A une époque maintenant assez lointaine, ne disposant pas de liste interminable de titres et d'auteurs à lire continûment alimentée suite à mes longues déambulations virtuelles au coeur de la blogosphère littéraire, je m'accrochais, pour assouvir mon insatiable besoin de lire (parce qu'à ce stade, ce n'est même plus une passion), à ce que je considérais comme des "valeurs sûres", comprenez des auteurs déjà lus et appréciés...
C'est ainsi que je me suis à plusieurs reprises tournée vers
Pierre Bourgeade, dont l'oeuvre, très éclectique, fut la source d'une satisfaction fluctuante... depuis, mes pratiques livresques sont devenues papillonnantes (il y a tant à lire, et si peu de temps), mais c'est avec plaisir que j'ai retrouvé cet écrivain inclassable à l'occasion de l'activité "Un mois, un éditeur" organisée par Sandrine, les éditions Tristram étant en ce mois de novembre à l'honneur.
Françoise d'Elbée, mariée à un grand banquier parisien, est mère de deux jeunes enfants. Elle-même est issue d'une riche famille bourgeoise, dont elle a reçu une éducation puritaine, dénuée de toute affection. Passive, vide d'émotions, de sentiments et de désirs, elle subit une existence dont elle est comme absente. Vierge au moment de son mariage, ses rares ébats avec son époux l'ont confortée dans ce vague dégoût qu'elle éprouve pour le corps -qu'il s'agisse de celui des autres ou du sien-, source de méconnaissance et de désintérêt.
Françoise vit, ou plutôt végète dans une bienséance mortifère...
Et puis... tout bascule. Comme chaque été, elle se rend, une semaine avant le reste de sa famille, dans leur maison de vacances, à
Ramatuelle. Peu avant son arrivée, elle est témoin, sur la route, du viol et du meurtre perpétrés par deux jeunes hommes qui font basculer leur victime prisonnière de son véhicule dans un ravin, où il explose. Contre toute attente, l'héroïne évoque, face aux forces de l'ordres survenues sur les lieux, un accident, dédouanant les agresseurs, qu'elle invite de surcroît chez elle.
C'est Françoise elle-même qui, à l'issue de l'aventureuse semaine passée avec les deux hommes, couche sur le papier, d'une écriture tranchante et serrée, les événements qui l'ont ponctuée. Au cours de ces quelques jours, elle s'est libérée des carcans dans lesquels l'avait enserrée son éducation, accueillant la brutalité de ses compagnons avec une sorte de curiosité distante, devenant leur objet sexuel et la complice de leurs délits.
Son récit est empreint d'un étrange détachement, dépourvu de toute notion de bien ou mal, comme si le vide émotionnel de sa vie l'avait amputée de tout discernement moral. Son témoignage est par ailleurs émaillé de souvenirs macabres et incongrues (visions de cadavres, de scènes de tortures diffusées à la télévision...) qui le rendent d'autant plus perturbant.
Et c'est bien là que réside la force de ce texte, dans sa capacité à susciter à la fois fascination et malaise, face à cette femme qui plonge dans ce déraisonnable et dangereux abandon, dans cette sensualité violente et implacable -à l'image du soleil de plomb qui brille sur
Ramatuelle- qui ne semble même pas lui procurer quelque plaisir, mais la conforte dans le fait qu'elle est passée à côté du sel de la vie, et qu'elle est irrémédiablement anesthésiée à toute sensation, qu'elle soit bonne ou mauvaise...
"
Ramatuelle", dont le format est celui d'une novella, souffre quelque peu de cette brièveté, la rapidité avec laquelle s'enchaînent les événements amoindrissant leur crédibilité. J'ai malgré tout apprécié sa dimension sulfureuse et son ton original.
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