Ça fait deux fois que je lis The City & The City, la deuxième remontant à six mois. Et jusqu'à présent, j'ai pas été foutue d'écrire une critique sur ce roman, bien que j'aie très vaguement (mais vraiment très très vaguement) essayé. Voyons si je vais m'en tirer aujourd'hui.
Pourquoi est-ce que je n'ai pas réussi à... Bon, là, j'en suis déjà à la quatrième réécriture de cette phrase, vous voyez comme j'ai du mal... Alors, qu'est-ce qui me bloque ? Je crois que j'ai beaucoup de mal à m'expliquer ce qui fait pour moi le charme de The City & The City. du coup, l'expliquer aux autres devient une torture. Car franchement, comment est-ce que je pourrais expliquer ce que je ne comprends pas ? Allez, c'est parti, on va essayer de comprendre.
Une ville scindée en deux, ou deux villes qui n'en forment qu'une, ou deux villes à la fois entremêlées et séparées, telles se présentent Besźel et Ul Qoma. L'une est marquée par l'uniformité et la grisaille, l'autre se distingue par son aspect plus coloré et moderne. Elles sont collées l'une à l'autre, mais parfois tramées, voire dotées de quelques espaces neutres. le tramage consiste en des lieux comprenant une savante alternance entre des espaces qui appartiennent à Besźel et d'autres appartenant à Ul Qoma. Et, tenez-vous bien, malgré ces lieux tramés, il est strictement interdit (par une loi commune ? qui viendrait d'où ? on ne sait pas) aux habitants de Besźel d'aller à Ul Qoma, et inversement. Mais pas seulement. Il est également interdit de regarder, d'écouter ce qui se passe dans l'autre ville, d'où un vocable spécifique (ce qui est une des marques de fabrique de
China Miéville) utilisé par les habitants, comme "éviser" pour "éviter de regarder", ou "inouïr" pour "éviter d'écouter". Un vocable qu'on comprend vite et facilement, c'est à noter.
Tout de suite, je vous vois venir : qu'est-ce que c'est que ce foutoir que
China Miéville est allé inventer, et qui ne tient pas la route une seconde ??? Parce que conduire sur une voie où il faut éviter de regarder la moitié des voitures, ça semble plus une incitation à provoquer des accidents mortels qu'autre chose, soyons clairs. du coup, je pense qu'il ne faut pas, mais alors pas du tout, s'arrêter au manque de réalisme de la chose. Impossible de lire ce roman si on ne le prend pas comme une métaphore, ou bien on risque de ne jamais finir de s'agacer à propos de tout et de rien - ce que je peux comprendre, vu que je suis un modèle en matière d'agacement qui n'en finit plus. Cela dit, l'idée d'éviser ou d'inouïr les gens qui se trouvent juste sur le trottoir d'en face, est-ce que c'est si fantasque que ça ? Est-ce qu'on n'a pas appris, en tout cas en France mais aussi dans plein d'autre pays, à ne plus voir les clochards qui font la manche et les chats errants qui crèvent la dalle ? Est-ce qu'on n'a pas appris à ne plus entendre le bruit que font les moteurs de voitures ou à ne plus voir les publicités qui s'affichent partout ?
Poursuivons. Pour corser le tout, on a un meurtre avec un corps trouvé à Besźel mais probablement perpétré à Ul Qoma, ce qui va donner du fil à retordre à notre narrateur, l'inspecteur Tyador Borlù. Ajoutez à cela des unificateurs et des nationalistes dans les deux villes pour l'aspect politique, ainsi que d'étranges objets archéologiques impossibles à dater, et une légende, celle d'Orciny, la ville des origines, qui se trouverait sous les deux autres. Car une question n'a jamais été réglée : est-ce que Besźel et Ul Qoma sont deux villes qui se sont rapprochées, ou sont-elles issues de la scission d'une seule ville ? Pour finir, il est question d'une organisation de l'ombre : la Rupture. Vous parlez à quelqu'un d'Ul Qoma alors que vous êtes de Besźel et que vous n'en avez pas l'autorisation (bah oui, il existe des dérogations, quand même) ? Ça signifie que vous "rompez", et par conséquent l'obscure Rupture s'occupe de vous.
J'ai repris tous les éléments essentiels de The City & The City, dont ceux qui m'ont poussée à le lire. J'en avais entendu parler dans Mauvais Genres, l'émission de
François Angelier, et rien que l'idée de ces deux villes liées l'une à l'autre et où les règles empêchaient les habitants de l'une de communiquer avec ceux de l'autre, ça m'avait accrochée. Alors quand il a été question, en cours de lecture, de mystères archéologiques et d'une autre ville mythique, j'étais aux anges. J'avoue que sur ces deux points, j'ai un tantinet déchanté :
China Miéville n'est pas allé au bout, soit par volonté, soit par paresse ; je ne saurais dire. En tout cas il a un peu refait le coup avec
Merfer, l'odieux fourbe !
Je vois bien, au moins en partie, ce qui a pu déplaire à d'autres lecteurs. Au-delà des lois bizarres qui régissent les deux villes, on a affaire à une intrigue policière conventionnelle, à des éléments de l'histoire peu exploités et à une métaphore de la ville double qui reste assez vague. Néanmoins... j'ai du mal à saisir pourquoi le style de
China Miéville poserait problème dans The City & The City. Je n'ai pas énormément lu cet auteur, mais on s'aperçoit vite après quelques romans qu'il adapte son écriture en fonction du sujet. D'où un style parfois fantasque, baroque, ou je ne sais comment qualifier ça, voire pénible comme dans
Kraken (ça n'engage que moi). Ou un style sobre, comme ici. Roman noir, style sobre, atmosphère pesante, un brin déprimante : je trouve qu'on a une combinaison réussie, et c'est probablement la raison de mon attachement à ce livre comportant des défauts certains. Je suis très sensible aux atmosphères qui se dégagent des oeuvres, dans toutes les formes d'art. Or, The City & The City, c'est ça au final : un roman d'atmosphère. Ainsi qu'une appropriation des codes de la dystopie et du roman noir dont
Miéville n'a pas à rougir (pour la science-fiction, c'est en revanche bien trop effleuré pour être intéressant).
Donc, oui, je suis restée sur ma faim avec The City & The City, oui, j'ai vu venir le finale (mais est-ce un défaut ? pas ici, à mon sens) et pourtant oui, j'ai aimé lire le roman, et même le relire trois ans plus tard. Parce que The City & The City, c'est toute une ambiance dans laquelle j'ai aimé traîner mes guêtres avec le narrateur. Et puis osez me dire que ce truc de villes entremêlées, ça ne vous titille pas un peu !