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EAN : 9782715233072
192 pages
Le Mercure de France (30/08/2012)
3.43/5   77 notes
Résumé :
En 2002, c'est la seconde Intifada. Sarah, Juive d'origine polonaise, née et élevée à New York, est revenue vivre en Israël avec sa mère après les attentats du 11 Septembre. Leïla a grandi dans un camp de réfugiés en Cisjordanie. Toutes deux ont dix-sept ans. Leurs voix alternent dans un passage incessant des frontières et des mondes, puis se mêlent au rythme d'une marche qui, à travers les rues de Jérusalem, les conduit l'une vers l'autre.

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Critiques, Analyses et Avis (34) Voir plus Ajouter une critique
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Partages, si c'est pas prometteur ça.
Naufrages, réactualisation s'imposant d'emblée une fois le bouquin remisé au rayon "incontournable par temps de pluie".

Imperméabilité, un sentiment qui pointera très rapidement le bout de son vilain museau estampillé 100 % plume d'Eider et qui n'aura de cesse de s'affirmer au fil des pages ingurgitées. A noter qu'aucune des trois pattes de ce fier  Somateria mollissima n'a été endommagée durant cette lecture.
Premier livre d'Aubry et très certainement le dernier tant le style affiché m'est apparu indigeste.
Sarah est juive, Leila palestinienne. Deux jeunes filles aux voix dissonantes qui n'ont en commun que l'espace géographique qu'elles partagent, Israël. Deux visions antagonistes d'une Histoire dont elles semblent les dépositaires et qu'elles symbolisent à tour de rôle. Un roman à deux voix, un cri, le mien, celui de la frustration tant les chapitres alternés me sont apparus longs comme un jour sans pain, ni vin, ni.... Des phrases interminables, fallait point sécher le cours sur les points. Une narration apathique qui ferait passer Microcosmos pour un film d'action pur jus. Non , vraiment, je crois pouvoir dire que j'ai pas accroché et c'est pas faute d'avoir essayé !
Ce qui est bien lorsqu'on n'attend plus rien sinon de plonger dans un micro coma salvateur - quelqu'un a des nouvelles de Schumi ? - c'est qu'on est pas à l'abri d'une bonne surprise. Que dis-je, d'un petit moment de grâce. le seul bémol, c'est qu'il survient à la toute fin et ne parvient donc pas à faire oublier ce sentiment général d'ennui profond.
Le traitement du conflit israélo-palestinien méritait mieux, à tous les niveaux...

Partages, non merci, j'essaye d'arrêter...
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Juive d'origine Polonaise Sarah née et élevée à New-York s'installe en Israël quelques temps après les attentats du 11 Septembre.

Leïla, Palestinienne vit dans un camp proche en Cisjordanie.

L'une ignorant l'existence de l'autre, leurs destins vont pourtant inexorablement se croiser lorsque marchant dans Jérusalem vêtues à les confondre de la même robe blanche elles se rendent chacune à un ultime rendez-vous …

Dans un style très lissé, Gwenaël Aubry nous conte ici la rudesse de la vie dans ces camps de réfugiés palestiniens qui vivent dans la peur, les déchainements de haine, la soif de vengeance, la folie et le machisme des hommes dans un contexte d'affrontement de deux cultures que tout oppose.


