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EAN : 9782070324941
305 pages
Gallimard (03/11/1988)
3.79/5   51 notes
Résumé :
Le génie de Paul Valéry - l'un des esprits les plus puissants et les plus lucides du siècle - a été non pas seulement de penser tout ce qui traversait son esprit, mais de le repenser, et en particulier les notions qu'il avait reçues ou qu'il s'était, comme tout le monde, formées, et qui servent aux groupes humains à réfléchir sur leurs relations.
Comme tout lui était objet de pensée, il a réuni ici, des essais, au sens véritable du terme, dont le dessein est ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Pour moi Paul Valéry restera le poète de "la feuille blanche", texte qui para mon sous-main de bureau durant près de dix ans. Depuis, j'ai appris à mieux connaître ce poète perfectionniste, cet écrivain précis, cet intellectuel à la culture immense et ce penseur inquiet ; avec ses qualités et ses défauts.

Dans son "Regard sur le monde actuel et autres essais", il décortique avec profondeur, finesse et précision le monde qui l'entoure en 1931. Dans une langue policée qui rappelle sa poésie, il porte en effet "des" regards à la fois inquiets et lucides sur des sujet aussi vastes que L Histoire, la liberté de pensée, la Modernité, le développement technologique et la mondialisation, la valeur travail, l'art, l'identité de la France...

Quel travail ! Son entraînement permanent de l'esprit porte ici ses fruits... dans une somme de réflexions et une prise de recul qui, du coup les rendent formidablement contemporaines presque 90 ans plus tard ! Et cela malgré un style, une référence à certaines valeurs traditionnelles terriennes et à une "certaine idée de la France" qui donnent aussi à l'ouvrage une valeur de référence classique ou historique... Paul Valery n'est pas un surréaliste ni un avant-gardiste : il voit loin , mais reste ancré dans son temps.

Un excellent moment de lecture donc... de ceux où l'on a le sentiment, comme avec Montaigne, Hugo ou Malraux, de recueillir directement de leur bouche, dans l'intimité de notre chambre ou salon, les meilleurs fruits de l'intelligence collective humaine.
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Toute société qui se réclame de quelque profondeur a besoin d'une certaine somme de penseurs, intelligences littéraires, solitaires, régulières, qu'elle devrait prendre pour exemples, dont la voix, si distanciée qu'elle est intempestive, modère ses ardeurs improvisées et s'attache, par le fond et par la forme, à instruire un ordre au moyen de spirituelles valeurs. Ces hommes, qu'une modulation stylistique associe au repos mais qu'une effervescence mentale rapporte à l'insatiable volonté d'inédit, placent dès leur vivant l'écriture dans une temporalité posthume, leurs écrits leur requérant tant de travail et des parachèvements qu'ils s'avèrent peu compatibles avec la soif du grand public pour des papiers uniquement ludiques et surprenants, en sorte qu'on respire en ces pages une fragrance de postérité et d'essentiel où je n'attribue, moi, nulle senteur de vieillerie languide et qu'il faut nettement distinguer d'avec elle ; ce ne sont pas des textes de vieillards et ampoulés faits pour l'illusion de la hauteur selon une certaine saveur morale qu'on impute aux haleines lentes et moribondes, textes n'apportant nulle innovation et s'essoufflant en poses grises – des ennuis « sages ». On respecte trop d'emblée ces autorités au prétexte que leurs poussières, sentant le renfermé, sont vénérables ; or, pour qu'elles méritent l'autorité, il faut le moindrement de concerner la vie, mais leur littérature est tout entière pour la stagnation, pour le ressassement stérile, et pour – la mort.
