Cette lecture nous fait voyager de San Francisco à Lima, en passant par Londres, Paris et Valparaiso et nous emmène de même de 1862 à 1910 aux côtés de la très aristocratique famille del Valle, en particulier d'Aurora, qui en est la narratrice. le roman foisonne, parfois un peu trop, de personnages, de lieux, tous reliés entre eux, chacun avec ses propres us et coutumes. le début est d'ailleurs un peu déroutant le temps de bien repérer les liens des uns et des autres. Mais ensuite, on se laisse vite emporter dans ce tourbillon où malgré les guerres, malgré les amours malheureuses, tout semble possible. Ainsi Aurora, dont la mère meurt en couches, a à la fois un père biologique qui refuse de la reconnaître quand un autre homme souhaite l'élever, un grand-père chinois qui s'occupe d'elle pendant les cinq premières années de sa vie avant qu'elle ne soit définitivement éduquée par son autre grand-mère, la richissime et plantureuse Paulina del Valle. Toute cette galerie de personnages, et d'autres encore, sans compter les nombreux voyages qu'ils entreprennent, donnent un rythme enlevé au roman et le rendent particulièrement vivant dès lors que l'on accepte parfois de s'y perdre un peu.
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La situation politique s'était stabilisée après la Guerre Civile, qui avait mis fin à des années de gouvernements libéraux. Les révolutionnaires obtinrent les changements pour lesquels tant de sang avait été versé : auparavant le gouvernement imposait son candidat en employant la corruption et l'intimidation avec l'appui des autorités civiles et militaires ; maintenant les suborneurs étaient à part égale les patrons, les curés et les partis politiques. Le système était plus juste parce que la corruption des uns était compensée par celles des autres, et elle n'était pas financée par des fonds publics. On appela cela la liberté électorale.
- Ne pouvez-vous pas oublier votre dépit ? Nous sommes tous à un âge où nous devons jeter par dessus bord les sentiments qui ne servent à rien, et garder uniquement ceux qui nous servent à vivre. La tolérance est de ceux-là, mère. Je dois beaucoup à mademoiselle Lowell, elle a été ma compagne depuis plus de quinze ans...
- Compagne , Qu'est-ce que cela signifie ?
- Simplement cela, une compagne. Elle n'est pas mon infirmière, ni ma femme, elle n'est plus ma maîtresse. Elle m'accompagne dans mes voyages, dans ma vie, et maintenant comme vous le voyez, elle m'accompagne dans la mort.
- Je veux que tu te familiarises avec mes affaires. Nous sommes dans une société matérialiste et vulgaire, qui a un respect très limité pour les femmes. Ici, tout ce qui compte c'est l'argent et les relations, c'est pourquoi j'ai besoin de toi : tu seras mes yeux et mes oreilles, annonça Paulina à son neveu, quelques mois après son arrivée.
- Je n'entends rien aux affaires.
- Moi si. Je ne te demande pas de penser, ça c'est mon travail. Toi, tu ne dis rien, tu observes, tu écoutes et tu me racontes. Ensuite, tu feras ce que je te dirai sans trop poser de questions, nous sommes d'accord ?
- Ne me demandez pas de faire des entourloupettes, ma tante répondit dignement Severo.
- Je vois qu'on t'a raconté des méchancetés sur moi...Ecoute, petit, les lois ont été inventées par les puissants pour dominer les faibles, qui sont beaucoup plus nombreux. Je ne suis pas obligée de les respecter. J'ai besoin d'un avocat en lequel je puisse avoir une totale confiance, pour faire ce que bon me semble sans avoir de problèmes.
Vers le milieu de l'année 1880, le ministre de la guerre et de la marine mourut d'une attaque cérébrale en pleine campagne du désert, plongeant le gouvernement dans une confusion totale. Le Président finit par nommer un civil à sa place, Don José Francisco Vergara, l'oncle de Nivea, voyageur infatigable et lecteur vorace, qui eut pour tâche d'empoigner le sabre à quarante six ans pour conduire la guerre. Il fut parmi les premiers à faire remarquer que, tandis que le Chili poursuivait sa conquête vers le nord, l'Argentine leur grappillait tranquillement la Patagonie au sud, mais personne ne l'écouta, parce que ce territoire était considéré comme aussi peu utile que la lune. Vergara était quelqu'un de brillant, qui avait de bonnes manières et une vaste mémoire. Tout l'intéressait, de la botanique jusqu'à la poésie, il était incorruptible et n'avait aucune ambition politique. Il planifia la stratégie belliqueuse avec le calme et la minutie avec lesquels il menait ses affaires. Malgré la méfiance des militaires, et à la surprise générale, il conduisit les troupes chiliennes directement jusqu'à Lima. Comme le dit sa nièce Nivea : " La guerre est une affaire trop sérieuse pour la confier aux militaires. " La phrase sortit du cercle familial pour devenir un de ces jugements lapidaires qui un jour font partie de la petite histoire d'un pays.
Santiago était une belle ville située dans une vallée fertile, entourée de montagnes rouges en été et recouvertes de neige en hiver, une ville paisible, somnolente où l'air sentait un mélange de jardins fleuris et de crottin de cheval. Elle avait l'aspect d'une ville française, avec ses arbres centenaires, ses places, ses fontaines mauresques, ses portes cochères et ses passages, ses femmes élégantes, ses jolies boutiques où l'on vendait les plus beaux articles importés d'Europe et d'Orient, ses promenades et allées où les riches se montraient dans leurs voitures et sur leurs magnifiques chevaux.
Film documentaire sur Isabel Allende - 2007 - en espagnol avec des sous-titres en anglais