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Gwenaëlle Aubry
Lisez-le, c'est un plaisir…
Un roman, un vrai, avec des personnages vrais, pas des caricatures, des personnages habités par la romancière, qui est tantôt Sarah, tantôt Leïla. Deux jeunes filles sensibles et charnelles, de souvenirs et de projets, d'amour et de haines, qui se rencontrent dans l'improbable magie d'un reflet, puis dans le miroir du récit lui-même, avant que le destin ne les rassemble dans un "consumatum est" inéluctable.
Un roman construit comme une tragédie antique, et qui revit un drame de notre temps : celui de la rencontre de l'inextinguible soif de justice et de vérité de deux communautés, celle des juifs israéliens et celle des palestiniens, dont les causes sont aussi légitimes et irrémédiablement opposées.
La conduite de récit joue sur l'alternance, sur des rythmes variables, des deux récits en première personne. Dans la dernière partie, la respiration du texte s'accélère, les deux histoires se regardent et se répondent, page paire à page impaire, symétrie et contradiction des deux actions, celle de Sarah, qui comme la Niké croit qu'elle va à la rencontre de son amant, et Leïla qui court vers son martyre. le livre se termine sur le blanc des dernières demi-pages.
A aucun moment l'auteur ne cède aux tentations du manichéisme, de l'apitoiement, ou de la sensiblerie des bons sentiments. C'est la tragédie israélo-palestinienne, c'est aussi notre mauvaise conscience d'occidentaux, c'est un drame dont on ne parle dans les médias que sur le mode du sensationnalisme, et jamais sur celui sensible et charnel des êtres réels. A force d'habitude, nous en sommes venus à considérer cette guerre à la manière d'une routine sanglante ; Gwenaëlle Aubry lui donne un corps, une pensée, un vécu, celui de ces jeunes filles de 17 ans, celui de leurs rêves, de leurs souffrances, de leurs mémoires.
Étonnante, cette empathie de la romancière pour ses personnages. On la devine aussi impliquée dans une personnalité que dans l'autre. Elle sème tout au long du récit des indices et des fils rouges qui tissent et ponctuent le texte. Un lyrisme non descriptif, qui porte le moindre détail matériel au rang d'un symbole, invitation pour le lecteur à une herméneutique du fait humble, où tout, pluie, piscine, poussière, fait sens.
Les arrières plans, ceux de la double ville al-Quds et Yeroushalaim, ceux des doubles histoires vivantes, la Nakba et la Shoa que se réapproprient la mémoire des personnages, ceux du Coran et de la Bible, ne sont pas seulement des décors servant de cadre à l'action ; ils interagissent au sein du récit. Comme dans une dramaturgie, les deux héroïnes ont leurs « confidentes », Lily et Salma, qui toutes deux forment un contrepoint « raisonnable et humain » aux dérives de leurs amies : l'une du côté de la tolérance et de la paix, l'autre de la fuite salutaire hors de l'enfer.
Bref, si vous aimez la littérature, la vraie, lisez-le ! Et faites-le lire. Surtout à vos grands adolescents ; ils en ont bien besoin, car il m'a semblé que cette partie de leur histoire était marquée dans leurs livres et programmes d'histoire d'un blanc scandaleux.
Michel le Guen
Professeur de philosophie
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Une très belle découverte. Ce roman est magnifique, captivant, touchant et intelligent.

Dans un perpétuel jeu de miroir, d'échos, de parallélisme ou d'opposition, Gwenaëlle Aubry raconte le destin tragique de deux jeunes filles de 17 ans, telle deux soeurs jumelles appelées (condamnées ?) à se rejoindre. Elles portent en elle toute leur histoire personnelle qui n'est que l'accumulation des histoire tragiques de leurs peuples. Dans un style magnifique et en quelques mots, l'auteure délivre un texte que certain diront "intellectuel et trop construit" avec les multiples références littéraires, artistiques, cinématographiques, mais qui pour ma part a été l'occasion de marquer des pauses pour chercher des informations et mieux comprendre ces références.

L'histoire de Sarah et Leïla est captivante, car en 180 pages et sans parti pris, Gwanëlle Aubry nous permet d'appréhender la complexité et la tragédie du conflit israélo-palestinien se cristallisant dans Jerusalem, lieu de choc historique, culturel, religieux. Elle nous donne à comprendre comment la haine, la colère peuvent surgir face aux drames et à l'injustice.

L'histoire de ces deux adolescentes ayant chacune les envies et les rêves de leur âges et qui se trouvent emporter par le destin tragique de cette ville est très touchante.

