Depuis la nuit des temps, pour le meilleur et pour le pire, le cheval a été l'indéfectible allié de l'homme. Maintenant qu'il n'est plus utilise, il est nécessaire. A nous qui n'avons que deux jambes, il en donne quatre, si gracieuses et musclées à la fois; à nous qui avons perdus nos illusions, il propose l'idéal politique de la force sans violence et de la justice immanente; à nous qui sommes prisonniers de nos vies modernes, il promet la liberté; à nous qui vieillissons trop vite, il restitue le paradis perdu de l'enfance; à nous qui trébuchons chaque jour, il offre, entre terre et ciel, le suprême équilibre. Il est bon avec les faibles et ne passe rien aux fanfarons. Il n'oublie rien de ce qu'on lui a confié. Il nous comprend. Il nous grandit. Il nous augmente. Et on ne sait même pas comment le remercier de tout ce qu'on lui doit.
Il serait peut-être temps de se demander pourquoi, depuis la plus haute antiquité, on a tant écrit sur le cheval. Pourquoi on ne cesse de lui consacrer, toujours plus grands, toujours plus beaux, de nouveaux livres. Pourquoi l'hippothèque universelle ressemble désormais à une étonnante tour de Babel. Et pourquoi les efforts conjugués des romanciers, des écuyers, des historiens, des essayistes, des éthologues ou des vétérinaires ne parviendront jamais à épuiser le sujet.
Certes, le cheval est inspirant. il raconte, à sa manière, l'histoire de l'humanité. Il a travaillé aussi bien à la guerre qu'à la paix. il est des villes et des champs. Il règne dans toutes les cultures, sur tous les continents, et sur tous les peuples. Il bouleverse les lois de l'esthétique. Il produit à la fois de l'énergie, du rêve et de l'art. Il est d'une beauté paradoxale, qui allie, sans les contrarier, la puissance et la grâce. Il défie le temps. Il est d'hier et de demain. De partout et de nulle part.
Mais la vraie raison pour laquelle on en finit pas d'écrire sur lui tient, selon moi, au mystère qu'il incarne, et que nul ne saurait résoudre. C'est bien ce qu'il y a de plus fascinant dans le cheval : il garde obstinément son secret.
Morand sait que parler des chevaux, c'est parler des hommes. Que le long récit de leur entente se confond avec la genèse du monde. Et que, même si l'on a cessé de vouloir la raisonner, l'expliquer, la codifier, cette entente demeure si mystérieuse qu'aucun grand écuyer n'en a jamais donné la clef. Cette anthologie d'un art est également celle d'une persistante énigme. Il n'y a rien, on le sait bien, de plus inspirant pour un écrivain.
Au retour, je m'arrête à nouveau devant son pré, sans y pénétrer. Je m'adosse à un arbre pour le regarder vivre avec nonchalance, manger de l'herbe, chasser les mouches, se frotter à un autre retraité, et pour observer aussi le cavalier que je fus lorsqu'il était mon allié, mon confident. Il m'émeut, dans sa résidence surveillée, dans son petit royaume de verdure, mon vieux monarque débonnaire qui a cessé de régner et dont je fus si heureux, si fier, d'être le vassal.
L'art, l'esthétique, le beau, elle ne les découvre qu'en montant. D'ailleurs, à pied, elle ressemble à un mec bourru, cogneur, fonceur. La grâce, elle ne l'acquiert qu'en selle, où le dressage s'apparente à de la danse classique.
Jérôme Garcin vous présente son ouvrage "Écrire et dire : entretiens avec Caroline Broué" aux éditions des Équateurs. Entretien avec Jean-Claude Raspiengeas.
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