– Feuilletant ce recueil après l'avoir lu, je trouve bientôt, sans avoir songé au préalable aux correspondances de ce que je ne m'apprêtais pas encore à écrire : « On voit d'importantes publications, des revues (jadis très vivantes) d'au-delà les frontières, qui sont remplies maintenant d'articles d'érudition insupportables ; on sent que la vie s'est retirée de ces recueils, qu'il faut cependant faire semblant d'entretenir la vie intellectuelle. » (page 231) – n'est-ce pas ce que j'écrivais récemment, au sujet d'un certain magazine ? –
Nombre d'auteurs, philosophes, poètes, considérés à tort comme des classiques parce que « universels » en la cadence appesantie et comme caduque de leurs piétinements ne furent que d'involontaires ou astucieux esprits qui eurent le goût d'imiter un parfum terreux – je pense notablement à Pascal, et à d'autres que je me suis abstenu de lire en entier. Emprunter la pâleur reculée du défunt, se maquiller de cendres, et s'arroger la victoire de l'aïeul que le rite ordonne à la place d'honneur, affecter la raucité égrotante d'une gorge de péroraison à dessein d'occuper le siège du simulacre qu'autrui se défend par prudence de contester, obtenir la faveur d'être la statue inutile au bout de la table qu'un usage ignore encore bien plus qu'il ne considère, c'est l'objectif ultime de ces Immortels qui peuvent prétendre à l'insigne satisfaction d'avoir toujours été jugé à part parce qu'ils n'ont jamais été en rien dans une société ni même dans une existence, ou alors seulement dans un rôle. Je réprouve ces figures de porcelaine d'aspect hiératique mais si fragiles qu'on les éraille en les époussetant – comme je fais en les commentant après les avoir lues.
Or, Valéry, dont le flegme rigoureux et la portée visionnaire font penser à Tocqueville, est de ces rares êtres détachés de mode, pourtant impliqués de réflexion, dont la posture critique se situe en même temps dans l'intériorité et le progrès, c'est-à-dire, pour ainsi dire, dans et au-delà de l'existence, jamais en-dehors d'être. J'entends que sa parole est généralement profonde et utile, que son propos est de préoccupation et non de contemplation, qu'on sent dans la plupart de ses articles l'esprit qui s'efforce à des mises au point nouvelles et se risque à des prédictions, suivant une manière, peut-être un peu pompeuse surtout par souci d'exactitude, qui ne s'attache ni au heurt ni à la réclame – c'est peut-être aussi, en quelque sorte, un défaut d'engagement, une forme de lâcheté (ne pas « ferrailler », s'en tenir aux tons de conciliation et d'hypothèse, prudent et cérémonieux). Je crois que Valéry ne voulait rien devoir à une façon d'aventurer des propositions dont la réalisation eût été secondaire par rapport à l'effet d'audace et de prétention.
Voici l'un de ces derniers attachés à la vérité contemporaine, à la vérité de son temps, homme patient et moins complaisant que ce que son timbre de doute obséquieux peut faire entendre. Sa sagacité est claire, méthodique, rationnelle, posant ses observations acérées en formulations plus inattaquables que conciliantes, en synthèses redoutables et incontestables, sur la politique moderne et parlementaire par exemple comme dans :
« le résultat des luttes politiques est de troubler, de falsifier dans les esprits la notion d'ordre d'importance des questions et de l'ordre d'urgence. Ce qui est vital est masqué par ce qui est de simple bien-être. Ce qui est d'avenir par l'immédiat. Ce qui est très nécessaire par ce qui est très sensible. Ce qui est profond et lent par ce qui est excitant. Tout ce qui est de la politique pratique est nécessairement superficiel. » (page 51)
« On ne peut faire de politique sans se prononcer sur des questions que nul homme sensé ne peut dire qu'il connaisse. Il faut être infiniment sot ou infiniment ignorant pour oser avoir un avis sur la plupart des problèmes que la politique pose. » (page 52)
Ceci parvient notamment à annoncer, perspicace, sans péremptoire, l'ère prochaine de la spiritualité en péril, abîmée par l'imprévisible frénésie des échanges et des stimulations (c'est où l'on reconnaît le plus, je trouve, une parenté avec Tocqueville) :