En fait c'est un roman comme je les aime. Une fois le livre refermé, l'histoire, la réflexion, les questionnements perdurent. le titre même du roman porte à réfléchir car partager c'est séparer, trier, diviser mais c'est également avoir en commun.
C'est un très beau livre. Un texte qui nous rend plus intelligent.
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Sarah, Juive d'origine polonaise, née et élevée à New York, est venue vivre en Israël avec sa mère après les attentats du 11-Septembre. Leïla est palestinienne, elle a grandi dans un camp de réfugiés en Cisjordanie. Elles ont dix-sept ans et, en commun, le désir de ne pas être sérieuses. Leurs voix alternent au rythme d'une marche qui les conduit l'une vers l'autre dans les rues de Jérusalem. Deux voix pour une même terre, que l'on n'arrive pas à partager.

"Tous ici, Israéliens et Palestiniens, Arabes et Juifs, comme tu voudras, nous partageons la même folie, c'est elle qui, comme la terre, nous divise et nous réunit. Nous partageons une même hantise, tous, nous sommes habités par des cohortes de morts."

Deux jeunes filles donc qui représentent leurs nations respectives, l'une ayant joué à l'Intifada dans la cour de récré, l'autre ayant été traumatisée par le 11-septembre (réplique de l'Holocauste ?). Deux jeunes filles qui ne trouvent pas leur place dans ce pays en guerre, rêvant de modernité, de paix, de tranquilité.

Deux voix qui se délitent au fur et à mesure du texte, et qui ont fini par me perdre tant j'étais incapable de les dissocier, et de comprendre ce qui se passait réellement. Un sentiment de perdition qui a gâché la fin de ma lecture, alors que j'étais enchantée du début et de la manière originale dont Gwenaëlle Aubry a choisi de traiter ce sujet.

Cependant, au final, je peux dire que c'est un roman qui n'est pas dénué de qualités mais qui n'a rien de réellement très original : on n'y apprend rien, on ne fait que constater la différence entre ces deux pays, résultat de la plus grand aberration de l'Histoire. On en finit avec un sentiment de réchauffé, d'une pensée conventionnelle qui se déroule devant nous jusqu'au dénouement final, anticipé et attendu.

