(...) il vouait à l'exécration ce monde, ce foutu monde qui se croit libre, ce monde où, de toutes les bouches, comme une bulle, sort le mot liberté, ce monde qui s'en goberge, qui s'en pourlèche, qui s'en barbouille jusqu'aux naseaux, qui le clame dans ses cortèges, qui l'inscrit sur ses banderoles, sans voir qu'entre la liberté et lui, il y a toujours un papier qui manque, qu'entre la liberté et lui, il reste la bêtise, l'inertie, les règlements avec leurs barbelés, les lois avec leurs miradors, les cons avec leurs conneries, les choses enfin avec leur pesanteur.
On aurait pu s'attendre à ce que ce salon fût meublé à l'antique. Pas du tout. Quelques années plus tôt, saisis d'une frénésie mobilière, les Fauquembert en avaient fait une manière de salon d'honneur d'aéroport : rideaux façon cuir, fauteuils et divans couleur saumon et recouverts d'un tissu si lisse qu'il fallait se cramponner pour ne pas glisser sur la moquette.
– D’abord comment va-t-il ?
– Il va très bien.
– Il est heureux ?
– Il est libre.
– C’est différent ?
– C’est l’étage au-dessus.
Cette stupeur ou cette perplexité qui peuvent nous saisir devant ce mystère étrange, devant cette disproportion entre ce corps et le bonheur, l'enivrement qu'il nous apporte, devant cette image du paradis que peut-être le corps de l'autre, devant cet ensemble de bras, de jambes, d'un modèle qu'on pourrait croire si répandu et qui pourtant, pour un moment ou pour longtemps ou pour toute une vie, devient unique, irremplaçable
Ce verdict était tombé comme un couperet. La duchesse avait eu des ancêtres guillotinés. Un moment, on crut voir passer leurs fantômes.
Alain Finkielkraut est reçu sous la Coupole, le jeudi 28 janvier 2016, au fauteuil de M. Félicien Marceau pour lequel il fait l'éloge. (fauteuil 21).