« Je suis près d'en conclure que la liberté politique est le plus sûr moyen de rendre les hommes esclaves, car ces contraintes sont supposées émaner de la volonté de tous, qu'on ne peut guère y contredire, et que ce genre de gênes et d'exactions imposées par une autorité sans visage, tout abstraite et impersonnelle, agit avec l'insensibilité, la puissance froide et inévitable d'un mécanisme, qui, depuis la naissance jusqu'à la mort, transforme chaque vie individuelle en élément indiscernable de je ne sais quelle existence monstrueuse. » (page 70)
« Parmi les victimes de la liberté, les formes, et dans tous les sens du terme, le style. Tout ce qui exige un dressage, des observances d'abord inexplicables, des reprises infinies ; tout ce qui mène, par contrainte, d'une liberté de refuser l'obstacle à la liberté supérieure de le franchir, tout ceci périclite, et la facilité couvre le monde de ses oeuvres. Une histoire véritable des arts montrerait combien de nouveautés, de prétendues découvertes et hardiesses ne sont que des déguisements du démon de la moindre action. » (page 72)
« La liberté dans notre temps n'est, et ne peut être, pour la plupart des individus, qu'apparence. Jamais l'État le plus libéral par l'essence et les affirmations, n'a plus étroitement saisi, défini, borné, scruté, façonné, enregistré les vies. Davantage : jamais le système général de l'existence n'a pesé si fortement sur les hommes, les réduisant par des horaires, par la puissance des moyens physiques que l'on fait agir sur leurs sens, par la hâte exigée, par l'imitation imposée, par l'abuse de la « série », etc., à l'état de produit d'une certaine organisation qui tend à les rendre aussi semblables que possible jusque dans leurs goûts et dans leurs divertissements. Nous sommes des esclaves d'un fonctionnement dont les gênes ne cessent de croître, grâce aux moyens que nous créons d'agir de plus en plus largement sur les milieux communs de la vie. » (pages 87-88)
« Peut-être faut-il déplorer aujourd'hui l'intervention de diverses causes de corruption de nos moeurs littéraires et de confusion de valeurs. Une littérature vaut ce que vaut le lecteur : tout ce qui diminue celui-ci en tant que sensible à la qualité du langage, capable d'attention soutenue, sceptique à l'égard des jugements qu'on lui veut imposer tout formés, est funeste à la belle tenue des lettres. C'est dire que la publicité commerciale, la facilité et la rapidité des spectacles composés d'images directes, l'institution des prix littéraires, le désir de faire impression par la seule surprise, d'agir par le neuf à tout coup, par le choc des termes et les rapprochements abrupts, enfin la multiplication des ouvrages, ne sont pas des conditions toutes favorables à la formation du public le plus sensible aux délicatesses et aux profondeurs de l'art. l'époque ne sait plus prendre la peine de jouir. » (pages 178-179)
Sa révolutionnaire clairvoyance reconnaît, avec une sorte de courtoisie accusatrice, ce que nos sciences humaines, surtout l'histoire, manquent de méthode et d'objectivité :
« Me résumant mes impressions, je me disais qu'une partie des oeuvres historiques s'applique et se réduit à nous colorer quelques scènes, étant convenu que ces images doivent se placer dans le « passé ». Cette convention a de tout temps engendré de très beaux livres ; et parmi ces livres, il n'y a pas lieu de distinguer (puisqu'il ne s'agit que du plaisir ou de l'excitation qu'ils procurent), entre ceux de témoins véritables et ceux de témoins imaginaires. Ces ouvrages sont parfois d'une vérité irrésistible ; ils sont pareils à ces portraits dont les modèles sont poussière depuis des siècles, et qui nous font toutefois crier à la ressemblance. Rien, dans leurs effets instantanés sur le lecteur, ne permet de distinguer, sous le rapport de l'authenticité, entre les peintures de Tacite, de Michelet, de Shakespeare, de Saint-Simon ou De Balzac. On peut à volonté les considérer tous comme inventeurs, ou bien tous comme reporteurs. (page 12) »
Autant de propos qui, pour sévères, sont étayés avec une scrupuleuse considération, si irréfragables que les conclusions en paraissent presque encore de l'indulgence : Valéry, c'est la stratégie du sapeur distingué, dons les fissurations iconoclastes se dissimulent sous une langue élégante qu'on peine à honnir et à contester, parce que la bienveillance, la condescendance, en masque l'écrasant éclair.