Tout comme la Seconde guerre mondiale, j'ai le sentiment que le conflit israélo-palestinien est le sujet à choisir pour faire pleurer dans les chaumières et assurer une bonne vente, au détriment de la qualité ou de l'originalité.
Lien : http://missbouquinaix.wordpr..
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Citations et extraits (28) Voir plus Ajouter une citation
Lily m'a raconté, oui, il arrive que les Juifs soient le miroir de leur propre cauchemar. Je suis née ici, à Haïfa, comme mon père et ma mère, mes grands-parents venaient de Lituanie et de Bessarabie, le reste de la famille est mort dans les pogroms, pour rien au monde je ne quitterais cette terre, mais je l'aime d'un amour douloureux, contrarié. Etre juif, pour moi, cela signifie " Tu ne tueras point " et " Tu accueilleras l'étranger ". Bien sûr nous ne pouvons être parfaits, d'ailleurs qui l'est, et c'est peut-être encore nous singulariser, nous traiter en suspects que de nous le demander. Les Etats, comme les hommes, naissent dans le sang et les cris, tout procède de la violence, mais cette violence que nous avons faite aux autres et qu'ils subissent encore, nous ne pouvons continuer à la nier. Tu connais la prière que Dieu s'adresse à lui-même dans le Talmud, " Que ma volonté fasse subjuguer ma colère par ma miséricorde "...Il nous faut, nous aussi, apprendre à subjuguer notre colère.(...)
Dans quelle folie, oui, tous ici, Israéliens et Palestiniens, Arabes et Juifs, comme tu voudras, nous partageons la même folie, c'est elle qui, comme la terre, nous divise et nous réunit. Nous partageons une même hantise, tous, nous sommes habités par des cohortes de morts. Elle se tut un instant, puis, les yeux baissés, sourcils froncés, comme si elle récitait : les nôtres sont plus nombreux, plus errants, nulle terre, nul corps, nulle mémoire ne suffira jamais à les contenir. Et ils sont si proches encore, cinquante années, ce n'est rien, c'est toujours aujourd'hui, nous continuons à vivre dans la nuit qui les a engloutis, l'étreinte dont nous sommes nés n'a pas suffi à la conjurer, pas plus que les veilles et les chants de nos mères, elles-mêmes;, penchées sur nos berceaux, savaient-elles quelles âmes elles tentaient d'apaiser, quelle détresse elles berçaient, les caresses qui ont façonné nos corps d'enfants (...) Et pourtant, dit-elle à voix forte, les yeux levés vers moi. les autres aussi ont une mémoire, un savoir transmis par l'angoisse des mères et la honte des pères, les autres aussi ont leurs morts, que nous ne pouvons ignorer. (...) Je ne peux me résoudre à abandonner leur sort à ceux-là qui transforment le rêve en cauchemar, la fierté en honte, qui perpétuent le culte du sang et de sa pureté, sont prêts à brûler notre drapeau ou à le planter sur les terres des autres. Ce n'est pas à eux que les fanatiques - les nôtres, comme ceux de l'autre côté - sont fidèles, c'est à la mort elle-même.
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.. Et il faut que Sarah comprenne dans quelle folie elle vit. Et comme je la regardais stupéfaite, elle reprit : oui, tous ici, Israéliens et Palestiniens, Arabes et Juifs, comme tu voudras, nous partageons la même folie, c’est elle qui, comme la terre, nous divise et nous réunit. Nous partageons une même hantise, tous, nous sommes habités par des cohortes de morts. Elle se tut un instant et puis, les yeux baissés , sourcils froncés , comme si elle récitait : les nôtres sont plus nombreux, plus errants, nulle terre, nul corps, nulle mémoire ne suffira jamais à les contenir. (...) Cette terre où nous vivons, et que nous voulons croire immémoriale, est une comme une couche d'argile, meuble et fragile, où se mêlent les vestiges de deux catastrophes : la nôtre est innommable, mais est-ce une raison pour nommer la leur du nom de notre victoire? Telle est l'histoire dont nous héritons, la tragédie qui nous poursuit : on a réparé un crime absolu par une terrible injustice.
