tuerie générale plus grande que cette guerre, et au cœur même de l’Europe. Le Congo n’était pas un lieu, le lieu, c’était nous. Le jour où je m’enrôlai, je devins le Marcus Garvey qui tendait la main pour que les frères Craver y mettent des bâtons de dynamite. Il lançait les bâtons un par un, je dirigeais des canons de gros calibre vers leur objectif. Qu’est-ce qui était pire, en réalité ?

Je superposai les deux raisonnements. J’aurais dû le comprendre plus tôt. Si j’acceptais mon avenir comme docteur Flag, si je renonçais à la littérature pour me consacrer, simplement, à écrire des feuilletons, ce que je faisais, c’était grossir les rangs de la résignation humaine. Chaque bon livre que je n’écrirais pas serait comme un clocher détruit. Je le compris et me dis : « Merde à Flag, je ne suis pas un nègre de Flag, je ne veux pas être Flag. Ce que je dois faire, c’est retourner à la maison et écrire le livre, le récrire mille fois, et mille autres fois, si nécessaire, avant de produire un grand livre. »

Ce fut ainsi que j’arrivai au septième et dernier jour de mon passage sur le front. Je ne l’oublierai jamais. J’étais à l’intérieur d’un trou qu’avait fait un obus de gros calibre. Il avait la forme d’une saucisse et il était plus gros qu’un préau d’enfants de l’école maternelle. Il recommençait à pleuvoir. Je m’installai comme je pus dans le fond de ce cratère lunaire. Cette nuit-là, un violent duel d’artillerie avait éclaté entre les deux parties. Comme je me trouvais à mi-chemin entre les positions anglaises et allemandes, les projectiles des deux côtés décrivaient une parabole juste au-dessus de ma tête. Ce spectacle pyrotechnique possédait une beauté inégalable qui rivalisait avec un phénomène naturel. Quelle longue nuit. J’étais sous une cloche de feu et en même temps il pleuvait, il pleuvait plus que jamais. Des bords du plateau de mon casque, tombaient des cascades d’eau. Je n’ai jamais été trempé comme ce jour-là. La seule chose que je pouvais faire était de me recroqueviller comme un enfant qui se protège, entourant mes jambes de mes bras.

Je ne pouvais pas bouger, je ne pouvais qu’attendre, je passai donc le temps à penser à elle. Au début, je tentai de reconstruire jusqu’au dernier détail de sa main. La blancheur mate de la peau, les six doigts, des ongles qui entraient extraordinairement dans la chair, jusqu’à la première articulation du doigt. Je peux encore me voir : enroulé comme un fœtus au fond de cette flaque de boue, les vêtements trempés, les bras croisés et un rideau de pluie tombant sur les bords de mon casque. Je pensai ensuite au clitoris d’Amgam. Marcus n’en avait jamais parlé. Comment pouvait-il être ? Aussi blanc que le reste de sa peau ? Pourquoi n’aurait-il pas été noir, aussi noir que ses yeux ? Rouge ? Bleu ? Jaune ? Dans le livre, naturellement, je ne parlais pas du clitoris d’Amgam. Trop obscène. En revanche, pendant que je pensais au clitoris d’une femme tecton, les projectiles de toute l’artillerie des armées anglaise et allemande se croisaient au-dessus de ma tête.
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Nous conservons la douleur dans des boîtes. Il est surprenant de voir de quelle façon un simple mot peut les ouvrir et nous jeter leur contenu à la figure. Les deux syllabes du mot “Congo” transformèrent l’homme qui se trouvait en face de moi. Des doigts invisibles étirèrent la peau des joues vers le bas comme si la fermeté de la gravité s’était soudain accrue. Ses pupilles se dilatèrent. Le duc voyait un paysage privé et épouvantable. Je ne désirais pas lui faire de mal.
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Ne redemandez jamais à un avocat si ses clients sont coupables. Si Jack l’Eventreur était mon client, je défendrais ses intérêts. Mais nous ne devrions pas mêler la vocation de défendre quelqu’un à la possibilité de croire en lui. Ce dernier point appartient à la sphère privée. Et mes convictions les plus intimes sont contre la peine de mort. Quand l’Etat tue, il nous assimile au pire des assassins.
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Il continua vers le haut, toujours plus haut. Les troncs étaient maintenant plus minces. Les feuilles lui frappaient le visage et lui griffaient les mains. Marcus voulait monter un peu plus haut, encore un peu plus.
Finalement, il tendit le bras et une petite branche se brisa entre ses doigts. Ce fut comme si une lucarne s’ouvrait : les yeux les plus verts de l’Afrique se heurtèrent au ciel le plus bleu du monde.
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