Mais on sent néanmoins l'homme qui s'inquiète, qui travaille et qui scrute : regard serré, puissance et agilité, qui s'entretient la pointe et l'esprit en écrivant, qui se détermine à être en pensée, qui s'enrichit de ce qu'il déduit, pour qui le partage est accessoire, qui se préoccupe peu d'être entendu par d'autre que lui-même, et qui cependant respecte tant la haute prestance de son devoir qu'il ne fait pas défaut, pour ainsi dire, de se vouvoyer l'âme.
Je soupçonne que c'est particulièrement dans les essais de Valéry qu'il faudra chercher des pièces de génie – probable que beaucoup a été négligé dans ses milliers de pages de cahiers, comme cette réflexion sur le peu de fondements de l'histoire et dont l'histoire même, que je sache, ne s'est guère inspirée, n'ayant pas conduit de réforme depuis plus d'un siècle qu'existe l'article. Je redoute que la poésie, ainsi que les proses plus introspectives – il faudra cependant que je tente –, soient destinées à l'écueil d'une contemplation de longue vacuité ou de joli style, car Valéry me semble d'un exercice trop ponctuel, selon ce que j'ai déduit – on perçoit assez les passages où il écrit, où il se sait écrire, où il écrit en attendant d'écrire, où l'écriture devient un rituel consciencieux au lieu d'une nécessité d'exprimer l'Important –, pour ne pas tendre à certaines Lettres empesées, dont on sent ici parfois, dans la tonalité d'articles de circonstances et manifestement de commande, la solennité superfétatoire, mais au moins, dans la forme même de l'article, toujours propre à inspecter au-delà. Ce regard pénétrant est ce qui risque de ne pas se rencontrer impératif dans d'autres genres, en ce que, dans l'essai, l'exigence de progression est constitutive de sa qualité même et conditionne le flux de l'auteur : il faut, en somme, avoir quelque chose à dire, ou l'écrivain, suffisamment attentif et expérimenté, se sent décrocher et décliner, se méprise et se corrige aussitôt. Je suppose surtout que Valéry fût bavard par défaut de sélection : il avait besoin d'écrire, c'était son usage, façon d'engagement d'esprit, maintien intellectuel, dépassement perpétuel, mais si l'article contraint à une progression des idées dont la paralysie se voit et s'accuse, autant la poésie peut vite revenir à un désoeuvrement quand elle s'impose comme une habitude – on fait ainsi des pièces de pur raffinement sans avoir à trouver de message bien personnel à transmettre. Il y a en cela de l'enfant sage dans la sage maturité de Valéry, du scolaire qui se démêle mal du stellaire, que je situe en sa disposition à une « manie » de l'écriture sans en envisager l'utilité et donc en mesurer la hauteur – il écrit sans distinction autant de choses grandes que petites, et les petites, qui ne sont certes jamais minuscules, sont atermoyées pour le résumé qu'on en peut faire, et plus qu'il n'en faudrait si l'acuité de l'auteur rapportait à l'importance des écrits l'abondance des moyens : il y a déjà dans cet ouvrage des disproportions sensibles, et, j'ose dire, quelques essais entiers qui, pour élégants et précis, ne font presque pas de révélation et se contentent de délayer une pensée à laquelle quelque forme d'aphorisme, plus lapidaire et ferme, conviendrait mieux, et, d'ailleurs, que plus nettement elle rigidifierait.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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A priori, rien ne semble plus étranger à Paul Valéry que l’actualité politique. « Ce petit recueil se dédie de préférence aux personnes qui n’ont point de système et sont absentes des partis ; qui par là sont libres encore de douter de ce qui est douteux et de ne point rejeter ce qui ne l’est pas », écrit-il pour commencer. On sait peu de chose sur ses opinions. S’il était passablement engagé dans la vie politique au sens noble du terme, il ne l’était pas du tout dans la diffusion des opinions et après la lecture de ce livre je continue de me poser beaucoup de questions. Je comprendrais, par exemple, et j’admettrais même qu’on le range parmi les conservateurs, mais ça ne l’a pas empêché d’écrire cette phrase définitive : «Prenons garde d’entrer dans l’avenir à reculons ». « Un esprit vraiment libre ne tient guère à ses opinions », écrit-il encore.
