la mort vient de la naissance, la naissance vient des actes, les actes de l’attachement, l’attachement du désir, le désir de la perception, la perception de la sensation, la sensation des six organes des sens, les six organes des sens de l’individualité, l’individualité de la conscience. Les actes sont conditionnés par l’attachement, ils sont commis au nom d’un besoin né de l’imagination, qui asservit l’individu et le pousse à agir comme il le fait ; l’attachement est conditionné par le désir, lequel précède l’habitude ; le désir est conditionné par la perception, on ne désire jamais ce que l’on ne connaît pas, et s’il y a désir, c’est en raison de la perception soit d’un plaisir auquel on aspire, soit d’une douleur que l’on abhorre, l’un et l’autre étant comme l’avers et le revers d’une même pièce ; la perception est elle-même conditionnée par la sensation, la sensation d’une brûlure au doigt n’est pas perçue immédiatement, car la sensation procède du contact des six organes des sens (l’œil, l’oreille, le nez, la langue, le corps, le cerveau) avec les objets qui les sollicitent, ainsi le doigt n’est pas brûlé s’il n’entre pas en contact avec la flamme...
Le karma vient de l’ignorance, et l’ignorance vient des compositions mentales. Le karma est la mise en œuvre de la loi inexorable, inflexible qui lie l’acte à l’effet, la vie présente à la prochaine ; le karma explique tout ce qui concerne le monde des êtres vivants, animaux ou hommes, le pouvoir des rois, la beauté des femmes, la splendide queue du paon, les dispositions morales de chacun ; le karma est l’héritage de toute créature animée, le ventre qui l’a portée, le ventre auquel elle doit recourir ; c’est la racine de l’éthique, car ce que nous avons été fait ce que nous sommes aujourd’hui. Si un homme connaît l’éveil, atteint à la perfection de la sagesse suprême et au nirvana, c’est parce que son karma s’est accompli et que cet accomplissement était inscrit dans son karma ; si un homme persiste dans la voie de l’ignorance, de la colère, de la stupidité et de la convoitise, c’est parce que son karma ne s’est pas encore accompli et que ce non-accomplissement y était inscrit de la même façon.
Étant ce qu’ils sont, les hommes sont esclaves des plaisirs de la chair, actes hérités du karma de convoitises et de pensées concupiscentes antérieures ; étant ce qu’elles sont, les femmes sont les vaisseaux innocents de la renaissance humaine incarnée et personnifiée, brassées de plaisirs dont l’homme n’est jamais rassasié. Mutuellement attirés, victimes les uns comme les autres de leur karma, qui les construit puis les détruit, sans un Moi qui puisse dire non en la matière, les hommes et les femmes font rouler la roue de la mort par amour du contact des corps, par orgueil et désir de bonheur.
Un homme ne sera pas davantage lavé de ses souillures ou libéré de ses illusions s’il s’abstient de manger viande et poisson, s’il va nu, se rase le crâne ou porte une chevelure emmêlée, s’habille de toile de sac, se couvre de boue ou se voue au feu sacrificiel. La colère, la boisson, l’obstination, le sectarisme, la tromperie, l’envie, la vantardise, le dénigrement des autres, l’arrogance et les visées malveillantes, voilà les vraies souillures. Au rang desquelles, en vérité, on ne saurait compter le fait de manger de la viande.
Jusqu’à une date récente, la plupart des gens s’imaginaient Bouddha sous la forme d’un être obèse plutôt rococo, la bouche étirée par un sourire, assis, la panse à l’air, tel que le représentent dans le monde occidental des millions de babioles pour touristes et de statuettes de bazar. Ils ignoraient que le vrai Bouddha était un jeune et beau prince qui, un jour, à l’âge de vingt-neuf ans, se mit soudain à broyer du noir dans le palais de son père, en Inde, regardant les jeunes danseuses sans les voir, pour finir par lever les bras au ciel avec une grande détermination et gagner la forêt sur son destrier, où il coupa sa longue chevelure dorée à l’aide de son épée et élut domicile avec les saints hommes de son temps. Il mourut à quatre-vingts ans, vénérable vieillard émacié, et familier de chemins oubliés et de forêts peuplées d’éléphants. Cet homme n’était pas un gros lard hilare, mais un prophète sérieux et tragique, le Jésus-Christ de l’Inde et de presque tous les pays asiatiques.
En 1959, Jack Kerouac parle de littérature et de la «Beat Generation»