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Je sais ce que tu penses, tels ont été ses mots au moment où elle m'embrassait pour la dernière fois, mais je n'en peux plus de cette violence, il me faut sortir, partir, et je suis sûre qu'Ibrahim le voudrait. Ne me regarde pas comme ça, avec ces yeux durs qui m'effraient, laisse-moi te serrer dans mes bras. Je t'en prie, ne songe pas à la vengeance, la vie entière t'attends, tout peut encore arriver, et même le meilleur, et même le bonheur. Vois, il y a une chose que cet enfer m'a enseignée : le plus difficile, ce n'est pas de résister à l'ennemi, c'est de ne pas céder à la haine qu'on a de lui.
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Hier avec ma mère nous sommes allées à al-Quds. J’attendais ça depuis des mois. Quand l’appel à la prière a résonné, j’étais déjà réveillée. Je crois que je n’ai pas dormi. J’ai entendu Youssef rentrer tard dans la nuit et peu après mon père qui se levait pour partir travailler. Je me suis habillée en silence. J’avais tout préparé : ma mère m’a prêté son abaya bleu sombre, en dessous, la blouse blanche que Youssef trouve indécente, j’ai mis mon foulard gris, et, pour le fixer, la pince à perles de nacre de grand-mère (elle la piquait dans ses cheveux qu’elle ne voulait plus couper et qui lui tombaient jusqu’aux pieds). Le salon sentait bon le café et la cardamome, et sur les tapis le soleil dessinait de grandes palmes poudreuses et mouvantes. Nous avons mangé le pain et le zaatar sans parler, pour ne pas réveiller Youssef. Je crois que ma mère avait aussi peur que moi qu’il nous empêche de partir. Elle me regardait, souriante, complice comme une sœur. Voilà des mois que je ne l’avais pas vue comme ça. Tout à coup Amir a surgi devant nous, dans son pyjama Mickey. Je l’ai porté avant lui, Raed et Youssef aussi, à force on ne voit plus que des taches rouges, jaunes et noires. Il s’est blotti sur mes genoux, encore tout tiède et lourd de sommeil, le visage enfoui dans mon cou. J’ai respiré dans ses cheveux l’odeur de ses rêves de petit garçon, le pain chaud, la pierre sèche, le fenouil et le lupin. Quand nous sommes seuls, il ne joue plus au martyr, au héros, il arrête la guerre. Puis il s’est souvenu qu’il allait passer la journée chez Ibrahim et il a bondi comme une gazelle pour aller s’habiller. Nous l’avons déposé, en lui faisant promettre d’être sage, de ne pas sortir du camp, et nous sommes parties.
À cette heure-là, on pourrait se croire au village. Enfin, je ne sais pas, je ne connais pas, mais j’imagine que c’était comme ça, une journée sans cesse recommencée, des gestes paisibles et perpétués et la mort qui vient au bout et efface les visages, mais ce n’est pas grave puisque d’autres recommenceront, sans hâte ni mémoire. Les hommes qui travaillent sont déjà de l’autre côté, les autres dorment, il n’y a dans le ciel ni drone ni sirène mais un parfum de terre et d’amandier, les femmes lavent leur cour et à leurs pieds les enfants jouent à chercher leur reflet dans l’eau rare. Plus tard, sous la lumière fixe, on voit la poussière, les chats maigres dans les maisons rasées, les enfants crient d’ennui et les femmes allument la radio pour guetter les nouvelles. Puis vient le soir, on attend les hommes et ceux qui ne reviendront pas, on a peur des nuits où la lune se fend. Des voisines nous saluaient, nous souhaitaient bonne chance, l’ancienne institutrice qui jalouse ma mère parce qu’elle n’a plus ni fils ni mari a crié de sa voix mauvaise Si leur Messie est arrivé il faudra nous le dire et toi Leïla c’est donc un mari que tu cherches chez eux pour t’être parée comme cela. Ma mère n’a pas répondu ni même pressé le pas. je la déteste, cette femme mauvaise avec son œil en biais, et toutes celles qui tête baissée échangent des paroles sur nous et sur le travail de Père. Mais hier ça n’avait pas d’importance, hier, je partais, loin des murs et des rumeurs. Le taxi-service nous attendait, derrière la guérite et les barbelés. Ils sont ouverts à présent, mais je me souviens, ou Raed m’en a parlé, je ne sais plus j’étais si petite, de ce jour où ils les ont refermés et où le monde s’est émietté en losanges de fer. Et encore maintenant, quand parfois je sors, je retiens mon souffle comme si des yeux invisibles m’épiaient, comme si le fer s’enfonçait dans ma chair le dehors n’est pas pour toi. Ils sont comme ça, ici, Raed et Youssef aussi, ils veulent toujours se souvenir, surtout ne rien oublier, l’âge des morts et les noms des villages, ils suspendent à leurs murs les clefs des maisons perdues, encastrent dans les parpaings les fenêtres qui ouvraient sur leurs champs d’oliviers et chaque jour les nettoient pour mieux voir leur absence, ils accrochent en reliques leur douleur, leurs défaites. C’est ainsi, ceux d’en face attendent et nous, nous nous souvenons.