Ces précautions prises pour dire que « Regards sur le monde actuel » n’est pas fait pour exposer des opinions mais des perceptions, ce ne sont que des « regards ». Valery n’utilise jamais (ou alors très peu, je n’en ai relevé aucun) les fameux mots en « -isme ». Il écrit sur beaucoup de sujets, sur les changements ahurissants du monde, sur la « nation », la « liberté », les dictatures, sur l’Europe, la France, dans ses aspects culturels, géographiques, historiques, sur ses rapports avec l’Orient, les colonies. Mais jamais il n’est question de mondialisme, de nationalisme, de libéralisme, de colonialisme, etc. Ces mots de théorisation idéologique n’appartiennent pas à son vocabulaire.
En m’attardant sur un seul aspect, je ne voudrais pas donner une fausse image de ces divers essais, mélange de préfaces, de conférences, de réflexions, de proses intellectuelles, de textes plus aphoristiques ou poétiques. On trouve de tout, mais il y a quand même quelques idées maîtresses qui reviennent dans plusieurs de ces écrits de l’entre-deux-guerres. Une pensée globale sur le progrès, sur le trépignement incessant du monde depuis la révolution industrielle, sur la place de plus en plus écrasante faite à l’actualité, et les dangers de se détourner complètement de l’Histoire. Sur l’importance, aussi, de penser cette Histoire différemment dans un monde devenu compliqué et imprévisible, non plus en termes d’évènements mais d’évolution, de création permanente.
Paul Valéry avait sûrement des idées toutes personnelles mais je trouve que ses perceptions sont parfois proches de celles de Walter Benjamin. Il a l’avantage d’être moins dogmatique que ce dernier.
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Un livre assez hétérogène, tantôt limpide, tantôt abrupt, tantôt analytique, tantôt descriptif. Il consiste en une compilation plus ou moins ordonnée d'écrits, soit spontanés, soit sollicités (préfaces, articles) de l'auteur mêlant intrinsèquement politique et philosophie dans son appréciation des forces à l'oeuvre en Occident, et plus particulièrement en France, en cette veille de Seconde Guerre mondiale.

L'auteur se montre plus ou moins visionnaire selon les chapitres. S'il est en effet assez troublant de le voir redouter dès cette époque l'équivalent de la fameuse et non moins fâcheuse « cancel culture », on lit avec une certaine ironie l'espoir de voir la jeune nation américaine devenir le sanctuaire de la culture européenne, abandonnée peu à peu par son espace d'épanouissement historique. Les textes sont travaillés par cette aspiration profonde de caractériser concrètement, au-delà de l'emphase patriotique, les concepts qui fondent notre identité : la nation, la France, l'Europe, etc… Ils témoignent d'un doute existentiel qui, contrairement à ce que l'on croit, n'est pas une angoisse récente liée à la mondialisation mais une blessure gravissime reçue par notre civilisation durant la Grande Guerre, qui n'est pas encore guérie et ne le sera peut-être jamais si elle continue à être mal traitée. Valéry, parmi d'autres, contribue très tôt à cette tentative de convalescence en tâchant d'exprimer ce qui fait à la fois notre unité d'Européens et notre spécificité de Français, dans un contexte pour le moins tendu puisque les sous-entendus de beaucoup de textes, lourds d'ambiguïté inquiète, prennent avec leur datation finale, frôlant par endroits l'année 1939, un caractère prémonitoire. le chapitre « Images de la France », assez court, m'a particulièrement marqué : il défend l'idée d'un caractère proprement français largement déterminé par les caractéristiques géographiques de notre territoire.

Les thématiques sont assez diverses, les chapitres se classent globalement entre les dominantes géopolitiques (Europe, Chine, Amérique), culturelles (littérature, art, langue) et politiques (esprit des lois, des partis). Tout n'est pas passionnant, loin de là, quoique l'écriture impeccable et précise de l'auteur, même s'il peut arriver qu'il s'aventure dans le jargon philosophique pénible, en atténue heureusement l'effet, en mobilisant par exemple des images poétiques, justes mais étonnantes dans ce contexte, et en faisant appel à l'imagination du lecteur. Cela étant, l'auteur rechigne un peu à proposer des exemples concrets et développés, puisés dans l'histoire ou dans la littérature, de ce qu'il avance, ce qui complexifie la compréhension des idées et laisse souvent le propos dans une abstraction peu praticable. Un long chapitre est consacré à l'importance de la notion d'« esprit », qui laisse perplexe à bien des égards ; les derniers chapitres rendent compte d'expositions ou de projets de centres universitaires dont l'intérêt est désormais extrêmement relatif. Plutôt qu'à une lecture « normale », c'est-à-dire chronologique et exhaustive, c'est donc plutôt à une lecture thématique, aiguillée par des titres de textes assez explicites sur leur contenu, que l'oeuvre semble se prêter.
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Je ressors de la lecture de ce recueil d'essais avec une impression mitigée. Il y a comme un parfum de vieille France qui se ressent lorsqu'on lit ces textes, qui ont plus d'un siècle pour certains. Des idées éculées, des mots dont le sens s'est transformé et d'autres dangereux pour notre représentation du monde. Il y a des analyses de Paul Valéry que l'on déguste, tellement elles paraissent loin, très loin des réalités de notre monde actuel. Ces analyses - parfois fastidieuses - ne perdent pas tout intérêt, puisqu'au moins nous pouvons nous amuser au petit jeu des comparaisons. Plus triste cependant : la mise en garde contre toute pensée intellectuelle rapportée aux nations, alors que Valéry s'y essaye longuement avec la France.


Mais impossible de passer à côté de quelque phrase, quelque paragraphe d'un intérêt crucial pour nous, lecteurs et lectrices. Impossible également de ne pas tomber sous le charme de l'ironie subtile de l'auteur, de la puissance de son esprit ainsi que de sa capacité d'auto-dérision. On pense parfois perdre son temps à la lecture de cet ouvrage, mais cela n'est qu'une impression.
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Citations et extraits (58) Voir plus Ajouter une citation
L’homme moderne est l’esclave de la modernité : il n’est point de progrès qui ne tourne à sa plus complète servitude. Le confort nous enchaîne. La liberté de la presse et les moyens trop puissants dont elle dispose nous assassinent de clameurs imprimées, nous percent de nouvelles à sensations. La publicité, un des plus grands maux de ce temps, insulte nos regards, falsifie toutes les épithètes, gâte les paysages, corrompt toute qualité et toute critique, exploite l’arbre, le roc, le monument et confond sur les pages que vomissent les machines, l’assassin, la victime, le héros, le centenaire du jour et l’enfant martyr.
Il y a aussi la tyrannie des horaires.