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Au début, je n’allais pas au-delà du Mur. Je ne m’en approchais pas. Je le regardais de haut, depuis la petite place de Misgav Ladah, dans un éblouissement de pierre et de lumière. Une lumière inhumaine, calcaire, de canyon, de désert, répercutée par les arches blanches, les drapeaux étoilés, l’or du Dôme du Rocher. Le Mur, lui, absorbe tout, le grand éclat et les ombres des fidèles, les larmes et les noms sacrés, les prières de papier glissées dans ses fentes. Ce n’est pas cela qu’il faut faire, je le sais. Peu de temps après notre arrivée, j’y suis allée seule, sans le dire à ma mère. Il y avait foule, ce jour-là. Deux garçons joufflus, gauches et fiers, célébraient leur bar-mizvah. De l’autre côté de la barrière, mères, sœurs, tantes montaient tour à tour sur des chaises pour les regarder. Je me suis assise près d’elles, du côté des femmes, surprise d’accepter ça, pourtant je n’étais pas comme elles ni comme les autres, en foulard et jupe longue, serrées sur les bancs, leur bébé sur les genoux ou dans des poussettes, et qui, face au Mur, attendaient, patientes, silencieuses, captives d’une scène où rien ne se jouait qu’encore et toujours l’attente mais moi, songeais-je en les regardant, moi je n’attends pas, je suis trop jeune pour cela, à dix-sept ans je les veux maintenant les règnes, les justices, les pardons, tsedek, mehila, ces mots-là me traversaient que jamais dans ma langue je n’aurais prononcés, voilà le pays qui me monte à la tête à la bouche me suis-je dit, je ferais mieux de rejoindre les touristes derrière leurs caméras, de rire de tout cela, mon frère m’a raconté que c’est ici qu’il a demandé Yaël en mariage mais comment ont-ils fait, étaient-ils chacun d’un côté de la barrière, elle perchée sur une chaise – quand tout à coup j’ai remarqué une fille debout derrière un parasol replié. Elle était plus jeune que moi, vêtue d’une blouse et d’une jupe noire qui tombait sur des bas de laine blanche et des vieilles baskets. Cachée derrière le parasol, loin du Mur mais tournée vers lui, elle priait, les yeux clos, en oscillant doucement, le visage enfoui dans les Tehilim comme des larmes dans une main. Sous son foulard on distinguait des mèches blondes, un front haut et pâle, le teint clair des filles de l’Est – peut-être une Polonaise, comme Perla, comme la grand-mère aussi que je n’ai pas connue et dont je porte le prénom mais qui m’a légué sa peau mate, ses cheveux noirs (tu n’auras pas de problèmes à Jérusalem, disaient David et Yaël pour me taquiner, on pourrait te prendre pour une Arabe). Alors, je ne sais pas pourquoi, je me suis levée, je me suis approchée du Mur, collée à lui les yeux fermés, les mains posées sur les pierres tièdes où poussent des herbes folles. Un instant j’ai eu l’impression qu’il me portait comme une terre. Je n’entendais plus rien, j’étais ailleurs et en même temps arrivée. Je me suis souvenu de ce que disait mon grand-père quand j’étais enfant : Dieu est partout, Sarah, comme la mer qui remplit une grotte sans être diminuée, regarde-toi dans ce miroir (le bras passé sur mes épaules il me conduisait devant le grand miroir posé sur la commode dans la chambre obscure de son appartement de Brooklyn), et maintenant dans celui-ci (il me tendait le petit face-à-main de Perla) : c’est bien toi qui est là, tu le vois, à peine plus grosse qu’une noix ou grande comme tu l’es déjà, alors si tu peux être dans deux miroirs à la fois, petite Sarah, songe à ce que peut Dieu.
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Vidéo de Gwenaëlle Aubry
Célèbre pour ses sculptures imposantes et colorées, Niki de Saint Phalle a tenté de se libérer par l'art d'une enfance meurtrie. L'autrice Gwenaëlle Aubry et l'éditrice Christine Villeneuve sont les invitées du Book Club pour évoquer sa vie.
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