Tout ceci nous vise au cerveau. Il faudra bientôt construire des cloîtres rigoureusement isolés, où ni les ondes, ni les feuilles n’entreront ; dans lesquels l’ignorance de toute politique sera préservée et cultivée. On y méprisera la vitesse, le nombre, les effets de masse, de surprise, de contraste, de répétitions, de nouveauté et de crédulité. C’est là qu’à certains jours on ira, à travers les grilles, considérer quelques spécimens d’hommes libres.
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L'homme qui a un emploi, l'homme qui gagne sa vie et qui peut consacrer une heure par jour à la lecture, qu'il la fasse chez lui, ou dans le tramway, ou dans le métro, cette heure est dévorée par les affaires criminelles, les niaiseries incohérentes, les ragots et les faits moins divers, dont le pêle-mêle et l'abondance semblent faits pour ahurir et simplifier grossièrement les esprits. Notre homme est perdu pour le livre... Ceci est fatal et nous n'y pouvons rien.
Tout ceci a pour conséquences une diminution réelle de la culture; et, en second lieu, une diminution réelle de la véritable liberté de l'esprit, car cette liberté exige au contraire un détachement, un refus de toutes ces sensations incohérentes ou violentes que nous recevons de la vie moderne, à chaque instant.
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Les événements ne sont que l’écume des choses. Les réflexions que l’ont fait sur eux sont fallacieuses, et les prétendues leçons qu’on tire de ces faits éclatants sont arbitraires et non sans danger. Nous savons ce que nous ont coûté, en 1940 comme en 1914, les « enseignements » des guerres précédentes. Il suffit, du reste, de songer à l’infinité des coïncidences que tout « événement » compose pour se convaincre qu’il n’y a pas à raisonner sur eux ; ceux qui en raisonnent ne peuvent le faire que moyennant des simplifications grossières et les analogies verbales et superficielles qu’elles permettent. Mais l’esprit, aujourd’hui, doit préserver toute sa lucidité. Si l’intelligence française possède les vertus de clarté que l’on dit, jamais occasion plus pressante de l’exercer ne lui a été offerte. Il s’agit d’essayer de concevoir une ère toute nouvelle. Nous voici devant un désordre universel d’images et de questions. Il va se produire une quantité de situations et de problèmes tout inédits, en présence desquels presque tout ce que le passé nous apprend est plus à redouter qu’à méditer. C’est d’une analyse approfondie du présent qu’il faut partir, non pour prévoir les événements sur lesquels, ou sur les conséquences desquels, on se trompe toujours, mais pour préparer, disposer ou créer ce qu’il faut pour parer aux événements, leur résister, les utiliser. Les ressources des organismes contre les surprises et les brusques variations du milieu sont d’un grand exemple.
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Toutes les nations ont des raisons présentes, ou passées, ou futures de se croire incomparables. Et d’ ailleurs, elles le sont. Ce n’ est pas une des moindres difficultés de la politique spéculative que cette impossibilité de comparer ces grandes entités qui ne se touchent et ne s’ affectent l’ une l’ autre que par leurs caractères et leurs moyens extérieurs. Mais le fait essentiel qui les constitue, leur principe d’ existence, le lien interne qui enchaîne entre eux les individus d’un peuple, et les générations entre elles, n’ est pas, dans les diverses nations, de la même nature. Tantôt la race, tantôt la langue, tantôt le territoire, tantôt les souvenirs, tantôt les intérêts, instituent diversement l’ unité nationale d’ une agglomération humaine organisée. La cause profonde de tel groupement peut être d’ espèce toute différente de la cause de tel autre.

Il faut rappeler aux nations croissantes qu’ il n’ y a point d’ arbre dans la nature qui, placé dans les meilleures conditions de lumière, de sol et de terrain, puisse grandir et s’ élargir indéfiniment.
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Un livre assez hétérogène, tantôt limpide, tantôt abrupt, tantôt analytique, tantôt descriptif. Il consiste en une compilation plus ou moins ordonnée d’écrits, soit spontanés, soit sollicités (préfaces, articles) de l’auteur mêlant intrinsèquement politique et philosophie dans son appréciation des forces à l’œuvre en Occident, et plus particulièrement en France, en cette veille de Seconde Guerre mondiale.

L’auteur se montre plus ou moins visionnaire selon les chapitres. S’il est en effet assez troublant de le voir redouter dès cette époque l’équivalent de la fameuse et non moins fâcheuse « cancel culture », on lit avec une certaine ironie l’espoir de voir la jeune nation américaine devenir le sanctuaire de la culture européenne, abandonnée peu à peu par son espace d’épanouissement historique. Les textes sont travaillés par cette aspiration profonde de caractériser concrètement, au-delà de l’emphase patriotique, les concepts qui fondent notre identité : la nation, la France, l’Europe, etc… Ils témoignent d’un doute existentiel qui, contrairement à ce que l’on croit, n’est pas une angoisse récente liée à la mondialisation mais une blessure gravissime reçue par notre civilisation durant la Grande Guerre, qui n’est pas encore guérie et ne le sera peut-être jamais si elle continue à être mal traitée. Valéry, parmi d’autres, contribue très tôt à cette tentative de convalescence en tâchant d’exprimer ce qui fait à la fois notre unité d’Européens et notre spécificité de Français, dans un contexte pour le moins tendu puisque les sous-entendus de beaucoup de textes, lourds d’ambiguïté inquiète, prennent avec leur datation finale, frôlant par endroits l’année 1939, un caractère prémonitoire. Le chapitre « Images de la France », assez court, m’a particulièrement marqué : il défend l’idée d’un caractère proprement français largement déterminé par les caractéristiques géographiques de notre territoire.

Les thématiques sont assez diverses, les chapitres se classent globalement entre les dominantes géopolitiques (Europe, Chine, Amérique), culturelles (littérature, art, langue) et politiques (esprit des lois, des partis). Tout n’est pas passionnant, loin de là, quoique l’écriture impeccable et précise de l’auteur, même s’il peut arriver qu’il s’aventure dans un jargon philosophique pénible, en atténue heureusement l’effet, en mobilisant par exemple des images poétiques, justes mais étonnantes dans ce contexte, et en faisant appel à l’imagination du lecteur. Cela étant, l’auteur rechigne un peu à proposer des exemples concrets et développés, puisés dans l’histoire ou dans la littérature, de ce qu’il avance, ce qui complexifie la compréhension des idées et laisse souvent le propos dans une abstraction peu praticable. Un long chapitre est consacré à l’importance de la notion d’« esprit », où l'on a un peu de mal à s'y retrouver ; les derniers chapitres rendent compte d’expositions ou de projets de centres universitaires dont l’intérêt est désormais extrêmement relatif. Plutôt qu’à une lecture « normale », c’est-à-dire chronologique et exhaustive, c’est donc plutôt à une lecture thématique, aiguillée par des titres de textes assez explicites sur leur contenu, que l’œuvre semble se prêter.
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Videos de Paul Valéry (45) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Paul Valéry
https://www.laprocure.com/product/1525906/chevaillier-louis-les-jeux-olympiques-de-litterature-paris-1924
Les Jeux olympiques de littérature Louis Chevaillier Éditions Grasset
« Certains d'entre vous apprendrez que dans les années 1912 à 1948, il y avait aux Jeux olympiques des épreuves d'art et de littérature. C'était Pierre de Coubertin qui tenait beaucoup à ces épreuves et on y avait comme jury, à l'époque, des gens comme Paul Claudel, Jean Giraudoux, Paul Valéry et Edith Wharton. Il y avait aussi des prix Nobel, Selma Lagerlof, Maeterlinck (...). C'était ça à l'époque. C'était ça les années 20. Et c'est raconté dans ce livre qui est vraiment érudit, brillant et un vrai plaisir de lecture que je vous recommande. » Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
+ Lire la suite
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